Laurent Turcot, Le Promeneur à Paris au XVIIIe siècle, Editions Gallimard « Le Promeneur » 130 x 215 mm. 440 pages ISBN : 9782070783663 Code Sodis : A78366 26,50 euros

L’ouvrage

Parce qu’on la croit inscrite dans la ville et qu’elle semble apparaître comme une conséquence évidente de ses délimitations immédiates (trottoirs, jardins, passages protégés, etc.), la promenade est aujourd’hui conçue comme une pratique ordinaire, normale et convenue. Le promeneur arpente le pavé de Paris. Il retire une joie irrésistible à user ses semelles sur ces dalles qui, dit-on, ne sont faites que pour marcher. Pourtant, se promener dans la ville est un comportement historiquement construit, la cité ne s’est pas toujours offerte à lui. Il importe de comprendre comment, chez l’être urbain, ce sentiment a pu se constituer et comment la ville a permis de maintenir cette habitude par des promenades publiques et des espaces sécuritaires pour le piéton. Se dessine alors une habitude qui encourage l’individu à déambuler, à se mettre en marche, parfois en scène, à entrer dans le grand bal des sociabilités parisiennes. Une identité se construit, avec ses comportements, ses manières d’être, ses regards et sa gestuelle ; le promeneur s’avance, il prend place dans le Paris du XVIIIe siècle, il devient une figure qui définit la capitale française à l’époque moderne.

L’auteur

Laurent Turcot est né en 1979. Il est docteur en histoire de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Il enseigne actuellement à l’Université Laval et à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Quelques mots de l’auteur

Cette étude se propose donc de saisir l’émergence d’une figure nouvelle : celle du promeneur moderne déambulant dans les rues de Paris sans se soucier du caractère ostentatoire et distinctif de sa démarche. Il s’agit ici d’une histoire des pratiques ordinaires de la promenade dans la ville et de ce que ces pratiques sont à la fois façonnées par l’espace et façonnent l’espace. Il s’agit encore d’isoler une figure : le promeneur, et d’en comprendre la genèse à une époque où l’espace est poreux, encombré, vivant et gestuel. Cela à partir de discours qui émanent autant de quelques théories architecturales, administratives, policières de l’époque que des chroniqueurs et mémorialistes, littéraires, philosophes et voyageurs qui « entrent » dans la ville pour la connaître ou qui l’observent pour mille et une raisons.

Ici se retrouve un véritable intérêt pour une histoire sociale de « l’être-en-marche-dans-la-ville » et une nécessaire attention à ce que les élites et la monarchie eurent l’obligation ou le dessein de faire pour l’aménagement de l’environnement de l’individu urbain, sujet du Roi. Ainsi, analyser la genèse d’un type urbain de ce genre (le promeneur n’a pas la même attitude que l’habitant, le marchand, etc.) revient à comprendre les mécanismes (et aussi les improvisations) de structuration des relations sociales de la ville au XVIIIe siècle.

Déambuler, cheminer ou marcher ne sont pas des actes banals et futiles. Certes, la promenade est un loisir, elle rassemble les individus, met en place des systèmes de représentation, d’interaction et de sociabilité, mais elle doit également se comprendre par l’espace physique qui structure sa nature et ses modalités d’utilisation. Rituel de visibilité sociale, elle fonde des usages qui cimentent les rapports sociaux. Dans le cas présent, Paris se présente comme l’exemple de choix pour articuler les discours qui sont produits à cet effet. En plus d’être une des villes les plus importantes du continent européen – tant sous l’angle démographique que culturel – Paris offre de surcroît un cadre propice à l’étude des utilisations de l’espace urbain à l’époque moderne par la densification de son construit urbain et par l’attraction qu’elle provoque chez les provinciaux et les étrangers. Centre administratif, politique et culturel du royaume de France, la Capitale est l’épicentre à partir duquel peuvent se mesurer les transformations de la société.

Des hommes de lettres vont même jusqu’à revendiquer cette identité de promeneur qui est exprimée dans les écrits de Barbier et de Hardy. Cette seconde moitié du XVIIIe siècle voit ainsi des philosophes et écrivains expliquer en détail et théoriser, en quelque sorte, ce qu’est et ce que doit être un promeneur urbain. En plus de Jean-Jacques Rousseau, deux auteurs vont s’y attacher particulièrement : Louis-Sébastien Mercier et Nicolas-Edmé Rétif de la Bretonne.

L’identité de « promeneur-observateur », revendiquée est en aval de toutes les transformations qui se sont opérées dans le Paris du XVIIIe siècle. Le Tableau de Paris et Les Nuits de Paris, œuvres composées par les deux écrivains, sont en quelque sorte l’aboutissement de l’évolution et de l’adaptation de la promenade honnête à des fonctions sociales qui se recentrent peu à peu sur l’individu. Ces deux récits sont remarquables en ce que leurs auteurs pensent le rapport de l’individu à la collectivité. La promenade est une des formes littéraires utilisées pour enchaîner des observations réalisées sur la société parisienne. Ces descriptions impliquent une disposition intellectuelle et physique dans la Cité : celle du promeneur arpentant les rues, les promenades, les places, etc. Ainsi, le promeneur, plus qu’une figure littéraire, devient une figure sociale dont la fonction est de mettre au jour les mécanismes qui régissent la Capitale.

Écrivains et philosophes vont véritablement définir une gestuelle et une intention en revendiquant l’individualité du promeneur. Rendue possible par un espace urbain qui facilite la déambulation, mais également par des transformations sociales au sein de la société française, la figure du promeneur se construit par des expériences historiques combinées. L’homme déambulant dans la ville est un être de sens, il se laisse inspirer par ce qui croise son regard, ses pas, ses oreilles, etc. Le promeneur se déplace pour voir et capter l’information nécessaire à la rédaction. Cet « exercice » renforce l’idée selon laquelle la promenade s’individualise et acquiert une fonction pratique dans la Cité, mais plus encore que cette attitude est au cœur de l’identité urbaine parisienne renouvelée.