(Nom féminin, du latin classis, « division du peuple romain », « groupe », « contingent militaire », Alain Rey dir., Dictionnaire Historique de la Langue Française, 1998.) Il faut attendre 1832 pour que le Dictionnaire de l’Académie française définisse le mot classe selon un critère social : « Se dit aussi des ordres, des rangs, que la diversité, l’inégalité des conditions établit parmi les hommes réunis en société. Les diverses classes de la société. Les hautes classes. Les classes élevées. La classe moyenne. Les classes inférieures. Les basses classes. »

Jusqu’à cette date, le mot classe est défini ainsi : « 1°. Ordre, suivant lequel on range diverses personnes, ou l’on distribue diverses choses. Grand d’Espagne de la première Classe. – Figurément, Peintre, poète, théologien, Prédicateur de la première Classe. – 2°. Les différentes salles d’un Collège où s’assemblent les Écoliers. Ils étudient en même Classe. – On le dit quelquefois des écoliers eux-mêmes : Le Régent y est allé avec toute sa Classe ; Et aussi du temps que les écoliers sont assemblés pour prendre la leçon : au commencement ou à la fin de la Classe » (Dictionnaire critique de la langue française, J.-F. Féraud, 1787-1788). Cette définition diffère peu de celle enregistrée par le Dictionnaire de Trévoux ou par l’Académie Française en 1762.

Le XVIIIe siècle a enrichi le terme du côté des sciences naturelles, alors qu’il était auparavant cantonné au vocabulaire scolaire, ou à l’histoire de la Rome antique (afin de décrire les divisions du peuple romain). Classe est très employé par les naturalistes, tandis qu’ordre, son quasi synonyme alors, est plutôt réservé à ceux qui se consacrent à l’histoire de la monarchie. Ce sont Quesnay et les Physiocrates qui ont transféré le terme des sciences naturelles à la description de la société d’ordres. Quesnay est en effet le premier à entendre par classe « un ensemble de personnes qui occupent une place identique dans la circulation du revenu et sa production » (Marie-France Piguet, 1996, p. 46) : « La Nation est réduite à trois classes de citoyens : la classe productive, la classe des propriétaires, et la classe stérile » (François Quesnay, Analyse de la formule arithmétique du Tableau économique, 1758, Paris, éd. E. Daire, 1846, t. 2, p. 58).

Au XVIIIe siècle, le mot connait une diffusion de plus en plus large, pour caractériser les groupes sociaux, sans atteindre la précision de l’analyse menée par Quesnay. Se développe à sa suite l’emploi d’un adjectif qualifiant le mot classe, alors que jusqu’ici, on trouvait pour ce faire un complément déterminatif. Ce passage est symptomatique d’une prise en compte du groupe désigné par la classe comme entité en soi. Est alors aussi très présente la synonymie avec ordre. Elle va parfois jusqu’à l’abandon d’ordre au profit de classe : ordre est perçu comme trop contraignant et suranné tandis que classe est plus propre à l’expression de projets de réforme. Classe permet de multiplier les critères permettant l’analyse des groupes sociaux, tandis qu’ordre contraint d’en rester à la trinité constitutive de l’Ancien Régime.

Rétif participe de la diffusion du terme au xviiie siècle. On trouve chez lui des constructions syntaxiques de classe traditionnelles : « la classe des marchands et même des artisans », Les Nuits de Paris, Nuit 122, éd. Slatkine Reprints, p. 1310 ; « les plus basses classes », Les Nuits de Paris, Nuit 142, p. 1487 ; « la dernière classe », Les Nuits de Paris, Nuit 185, p. 1805. Mais il emploie aussi le termes dans ses constructions nouvelles : « Classe infortunée » (relevé par Marie-France Piguet ; l’expression se trouve dans Le Nouvel Abeilard, p. 81) ; « les classes travaillantes » (Les Nuits de Paris, Nuit 162, p. 1634).

Dans ce cadre global de succès croissant du substantif dans l’analyse sociale, Rétif est un des premiers utilisateurs de l’expression « classe moyenne » appliquée à la société française, qui était alors rare. On la trouve d’abord chez des économistes préoccupés par la répartition de l’impôt (« Moyenne classe », Henri de Boulainvilliers, Histoire des anciens parlements de France, Paris, Lambert, 1737, p. 549). Rétif semble être un des premiers à utiliser l’expression dans un sens plus complexe que celui de la prise en compte des revenus : « J’ai pris mes héroïnes dans toutes les conditions. […] Toutes les autres Nouvelles, sont prises ou dans les conditions élevées, ou dans la classe moyenne des citoyens […] » (Les Contemporaines, 1781, vol. 1, p. 8) ; « Une Duchesse, même depuis que le bel-usage s’est étendu jusqu’aux classes moyennes, conserve naturellement un air de supériorité sur les femmes d’un ordre inférieur […] » (Les Contemporaines par gradation, éd. de Jean Assézat, Paris, Alphonse Lemerre, 1875, t. 3, p. 3) ; « Mais si quelque jour ce théâtre venait à mettre plus de goût et de propreté dans ses représentations ; à se donner des actrices jeunes et jolies : des acteurs passables pour le talent, la figure et l’habit, il serait un foyer de corruption pour la classe moyenne » (Les Nuits de Paris, 1788, Nuit 122, p. 1310).

Cette classe est aussi qualifiée de « classe du milieu » (Les Nuits de Paris, Nuit 264, p. 2017), ou d’ « état du milieu » (Le Nouvel Abeilard, p. 62). Selon Abeilard, c’est l’endroit où l’on rencontre « l’homme par excellence » (on retrouve l’expression dans l’ « Avis » du 1er volume des Contemporaines, p. 8). Dans les Nuits de Paris, p. 1310, on apprend que la « classe moyenne » est composée de marchands et d’artisans, et qu’elle est « la plus nombreuse, et celle dont les mœurs importent le plus à l’État ». L’utilisation de cette expression est symptomatique de la propension de Rétif à répartir en catégories, et à imaginer des projets de réforme de grande ampleur. Par son origine comme par ses convictions politiques, il favorise cette « classe moyenne » au dépens des autres groupes, que ce soit la « populace » – trop sujette au vice – ou l’aristocratie – engluée dans ses préjugés et sa méconnaissance de la réalité sociale.

Classe est aussi employé de façon flottante. Ordre, état, condition, profession, corps : nombreux sont les mots au XVIIIe siècle qui discriminent les groupes composant la société. Rétif les utilise parfois de façon interchangeable : « classe commune », « conditions communes », « professions communes » (Les Contemporaines, « Avis » du t. 18, p. 4). Le terme devient aussi un simple synonyme de catégorie (« la classe des polissons », Les Nuits de Paris, Nuit 111, p. 1223), de corps (Les Nuits de Paris, Nuit 146, p. 1517 : les bourgeois sont à la fois « classe générale » et « corps ») ou d’état (L’Andrographe, « classe du milieu » p. 11 ; « état du milieu » p. 12).

Toutefois, il est possible de mettre au jour un usage spécifiquement rétivien du mot. Quand le Hibou évoque son activité d’observateur et les connaissances qu’il en tire, il emploie le terme de classe. Ce dernier semble plus propre à évoquer son rôle de pourfendeur de l’injustice : « Qu’on s’en rapporte à moi qui connais mieux que personne la classe des ouvriers. » (XX Nuits de Paris, p. 465) ; « Je veux le peindre ; je veux être la sentinelle du bon ordre. Je suis descendu dans les plus basses classes, afin d’y voir tous les abus » (Nuit 142, p. 1487). Le terme condition n’est presque jamais employé dans les Nuits : la distinction des hommes selon leur naissance est peut-être obsolète, et insuffisamment nuancée. En effet, selon Féraud la condition est l’« état d’un homme considéré par rapport à sa naissance ». Féraud rajoute en citant l’abbé Girard qu’elle « a plus de rapport au rang qu’on tient dans les différents ordres, qui forment l’économie de la République » ; tandis qu’état « en a davantage à l’occupation ou au genre de vie dont on fait profession ».

Classe permet d’aborder la question des caractères communs aux groupes sociaux, comme dans les lettres 6 à 12 du Nouvel Abeilard, où Abeilard décrit les différentes « classes » composant la société urbaine. Chacune a son caractère et ses défauts. Classe a une connotation morale très forte chez Rétif : les conditions de vie créent un caractère similaire chez les individus. Classe est donc plus précis qu’ordre – dans le sens que lui donne l’Ancien Régime à la suite d’Adalbéron de Laon – mais moins spécifique qu’état : il est beaucoup plus plastique et favorise l’invention de nouvelles catégories sociales. Le terme permet d’élaborer des critères communs regroupant des hommes exerçant des professions pourtant différentes : la pénibilité du travail, la qualification, les revenus obtenus, et les mœurs.

À propos de la « dernière de toutes les classes des villes », Abeilard écrit : « représentez-vous des malheureux, vivant au jour la journée, au sein de la misère, dans la mal propreté, la crapuleuse débauche ; sans idée des mœurs, incapables de la moindre vertu ; ne connaissant ni pudeur ni justice ; ne se doutant pas de la générosité ; en un mot, au niveau des brutes. Telle est en général, la classe des herbières, des poissardes, des crieurs des rues, et d’états pareils. Moins ces états sont lucratifs, et moins aussi l’on y trouve de sentiments d’honneur, et même d’honnêteté » (Le Nouvel Abeilard, p. 81).

Ces caractères propres à chaque classe engendrent une multitude d’intérêts contradictoires, rendant impossible le progrès dans L’Andrographe, car ils sont les causes « d’une inertie historique » (Laurent Loty, 1988). Ce progrès est néanmoins souhaité. Aussi Rétif utilise-t-il classe pour évoquer l’égalité des conditions : « Toutes les classes vont être confondues, et tous les hommes citoyens, toutes leurs femmes, vont marcher les égales les unes des autres, dans un pays libre : voilà ce que vous me paraissez annoncer » (Semaine Nocturne, p. 104).

Quand classe ne sert pas à évoquer la possibilité de la suppression des distinctions sociales, il est employé par Rétif pour élaborer ses projets de société, et répartir la population en groupes distincts. La classification sert alors la mise au jour de catégories à ses yeux fondées car naturelles, comme l’âge et le sexe. Le terme est omniprésent dans Le Pornographe : il permet de discriminer les « filles » selon leur âge. On le trouve aussi fréquemment dans L’Andrographe. Il a alors le sens de catégorie sociale qui distingue les hommes selon leur âge et leur mérite. Le terme est d’une plasticité qui accueille à merveille la démarche politique et les perspectives réformatrices de Rétif.

Bibliographie

– Laurent Loty, « Le peuple et la populace chez les philosophes des Lumières et chez Restif de la Bretonne », Études rétiviennes, n° 8, juin 1988, p. 33-42.

– Marie-France Piguet, Classe, histoire du mot et genèse du concept, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1996.

– Pierre Testud, Rétif de la Bretonne et la création littéraire, Paris, Droz, 1977.

Les références des œuvres rétiviennes sont celles des éditions Slatkine Reprints.

Hélène Boons