Etienne Carjat, Portrait de Charles Monselet. Crédit : Musée Carnavalet (n° PH54054)
Page de titre de la seconde édition (Aubry, 1858)
Ex-libris (aux "livres amoncelés") dessiné et gravé par Devambez

Charles Monselet est un parfait représentant d’une catégorie de journalistes-littérateurs qui a émergé avec le développement de la « grande » presse au XIXe siècle. Homme de presse (il se spécialise notamment dans la critique gastronomique), poète et romancier, auteur dramatique et essayiste, la liste de ses publications est longue[1], même s’il faut convenir qu’elles sont aujourd’hui bien oubliées…

Il naît à Nantes (le 30 avril 1825), passe une partie de sa jeunesse à Bordeaux, mais c’est à Paris qu’il mènera l’essentiel de sa carrière de 1846 à sa mort (le 19 mai 1888).

Très vite, parallèlement à une activité plus littéraire, il manifeste un intérêt certain pour les « marginaux » des lettres et de la société dont il brosse avec verve des portraits riches en anecdotes. Dans Statues et statuettes contemporaines (1852) il fait voisiner Mme de Staël, Chateaubriand ou Alexandre Dumas, avec Ferdinand Flocon, Jean Journet ou Abd-el-Khader… En 1854, ce sont des Figurines parisiennes, en 1857 des Physionomies parisiennes. Acteurs et actrices, et Les Oubliés et les Dédaignés. Figures littéraires de la fin du 18e siècle (en 2 volumes), parmi lesquels on trouve Mercier, Cubières, Olympe de Gouges, Gorjy, Grimod de La Reynière, etc. Et il explique la démarche poursuivie dans ces recherches : « Un ouvrage, par lequel nous avons préludé à ces exhumations, et qui est consacré tout entier à l’examen des deux cents volumes de Rétif de la Bretonne, nous a prouvé qu’il n’était pas impossible de vaincre certaines préventions du public et de défaire en partie ses opinions. Les œuvres, jadis tant conspuées, du romancier des halles sont aujourd’hui en haute valeur dans les ventes publiques. Il y a évidemment, sinon réaction, du moins curiosité. Nous n’avons pu nous empêcher de tirer de ces symptômes un encouragement[2]. » Et il y aura encore (entre autres…) Portraits après décès. Avec lettres inédites et fac-simile, en 1866, sur des contemporains. On le voit, son esprit est curieux et ouvert, il sait bien que Chateaubriand, Hugo ou Nerval ont une « valeur » littéraire supérieure à celle de la plupart des « dédaignés », mais ces minores peuvent nous apprendre beaucoup sur leur siècle, et cela l’intéresse.

Mais revenons donc aux origines (ou presque), avec Rétif de la Bretonne. Sa vie et ses amours ; documents inédits ; ses malheurs, sa vieillesse et sa mort ; ce qui a été écrit sur lui ; ses descendants ; catalogue complet et détaillé de ses ouvrages, suivi de quelques extraitsAvec un beau portrait gravé par Nargeot, et un fac-simile. Paris, Alvarès fils éditeur, 1854. In-16, III-212 p., portrait, fac-similé. L’ouvrage sera repris à l’identique chez Aug. Aubry en 1858.

Le programme affiché est tenu et apporte des précisions bio-bibliographiques importantes, au-delà de celles fournies par Cubières en 1811. Il faut signaler que cette publication est liée à une opération commerciale menée par le libraire-éditeur Alvarès ; après un demi-siècle de quasi oubli il est temps de redonner aux ouvrages de Rétif une valeur bibliophilique et commerciale… Mais l’intérêt de Monselet pour Rétif est ancien, et nous nous appuierons notamment sur sa biographie signée par son fils André[3]. Le père de Charles dirigeait un cabinet de lecture, à Nantes et Bordeaux, où se trouvaient naturellement des ouvrages de Rétif. Une correspondance-journal tenue de 1846 à 1848 avec l’un de ses fidèles amis, Richard Lesclide (homme de lettres, journaliste, futur secrétaire de Victor Hugo…), témoigne de quelques étapes de ses recherches :

« Vendredi [20 novembre 1846]. – Je porte ma Revue de Paris à l’Artiste ; je lui demande de l’argent ; il me renvoie à la semaine prochaine. Oh ! oh !

J’achète du Rétif de la Bretonne, car, décidément, je vais faire un roman avec la vie de cet homme. […]

Lundi [7 décembre 1846]. – Travail à la bibliothèque [royale] sur Rétif de la Bretonne[4]. »

Ses recherches sont donc sérieuses, et il peut écrire à la fin de la partie catalogue de son ouvrage : « … de tous les livres que nous venons d’énumérer, il n’en est aucun qui ne nous ait passé par les mains[5] ». Il fréquentait bouquinistes et libraires et sa bibliothèque était fournie, sans qu’il recherche particulièrement les éditions luxueuses, les belles reliures, etc.[6].

Ce travail allait d’abord se concrétiser par trois articles dans le « Feuilleton » du journal Le Constitutionnel des 16-17, 18 et 19 août 1849[7]. Cette parution amènera des réactions et contacts avec les descendants de Rétif sur lesquels nous reviendrons.

Il ne servirait à rien de relever aujourd’hui les approximations, les erreurs, les jugements parfois un peu condescendants de Monselet, qui fut un pionnier. Dans un style alerte il tente et réussit assez bien à dégager les grandes lignes de l’existence de Rétif, presque essentiellement à travers son œuvre, mais en prenant tout de même parfois une distance critique. Pour lui « Rétif de la Bretonne, c’est le peuple-auteur », méprisé et dédaigné par « la France savante et lettrée » ; « …mieux qu’une curiosité, qu’une difformité littéraire ; – ce n’est pas un homme de talent, mais c’est presque un homme de génie[8]. »

La partie proprement biographique court sur un tiers de l’ouvrage (chapitres II à VII, p. 3-79), elle est plaisante à lire mais n’apportera aucune information nouvelle au lecteur contemporain.

Le chapitre VIII, « Ce qui a été écrit sur Rétif de la Bretonne » (p. 79-95) ne manque pas d’intérêt. Monselet y dénonce quelques publications incomplètes et inexactes, voire totalement affabulatoires (notamment les notices des grands ouvrages biographiques de Michaud et Jay-Norvins). Ainsi dans la Biographie universelle de MichaudEt ce texte est maintenu dans la nouvelle édition revue, après 1857 pour le volume 35 puisqu’il y est fait référence à l’ouvrage de Monselet… Celui-ci évoque encore quelques étapes plus récentes de la redécouverte de Rétif à travers des adaptations théâtrales et surtout des articles de Xavier de Montépin (1849) et de Gérard de Nerval (1850), sans oublier ses trois articles du Constitutionnel (août 1849).

Plus intéressantes pour nous sont les réflexions sur le parallélisme tenté déjà par une partie de la critique, et longtemps discuté, avec Balzac : notamment « la prétention, égale pour chacun d’eux, de peindre les mœurs de son époque ». Il développe ces parallèles et évoque également l’attrait exercé par certains écrits de Rétif (notamment les volumes des Idées singulières) sur quelques penseurs et utopistes contemporains.

Le chapitre IX, « Les descendants de Rétif de la Bretonne » (p. 95-103) est également intéressant car il permet de retrouver des descendants bien oubliés qui, parfois, ont tenté de poursuivre la veine littéraire de Rétif. Après ses articles de 1849, Monselet a ainsi rencontré ses petits-fils, Augé et Victor Vignon et recueilli leurs témoignages. Chez Augé il a même pu découvrir un portrait au pastel d’Agnès Lebègue, l’épouse de Rétif.

Le chapitre X, de loin le plus important (p. 104-190) est un « Catalogue complet et raisonné des ouvrages de Rétif de la Bretonne ». Il comporte 46 notices d’importance variable, plus systématiques et beaucoup plus précises que celles de Cubières, mais qui ne correspondent pas encore aux normes de la bibliographie contemporaine. Elles sont évidemment tributaires de l’accès aux ouvrages, bibliothèque royale ou collections personnelle et privées. Ainsi, pour La Découverte australe… il décrit un quatrième volume qui se termine page 334 : « Quant aux autres morceaux indiqués, l’Iatromachie, la Raptomachie, etc., ils n’y sont pas. » Il est complété par un chapitre XI, « Appendice au catalogue » (p. 190-193) qui dresse une bibliographie des « ouvrages de M. Victor Vignon, dit le Petit-fils de Rétif de la Bretonne, et de M. L. Rétif de la Bretonne » ; par un chapitre XII (p. 193-203) composé de portraits féminins extraits du volume 12 de L’Année des Dames nationales ; par des « Notes » et par le fac-similé d’un manuscrit de Rétif pour un « Projet de traité pour la publication de Monsieur Nicolas ».

Si ces notices ne possèdent plus aujourd’hui une grande valeur bibliographique, elles témoignent néanmoins, par leurs commentaires, d’une vision assez nouvelle et positive d’un auteur qu’elles ont contribué à faire renaître auprès d’un public lettré et bibliophile. Il faudra encore attendre 20 ans pour qu’une nouvelle étape soit franchie.

                                                                                                                                                        Jean-Michel Andrault

[1] La notice Wikipédia qui lui est consacrée, bien que succincte, donne l’essentiel des repères biographiques et bibliographiques que nous ne développerons pas ici.

Beaucoup de ses ouvrages sont consultables sur Gallica, et notamment Rétif de la Bretonne

[2] Les Oubliés et les Dédaignés…, tome 1, p. II et III.

[3] André Monselet, Charles Monselet. Sa vie, son œuvre. Paris, Émile Testard, 1892 ; préface de Jules Clarétie.

[4] Charles Monselet. Sa vie… p. 79 et 82. Les précisions entre crochets [  ] sont de notre fait.

[5] Rétif de la Bretonne. Sa vie… p. 189.

[6] Il vend lui-même une partie de sa bibliothèque en 1871, un seul Rétif y figure, La Mimographe. Mais nous n’avons pas pu consulter le catalogue de la vente de 1885, encore de son vivant.

[7] Le Constitutionnel. Journal politique, littéraire, universel. Disponible sur Gallica.

[8] Rétif de la Bretonne. Sa vie… p. 2 et 3.

[9] Biographie universelle ancienne et moderne… [sous la direction des frères Michaud]. 1re édition (1811-1828, avec des suppléments jusqu’en 1862 ; au total 85 volumes). 2e édition revue (1843-1865, 45 volumes).

L’article Restif de la Bretonne est signé [Charles] Weiss (1779-1866) dans les 2 éditions : t. 37, p. 391-397 pour la 1re,     t. 35 p. 462-466 pour la 2e). Le texte de la 2e édition est légèrement actualisé.