Encataloguer : néol. qui se rapporte à l’existence d’un catalogue des spectacles dans lequel seraient inscrites les Opéradiennes*.
Il n’est pas prouvé qu’il y ait eu un tel catalogue. Dans leurs Anecdotes dramatiques, Clément et Laporte publient un Règlement de 1713 concernant l’Opéra ; il y est fait référence à un état où devront être notés les noms des chanteurs et chanteuses, des danseurs et danseuses, des choristes et des symphonistes de l’orchestre avec leurs attributions et leurs appointements (Anecdotes dramatiques, Paris, Vve Duchesne, 1775, p. 535). Cet état est présenté comme un document comptable, mais catalogue porte une charge sémantique bien plus complexe et paraît être employé dans ce domaine par Rétif seul. Catalogue a, comme état, rôle ou registre, des caractères propres à la notion de liste. Or on sait que Rétif a souvent recours à ce procédé, ne serait-ce que dans Mon Kalendrier, où sont répertoriées jour par jour toutes les femmes qu’il a connues. Mais un catalogue c’est un registre qui classe des éléments de même nature et les présente comme des articles en magasin. Or les acteurs de l’Académie royale de musique inscrits au catalogue bénéficient d’une condition exceptionnelle : ils ne sont pas excommuniés comme les autres comédiens, ils ne dérogent pas s’ils appartiennent à la noblesse ; et surtout, ils sont émancipés par rapport à leurs tuteurs légaux :
« Il est bon d’observer encore que le privilège du catalogue des spectacles est très dangereux ! Il est vrai qu’on a eu d’importantes raisons pour l’établir : mais il n’en reste pas moins une flétrissure pour celles qui en jouissent » (Les Contemporaines, XLI vol., CCLX nouvelle, Les chanteuses des chœurs, p. 113).
Les nouvelles des Contemporaines consacrées aux Opéradiennes montrent que le privilège garantit la protection des jeunes danseuses ou chanteuses qui cherchent à fuir l’autorité de leurs parents, ou celle d’un mari, en se réfugiant à l’Opéra, le plus souvent au profit d’un riche protecteur :
« Lorsque son amant la vit au point où il la voulait, il l’enleva, la mit dans le quartier Saint-Honoré, lui donna des connaissances qui la tinrent éloignée du monde qui la pouvait découvrir à ses parents, et pour achever de la mettre en sûreté, il la fit encataloguer à l’Opéra » (Les Contemporaines, éd. cit., p. 171).
Mais il faut ajouter que, conformément au règlement suivant paru en 1714, qui prévoit que « Les acteurs et actrices, danseurs, danseuses, et gens de l’orchestre ne pourront être reçus à l’Opéra qu’après avoir fait preuve de leur habileté dans quelques représentations » (op. cit., p. 543), Rétif mentionne toujours la phase d’apprentissage qui permet à la jeune fille encataloguée de justifier sa candidature à l’Opéra :
« Il lui proposa la sauvegarde des filles de l’Opéra, et Modeste fut encataloguée. Un nouveau règlement pour les spectacles défendait largement de recevoir une foule de surnuméraires qui n’exerçaient pas. L’amant de Modeste l’en avertit et lui proposa de prendre un maître, afin de pouvoir figurer » (op. cit., p. 176).
C’est Telaïre, la danseuse des Contemporaines, qui illustre le mieux la condition de la femme piégée par le miroir aux alouettes du catalogue. Élevée par une mère qui se travestit en homme, elle refuse le mariage parce qu’elle n’y ferait que le second rôle. Elle se réfugie à l’Opéra et est effectivement délivrée de l’autorité de ses parents :
« Telaïre dansa et marqua un talent décidé. — Quel dommage ! lui dit Mlle Vogelein dans un entr’acte, que vous ne soyez pas destinée au théâtre ! — Je crois que j’y suis destinée, répondit Telaïre : on veut me marier demain, comme femme ; je me suis sauvée de chez mes parents, pour n’y plus retourner ; car ils me contraindraient. — Ce que vous dites-là n’est pas sérieux ! reprit Vogelein. — Très sérieux, je vous assure ! car si vous vouliez me rendre, je m’enfuirais. Je ne suis venue que pour me faire inscrire ; je me rappelle que vous avez dit chez Mme Genistan, que le catalogue de l’Opéra ôtait tout pouvoir aux parents. Je resterai figurante ici, ou je monterai d’un cran, si j’ai le talent nécessaire. Je vous prie de me seconder. En achevant ces mots, elle alla danser. Un des directeurs, qui l’avait remarquée, parla de Telaïre à Mlle Vogelein, et celle-ci ne lui déguisa pas que c’était une fille riche. — N’importe ! il faut la servir ! dit l’Opérastarq**. Je l’inscrirai dès ce soir ; elle a un talent marqué. Il n’y manqua pas » (op. cit., p. 132).
Mais à l’Opéra, elle retombe dans une servitude inéluctable : comme les autres, elle dépend d’un puissant protecteur, qui lui fait des enfants. Et malgré son talent de danseuse, elle ne fait que le second rôle.
Par le catalogue, les directeurs ont le pouvoir d’enrôler les filles d’Opéra, et de les classer selon leur talent et leur valeur ; ils disposent ainsi d’un vivier de filles soumises aux besoins des spectacles ; mais Rétif leur attribue aussi un fantasmant pouvoir rédempteur, rôle protecteur qui incombe aussi à la Marquise des Nuits de Paris.
* Voir ce mot.
** L’Opérastarq : autre néologisme qui signifie « chef de l’Opéra ».