Présentation de la rubrique par Pierre Testud

Cette revue a pour objet de donner l’histoire et la description de l’œuvre de Rétif, imprimée et manuscrite. Elle regroupe les informations que donne Rétif ici et là sur la genèse de ses ouvrages, leur ambition, et les jugements qu’il porte sur son travail. Elle apporte sur certains points compléments et correctifs.

On n’y trouvera pas un résumé de chaque ouvrage (tâche bien difficile !), mais un aperçu de son contenu, plus ou moins détaillé.

Cette revue présente aussi une bibliographie des éditions, tant anciennes que modernes, ainsi que les traductions et les adaptations théâtrales ou cinématographiques. Il est entendu que cette bibliographie, tout en apportant des compléments, ne prétend pas à l’exhaustivité.

Les sources utilisées sont d’abord Mes Ouvrages, dernière partie de Monsieur Nicolas, et le récit même de Monsieur Nicolas, passim.. Nos références renvoient à l’édition de la Pléiade (vol. I et II), sauf  indication contraire.

Nous avons recouru ensuite aux revues placées à la fin du Paysan  perverti (1775), du Quadragénaire (1777), de La Paysanne pervertie (1784), de La Vie de mon père (3e édition, 1788) ; aux « avis », observations », analyses, prospectus, listes disséminés un peu partout dans l’œuvre imprimée.

Bien entendu, les ouvrages de P.L. Jacob [Paul Lacroix], Bibliographie et Iconographie de tous les ouvrages de Restif de la Bretonne, 1875 et de John Rives Childs (nom abrégé ici en J. R. C.) Restif de la Bretonne. Témoignages et Jugements. Bibliographie. Briffaut, 1959 ont été mis à contribution. Mais l’un et l’autre sont anciens et non exempts d’erreurs.

Année (L’Année des dames nationales)

Cont. (Les Contemporaines) ; sauf indication contraire, l’édition de référence est celle de Champion, 2014-2018, 10 volumes, édition critique établie par Pierre Testud.

Découverte (La Découverte australe)

MN (Monsieur Nicolas), où dans le vol. II Mes Ouvrages (pour lesquels la pagination sera seule indiquée) 

Nuits (Les Nuits de Paris)

Paysan (Le Paysan perverti)

Paysanne (La Paysanne pervertie)

Paysan-Paysanne (Le Paysan et la Paysanne pervertis)

1767. La Famille vertueuse, Lettres traduites de l’anglais, par M. de la Bretone.
 
1768. Lucile ou les Progrès de la vertu, par un mousquetaire.

1768. Le Pied de Fanchette, ou l’orpheline française, histoire intéressante et morale.

1769. Lettres de Lord Austin de N*** à Lord Humphrey de Dorset son ami. — Faux-titre : La Confidence nécessaire, lettres anglaises.

1769. La Fille naturelle.

1769. Le Pornographe, ou Idées d’un honnête homme sur un projet de règlement pour les prostituées, propre à prévenir les malheurs qu’occasionne le publicisme des femmes. Avec des notes historiques et justificatives. — Faux-titre : Idées singulières.

1769. Le Glossografe ou l’Ortografe et la Langue réformées(manuscrit partiellement imprimé dans Mes Ouvrages, notamment)). — Ouvrage conçu pour être le VIe volume des Idées singulières.

1770. La Mimographe, ou Idées d’une Honnête Femme pour la réformation du théâtre national.
 
1770. Le Généographe, ou Idées d’un honnête homme sur le Système de la Nature, où l’on insiste particulièrement sur la Divinité et les pures intelligences ; l’âme humaine ; le feu, l’air, l’eau et la terre ; les minéraux, végétaux, animaux, etc., à l’usage des gens du monde, des enfants et des femmes. « Idées singulières tome III » (manuscrit incomplet publié en 1977).
 
1770-1775. Le Nouvel-Émile (1770 pour le volume I, 1771 pour le II et 1775 pour le III). — Faux-titre : Idées singulières. L’Éducographe.

1771. Le Marquis de T*** ou l’École de la jeunesse (le T*** est développé en Marquis de Tavan* dans Mes Ouvrages).

1772. Adèle de Comm**, ou Lettres d’une fille à son père.

1772. La Cigale et la Fourmi, ou l’Enfant gâté, « fable dramatique en 5 actes », « pièce qui pourrait entrer dans un Théâtre du peuple ». — Imprimée en 1772 dans le volume V d’Adèle de Comm**,  puis en 1786 dans Les Françaises et dans le volume I du Théâtre.

1772. Le Jugement de Pâris, comédie-ballet. — Imprimée d’abord en 1772 sous forme d’un volume in-8° de 44 pages et, la même année dans le volume V d’Adèle de Comm**, puis dans la première édition du volume V des Contemporaines en 1780, dans le volume I du Théâtre en 1786, enfin dans  le  volume IV des Parisiennes en 1787.

1773. La Femme dans les trois états de fille, d’épouse et de mère. Histoire comique, morale et véritable.

1773. Le Ménage parisien, ou Déliée et Sotentout.

1774. Les Nouveaux Mémoires d’un homme de qualité, par M. le M… de Br…
 
1776. Le Fin Matois, ou Histoire du Grand Taquin, traduite de l’espagnol de Quévédo, avec des Notes historiques et politiques nécessaires pour la parfaite intelligence de cet auteur. — Faux-titre : Œuvres choisies de Don François de Quévédo. Traduites de l’espagnol, en trois parties contenant : Le Fin Matois, Les Lettres du Chevalier de L’Épargne, la Lettre sur les qualités d’un Mariage.

1776. Le Paysan perverti, ou les Dangers de la ville, histoire récente mise au jour d’après les véritables lettres des personnages.

1776. L’École des pères.

1777. Les Gynographes, ou Idées de deux Honnêtes Femmes sur un projet de règlement proposé à toute l’Europe pour mettre les femmes à leur place, et opérer le bonheur des deux sexes. Avec des Notes historiques et justificatives. — Dans Mes Ouvrages, le titre est abrégé en : Les Gynographes ou la Femme réformée.
 
1777. Le Quadragénaire ou l’Âge de renoncer aux passions. Histoire utile à plus d’un lecteur. — Faux-titre : Le Quadragénaire ou l’Homme de XL ans, avec 15 figures. —On trouve la variante : Le Quarantenaire, dans Monsieur Nicolas.
 
1778. Le Nouvel Abeilard, ou Lettres de deux amants qui ne se sont jamais vus.
 
1779-1796. Mes Inscripcions et le Journal (manuscrit incomplet publié en 2006 et 2010, 2 vol.)
La Vie de mon père, par l’auteur du Paysan perverti.

1779. Almanach des modes.
 
1780. La Malédiction paternelle. Lettres sincères et véritables de N****** à ses Parents, ses Amis et des Maîtresses, avec les Réponse, recueillies et publiées par Timothée Joly, son exécuteur testamentaire.

1780-1785. Les Contemporaines ou Aventures des plus jolies femmes de l’âge présent. Recueillies par N. ** * * *** et publiées par Timothée Joly, de Lyon, dépositaire de ses manuscrits.
— 1780-1782 : cette série (volumes 1 à 12), après la parution des deux séries suivantes, prend pour titre Les Contemporaines mêlées.
—1782-1783. Les Contemporaines du commun, ou Aventures des belles Marchandes, Ouvrières, etc. de l’âge présent, recueillies par N.-E. R**-D*-L*-B***. — Volumes 18 à 30.
— 1783-1785. Les Contemporaines par gradation, ou Aventures des jolies Femmes de l’âge actuel, suivant la gradation des principaux états de la société. Recueillies par N.-E. R** D*- L*-B***. — Volumes 31 à 42.
La Découverte australe, par un Homme volant, ou le Dédale français, nouvelle très philosophique.

1782. L’Andrographe, ou Idées d’un honnête homme sur un Projet de Règlement proposé à toutes les nations de l’Europe, pour opérer une réforme générale des mœurs, et par elle, le bonheur du genre humain. Avec des Notes historiques et justificatives. — Autre titre : L’Anthropographe ou l’Homme réformé.
 
1782-1785. Les Figures du Paysan perverti et de la Paysanne pervertie. — 1 volume réunissant sous ce titre deux ouvrages distincts : Les Figures du Paysan perverti et Les Figures de la Paysanne pervertie.  
 
1783. La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Nouvelle utile à plus d’un lecteur.

1784. La Paysanne pervertie, ou les Dangers de la ville. Histoire d’Ursule R**, sœur d’Edmond, le Paysan, mise au jour d’après les véritables lettres des personnages.

1784. La Prévention nationale, Action adaptée à la scène, avec deux variantes et les faits qui lui servent de base.

1785. Les Veillées du Marais, ou Histoire du grand Prince Oribeau, Roi de Mommonie au pays d’Evinland et de la vertueuse Princesse Oribelle de Lagenie. Tirée des Anciennes Annales Irlandaises et récemment translatée en français, par Nichols Donneraill, du comté de Korke, descendant de l’auteur.

1785. La Fille naturelle ou la Mère impérieuse. Comédie en 5 actes, tirée du roman La Fille naturelle, imprimée dans le volume I du Théâtre, en 1786, puis dans Les Françaises.

1786. La Femme infidèle, par Maribert-Courtenay. — Faux-titre : La Femme infidèle, ou la Femme lettrée, ou la Femme monstre (« L’auteur a balancé entre ces trois titres »). — Dans Mes Ouvrages, Rétif intitule sa notice : La Femme infidèle ou la Femme lettrée.

1786. Les Françaises, ou XXXIV Exemples choisis dans les mœurs actuelles, propres à diriger les filles, les épouses, les femmes et les mères.

1786. Les Fautes sont personnelles. — Drame en 3, puis 5 actes. Imprimé dans le volume II du Théâtre à la fin de 1786, puis en 1787 dans Les Parisiennes.

1786. Sa Mère l’allaita, ou le bon fils. — « Pièce en 4 actes » dans le volume II du Théâtre, puis réduite à 3 actes, « telle qu’on la joue », dans le volume IV (1790) et imprimée en 1788 dans les volumes III et IV des Nuits de Paris dans sa version en 4 actes.
 
1787. Le Paysan et la Paysanne pervertis, ou les Dangers de la ville. Histoire récente, mise au jour d’après les véritables lettres des personnages.

1787. Les Parisiennes, ou XL Caractères généraux, pris dans les mœurs actuelles, propres à servir à l’instruction des personnes du sexe. Tirés des Mémoires du nouveau Lycée des mœurs.

1787. La Matinée du père de famille. — « Une bagatelle en moins d’un acte sur les arts de la musique et de la peinture. » Imprimée en juillet 1787, placée dans le volume II du Théâtre et l’année suivante dans Ingénue Saxancour.

1788. Les Nuits de Paris, ou le Spectateur nocturne.

1788. La Marchande de modes, ou le Loup dans la bergerie. — « Comédie-ariette en 4 actes », désignée le plus souvent dans le Journal comme « opéra-comique ». Placée dans le volume II du Théâtre, puis l’année suivante dans Ingénue Saxancour.

1788. Épiménide ou le Réveil de l’ancien Épiménide grec. — Comédie en 3 actes imprimée dans le volume II du Théâtre, où son titre est simplement Épiménide, puis dans Ingénue Saxancour, dans une version légèrement modifiée.

1789. Ingénue Saxancour, ou la Femme séparée. Histoire propre à démontrer combien il est dangereux pour les filles de se marier par entêtement et avec précipitation, malgré leurs parents. Écrite par elle-même.

1789. Le Nouvel Épiménide ou la Sage Journée. —« Cinq et même six actes, avec une petite pièce dans le Ve acte ». Imprimée dans le volume III du Théâtre, et nulle part ailleurs, sous le titre, La Sage Journée ou le Nouvel Épiménide, soulignant la référence à La Folle Journée ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais (1781).

1789. Le Père valet, ou l’Épouse aimée dans son fils. « Comédie en 3 actes très longs et qui en valent 5 » Imprimée dans le volume III du Théâtre ; dans Mes Ouvrages, Rétif donne ce titre : Le Père valet, ou l’Épouse aimée après sa mort ; c’est le titre de la 53e Contemporaine, d’où la pièce est en effet tirée.

1789. Le Bouledogue ou le Congé. — « Critico-farce » imprimée dans le volume III du Théâtre en mai 1789, puis dans Le Thesmographe à la fin de l’été.

1789. L’Épouse comédienne. « Comédie-ariette en 3 actes », tirée de l’intrigue de La Mimographe. — Imprimée du 29 août au 28 novembre 1789 dans le volume IV du Théâtre.

1789. L’An 2000, ou la Régénération. « Comédie héroïque mêlée d’ariettes, en 3 actes », imprimée dans le format in-12 pour le volume IV du Théâtre, puis en octobre dans le format in-8° pour Le Thesmographe.

1789. Monument du Costume physique et moral de la fin du XVIIIe siècle, ou Tableaux de la vie, Ornés de figures dessinées et gravées par M. Moreau le jeune, dessinateur du Cabinet de S. M.T. C. et par d’autres célèbres artistes.

1789. Le Thesmographe, ou Idées d’un honnête homme sur un Projet de Règlement proposé à toutes les nations de l’Europe pour opérer une Réforme générale des lois. Avec des Notes historiques.

1789. Le Plus Fort des pamphlets. L’ordre des paysans aux États généraux.
 
1790. Le Palais-royal. Par un indagateur qui se nommera quelque jour. — 1re Partie :
Les Filles de l’Allée des soupirs ; 2e Partie : Les Sunamites ;  3e partie : Les Converseuses (faux-titre : Les ex-Sunamites).

1790. La Semaine nocturne. Sept Nuits de Paris, qui peuvent servir de suite aux III-CLXXX déjà publiées. Ouvrage servant à l’Histoire du jardin du Palais-royal.
Ce volume est la XVe Partie des Nuits de Paris.
 
1790. Le Libertin fixé. « Comédie patriotique non enragée, et en 5 actes ». Imprimée dans le volume V du Théâtre dans les premiers mois de 1790, puis dans le volume IV de L’Année des dames nationales en 1794.

1790. Pamphlets contre l’abbé Maury.
 
1790. Tableaux de la vie ou les Mœurs du XVIIIe siècle.
 
1791-1794. L’Année des dames nationales, ou Histoire jour par jour d’une Femme de France, par N. E. Restif de la Bretonne. — Autre titre : Les Provinciales. 
 
1792. L’Amour muet. — Comédie en 5 actes, « avec des scènes gazées », imprimée en mai 1794 dans le volume V de L’Année des dames nationales, puis en juin dans le volume V du Théâtre.
 
1792. Edmond ou les Tombeaux. — Tragédie en 5 actes imprimée du 18 juin au 9 août 1792 dans le volume V du Théâtre. Elle n’est pas imprimée ailleurs.
 
1793. Théâtre. — 5 volumes rassemblant les 17 pièces de la production théâtrale de Rétif, « imprimés à mesure, pour ne paraître qu’en 1793 ou 1794 ».

1793. Le Drame de la vie, contenant un homme tout entier. — Pièce en 13 actes des Ombres et en 10 pièces régulières. « Imprimé à Paris, à la maison ».

1794. Les Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne. — Faux-titre: XX Nuits de Paris, pour faire suite aux III-CLXXXVIII déjà publiées en XV Parties, ou Suite du Spectateur nocturne. Le titre courant est XX Nuits de Paris. Ce volume est la XVIe Partie des Nuits de Paris.

1796. L’Enclos et les Oiseaux (manuscrit perdu).

1796. Philosophie de Monsieur Nicolas, par l’auteur du Cœur humain dévoilé. « À Paris, de l’Imprimerie du Cercle Social ».
 
1797. Monsieur Nicolas ou le Cœur Humain Dévoilé. « Publié par lui-même ». — XVI Parties.
 
1797. Les Juvénales. — Cette date est celle des juvénales imprimées dans Monsieur Nicolas; les autres sont disséminées dans l’œuvre.
 
1797-1798. Les Mille et Un Développements (ou Métamorphoses) (manuscrit perdu).
 
1798. L’Anti-Justineou les Délices de l’amour, par M. Linguet, Av. au et en Parlem. « Au Palais-royal, chez feue la veuve Girouard, très connue ».
 
1798. Les Revies ou Histoires refaites sous une autre hypothèse du Cœur humain dévoilé (manuscrit incomplet publié en 2006 dans les Studies on Voltaire).

1799. Les Converseuses (manuscrit incomplet publié en 2006 dans les Studies on Voltaire).

1802. Les Posthumes, Lettres reçues après la mort du mari par sa femme qui le croit à Florence. Par feu Cazotte. — Faux-titre : Lettres du Tombeau ou Les Posthumes. Dans Mes Ouvrages, le titre est : Lettres du tombeau reçues par la femme après la mort de son mari qu’elle croit vivant. « Imprimé à Paris, à la maison ».

1802. Les Nouvelles Contemporaines, ou Histoires de quelques femmes du jour.  « À l’Imprimerie de la Société Typographique ».

1802-1803. Paris dévoilé (manuscrit incomplet publié dans Études rétiviennes, passim).

1811. Histoire des Compagnes de Maria ou Épisodes de la vie d’une jolie femme. Ouvrage posthume publié par Cubières-Palmézeaux.

1772Adèle de Comm**, ou Lettres d’une fille à son père.

 5 Parties en 5 volumes de XIV-346, 356, 384 pages, et pour le 5: VIII-78, 58, 44, 24 et 52 pages. Dans Mes Ouvrages (MN, II, p. 906), Rétif donne la préférence au sous-titre. — Tirage à 1250. La Revue des ouvrages de La Vie de mon père, en 1788, le dit épuisé.

 « J’y travaillais en 1769 au Collège de Presle […] » (Mes Ouvrages, p. 906). « L’ouvrage parut en  en mars 1772 » (Paysanne, vol. IV, p. clxxiv).

« L’Histoire de la mère d’Adèle est excellente et le reste de l’ouvrage plein de grands mouvements ; mais faute d’usage du monde, j’ai manqué à beaucoup de convenances ; ce sont des riens, mais ces riens eussent opéré l’illusion. Je regarde aujourd’hui cet ouvrage comme l’assemblage des matériaux préparés du roman le plus terrible, le plus intéressant, le plus instructif et le plus aimable tout à la fois. La plupart des détails y sont d’une fraîcheur et d’une vérité que je devais à un petit commencement de connaissance du monde. Si je l’avais recommencé mûri, du vivant de la veuve Duchesne, j’en faisais le meilleur roman possible, et surtout le plus utile par la morale […] Les réponses de M. de Comm** à sa fille sont remplies de conseils proportionnés aux circonstances. Mais les grandes catastrophes sont manquées ; ce qui fait trembler dans le Paysan affecte à peine dans les Lettres d’une fille, parce que j’y peins des mœurs connues sans observer les vraisemblances, ou sans faire excuser ce défaut par l’extraordinaire des situations. Il me serait facile aujourd’hui de corriger ces manques. Mais je ne suis pas assez riche pour risquer une nouvelle édition. » (Mes Ouvrages, p. 906-907).

Rétif revient plusieurs fois sur la qualité et les défauts de son roman : « Le meilleur de mes ouvrages par l’imagination, si je l’avais réimprimé, ou que j’eusse été moins misérable en le composant » (MN, II, p. 223) ; « Quel ouvrage, si je l’avais bien fait ! Mais j’ai toujours été trop agité pour bien travailler. Quel sujet heureux, quels détails ! Mais le sujet n’est qu’indiqué, les détails sont noyés… » (Nuits de Paris, 139e Nuit, éd. cit., t. II, p. 808) ; « Ouvrage où l’on voit épars les matériaux d’un excellent roman ; il y aurait très peu de travail pour le rendre tel ; les fautes sont visibles et faciles à corriger » (Paysanne, IV, p. clxxiv). Dans Les Romans, il écrit : « Roman excellent et qui peut-être l’eût emporté sur toutes les productions de l’auteur si, au lieu de le dépouiller pour en mettre les histoires dans les Contemporaines, il en eût fait une seconde édition » (« Lecture » des Françaises, vol. III, p. 241-267 ; le texte est reproduit dans Études rétiviennes n° 43 ; citation p. 191).

Dans la 4e Partie, p. 60 sq., sont groupées des « Pièces détachées », introduites par un « Avertissement : « Le parti que j’ai pris de renvoyer à la fin les épisodes trop détachés du sujet principal ne manquera pas de paraître une innovation. Mais plusieurs raisons m’ont déterminé […] La troisième, de séparer du reste de l’ouvrage, qui est instructif et châtié, des récits un peu libres […] ; aussi les ai-je fait imprimer de façon qu’ils peuvent être enlevés et supprimés entièrement lorsqu’il s’agira de mettre ces lettres entre les mains des jeunes personnes à qui je les crois très utiles. » La dernière de ces « Pièces détachées » est intitulée : Entretiens du comte d’Ol** avec mademoiselle de Comm** sur la Nature (p. 253-384) ; ils sont au nombre de cinq : « Des Éléments des choses » (où se trouve une « Théorie de la Nature ») ; « De l’influence du physique sur le moral, de l’origine de l’homme, de la liberté » ; « De la sensibilité, du bien et du mal » ; « Des religions et des lois » ;  « Des coutumes, des usages, du commerce, des métiers ». À la fin il est indiqué : « Le surplus de ces entretiens est retranché. »

La 5e Partie a un statut particulier. Elle fut d’abord publiée à part, comme le signale une note de la 4e Partie (p. 62) : « On imprime séparément, sous le titre de Pièces singulières et curieuses relatives  aux Lettres d’une fille à son père, les morceaux annoncés qui n’ont pu trouver place dans  cette IVe Partie. » D’après ce que dit Rétif (Mes Ouvrages, p. 907), cette 5e Partie fut imprimée à son compte et il en tira  250 exemplaires.

Ce 5e volume  contient les morceaux suivants :

1) « La Cigale et la Fourmi, fable dramatique, dans laquelle on met en action cette fable de La Fontaine et quelques autres. » (p. 8-78)

2) Le Jugement de Pâris, comédie-ballet (p. 3-58).

Sur ces deux pièces, voir infra le n° XLV/A et B

3) Réflexions sur l’Ambigu-Comique (p. 1-52). Titre courant : Sur l’Ambigu-Comique. « Ce morceau est très bien fait » (Mes Ouvrages, p. 908). Rétif l’avait publié en 1770 et le signale dans une note de la 268e Contemporaine : «  On fit en 1770 sur l’Ambigu-Comique quelques Réflexions qui sont peu connues. Elles se trouvent chez la dame veuve Duchesne » (Contemporaines, éd. cit., t. X, p. 6268).

4) Il recule pour mieux sauter, « proverbe et conte en vers » (p. 2-24), « conte en vers, peut-être un peu trop libre, intitulé Le Carrosse de voiture, dont j’avais fait un proverbe : Il recule pour mieux sauter » (Mes Ouvrages, p. 908). Dans le volume d’Adèle de Comm**, le titre : Le Carrosse de voiture n’apparaît pas ; ce carrosse est le lieu de rencontre d’un jeune homme, d’une jeune fille et de sa tante, trois personnages qui vont être amenés à partager la même chambre. La censure demanda un carton et la mise en vente du volume en fut retardée, dit Rétif (ibid., p. 908). Ce conte est reproduit dans la 2e édition des Contemporaines, à la suite de la 60e nouvelle (« La Fille vengée », vol. III, éd. cit., p. 1434-1443). Il avait fait l’objet d’une publication séparée en 1772, opuscule de 32 pages in-8°, chez Edme [Rapenot] et Le Jay, sans nom d’auteur. La BnF en possède un autre exemplaire in-24, sans lieu ni date. Il semble donc que ce texte ait eu une certaine célébrité et que Rétif se le soit approprié sans signaler son emprunt.

5) Contr’avis aux gens de lettres, par un homme de lettres qui entend ses véritables intérêts (p. 1-56). Cet opuscule, publié en 1770 chez Humblot, était une réfutation de l’Avis aux gens de lettres de Fenouillot de Falbaire, qui incitait les auteurs à se libérer de la tutelle des libraires, présentés comme des exploiteurs. Rétif démontre au contraire que les libraires sont les alliés indispensables des auteurs.

Réemplois

— La Cigale et la Fourmi, pièce imprimée en 1786 dans Les Françaises, IV, p. 261-318, puis dans le vol. I du Théâtre, p. 283-386.

Le Jugement de Pâris, « imprimé depuis dans les Contemporaines, première édition [à la fin du vol. V, p.148-201] et retranchée à la seconde », dans Les Parisiennes, fin vol. IV, p. 326-364 et dans le Théâtre, vol. I, p. 391-428.

— les Réflexions sur l’Ambigu-comique  et le conte en vers  « Il recule pour mieux sauter » sont repris dans un recueil de 1773 (voir ci-après la notice n° XII sur Les Nouveaux Mémoires d’un homme de qualité).

Éditions modernes 

— 1931, dans le vol. IV de L’Œuvre de Restif de la Bretonne, éd. du Trianon, établie par Henri Bachelin (extraits).

— 1988, Slatkine Reprints 1988, 3 vol. sous les nos 1, 2, 3. Édition fondée sur un exemplaire complet de l’ouvrage, alors que la 5e Partie, selon J.R.C., « manque à la plupart des exemplaires ».

Voir à Quadragénaire.

1779. Almanach des modes

Cet Almanach est resté longtemps une énigme. Rétif le mentionne trois fois comme une publication à laquelle il a eu part, mais ne le fait jamais figurer dans les listes de ses ouvrages. Cubières-Palmézeaux, familier du salon de Mme de Beauharnais en même temps que Rétif, cite ce titre en le mettant sur le même plan que les autres (Histoire des Compagnes de Maria, vol. I, p. 36).

P.L. Jacob, en 1875, doute de son existence et ne lui accorde que quelques lignes en note : « Nous avons cherché inutilement dans les bibliothèques cet Almanach des modes, qui n’est pas connu des bibliographes et qui n’existe pas, à moins qu’il n’ait paru en Allemagne, à Nieuwed sur le Rhin, ou en Suisse […] » (op. cit., p. 13).

En 1881, un chercheur (qui signe W. O.) publie dans le Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, une « Note sur un livre introuvable de Restif de la Bretonne » (p. 480). Il avoue ne pas l’avoir repéré, mais il analyse avec précision un passage du Drame de la vie (voir ci-dessous), qui donne en effet des indications précieuses sur cet almanach. Il conseille d’orienter les recherches du côté des publications du libraire Desnos, dont les catalogues proposent de nombreux petits volumes in-32 intitulés Almanach de la toilette, Almanach le plus utile aux dames, etc.

Pour sa part, J.R.C., qui n’a pas davantage eu sous les yeux cet Almanach des modes, lui consacre  tout de même une notice dans sa bibliographie (sous le n° XX, p. 252-253). Il relève, de façon incomplète, les trois mentions faites par Rétif, et suppose à juste titre, nous le verrons, que cet almanach peut faire partie de tous ceux qu’imprimait la veuve Duchesne à l’époque.

Ces trois mentions sont les suivantes :

— en 1781, Rétif insère dans sa 86e Contemporaine, « La Fille voilée », une brève « anecdote », intitulée « Le Voile », présentée comme tirée d’« un petit Almanach des modes » (éd. cit., t. 4, p. 2042-2043).

— l’année suivante, dans la première édition de la 124e Contemporaine, « Les Filles de modes » (éd. orig., vol. 21), la sixième histoire se termine sur une historiette d’une vingtaine de lignes (supprimée dans la 2e édition en 1786), ainsi introduite : « Voici comme j’ai rendu compte de ce phénomène en 1779 dans l’Almanach des modes » (voir ce texte dans le tome 5, p. 3188 en note de l’édition Champion). Ici l’implication de Rétif dans cette publication est clairement indiquée.

— elle l’est plus nettement encore en 1793, dans une scène du Drame de la vie.  Anneaugustin [Rétif] converse avec Mairobert, son ami et censeur, qui lui dit : « Mon ami ! J’aime à la fureur  une femme que j’ai eue… par adresse plutôt que par un effet de son goût pour moi […] Il faut mettre son article dans l’Almanach des modes que vous m’avez apporté à parapher. Vous n’aurez pas la peine de le rédiger : je le ferai. Vous allez par mois ; c’est en mai ; nous lui donnerons ce mois-là ». « Je mettrai votre article », lui répond Anneaugustin (vol. V, p. 1116-1117).

Nous apprenons donc que cet almanach est publié à Paris, avant mars 1779 (date de la mort de Mairobert), qu’il est divisé en mois et que Rétif avait quelque responsabilité dans sa publication puisqu’il est chargé des rapports avec le censeur et a même le pouvoir, semble-t-il, de choisir les articles.

Grâce aux possibilités que donne l’informatique, nous avons retrouvé la trace de cet almanach dans la presse de l’époque.

Le Journal de Paris du 23 décembre 1778 en signale la parution « chez la dame Duchesne, rue Saint-Jacques, au Temple du Goût », sous le titre Almanach des modes ou la Magie des dames : «  Dans le nombre presque infini d’almanachs qui vont inonder la capitale, on peut distinguer celui-ci ; la forme et la matière en sont absolument neuves, encore qu’il ne soit qu’un essai. Les auteurs de cet  Almanach espèrent le rendre beaucoup plus intéressant l’année prochaine par l’ordre qu’ils y mettront et les gravures ; mais dès cette année, il le paraît déjà par les anecdotes qu’il renferme à chaque mois. Celle de Mai nous a semblé n’être pas l’une des moins piquantes. D’après l’exemple d’une Victorine, qui réunit à ses appas toutes les vertus de son sexe, comment pouvoir répondre de ne jamais succomber sous les traits de l’Amour ? Un retour sur elle-même la rappelle à ses premiers feux, à son cher F****, mais de quels maux ce retour n’est-il pas la source ! Son dernier vainqueur M*** [lire : Mairobert] devient pour elle un objet odieux… Chacune des autres historiettes a son mérite particulier. On donne dans cet almanach un échantillon d’une liste des marchandes de modes, que l’on se propose de rendre plus complète l’année prochaine » (p. 1440-1441).

Une variante de ce compte rendu paraît en  janvier 1779 dans le Journal encyclopédique (p. 160-162). Le titre est simplement Almanach des modes, à la même adresse. L’anecdote du mois de mai, intitulée L’Illusion des sens, est ici résumée et introduite par ces mots : « Une femme de beaucoup d’esprit disait à un de ses amis : je réponds de moi toute l’année, excepté le mois de mai. Victorine en est un exemple […] » Le rédacteur est loué pour sa « plume sage qui critique nos modes sans aigreur et qui loue quelquefois (car l’art de la parure n’est pas toujours à condamner, quoi qu’en disent les rigoristes). »

Cet Almanach des modes est donc bien divisé en douze mois, prévu pour une périodicité annuelle, mais ce n’est qu’un premier numéro, un « essai » perfectible. Il semble ne valoir que par ses anecdotes, les gravures étant reportées au numéro de l’année suivante. D’après la scène du Drame de la vie, Rétif est le maître d’œuvre de l’entreprise. C’est lui qui est chargé de la publicité en rédigeant pour la presse l’information nécessaire, et de faire parapher l’ouvrage par son ami Mairobert. Il a aussi, bien entendu, fourni la plupart des histoires

Y a-t-il eu un deuxième numéro en 1780 ? Il semble que non. La concurrence était rude en ce domaine. Le Journal de Paris du 26 décembre 1778 publiait en première page une annonce pour l’Élite des Almanachs, recueil général de Costumes et modes, contenant les différents habillements et les coiffures les plus élégantes des hommes et des femmes, figures gravées en miniature et en pied pour distinguer les habillements, chez Desnos, qui distribuait en outre gratuitement le catalogue de 40 autres almanachs. Celui de la veuve Duchesne n’a sans doute pas eu grand succès. Rétif n’a pas éprouvé le besoin de revendiquer la paternité de cette publication sans lendemain.

Reste à en découvrir un exemplaire.

1792. L’Amour muet.

Comédie en 5 actes, « avec des scènes gazées », écrite du 6 février au 9 avril 1792 et imprimée au mois de juin suivant dans le volume V du Théâtre (p. 105-176), un mois après son insertion, du 7 au 13 mai, dans le volume V de L’Année des dames nationales (p. 1499-1571).

«  Comédie dont le sujet est pris  du sixième Modèle du Nouvel Abeilard »  (Mes Ouvrages, p. 998).  Ce Modèle se trouve dans le volume IV, p. 97-134 et 139-227. Comme dans le roman, la pièce traite de la conduite paradoxale d’un amant  qui fait sa cour en affectant la plus parfaite indifférence.

Rétif ajoute : « J’ai traité ce sujet de manière à ne pouvoir être joué sur un théâtre public ». Il a en effet adopté un dispositif scénique original : une gaze se baisse dans les entractes et laisse voir d’autres scènes, estompées dans le fond de la scène. La didascalie finale en donne un aperçu : «  La seule gaze se baisse [et non le rideau de scène]. On voit Bertro, suivi de la compagnie, s’approcher d’Adèle, lui présenter les femmes qui doivent la servir, et tous ses domestiques… Sa mère, enivrée de joie, la caresse et ses sœurs l’entourent… Tout à coup, il se fait une obscurité parfaite derrière la gaze et l’on entend le bruit d’un fleuve qui roule. La lumière revient, et l’on voit Adèle environnée de quatre enfants… Nouvelle obscurité. Même bruit […] On est à table […] Il se fait un mouvement ; on se lève, on entoure Adèle ; Adeline, sa fille aînée, amène Bertro dans ses bras et il l’embrasse. Puis se retournant, il paraît tracer avec le doigt quelque chose et sur-le-champ on  voit écrit en caractères de feu : L’Amour muet est comme le feu couvert : il ne s’éteint ni ne s’évapore ! » (p. 175). Ces effets spéciaux de lumière et de son excédaient évidemment les moyens techniques de l’époque.

1989. L’An 2000, ou la Régénération.

« Comédie héroïque mêlée d’ariettes, en 3 actes », écrite en partie en février 1789, reprise le 14 juillet et achevée le 31. Elle est imprimée, peu de temps après sans doute, dans le format in-12 pour le volume IV du Théâtre (p. 1-56, pagination séparée), puis en octobre dans le format in-8° pour Le Thesmographe (p. 515-556). Elle apparaît d’abord dans le Journal sous le titre de L’An 3000. Ce n’est que le 27 juillet 1789 qu’elle est désignée sous son titre définitif.

« L’An 2000 a le défaut d’être fait avant la Révolution ; mais il la suppose faite et présente les mœurs qu’on aura dans deux cents ans » (MN, II, p. 396). Dans Mes Ouvrages, Rétif la présente ainsi : « C’est une pièce de circonstance, faite dès 1788 [anti-datage volontaire sans doute], et par conséquent trop tôt. Elle peint les mœurs qu’on suppose devoir exister alors. Les mariages se font par un choix public à une certaine époque de l’année. Différents jeunes gens sont rivaux ; leur conduite est le tissu, et le vrai mérite couronné est le dénouement. Cette pièce est mêlée de chants et de danses. Si j’étais Jean-Jacques Rousseau, on l’aurait jouée » (p. 998).

Édition moderne

— 1905, Éd. Heitz, « Bibliotheca Romanica », Strasbourg, 56 pages in-18. Faux-titre : L’An Deux-Mille, 1790. Avec une notice de 13 pages signée G. G. [Gustav Gröber] — Autre tirage à Londres en 1907.

1782. L’Andrographe, ou Idées d’un honnête homme sur un Projet de Règlement proposé à toutes les nations de l’Europe, pour opérer une réforme générale des mœurs, et par elle, le bonheur du genre humain. Avec des Notes historiques et justificatives.

Autre titre, figurant p. 16, en tête de la 1re Lettre : L’Anthropographe ou l’Homme réformé.

2 Parties en 1 volume grand in-8° de 16 et 476 pages, constituant le tome IV des Idées singulières.

« Commencé en 1776 et repris en 1780, [il] fut achevé en 1781, durant l’impression des Contemporaines » (Paysanne, IV, p. ccxxxiv).

 La date de 1776 est confirmée par un article du Journal de Paris, dans le n° du 14 janvier 1777, où, rendant compte des Gynographes, il est indiqué : « Ce tome 3e sera suivi d’un 4e intitulé L’Anthropographe, dans lequel l’auteur se propose de rendre aux hommes le même service qu’il a rendu dans celui-ci aux femmes. Il paraîtra au commencement de 1778. » Dans une lettre à Mercier du 23 mars 1782, Rétif  dit de son ouvrage qu’il est « commencé depuis cinq ans » (Correspondance, éd. cit., p. 155).

En tout cas, le début de la rédaction de L’Andrographe est bien contemporain des Gynographes. Ces deux volumes des Idées singulières ont été conçus en même temps et sont du reste présentés par Rétif comme étroitement liés : « C’est le complément du IIIe volume, l’homme et la femme ne pouvant être réformés l’un sans l’autre » (Paysanne, IV, p. ccxliii). Dans la Revue de La Vie de mon père, Rétif dit même : « Ces deux ouvrages réunis n’en font qu’un. »

L’élaboration de L’Andrographe fut interrompue durablement, puisque le 6 juin 1781 Rétif note dans son journal : « J’écris les art. CXVI  et CXVII de l’Anthropographe » ; ils se trouvent p. 136-138 de la 1re Partie, qui compte 202 pages. Il n’a donc pas dû y travailler beaucoup en 1780.

On ne connaît pas la date exacte de la publication du livre. Rétif ne donne aucun repère et les journaux restent muets.  Il a sans doute été tiré à 1000 exemplaires, comme Les Gynographes, mais en 1782 il ne fut que partiellement broché, si l’on considère cette note du Journal, le 29 juin 1786 : « disposé l’assemblage du reste de l’Anthropographe », et celle du 1er juillet : « arrangé mes papiers de l’Anthropographe ».

Le livre a souffert d’une diffusion discrète. « Les journalistes n’ont point parlé de ce IVe volume, que l’auteur ne leur a point encore envoyé, mais il est bien supérieur aux deux premiers par l’importance de la matière » (Paysanne, IV, p. CCXLIII). S’il n’a encore rien encore envoyé, en 1784, c’est sans doute qu’il y eut des difficultés avec la censure, mais Rétif n’en parle jamais.

Il déplore à plusieurs reprises le silence de la presse. Ainsi dans Ma Morale : «  […] en 1782, il publia un livre obscur, ignoré, lu seulement par quelques-uns de ses partisans déclarés » (MN, éd. orig.,vol. XVI, p. 3986). Et dans la Philosophie de Monsieur Nicolas : « Mais on n’a pas fait attention à ce plan ; un seul journaliste en a parlé (celui de Gottingen), pour le contredire. Ceux de Paris n’en ont rien dit, parce que ces journalistes dînent en ville » (vol. II, p. 97). Ce journaliste est l’auteur d’un article paru dans L’Esprit des Journaux en février 1783 (p. 407-408, dans une rubrique intitulée « Jugement des savants de Gottingen sur plusieurs livres français »), que Rétif reproduit dans le volume 31 des Contemporaines (pages non foliotées in fine). Mais il avait imprimé sa réponse à la fin du volume 30 (voir Correspondance, éd. cit., p. 204-207, lettre du 30 mars 1783).

Or L’Andrographe est l’ouvrage auquel Rétif accorde la plus grande importance, celui qu’il est « le plus aise d’avoir fait » (Contemporaines, éd. orig., vol. 31, p. 281), « celui qui [le] fera passer à la postérité » (ibid., vol. 30, dans la « Réponse au journaliste de Gottingen », dernière page non foliotée). « Ô mes concitoyens ! Examinez le plan de L’Anthropographe et il vous tentera. Certains hommes n’ont pas donné à cet ouvrage l’attention qu’il méritait. Mais je suis intimement convaincu que, malgré ses défauts, il n’existe pas d’autre moyen que son exécution pour rendre les hommes heureux et vertueux » (MN, éd. orig., vol. XIV, Ma Morale, p. 3970-3971). Il se félicite d’avoir présenté aux hommes, dans le sillage de « Platon, Spifame, Thomas Morus et l’abbé de Saint-Pierre » « un roman de vertu et de bonheur. Puissent-ils un jour changer mon roman en une véridique histoire ! » (L’Andrographe, p. 7). Il y revient un peu plus loin : « Cet ouvrage présente un Projet de réforme capable de rendre l’espèce humaine parfaitement heureuse et vertueuse. Je renvoie donc à l’Anthropographe pour tous les détails qui rendent immanquable l’éducation propre à former les hommes, de la seule manière dont ils peuvent l’être pour vivre heureux en société réelle, la communauté » (p. 3987).

Le sous-titre annonçait l’ambition de l’auteur. Il ne s’agit plus de réformation partielle comme dans Le Pornographe, La Mimographe ou Les Gynographes, car « il est certain que les mœurs actuelles sont radicalement viciées et que vouloir y apporter de petits remèdes, une réformation partielle, c’est perdre le temps et ne rien faire du tout » (L’Andrographe, p. 157). Dans Ma Morale, il rappelle le projet de l’ouvrage : « Si nous voulons l’emporter quelque temps sur toutes les nations civilisées, soyons plus civilisés encore, ayons une association plus intime. C’est ce que j’ai voulu indiquer dans mon Anthropographe […] Jusqu’à ce que les nations voisines nous aient imités, nous leur seront supérieurs. C’était un plan digne de l’Assemblée nationale que celui-là ! Il ne laissait aucun abus ; l’on n’avait aucun embarras pour les pensions, pour les impôts, pour les finances. On traitait tous les citoyens comme les enfants d’une même famille, sans impôts, sans autres appointements que l’honneur et la subsistance. Le produit serait commun, de même que les besoins » (MN, éd. orig., vol. XIV, p. 4086).

Dans la 373e Nuit, il affirme : « Ô ministres de mon pays, un grand prince m’a fait l’honneur de me demander L’Anthropographe ; il a bien voulu témoigner qu’il était surpris que cet ouvrage fût sorti de la tête d’un Français […] Lorsque j’envoyai cet ouvrage au vénérable Franklin, il le loua. Je n’ai osé l’estimer qu’après ces deux suffrages » (Nuits, éd. cit., t. IV, p. 1848). On ne sait qui pouvait être ce « grand prince » : Joseph II, qui avait, selon un n° de la Gazette de Leyde de 1786, réalisé le projet du Pornographe ? Frédéric de Prusse ?

L’Andrographe, ignoré de son temps, est aujourd’hui l’un des moins connus de Rétif. Il est cependant essentiel pour la connaissance de sa pensée politique et sociale. L’épigraphe de la page de titre, citation de Rousseau, éclaire d’emblée le propos du livre : « Maudit celui qui le premier entourant un champ d’un fossé, dit : Ce champ est à moi ! ». Dans L’Andrographe se trouvent détaillées les conditions d’une société égalitaire, fondée sur le communisme, dans le prolongement de la cité idéale des Mégapatagons présentée à la fin de La Découverte australe. Rétif le souligne dans une notice publicitaire placée à la fin du volume VII de L’Année des dames nationales : « C’est un projet d’égalité réelle, de communauté parfaite, qui garantirait les hommes des inconvénients de l’isolement, sans nuire aux progrès des arts, ni à l’industrie, ni à l’émulation. Il faut lire cette production, composée et publiée en 1782. Elle offrira des idées lumineuses sur les inconvénients de la propriété, source de tous les vices et de tous les maux de la sociabilité […] Cet ouvrage est le plus important des livres. Méditez-le, concitoyens, et présentez-le à vos législateurs, ainsi que Le Thesmographe, Les Gynographes, etc.». Ces lignes figurent aussi dans le Catalogue du libraire Louis en 1793 (voir Études rétiviennes n° 51, déc. 2019, p. 161-169).

Éditions (XVIIIe siècle)

Pas de contrefaçons signalées.

Lacroix a connaissance d’exemplaires de 492 pages (au lieu de 476), ces pages supplémentaires  donnant la note Q du Pornographe. Il ne s’agit sans doute que d’une opération de libraire, à laquelle Rétif n’eut point de part.

 

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n°4.

Traductions

— 1986, L’Andrografo, traduction de Ginevra Conti Odorisio, Guida Editori, Napoli, coll. « Utopisti ». 301 pages. Avec une introduction de 96 pages.

— 1997, traduction japonaise par Yuji Ueda, dans L’Utopie des Lumières, Tokyo, Presses Universitaires d’Hosei, t. III, p. 697-898. Avec notes du traducteur.

1791-1794. L’Année des dames nationales, ou Histoire jour par jour d’une Femme de France, par N. E. Restif de la Bretonne. — Autre titre utilisé par Rétif dès la conception de l’ouvrage en 1786 : Les Provinciales, mais qui ne figure pas sur les pages de titre des volumes. 

12 volumes in-12, totalisant 3825 pages. Chaque volume correspond à l’un des mois de l’année. Recueil de 587 nouvelles (dites « Nationales »), d’une dizaine de pages chacune en moyenne ; l’ouvrage accueille deux pièces de théâtre en attente, Le Libertin fixé (vol. 4) et L’Amour muet (vol. 5) ; il  est complété par 26 « Nationales Hors-d’œuvre », 11 placées à la fin du volume 6 et 14 à la fin du volume 12, qui traitent de « femmes qui ont fait un rôle dans la Révolution, soit comme patriotes, soit comme condamnées » (vol. 12, p. 3.801).

 La première mention de l’ouvrage dans le Journal date du 30 juillet 1786 : « matin, arrangé quelque chose à la Table des Provinciales » ; il s’agit du plan de répartition des sujets dans les différentes villes. Il y travaille jusqu’au 10 août, puis il n’en est plus question jusqu’au 18 février 1788 ; il note ce jour-là : « matin commencé les Provinciales », mais il ne s’agit encore que des titres des nouvelles (on lit : « noms des Provinciales »), et ce n’est que le 28 février qu’il écrit : « 1re Provinciale : la Charonète », qui est achevée le lendemain ; c’est la « Pauvre  Charonète perdue, retrouvée riche », finalement mise à la 4e place. 

La rédaction de L’Année des dames nationales se situe pour l’essentiel en 1788. À cette date, Rétif soumet à la censure deux manuscrits ; nous avons les billets officiels chargeant le censeur Toustain-Richebourg de les examiner et de remettre son jugement au Garde des Sceaux. L’un est du 22 avril : il indique comme titre : « Les Provinciales, suite des Parisiennes par M. Retif de la Bretonne » ; l’autre est du 15 décembre, avec le titre : « Les Provinciales, ou hist[oires] exemplaires des filles et femmes de 434 villes du royaume, par M.R.d.L.B. ». Il s’agit bien de deux manuscrits distincts, sont les titres sont  bien entendu de Rétif, le 2e étant soumis au censeur à la place de l’autre. Il s’agit d’un premier état, celui que décrit un prospectus de 1788 : «  Je me suis obligé à ne faire que huit Parties de cet ouvrage.  Ainsi, chacune des 434 filles ou femmes qui seront les héroïnes des Provinciales n’occupera que six pages d’impression, lesquelles, multipliées par 434, donneront 8 volumes de 336 pages chacun, ou 16 feuilles in-12 » (Nuits de Paris, éd.cit. t. II, p. 1045 ; annonce reproduite en 1789 à la fin d’Ingénue Saxancour).

On ne sait si ce fut à l’initiative de Toustain ou de Rétif, mais le manuscrit fut mis de côté. Les Provinciales se présentaient alors comme un ouvrage très différent de son état final. Non seulement il y avait moins de volumes (8 au lieu de 12), mais il manquait surtout la structure temporelle, la distribution des nouvelles sur toute une année, sur chaque jour de chaque mois, chaque mois constituant un volume. Il ne s’agissait alors que d’un recueil de nouvelles situées dans les diverses provinces de France, selon une simple répartition géographique. Le 7 juillet 1789, il note dans son journal : « 430 et dernière [nouvelle] » 

Mais il y aura finalement 587 nouvelles. Le Journal montre que Rétif en écrit encore dans les premiers mois de 1794.

 L’impression avait cependant commencé dès le mois de décembre 1789. Elle démarre surtout après l’acquisition par Rétif d’une presse personnelle en février 1790 : 17 février, « chez moi 1re page des Nationales ». C’est à son domicile, rue de la Bûcherie, que va s’imprimer l’ouvrage, du moins en partie, car le Journal indique clairement que les presses de Cordier furent aussi mises à contribution.

L’impression rencontra de nombreux obstacles. En 1793, le catalogue du libraire Louis, indique que « VI volumes sont actuellement imprimés » (voir Études rétiviennes n° 51, p. 167). Le dernier ne sera terminé que le 6 novembre 1794 (« On tire la dernière feuille Année dames »). Rétif estime que l’impression « a duré 6 années entières : fin de 89, 90, 91, 92, 93 et commencement de 1794 » (vol. XII in fine).

Il semble que ce soit à la fin de l’année 1789 que Rétif ait conçu le projet d’une œuvre plus ambitieuse, une totalité romanesque spatio-temporelle, prenant appui sur tout l’espace national et sur tous les jours d’une année. Le 12 décembre 1789, il emploie en effet dans son journal, pour la première fois le mot Calendrier (« arrangé le Calendrier des Françaises ») ; il ne peut s’agir ici de Mon Calendrier, dont le projet date de septembre 1790. Jusque-là, il usait du terme de Provinciales. L’expression revient le 16 : « Avant-Propos du Calendrier , et le 31 : « cé Parisienne du  Calendrier des Nationales ».

Mais à l’impression, la page de titre n’adopte pas Calendrier. On peut s’en étonner, d’autant plus que Rétif choisit un titre peu clair, que La Reynière ne comprend pas : « Quelle est cette femme de France dont vous faites jour par jour l’histoire dans votre Année des dames, qu’alors vous auriez dû, ce me semble, intituler L’Année d’une dame ? » (lettre du 4 avril 1791, Correspondance, éd. cit., p. 526).

Rétif dira en 1794 qu’il aurait voulu intituler son ouvrage Calendrier des citoyennes : « […] L’Année des dames nationales, que je ne voudrais nommer que le Calendrier des citoyennes, le nom de dames ne convenant plus » (Année des dames, vol. XII in fine, page non foliotée, postérieure au 10 thermidor (28 juillet 1794), date inscrite dans le texte). Rien ne l’empêchait de le faire dès 1790. Mais il attendit la fin de 1793 pour introduire Calendrier des citoyennes en sous-titre, à partir du volume X (imprimé de la mi-novembre 1793 au 20 janvier 1794). Rétif s’en explique ainsi : « J’avais 5 volumes au moins d’imprimés au 10 auguste 1792. Ce qui m’a beaucoup gêné. Je n’ai pu changer le titre de l’Année des dames nationales en celui de Calendrier des citoyennes, que j’ai mis en sous-titre aux trois derniers mois, comme j’ai changé le mot Empire français en celui de République française, dès que nous avons été en République [soit le 21 septembre 1792]. J’espère que les patriotes trouveront ces raisons suffisantes, car mes infirmités, ma pauvreté actuelle me mettent hors d’état de faire les cartons nécessaires. » (Avis en tête des « Nationales Hors-d’œuvre », vol. XII, p. 3801). C’est à partir du volume VI, dont l’impression commence à la fin juin 1792, que Rétif substitue République française à Empire français sur la page du faux-titre. L’impression du  dernier volume, qui dure du 21 mars au 20 juillet 1794, se fait encore sous la Terreur. D’où la phrase à l’adresse des patriotes, révélatrice de la crainte de Rétif de n’être pas assez dans la ligne politique du moment.

Il décrit ainsi son projet : « Pour composer les Provinciales, je vais suivre la nature dans toutes nos provinces afin d’y voir les effets du climat, le degré de civilisation, la façon d’être et de penser, de sorte qu’il résultera de cet ouvrage un tableau complet des mœurs de tout le royaume. D’après ce plan, j’ai pris dans chacune des villes que je nomme les renseignements nécessaires sur les mœurs et sur la fille ou femme qui s’est le plus distinguée par sa bonne conduite. Je me contenterai de nommer celles qui en approcheront davantage ». Ces lignes se trouvent dans le prospectus de 1788, à la fin de la 202e Nuit.

Il les reprend dans son Avant-Propos de L’Année des dames : « Dans cette Année des dames, je vais suivre la nature dans toutes les  provinces afin d’y voir les effets du climat, le degré de civilisation, la façon d’être et de penser, de sorte qu’il résultera de cet ouvrage un tableau complet des mœurs de tout le royaume […] D’après ce plan, j’ai pris dans chacune des villes que je nomme les renseignements nécessaires sur les mœurs de la fille ou femme dont l’aventure est la plus frappante et j’abrège le récit autant qu’il est possible, car je me suis obligé à ne faire que XII Parties, une pour chaque mois » (vol. I, p. 32). L’ambition est donc devenue d’ordre sociologique, ethnographique et culturel.

 Mais un Nota final ruine ce beau projet : « Des obstacles imprévus nous interdisent de mettre les véritables noms des héroïnes et des villes » (p. 33). Le lecteur est ainsi averti que l’histoire ne correspond pas au cadre géographique et que le rapport des mœurs avec le climat, la « civilisation », l’esprit d’un territoire, est totalement brouillé.

 « Un aussi vaste ouvrage est le résultat de plus de 800 canevas envoyés de tous les départements. Les nouvelles publiées antécédemment, soit par l’auteur ou par d’autres, sont tout ce qui se passe communément sur la scène de la société. Celles des Provinciales, ou L’Année des dames, se sont presque toutes passées derrière le rideau. On verra dans l’ouvrage les raisons qui ont obligé à publier des faits destinés par leur horreur ou leur atrocité à rester ensevelis dans l’oubli. C’est donc une production d’un genre absolument nouveau et qui ne ressemble ni aux Contemporaines, ni aux Françaises, ni aux Parisiennes, ni même aux Filles du Palais-royal. Ce qui semble y avoir plus de traits, ce sont les Tableaux de la vie imprimés à Neuvied [voir supra la notice n° XLIII]. Un but marqué de ce nouvel ouvrage, c’est de fournir des sujets dramatiques aux théâtres de tous les genres. Les canevas de pièces y sont avantageusement esquissés. En effet, les jolis Contes de Marmontel sont moins propres qu’on ne croit à être représentés […] L’extrême variété de L’Année des dames, l’intérêt répandu dans chaque histoire en fera l’un de recueils les plus amusants de notre littérature » (MN, éd. or., page non foliotée à la fin du volume XIII, reproduite dans MN, éd. cit., II, p. 1607).

Dans cette page, qui date de 1796, trois points sont à relever :

1) la part des canevas. Le chiffre indiqué par Rétif est assurément incontrôlable. Mais dès 1788 il écrivait dans le prospectus déjà cité : « J’ai prié les hommes instruits et vertueux auxquels je me suis adressé, de vouloir bien me fournir des faits exacts et de les examiner scrupuleusement pour ne rien donner à la prévention. C’est le public, c’est la Nation qui seraient trompés » Il ajoute dans un codicille : « J’invite les personnes zélées pour l’honneur de la patrie d’envoyer à l’adresse de M. Maradan, libraire, rue des Noyers, près Saint-Yves, les traits de vertu de leurs estimables compatriotes, filles ou femmes ; je ne ferai que rédiger, le public sera le véritable auteur de cet important ouvrage ». Cette dernière phrase évoque celle de Balzac présentant sa Comédie Humaine : « La société française allait être l’historien, je ne devais être que le secrétaire » (Avant-Propos).

L’année suivante, en 1789 (la date figure au début et montre que cette page a été ajoutée à la toute fin de l’impression des Nuits), le prospectus commence ainsi : « Les Provinciales […] par 434 citoyens sous la rédaction d’un seul […] Nous avons annoncé cet ouvrage par un prospectus trop confus pour n’y pas revenir d’une manière plus détaillée et plus instructive, à l’égard des citoyens vertueux dont on espère des renseignements. Car l’auteur ne prétend pas faire cet ouvrage ; il ne veut que le rédiger d’après des canevas certains. » Suit une « Lettre à tout Français aimant sa patrie » : « M[onsieur], dans le dessein que nous avons formé, l’auteur et moi, de donner un degré de publicité aux actions vertueuses des femmes de tout le royaume, il nous a paru que le moyen le plus sûr d’avoir des renseignements authentiques était de vous les demander. Nous vous prions donc de vouloir bien nous communiquer, en peu de lignes, les traits qui concerneront les filles ou femmes de votre ville. Par là, vous contribuerez à la perfection d’un ouvrage vraiment utile […] Il nous reste le vif regret de ne pouvoir offrir à chaque coopérateur que le tribu de notre respect et de notre gratitude » etc. Cette lettre est signée par « Restif de la Bretone » et Maradan. (Nuits de Paris, éd. cit.,  t. III,  p. 2867-2868, à la fin de la 345e Nuit). Cette lettre est la même année imprimée dans Ingénue Saxancour (3e Partie, page non foliotée in fine), puis en 1792,  sans le titre, ni la dernière phrase, mais avec cet ajout, sous la signature : « Nous avons reçu des différentes provinces ou départements du royaume plus de 500 canevas. Cet ouvrage, qui a XII volumes, un pour chaque mois, est imprimé à moitié. Il est composé de 550 nouvelles » (Théâtre, fin du tome V, p. 222 ; les  indications du Journal permettent de dater ce prospectus de 1792). La Reynière entre lui-même dans cette quête de canevas et sollicite ses amis : « On m’a promis des canevas pour vos Nationales » (lettre du 7 mai 1787, Correspondance, éd. cit., p. 429).

2) la vocation des nouvelles à être adaptées pour le théâtre. Rétif revient plusieurs fois sur la source d’inspiration que peut représenter son ouvrage pour les auteurs dramatiques. Il le signalait dès le verso de la page de titre du 1er volume : « Une dernière observation à faire, c’est que chacune des Nationales est composée de manière à faire un drame très facile à traduire sur la scène ! ». Puis à la fin du volume X : « Toutes ces nouvelles ne sont pas égales en intérêt ; il en est qui ne sont que d’intrigue, par la raison que j’ai voulu laisser aux auteurs dramatiques la latitude nécessaire pour remplir le squelette par des sentiments à eux, qui seront comme les chairs destinées à faire un corps parfait. » À partir du volume III, il ajoute dans la page de titre : « Ouvrage particulièrement destiné à fournir aux auteurs des sujets dramatiques de tout genre, légèrement esquissés ».

3) Quant au caractère secret des histoires, qui se passent « derrière le rideau », il le souligne dès le verso de la page de titre du 1er volume : « Il est peu d’ouvrages aussi variés, aussi extraordinaires que les Nationales. Il n’en est pas d’aussi propres à faire connaître l’arrière scène de la société. Nous voyons, dans les compagnies, l’homme tel qu’il se montre par la conversation. Ici, nous verrons les actions secrètes, pour lesquelles les acteurs se cachent et qu’ils ne laissent voir que malgré eux. Quand on aura lu cette production, unique en son genre, on pourra se flatter d’avoir entendu la confession générale du royaume, avec les cas réservés ! »

Ce que Rétif laisse dans l’ombre est le caractère autobiographique de nombreuses nouvelles. Le récit de  Monsieur Nicolas renvoie plusieurs fois à L’Année des dames nationales : « J’ai fait l’histoire de la fille de François de Rouvray dans L’Année des dames, recueil où l’on en trouve beaucoup d’autres dont le germe est dans cet ouvrage-ci. Voyez le volume de Mars » (MN, II, p. 51-52). Du reste, dès l’« Histoire préliminaire », sous-titrée « Les Saxiates ou les filles à Caquet », Rétif ressuscite le monde de Sacy, les personnages de son enfance. Paul Lacroix a dressé une liste des textes d’inspiration autobiographique (voir p. 355-361), mais elle est fort incomplète. Quand il rédige ses Provinciales, Rétif a déjà écrit les huit premières Époques de Monsieur Nicolas (achevées en 1785) ; il se livre donc au plaisir des variations narratives sur ses souvenirs, dispersant ses héroïnes aux quatre coins du royaume. Lui-même est présent sous divers pseudonymes : Dulis, Xifflavio, M. Edmond, M. de Sacy, M. Dramoens, Seigneley, Xifflamme Quatrevaux, etc. 

Dans la notice de Mes Ouvrages, texte de 1796-1797, Rétif garde le silence sur cet aspect de l’œuvre. Il en reste à la peinture générale des mœurs et complète ainsi sa présentation : « Cet ouvrage, infiniment varié, très extraordinaire, très intéressant, contient six cent dix nouvelles, toutes extraordinaires, et qui n’ont aucun rapport, par leur genre, avec les cinquante-trois volumes d’histoires déjà publiées. L’Année des dames nationales est intéressante pour toutes les villes de la République, puisqu’il n’en est aucune qui n’ait fourni un trait historique et dont on n’ait peint les mœurs particulières. J’ai pourtant une peine infinie à trouver un libraire, parce que la plupart sont des brutes orgueilleux qui croient savoir leur commerce et qui n’y entendent rien. D’autres sont pleins de mauvaise volonté : il semble que ces âmes de boue triomphent quand un manque de succès momentané abaisse un écrivain qui a plusieurs fois réussi. L’Année des dames nationales est divisée en douze mois et trois cent soixante-six jours. Mais aux dimanches et fêtes, il y a deux et trois nouvelles. Les premiers jours de tous les mois, consacrés aux Parisiennes, en ont quatre ou six, ce qui en porte le nombre à trente-six et quarante par mois. J’y ai fait entrer tous les traits qui m’appartiennent dans les Tableaux de la vie imprimés à Neuwied , et comme cet ouvrage n’est pas entièrement de moi, je ne le place pas dans mon Catalogue ; pour éviter de l’y mentionner, je fonds dans L’Année des dames nationales les morceaux nombreux que j’ai fournis pour cette compilation. Ils seront aisés à distinguer : ils forment les quatre ou six premières nouvelles de chaque premier des six mois commençant l’année. Chaque mois des Provinciales fait un volume de 350 pages. Telle est la collection complète des Contemporaines imprimées en soixante-cinq volumes » (p. 889-890).

Les Parisiennes qui occupent le début des volumes n’ont pas de rapport avec Les Parisiennes parues en 1787. Il s’agit des nouvelles tirées des Tableaux de la vie : elles figurent en tête des six premiers volumes, au nombre de 24 (sur les 53 des Tableaux) ; mais Rétif omet de signaler qu’il en a placé 9 autres à la fin de la 377e Nationale (vol. VIII, p. 2.541-2.560).

Édition (XVIIIe siècle)

—  1796, Les Provinciales, titre voulu sans doute par le libraire Garnery, qui a acheté une partie de l’édition de 1794. La 129e nouvelle, « La Dame du Palais de la Reine » (vol. IV, p. 942-950) est remplacée par une histoire plus républicaine : « Parisienne, Forgète, Villefranchète indignement trompées par un aristocrate ».

Éditions modernes

— 1930, extraits dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. II, édition établie par Henri Bachelin.

— 1988, Slatkine Reprints, 6 volumes, sous les nos 5 à 10. Complet sauf pour quelques pages non foliotées.

2006, 120e Nationale, « Courgillière qui attend son unique amant à 60 ans », dans Les Lettres Françaises, 7 octobre 2006 , à l’occasion d’un dossier « Présence de Rétif de la Bretonne ».

Traduction

— 1906, Charlotte Corday, 1 vol. de 32 pages. Traduction de Arthur Schurig, Verlag von Julius Eichenberg, Siena und Leipzig. — Il s’agit de la 427e Nationale, « Deux Caenèses, dont la 1re, égarée, croit sauver la patrie » (vol. IX, p. 2827-2855 et suite vol. X p. 2859-2861).

Voir à Andrographe.

1798. L’Anti-Justine, ou les Délices de l’amour, par M. Linguet, Av. au et en Parlem. Avec LX Figures. « Au Palais-royal, chez feue la veuve Girouard, très connue ».

2 Parties en 1 volume in-8° de 252 pages.

C’est la seule œuvre obscène de Rétif. Elle s’interrompt brusquement dans le XLVIIe  chapitre, à la page 252. Mais il faut prêter attention au Elle qui figure au bas de la dernière page : c’est ce qu’en typographie on appelle une  « réclame », l’annonce, à la fin d’une feuille, du premier mot de la page suivante pour faciliter le brochage. Personne ne semble y avoir vu la preuve que Rétif avait poursuivi son impression au-delà de la page 252. Jusqu’où est-il allé ? Sans doute pas jusqu’aux « sept ou huit parties » prévues (« Épilogue de la 1re Partie », p. 204), ce qui aurait représenté 1500 pages ou plus, mais du moins a-t-il imprimé plus que ce qui nous est donné à lire.

La veuve Girouard est dite « très connue » parce qu’elle est la veuve de Jean-Joseph (ou Jacques) Girouard, imprimeur libraire royaliste, notamment éditeur de la Gazette de Paris et de la Justine de Sade. Il avait été guillotiné le 8 janvier 1794, quatre mois avant Linguet. Sa femme prit la relève et imprima en 1795 Aline et Valcour. Elle est dite ici décédée ; rien ne permet de mettre en doute ce décès. Cette page de titre renvoie donc à des ombres, celles de Linguet, de Jacques Girouard et de sa femme, tous désormais hors d’atteinte des foudres  de la police. C’est dire que cette page est en tout point une tromperie plaisante  et que L’Anti-Justine ne s’est jamais trouvée dans une boutique du Palais-royal.

Linguet (1736-1794) n’a rien à voir avec Sade : la mention de son nom sur la page de titre relève d’un règlement de comptes. D’abord admiré par Rétif pour ses talents d’orateur et de polémiste, il était devenu depuis 1781 l’objet de ses attaques, dans des juvénales notamment. En 1798, malgré la mort sur l’échafaud en juin 1794 de son ennemi, Rétif ne désarme pas et sans vergogne  lui attribue un ouvrage obscène.

Tout porte à penser que L’Anti-Justine, imprimée sur la presse personnelle de Rétif, n’a eu qu’une diffusion confidentielle, prise en charge par Rétif lui-même. On ne sait quel en a été le tirage. Rétif écrit dans l’ « Épilogue de la 1re Partie » : « J’ai longtemps hésité si je publierais cet ouvrage posthume du trop fameux avocat Linguet. Tout considéré, le casement déjà commencé, j’ai résolu de ne tirer que quelques exemplaires, pour mettre deux ou trois amis éclairés, et autant de femmes d’esprit, à portée de juger sainement de son effet, et s’il ne fera pas autant de mal que l’œuvre infernale à laquelle on veut le faire servir de contrepoison » (p. 203). Ces exemplaires ne semblent pas avoir été très nombreux, puisque  même Cubières, ami proche des dernières années, resta dans l’ignorance de leur existence : « Il composa, dit-il, sans [l’] imprimer,  une Anti-Justine qu’il avait dessein de supprimer entièrement » (Histoire des Compagnes de Maria, I, p. 36).

On connaît 5 exemplaires de L’Anti-Justine, plus ou moins incomplets, dont 4 sont à la BnF sous les cotes Enfer 492, 493, 494 et 495, brochés en format in-12. Lacroix en 1874 n’en signale que trois à la BnF, mais en compte 6 en tout, sans qu’on connaisse le détail de ce total. Un exemplaire aurait été acheté en 1862 par un Américain ; sa trace est perdue.

L’exemplaire 492 (consultable sur Gallica) mérite une attention particulière. Il a été précisément décrit par Apollinaire, Fernand Fleuret et Louis Perceau dans L’Enfer de la Bibliothèque nationale (1913), puis par Tabarant en 1936 (p. 443), partiellement par J.R.C. en 1949 (p. 338-339), par Gilbert Rouger en 1960 et Daniel Baruch dans l’édition Fayard de 1985. Nous y renvoyons, pour ne retenir que les observations suivantes.

Sur la page de garde figure une note manuscrite identifiant Rétif comme l’auteur de l’ouvrage et réfutant Cubières affirmant dans sa Notice de l’Histoire des Compagnes de Maria (1811) que L’Anti-Justine n’a jamais été imprimée, et que son manuscrit a été détruit ; cette page est donc postérieure à 1811, mais sa graphie un peu archaïque la situe dans les années 1820/1830. Après la page 252 se trouvent les épreuves des pages 145 à 180 portant des corrections de la main de Rétif ; Gilbert Rouger les trouve  « sans grand intérêt » ; il n’est tout de même pas sans intérêt de constater que Rétif tenait à une impression impeccable, et il ne s’est pas limité à corriger de simples coquilles : il a par exemple barré la main  pour préférer les doigts (p. 147), signe d’un souci du détail étonnant. Toutes les éditions connues intègrent ces corrections. 

Il n’est pas certain qu’il s’agisse de l’exemplaire personnel de Rétif, comme on le dit souvent. Seules les deux feuilles d’épreuves en ont fait incontestablement partie et en sont les vestiges. L’exemplaire 492 paraît bien être une fabrication de collectionneur, celui-là même qui a écrit sur la page de garde. Monselet eut sous les yeux un exemplaire très proche de celui-ci ; il le décrit dans son ouvrage (Rétif de la Bretonne, sa vie et ses amours, 1854, p. 183-186). Mais il ne mentionne ni la page manuscrite (il est probable qu’elle est déjà présente, mais ne paraît pas présenter un intérêt bibliophilique), ni les 38 feuillets blancs protégés chacun par un papier de soie, encartés dans le volume avec des volets vides destinés visiblement à accueillir des gravures  (deux seulement sont remplis, p. 56 et 83). Il ne donne pas le nom du propriétaire, mais il est aisé de l’identifier : Victor Vignon, le petit-fils de l’écrivain, à qui Monselet rend visite en 1850. L’exemplaire que lui montre Victor Vignon vient des papiers de Rétif récupérés à sa mort, et il est déjà augmenté des deux feuilles d’épreuves portant les corrections à faire.

Victor Vignon (qui meurt en 1856) dut vendre son exemplaire peu après la visite de Monselet. Avant d’arriver dans l’Enfer de la BNF (à une date inconnue), il est passé entre les mains d’un ou plusieurs collectionneurs, dont le comte de La Bédoyère, qui, selon Apollinaire et alia, le possédait en 1860. C’est alors sans doute qu’il a été enrichi de gravures dans les emplacements prévus,  illustrations ensuite subtilisées.

Sade est présent dans l’œuvre de Rétif depuis les années 1780, notamment dans Les Nuits de Paris, mais il n’y est encore qu’un seigneur libertin, un aristocrate cruel dans ses plaisirs. Tout change lorsque Sade se révèle être aussi un écrivain. D’après une note du Journal du 23 août 1793, Rétif découvre alors Justine (« lu Justine »), parue depuis deux ans déjà. En 1795, paraît La Philosophie dans le boudoir, et selon Mercier, les ouvrages de Sade sont « étalés sur des planches » et vendus librement au Palais-royal (MN, II, p. 459). C’est dans deux juvénales de 1796 que Rétif lance ses attaques les plus violentes contre « l’infâme apôtre » des « criminels pédérastes » (« Immoralité de notre mariage et manière de la corriger », MN, II, p. 1028).

Dans une page de la IXe Époque de Monsieur Nicolas, écrite le « 1er vendémiaire an V » (22 septembre 1796), il évoque un ouvrage de Sade intitulé Théorie du libertinage, « qui ne paraît pas encore et qu’[il a] lue en manuscrit », « œuvre qui « fera frissonner les plus scélérats » (MN, II, p. 451). De ce manuscrit perdu, il donne un résumé détaillé dans la juvénale « Fausse Immoralité de la liberté de la presse » (datée de la fin octobre 1796), ce qui prouve qu’il a bien eu ce manuscrit en mains, grâce à son ami Arthaud de Bellevue, ami de Sade. Ce n’est pas ici le lieu de développer cette question (voir l’article de Pierre Testud, « Rétif et Sade » dans la revue Europe, 1988, n° 4, p.107-123). L’important est de noter que dans ses juvénales, Rétif se préoccupe des moyens de contrer Sade : « J’avoue qu’il est difficile de réparer les ravages des productions  de l’auteur de Justine, etc. » (MN, II, p. 1039). Il refuse toute limitation de la liberté de la presse (de l’imprimerie), mais propose des mesures administratives spécifiques contre ce genre d’ouvrages.

L’Anti-Justine est sans doute le fruit des lectures sadiennes de 1796. « Personne n’a été plus indigné que moi des sales ouvrages de l’infâme D-sds, c’est-à-dire de Justine, Aline, le Boudoir, la Théorie du libertinage […] Ce scélérat ne présente les délices de l’amour, pour les hommes, qu’accompagnées de tourments, de la mort même, pour les femmes. Mon but est de faire un livre plus savoureux que les siens et que les épouses pourront faire lire à leurs maris pour en être mieux servies, un livre où les sens parleront au cœur » (Préface, p. 3). Rétif imagine donc d’opposer au poison sadien l’antidote d’un livre de « délices ». Mais pour être efficace, ce livre « où les sens parleront au cœur » doit se situer dans le même registre linguistique et érotique que celui de Sade : « On a vu, par la Table seule, combien cet ouvrage est salace ! Mais il le fallait pour produire l’effet attendu » (« Épilogue de la 1re Partie », p. 204).

Faute d’avoir l’appui du Journal (dont on n’a plus trace après le 11 juin 1796), il est difficile de dater avec précision la rédaction et l’impression de L’Anti-Justine, sans doute menées de pair. On peut penser qu’elles datent de la fin de 1797 et/ou du début de 1798. C’est probablement la fin de l’énorme entreprise de Monsieur Nicolas, en novembre 1797 qui donne à Rétif le loisir  d’écrire cette œuvre atypique, et tout de même très rétivienne encore, puisqu’il y recycle sur le mode obscène et fantasmatique de nombreuses données de Monsieur Nicolas.

Mais à la fin du mois d’avril 1798, il obtient un emploi au ministère de la police avec un traitement de 333 francs. « Voilà un petit commencement de bonheur », écrit-il alors aux époux Fontaine (Correspondance, éd. cit., p. 614). Cet emploi lui procurait enfin une sécurité financière dont il avait bien besoin. Il ne fallait pas prendre le risque de le perdre par la détention d’un livre prohibé. Déjà le 28 mars 1798, il avait décidé de supprimer avant sa mort une « bagatelle » (voir ibid., p. 608) ; sans doute désignait-il ainsi L’Anti-Justine. Un mois plus tard, son entrée au ministère de la police dut le déterminer. Il conserva tout de même un exemplaire pour lui, et par ailleurs survécurent les quatre ou cinq qui étaient entre les mains de quelques amis. On ne peut suivre Lacroix quand il écrit que les exemplaires parvenus jusqu’à nous proviendraient de « la saisie opérée en 1803 chez les libraires du Palais-royal et dans les maisons de prostitution, par ordre exprès du premier Consul ».

Éditions modernes

Il est impossible de faire le bilan exhaustif de ces éditions, qui ont proliféré durant les XIXe et XXe siècles. Éditions auxquelles il faudrait ajouter celles qui furent  publiées sous le manteau, sans compter les copies manuscrites mises en circulation. Pour un aperçu de cette bibliographie, on pourra consulter la notice de Helpey (Louis Perceau) dans l’édition de L’Anti-Justine de 1929 (voir ci-dessous), reproduite à la fin du volume de l’édition Fayard en 1985 (voir ci-dessous), J.R.C. p. 340-342, ainsi que Branko Aleksić, « Notice bibliographique sur L’Anti-Justine », Études rétiviennes n° 34, p. 283-289, et du même, « Sur L’Anti-Justine, compléments bibliographiques », ibid., p. 215-220. Nous nous bornons ici à l’essentiel.

La première édition peut être datée de 1863, en Belgique, chez Sacré-Duquesne : 2 vol. in-16 de 127 et 159 pages, avec 12 lithographies médiocres ; le texte est un peu édulcoré, ce qui a motivé une autre édition en 1864, plus conforme à l’originale. Cette édition est consultable sur Gallica : elle se présente sous la forme d’un volume in-8° de VIII-260 pages, « nouvelle édition sans suppressions, conforme à celle originale de 1798 », avec 6 lithographies. La liste des « Sujets des estampes » et la « Table des chapitres » sont rejetées à la fin du volume (au lieu d’être à la fin de la 1re Partie). Ce volume ne correspond pas tout à fait à l’édition que décrit J.R.C. sous le n° 3, p. 340.

Dans les années suivantes, jusqu’à la fin du siècle, paraît une dizaine d’éditions, en Belgique ou Hollande pour la plupart, pays où le contrôle des publications est beaucoup plus libéral. Le rythme ne ralentit pas au XXe siècle. Parmi ces éditions, il convient de signaler :

— 1911, « L’Œuvre de Restif de la Bretonne », Le Pornographe, L’Anti-Justine, Dom B… aux États généraux, Bibliothèque des Curieux, 1 vol. in-8° de 311 pages, avec la Notice de Cubières prise dans l’Histoire des Compagnes de Maria,  un Essai bibliographique et des notes de Bertrand de Villeneuve. — L’annexion de Dom Bougre à l’œuvre de Rétif est une erreur qui perdurera.

— 1929, « De l’Imprimerie de Monsieur Nicolas » (Maurice Duflou), s.d., 1 vol. in 8°, 243 pages, illustré de 12 aquatintes hors-texte signées « Le Loup ». Notice bibliographique de Helpey (Louis Perceau).  « La meilleure édition moderne de L’Anti-Justine », selon J.R.C.

— 1932, Ingénue ou les nouvelles revies, par l’auteur de L’Anti-Justine, s. l. s.n., in-12 en feuilles, 74 pages. Édition jamais répertoriée, ici décrite d’après le catalogue 2003 de la Librairie Nicaise, Paris. Édition illustrée de 11 vignettes libres en couleurs dans le texte et de 11 culs-de-lampe tirés en bleu. Tirage à 200 exemplaires numérotés. Une note au crayon indique que l’illustration serait de Léo Fontan et le texte une adaptation due à Pierre Mac-Orlan.

— 1960,  L’Anti-Justine, « Au Cercle du Livre Précieux », 1 volume de  252 pages, sous emboîtage habillé d’un papier dominoté. Commentaires, notes et bibliographie par G[ilbert] R[ouger]. Édition augmentée d’une suite de 7 illustrations prises dans diverses œuvres de Rétif, du début des Revies imprimées dans Les Posthumes et d’un fragment de la IXe Revie. La composition typographique reproduit celle de 1798, avec ses caractères anciens et toutes ses particularités. Gilbert Rouger indique que son édition est faite sur la photocopie du volume acheté en 1862 par un Américain. Sa page de titre omet « avec  LX Figures » et présente la particularité de donner Girquard au lieu de Girouard ; cette coquille semble appartenir au volume de base, vu le soin apporté ici à la composition. — Réédition en 1969 par « L’Or du Temps ».

— 1985, Œuvres érotiques de Restif de la Bretonne, « L’Enfer de la Bibliothèque nationale (2) », Éd. Fayard, Le Pornographe, L’Anti-Justine, Dom Bougre aux États généraux, 1 vol. in-8° de 595 pages. Introduction générale de Daniel Baruch, préfaces d’Annie Le Brun, Marcel Moreau, Michel Camus. — C’est la reprise du choix éditorial de Bertrand de Villeneuve en 1911, aggravé par le rattachement du Pornographe au domaine de l’érotisme et de l’Enfer de la BnF.

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 11, édition fondée sur un exemplaire conforme à l’exemplaire 492 de la BnF. Elle reproduit, avant le faux-titre, la page manuscrite signalée supra, où il est indiqué que l’ouvrage est de Rétif et qui corrige l’affirmation de Cubières selon laquelle L’Anti-Justine aurait été ni imprimée, ni conservée en manuscrit.

Traductions

—  1905, Anti-Justine, édition privée, coll. « Erotica und Curiosa aller Zeiten und Volker », traduction de Martin Isenbiel. 400 exemplaires.

— 1956, The Pleasures and Follies of a Good-Natured Libertine, Olympia Press. Réédition en 1961 et 1966.

— 1967, Die Anti-Justine oder Die Köstlochkeiten der Liebe, 2 vol., Müller und Kiepenhauer, Hanau/Main. Traduction et présentation de E. Müller.

— 1975, Anti-Justine, éd. Heyne, Munich, traduction de P. Schalk.

— 1980, L’Anti-Justine, Guanda, Milan, cura di Ferdinando Bruno, Biblioteca della Fenice.

Adaptation

The Double Life of Cuthbert Cockerton Esq. Attorney-at-Law of the City of London, His History and that of his Daughters and Some Curious Anecdotes of other Ladies and their Lovers. From the Original Ms. Dated of 1798. Now published for the first time. 252 copies only. Haarlem. — J.R.C. signale cette édition comme une adaptation, mais avoue ne disposer que d’une information de seconde main. 

1789. Le Bouledogue ou le Congé.

 La pièce fut écrite du 8 au 13 décembre 1788. Elle est imprimée dans le volume III du Théâtre les 4, 29, 30, 31 mai 1789 (p.152-195), puis dans Le Thesmographe  à la fin de l’été (p. 279-310).

« Cette critico-farce était dirigée contre un infâme procureur qui avait insulté ma fille cadette, d’après un tour que L’Échiné avait joué à sa servante. Je ne ferai pas l’analyse de cette misère, qui est imprimée dans Le Thesmographe » (MN, II, p. 995). C’est « une pièce non destinée à la représentation et seulement à démasquer un vil procureur ; c’est moins une pièce qu’un récit naïf » (Théâtre, vol. III, p. 232). Dans Le Thesmographe, elle est présentée comme une « comédie en 2 actes destinée au Théâtre des Danseurs de corde, le sujet étant trop bas pour les Variétés » (p. 279).

Ce « vil procureur » est un nommé Pointcloud, procureur au Parlement et  propriétaire du logement occupé depuis 1781par Rétif rue des Bernardins. « Ce scélérat, sans autre cause que son caprice et la méchanceté profonde de son noir caractère, me donna congé dans le temps où j’étais embarrassé de toute l’édition des Nuits de Paris […] Mon déménagement me coûta plus de quatre cents livres. Et ce n’est là que le moindre tort. Un homme de lettres ne devrait jamais déménager, même  pour être mieux. Précipité dans ma fuite de chez l’infâme Pointcloud, insulté gravement par son clerc Foigny, incommodé par la rigueur de la saison [« le cruel hiver 1788-1789 »], je bouleversais tout ; on gâtait, on détruisait, on perdait, on volait. Plus de mille écus de perte me furent occasionnés… Et ce n’est pas le pis ! Depuis sept ans (6 mars 1795), je ne puis rétablir l’ordre, parce que je suis logé plus étroitement, retrouver mes livres, mes pensées éparses ! » (MN, II, p. 1019-1020 en note).

Cette « critico-farce » respecte les données de l’histoire telle qu’elle est notée dans le Journal : en juillet une montre est volée, Marion est accusée, l’affaire portée en justice. Dans la pièce, les calomniateurs sont condamnés. Mais dans Le Thesmographe, à la fin, Rétif précise : « Ce n’est pas ainsi que l’aventure s’est terminée ; on a changé, pour donner à la pièce un dénouement raisonnable. Si nous avions des magistrats, dans ces temps d’anarchie, ils puniraient les propriétaires oppresseurs, surtout quand ces propriétaires sont procureurs et capables d’abuser de toutes  les ruses de la chicane » (p. 310).

Rétif éprouve en outre le besoin d’écrire une version narrativisée de cette histoire ; elle est intitulée Les Propriétaires de maison, nouvelle imprimée à la fin du volume 27 des Contemporaines en 2e édition (p. 281-297). Elle est tout à fait contemporaine du déménagement, commencé le 20 novembre, mais écrite trop tard pour être intégrée dans les Nuits, dont l’impression s’est achevée le 9 novembre 1788. Elle est sans doute la première réaction de Rétif à son congé, antérieure à la « critico-farce » de décembre.

1772. La Cigale et la Fourmi, ou l’Enfant gâté, « fable dramatique en 5 actes »,  « pièce qui pourrait entrer dans un Théâtre du peuple ».

Elle est sans doute écrite en 1771 et imprimée en 1772 dans le volume V d’Adèle de Comm** (p. 3-78). Elle est mise en novembre 1786 dans Les Françaises (volume IV, p. 263-318), et cette même année dans le volume I du Théâtre (p. 283-386).

Rétif résume ainsi le sujet : « Un enfant gâté libertin y est puni par la terreur et changé » (Mes Ouvrages, MN, II, p. 992).

 Première œuvre de Rétif pour le théâtre, elle était destinée au Théâtre éphébique d’Audinot, « mais les auteurs qui travaillaient pour son théâtre, fâchés de ce que j’avais dit à leur sujet dans mes Réflexions sur l’Ambigu-Comique menacèrent de ne plus travailler pour son théâtre s’il les acceptait. Le plus animé, c’était un certain Nougaret […] » (Adèle de Comm**, vol. V, Avertissement, p. 5).

« Mais mes pièces furent jouées l’une et l’autre [celle-ci et Le Jugement de Pâris] dans une société distinguée, avec un succès qui surpassa mes espérances » (MN, II, p. 908). On lit dans la didascalie qui précède la pièce : « La scène est dans la maison de campagne de madame Poupinot, près la ville de Lutèce, à peu près où sont aujourd’hui les Boulevards du Temple ». Cette Mme Poupinot est en fait Mme de Montesson, comme il est précisé dans ces lignes de Monsieur Nicolas : « Je n’avais pas le talent nécessaire pour le Boulevard, et mes deux pièces n’auraient jamais été jouées si une dame (Mme de Montesson) n’eût fait les frais de la représentation sur le petit théâtre Popincourt, où les enfants d’Audinot les jouèrent devant une société choisie par elle-même (MN, II, p.225). Mme de Montesson, maîtresse de Louis-Philippe duc d’Orléans (le père du futur Philippe-Égalité) était une passionnée de théâtre et avait chez elle un théâtre privé, « le premier de Paris par son éclat, sa noblesse et le mérite de ses interprètes », écrit Léo Claretie dans son Histoire des théâtres de société (1906, p. 83).

    « La représentation essuya des difficultés dans la Cigale pour les costumes, pour le jeu des acteurs, qu’il aurait fallu plus parfait » (MN, II, p. 225).

La Confidence nécessaire, lettres anglaises : voir à Lettres de Lord Austin de N*** à Lord Humphrey de Dorset son ami.

1780-1785. Les Contemporaines.

Ce recueil de nouvelles occupe 42 volumes in-12, totalisant « 272 nouvelles en 444 histoires » (42e volume in fine, Table générale)  et se divise en 3 séries :

Les Contemporaines ou Aventures des plus jolies femmes de l’âge présent. « Recueillies par N. ** * * *** [lire : N. Rétif de la Bretonne] et publiées par Timothée Joly, de Lyon, dépositaire de ses manuscrits. » 17 volumes in-12, avec 113 figures, totalisant 5.864 pages (pagination continue sur 2 volumes). Volumes datés de 1780 à 1782. Cette série devient ensuite, après la parution des deux séries suivantes, Les Contemporaines mêlées.

Les Contemporaines du commun, ou Aventures des belles Marchandes, Ouvrières, etc. de l’âge présent, « recueillies par N.-E. R**-D*-L*-B*** », 13 volumes in-12, avec 87 figures, totalisant 3.903 pages. Volumes 18 à 30, datés  de 1782 et 1783.

Les Contemporaines par gradation, ou Aventures des jolies Femmes de l’âge actuel, « suivant la gradation des principaux états de la société. Recueillies par N.-E. R** D*- L*-B***. », 12 vol. in-12, avec 83 figures, totalisant 3.616 pages. Volumes 31 à 42, datés de 1783 à 1785.

Chaque nouvelle est illustrée par une figure placée en tête, due la plupart du temps à Binet pour le dessin  et à Berthet pour la gravure.

Premier tirage à 2.000 exemplaires (MN, II, p. 326). J.R.C. indique 3.500, sans indiquer ses sources.

Selon Monsieur Nicolas, Rétif se met à composer les premières Contemporaines pendant le deuxième semestre de 1777 (voir II, p. 311 et p. 316), sans avoir encore l’idée  d’un recueil.  Cette idée semble naître en 1778, lorsque, écrivant Le Nouvel Abeilard, il renvoie, pour des histoires racontées par les personnages, à « un recueil d’anecdotes singulières » qu’il se propose de faire paraître (Nouvel Abeilard, vol. II, p. 4). La réalisation de ce projet est suspendue au profit de La Vie de mon père et de La Malédiction paternelle, et ce n’est donc qu’en 1779 qu’il se remet à ses nouvelles. À la fin  de ce roman, Timothée Joly, « exécuteur testamentaire », annonce la publication de « nouvelles, espèces de contes moraux qui formeront trois parties » (éd. cit., p. 474). La Malédiction paraît en août et les premiers volumes des Contemporaines, au nombre de 4,  dans les derniers mois de 1779 (avec le millésime de 1780).

«  L’auteur commença les Contemporaines […] en 1779, après avoir composé La Découverte australe. Il n’avait d’abord le plan que d’une vingtaine de nouvelles, et surtout il n’avait pas son titre, qui est excellent. Il le trouva après avoir rédigé un certain nombre d’historiettes. Celui qu’il avait d’abord en vue était Les Nouvelles Parisiennes ; mais outre qu’il n’était pas juste, qu’il offrait une sorte d’amphibologie et ne valait pas celui des Contemporaines » (Paysanne, IV, p. cxcv).

Cette entreprise, sans être exclusive d’autres œuvres, va l’occuper jusqu’au 14 novembre 1784 ; il note ce jour-là dans son Journal : « 15 9b heri fin. Contemporaneum » ; l’impression s’achève le 19 mai 1785 (« Fin de l’impression du XLII vol. »). Parti de trois volumes, Rétif parviendra donc par étapes à 42. De cette extension témoignent les modifications successives apportées aux tables des matières imprimées à la fin de certains volumes. « En travaillant, mes idées s’étendirent. Je vis de la matière pour seize volumes. À la fin du seizième, je formai un plan qui me donna l’idée des Contemporaines  communes et des Contemporaines graduées. Tout cela s’étendit encore en travaillant et porta mon ouvrage à trente, trente-six, trente-huit, quarante-deux, soixante-cinq » (Mes Ouvrages, p. 987). Ce total de 65 est obtenu par l’inclusion des recueils suivants : Les Françaises (4 vol.), Les Parisiennes (4 vol.), Les Filles du Palais-royal (3 vol.), Les Provinciales (12 vol.), qui sont en effet aussi des recueils de nouvelles.

Paradoxalement, de cet immense recueil, Rétif dit peu de choses dans Mes Ouvrages (p. 987). Il faut en chercher l’analyse dans les Contemporaines mêmes (vol. 5, p. 3-23, 11, 16, 22, 24, 30, 34, 42 in fine) et  dans Les Nuits de Paris où,  sous couvert des lectures faites à la marquise, Rétif passe en revue toutes ses nouvelles : voir les Nuits 251 (1re  à 28e  nouvelles), 276 (29e à 34e), 277 (35e à 43e), 278 (44e à 52e), 280 (53e à 58e), 286 (59e à 63e), 287 (65e à 70e), 302 (71e à 80e), 303 (81e à 103e), 306 (104e à 117e), 308 (118e à 123e), 309 (124e à 147e), 335 (148e à 167e), 341 (168e à 194e), 347 (195e à 213e), 350 (214e à 244e), 355 (245e à 272e).

Rétif eut conscience que son titre pouvait prêter à malentendu. Au verso de la page de titre du 1er volume, il écrit : « Peut-être s’attend-on à trouver ici les aventures des femmes connues, sans aucun déguisement. On se trompe, cela ne serait pas permis. Au reste, la plupart de ces nouvelles sont assez intéressantes pour que l’auteur ait pu  se dispenser d’être méchant », et un peu plus loin, dans l’Introduction : « Peut-être m’objectera-t-on que mon titre, les Contemporaines, ne paraît pas rempli à certains égards, puisqu’il est une infinité de jolies femmes connues dont je parais ne rien dire. » Au début du 5e volume, Timothée Joly, dans une adresse « au bienveillant lecteur, au sujet des critiques » revient sur cette question : « J’avouerai que j’ai été surpris de l’idée qu’on s’était formée de l’ouvrage sur le titre. Un homme de haute naissance dit au libraire : « J’ai parcouru les Contemporaines et je n’y ai pas trouvé une seule anecdote connue […] Le titre annonce tout autre chose et bien des gens trompés dans leur attente décréditeront cette production. » Je répondis :  » Je n’ai pas entendu publier la chronique scandaleuse de notre siècle, mais des histoires réelle, prises dans toutes les classes de la société » »  (vol. 5, p. 3 ; éd. cit., t. II, p. 640-641).

Avec « cette vaste production sans doute à jamais unique dans la littérature européenne » (Tables des matières), Rétif donne enfin à la nouvelle, jusque-là insérée dans le cadre d’un roman, son autonomie. Ces 272 nouvelles ont pour ambition de donner « l’histoire complète des mœurs du XVIIIe siècle » (Nota de T. Joly, Cont., t. I, p. 75) et « contiennent autant de routes pour être heureux en ménage que de nouvelles » (Mes Ouvrages, p. 987). Dans le texte intitulé Les Romans, où il passe en revue les auteurs de son temps, il écrit : « Mais le moraliste le plus marqué, le plus utile, celui qui n’a en vue que le bonheur de ses semblables, c’est l’auteur des Contemporaines […] On y voit qu’il n’a d’autre but que l’exposition des moyens d’être heureux en ménage. S’il s’y rencontre des nouvelles dont les personnages ont de mauvaises mœurs, ces nouvelles même sont quelquefois les plus utiles. Mais combien celles où les mœurs des personnages sont bonnes ne paraissent-elles pas attendrissantes ! C’est un charme dont on ne peut se défendre ! L’auteur était dans une délicieuse ivresse en les mettant sur le papier, et il la fait passer à ses lecteurs » (Les Françaises, vol. III, p. 246-247).

Dans sa « réponse aux critiques », Rétif juge nécessaire d’« achever de répondre à l’éternelle critique de la vulgarité des personnages ». Quand il avait présenté ses premiers volumes, en 1780, il avait pris soin d’indiquer : « J’ai pris mes héroïnes dans toutes les conditions, à l’exception des plus basses, que j’ai presque absolument négligées, puisque dans le grand nombre de nouvelles dont cet ouvrage sera composé, il s’en trouve à peine quatre où les héroïnes soient bien décidément de l’avant-dernière classe. Toutes les autres nouvelles sont prises ou dans les conditions élevées, ou dans la classe moyenne des citoyens, dans cette classe, je le répéterai dans tous mes ouvrages, où se rencontre l’homme par excellence » (Cont., t. I, p. 70-71). Mais quatre volumes plus tard, il lui faut revenir  sur le sujet, « pour achever de répondre à l’éternelle critique de la vulgarité des personnages », et il détaille en note la condition de ses personnages : six nouvelles « ont pour héros des personnes de la première condition » ; douze « sont  prises dans une classe distinguée de citoyens » ; neuf enfin  « qui sont prises dans la seule bourgeoisie, ou dont le sujet a quelque chose de moins relevé : c’est à peine le tiers ! On a donc eu tort de me reprocher le peu d’élévation de mes personnages » (ibid., t. II, p. 649).

Ainsi, en 1780, rien n’annonce le choix de contemporaines du commun, titre provocant, car le commun est le plus bas dans l’échelle sociale. Selon Monsieur Nicolas, c’est au moment du 16e volume, en 1781, qu’ « [il] form[a] un plan qui [lui] donna l’idée des Contemporaines du commun et des Contemporaines graduées » (II, p. 987). Le voici soudain convaincu de l’intérêt littéraire et moral des basses classes de la société. Il écrit dans la préface de cette série, en 1782 : « C’est donc ici une galerie nouvelle de portraits, d’un genre différent de ceux qu’on a déjà vus […] Ici, l’on n’aura que des gens de commerce, ou de profession, la plupart d’un état trop éloigné du grand monde pour en être connus, mais qui cependant méritent de l’être, ne fût-ce qu’à titre de nos concitoyens, ou seulement de créatures de notre espèce […] On trouve ainsi dans ces 13 volumes jusqu’aux crieuses des rues, jusqu’à une marchande d’amadou » (Cont., t. V, p. 2685). Puis, la même année, il ajoute une nouvelle préface, en tête du volume suivant (le 19e), contenant quelques « observations importantes », dont celle-ci : « Il pourrait se trouver quelqu’un peut-être qui me reprocherait ici la prétendue bassesse de mes personnages. Le corps de la nation n’est pas vil : voilà ma réponse. Les marchands, les artisans, les artistes ne sont pas vils : ils sont considérables, estimables, importants, utiles, nécessaires, indispensables » (ibid., p. 2855). À ces considérations sociologiques, Rétif en ajoute une qui relève de l’ethnologie : « Les conditions basses ne sont pas les moins intéressantes de la société. Cependant, elles n’ont pas d’historien. Et quoiqu’on n’ignore pas à Paris quelles sont les mœurs des Caffres, des Hottentots, des nègres du Sénégal, des Iroquois d’Amérique, des Illinois, des Chiquaquas, des Alibamons […], des Othomacos, des Californiens, etc., des Sibériens, et même de nos antipodes méridionaux, on ignore assez communément dans la rue Saint-Honoré et au Faubourg Saint-Germain les mœurs du Faubourg Saint-Marceau et Saint-Jacques, peuplés de ce qu’il y a de plus pauvre dans la capitale et dans l’univers […]. Aucun de nos écrivains ne s’en est occupé ; je les fais connaître ; ils parlent leur langage ; leurs mœurs sont fidèlement exposées dans mes récits et dans leurs discours, souvent rapportés de mémoire » (Contemporaines, éd. orig., vol. 33, deux dernières pages non foliotées, dans un « Supplément » au « Dialogue entre l’éditeur et un médecin »). Rétif propose en somme à ses lecteurs un réalisme fondé sur le plaisir du dépaysement et de l’étrangeté.

L’accueil fait aux quatre premiers volumes fut favorable. « Mes Contemporaines se vendaient avec rapidité », note Rétif (MN, II, p. 327). Aussi décide-t-il de les rééditer, avec le millésime de 1781, écrivant au début de sa préface : « On peut aujourd’hui parler du succès de cet ouvrage, qui est décidé » (Cont., t. I, p. 72). Ce succès ne se démentira pas.  C’est, après Le Paysan perverti, la seconde grande réussite de Rétif, auquel les journaux n’avaient jamais consacré autant de place. Jamais non plus il n’avait retiré un tel profit de ses publications. Toutefois, des difficultés surgirent pour les 12 derniers volumes (Les Contemporaines graduées) ; elles sont évoquées au début de la 242e nouvelle, La Jolie Sage-femme : « […] le ralentissement que la vente doit nécessairement éprouver par un effet de l’inconstance française, qui veut du changement, même dans ce qui l’amuse, ruine l’auteur au lieu de l’enrichir. »

Rétif n’en fut pas moins fier de ses Contemporaines. Dans sa conclusion, au terme du 42e volume, il écrit : « Je viens d’achever un ouvrage que rien ne pourra détruire […] Je vivrai à jamais par la portion la plus noble de moi-même. Mon nom franchira les mers ; on lira mes nouvelles dans les deux mondes, dans toutes les langues. »

L’originalité de l’œuvre est aussi en ce qu’elle procède d’un appel à la collaboration du public. Dans la préface de la 1re édition, Rétif signale que son ami Pidansat de Mairobert lui a fourni quelques histoires (notées N*** dans la Table des matières, au nombre de 15). Il  invite ensuite «  les personnes qui auraient des traits remarquables à publier à [lui] en faire parvenir le simple canevas, c’est-à-dire les principaux événements ; une page ou deux suffiront, lorsqu’on ne voudra pas détailler davantage » (Cont., t. I, p. 72).

Son appel ne semble être resté vain, puisqu’il écrit dans la préface de la seconde édition : « Je profite de l’occasion pour remercier ici les personnes qui ont bien voulu me donner des sujets à traiter », et il cite quelques noms. Timothée Joly ajoute : « Je renouvelle moi-même l’invitation de mon ami pour les canevas des nouvelles […] On voudra bien me les adresser, sous l’enveloppe de Mme Vve Duchesne, libraire, rue Saint-Jacques, au Temple du Goût. » Nous pouvons croire à la réalité de ces contributions à la lumière des lettres reçues par Rétif et imprimées par lui à la fin de certains volumes de la seconde édition des Contemporaines. Il est devenu notoire que ce recueil de nouvelles est une œuvre ouverte : « Ayant annoncé dans le café de Foi que je composais des histoires intitulées Les Contemporaines, je reçus dans la même semaine, la lettre suivante » (début de la 50e, La Fille de mon hôtesse).

L’inconvénient du procédé fut que des personnes se plaignirent d’être impliquées à leur insu dans des histoires où elles ne jouaient pas toujours un rôle flatteur. Rétif parle en détail de ces affaires et des précautions qu’il dut prendre pour éviter qu’on ne fasse des « applications ». « Combien de gens se sont plaints sourdement, clandestinement de Contemporaines à cause de leur vérité ! […] Je n’allai pas  une fois chez mon censeur que je n’entendisse parler d’une plainte nouvelle ! […] On a vu des gens se calomnier pour me causer une affaire, en s’attribuant ce qui ne leur était pas arrivé » (Nuits de Paris , éd. cit., t. III, p. 1407).

En 1787, à la fin des Parisiennes, il éprouva le besoin de proposer une liste de ses meilleures Contemporaines, au nombre de 67, destinées aux « lectures choisies » pour le « Lycée des mœurs » des femmes de la capitale (voir vol. IV, p. [381-382]).

Éditions (XVIIIe siècle)

— P.L. Jacob (p. 163) signalait l’existence d’une édition ayant pour titre Les Jolies Femmes du commun, ou Aventures des belles Marchandes, Ouvrières, etc. de l’âge présent, avec parfois cet autre titre : Les Contemporaines du commun, ou Aventures des belles Marchandes […], sous les dates de 1782 et 1783, avec un tirage de 1000 exemplaires. J.R.C. (p. 260-262) décrit par le menu cette édition lacunaire, complexe et étrange. Nous renvoyons à son analyse.

— les deux premières séries ont eu une seconde édition : 1re série, Les Contemporaines mêlées, volumes 1 à 17 datés de 1781 à 1784 ; 2e série, Les Contemporaines du commun, volumes 18 à 30, datés de 1784 à 1792.

Cette seconde édition est importante à un double titre. D’abord parce que Rétif y imprime près de deux cents lettres personnelles, à la fin des volumes 16, 17, 19, 20, 21, 22, 27, 28, 29, 30. Ensuite parce qu’elle introduit de nombreuses modifications stylistiques. « Le plus grand nombre de ces nouvelles ont éprouvé des corrections heureuses à la seconde édition », dit Rétif (« Réponse aux critiques », Cont., t. II, p. 646). Il reprend en effet son texte, le corrige, le complète et parfois l’allège. Ce travail important amène à nuancer les affirmations de l’écrivain quand il vante son style de « premier jet ».

À noter à la fin du 23e volume des « Vers qui sont la suite de ceux  qu’on trouve dans La Femme infidèle, p. 274-85 et 512-512 » (16 pages, englobant un « Errata de La Femme infidèle », qui est la clé des noms déguisés, et 2 pages relatives à Augé) ; à la fin du 24e volume, 6 pages intitulées « Réponse générale aux malhonnêtes gens qui calomnient les ouvrages de N. E. Restif de la Bretonne » ; à la fin du 27e volume, deux Nuits de Paris, Les Propriétaires de maison et La Cruelle Soirée, et un « Supplément à La Femme séparée » (Ingénue Saxancour), soit 72 pages.

— une 3e édition est mentionnée par Rétif dans une de ses notes commentant un article du Journal de Nancy de 1782, à la fin du volume 24 (éd. orig.) : « C’est dommage  que l’ouvrage en soit  à la 3e édition à 2000, tandis qu’on tire 300 du Journal de Nancy » (note 6, reprise à la fin du 18e volume en 2e édition, dans la note 8).

— une 4e édition est évoquée par Rétif dans MN, I, p. 942 : « […] l’infâme Defer, dit Maisonneuve, m’a soufflé la quatrième édition des premiers volumes des Contemporaines ».

Dans une note mise au bas d’un article hostile du Journal de Nancy, il réplique au journaliste : « Le sort du livre est d’avoir des lecteurs et des éditions ; il est contrefait trois fois, et traduit » (éd. orig., vol. 18, p. [327], note 1). J.R.C. décrit ces trois contrefaçons sous les nos 4, 5 et 6, p. 267-269.

Éditions modernes

En 1825, la Librairie Peythieux remit en vente 38 des 42 volumes (de la 2e édition), avec des pages de titre actualisées aux nouvelles date et adresse. Les 4 volumes absents sont les 9 à 12. Paul Lacroix et J.R.C. la recense, sans décrire les volumes. Voir Études rétiviennes n° 51, déc. 2019, p. 208-211 pour une description précise.

À deux exceptions près, les éditions modernes sont des anthologies, ou des  éditions de nouvelles séparées.

  1. a) édition intégrale:

* 1988, Slatkine Reprints, 20 vol. sous les nos 12 à 32. Reprint de la seconde édition, sauf pour le volume 30.

* 2014-2018, Éd. Honoré Champion, 10 tomes de 6.388 pages. Édition critique établie par Pierre Testud. Texte de la seconde édition avec les variantes de la première,  introduction, notes, bibliographie, postface.

  1. b) anthologies :

*1875-1876, Éd. Alphonse Lemerre, Les Contemporaines, « choix des plus caractéristiques de ces nouvelles pour l’étude des mœurs à la fin du XVIIIe siècle » par J. Assézat. 3 vol. de xl-263, xxxvi-276 et xliv-255 pages : I, Les Contemporaines mêlées, 10 nouvelles, précédées d’une « Vie de Restif » ; II, Les Contemporaines du commun, 10 nouvelles, précédées de « Restif écrivain, son œuvre et sa portée » ; III, Les Contemporaines par gradation, 11 nouvelles, précédées d’une « Bibliographie raisonnée des ouvrages de Restif ».

Cette édition, qui paraît la même année que la Bibliographie […] de Paul Lacroix, est la première de quelque envergure. Elle est saluée dans la plupart des journaux. En 1884, les éditions Charpentier en donnent un abrégé en 1 vol. in-12 de 480 pages.

*1910, Éd. Albin Michel, Aventures galantes de quelques jolies femmes du XVIIIe siècle, « d’après Rétif de la Bretonne, annotées par John Grand Carteret », 1 vol. de 460 pages. Choix de 14 Contemporaines, précédé d’une introduction (« Qu’est-ce que les Contemporaines ? », p. IX-LXV) et suivi de « De quelques théories personnelles à Rétif relatives au mariage et aux femmes »p. 395-460).

* 1911, Les Contemporaines mêlées, Éd. Louis Michaud, Albin Michel, 1 vol. in-16 de 288 pages, avec 30 estampes de Binet. Préface et notes de P.L. Rousseau.

*1930, dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. II,  texte et notes d’Henri Bachelin (31 nouvelles, pas toujours intégrales). Repris en 1971 par Slatkine Reprints.

* vers 1932, Éd. Nilsson, coll. « Mœurs légères du XVIIIe siècle », 1 vol. de 247 pages, choix de 6 nouvelles.

* 1951, Le Club Français du Livre, introduction et choix de nouvelles par Hubert Fabureau, 1 vol. de 324 pages. Choix de 12 nouvelles (La Fille échappée, La Femme vertueuse malgré elle, La Vertu inutile, L’Eunuque , La Petite Regrattière, La Jolie Fruitière, Les Jolies Couturières, La Jolie Agréministe, La Jolie Parfumeuse, La Jolie Danseuse de Guinguette, La Jolie Bourbonnaise, La Jolie Chirurgienne).

* 1961, Éd. Les Yeux ouverts, fac-similé, 3 vol. in-16, un pour chaque série des Contemporaines, de 294, 229 et 261 pages ; choix de 18 nouvelles.

— 2002, dans Restif de la Bretonne, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, t. I, p. 807-910. Notice, texte et notes établis par Pierre Testud. Choix de 5 Contemporaines du commun (La Jolie Boursière, La Jolie Polisseuse, La Jolie Fourbisseuse, La Belle Imagère et La Petite Coureuse).

  1. c) éditions de nouvelles séparées:

Elles sont très nombreuses et la liste qui suit ne saurait prétendre à l’exhaustivité. Nous reprenons, complètons et actualisons les données de J.R.C.

* 1884, La Duchesse ou la Femme sylphide, La Fille de trois couleurs, « Paris chez tous les libraires », dans « Les Joyeuses Histoires de nos pères » 3 vol. in-12 de 95, 95 et 94 pages.

* 1887, Les 20 Épouses des 20 Associés, L. Boulanger éditeur, « Bibliothèque Patriotique et Républicaine », « Les Livres du peuple » n° 15, 1 vol. in-16 de 36 pages. Notice de Jules Lermina. — Autre édition, ibidem, en 1893, « Le Livre pour tous. Mille et Un Manuels populaires ».

* 1900, Le Joli Pied, Éd. Flammarion, à la suite de Louise et Thérèse, coll. « Les Petits Chefs-d’œuvre », 1 vol. in-16 de 125 pages.

* 1911, La Petite Laitière, Éd. Maurice Glomeau, 1 vol. in-8° de 36 pages, avec lithographies en couleurs de Lubin de Beauvais. Tiré à 500 exemplaires.

* 1921, La Morte vivante, Éd. Maurice Glomeau, 1 vol. in-16 de 58 pages, avec des « illustrations en couleurs à la manière du XVIIIe siècle » par A.-L. Manceaux. Tiré à 500 exemplaires.

* 1922, La Jolie Vielleuse, Éd. Maurice Glomeau, 1 vol. in-18 de 70 pages, avec des lithographies en couleurs de G. Ripart. Tiré à 1000 exemplaires.

* 1927, Les Huit Petites Marchandes de boulevard, Éd. Maurice Glomeau, 1 vol. in-16 de 93 pages. Tiré à 1000 exemplaires.

* 1928, La Belle Libraire, ou la Vie de Rose et la marâtre et La Jolie Papetière, ou la Bonne Amie, Éd. Maurice Glomeau, 1 vol. in-16 de 36 pages, avec des illustrations en couleurs de Pierre Rousseau. Portrait gravé de Rétif par Dochy.

* 1930, Les Épouses par quartier, Le Joli Pied, Éd. Maurice Glomeau, 1 vol. in-12 de 126 pages. Tiré à 1000 exemplaires.

* 1932, La Jolie Mercière, Librairie de France, dans Florilège des Conteurs galants du XVIIIe siècle, t. I, p. 185-212, avec des illustrations d’Adrien Bagarry

* 1945, La Petite Laitière, Éditions de la Couronne, 1 vol. in-12 de 79 pages, avec 9 illustrations de D. Du Janerand. Préface de M. Jihat. Tiré à 575 exemplaires numérotés.

* 1946, La Duchesse ou la Femme sylphide, Librairie Le François, coll. « À Trois Clefs d’or » publiée sous la direction de Gilbert Lély, 1 vol. in-16 de 104 pages, avec deux burins originaux de Marcel Jean. Tiré à 1000 exemplaires.

* 1948, La Duchesse ou la Femme sylphide, 1 vol. in-4° avec 20 eaux-fortes en couleurs « d’un caractère libre », « Aux dépens de quelques bibliophiles ». Tiré à 240 exemplaires.

* 1963, La Femme de laboureur, à la suite de La Vie de mon père dans l’édition Hachette.

* 1964, La Jolie Mercière, dans  Restif de la Bretonne, Les Plus Belles Pages, Mercure de France, p. 159-174.

* 1965, La Morte vivante, dans Récits fantastiques et contes nocturnes, Livre-Club du Libraire.

*1981, La Fille du savetier du coin, dans Anthologie du conte en France, 1750-1799, présentée par Angus Martin, éd. UGE, coll. 10/18.

* 1994, La Fille du savetier du coin, dans Nouvelles françaises du XVIIIe siècle, préface et notes par Jacqueline Hellegouarc’h, Le Livre de Poche, t. II, p. 453-508.

* 1996, Le Joli Pied, dans Le Pied, recueil de nouvelles, p. 77-122. Éd. Hachette Jeunesse, coll. « Courts toujours ! ».

* 2013, Nouveau moyen de bannir l’ennui des ménages, ou Les 20 épouses des 20 Associés [10e Contemporaine], Bordeaux, Finitude, 78 pages.

* 2015, Nouveau moyen de bannir l’ennui des ménages et autres conseils à l’usage des jeunes couples, Paris, Librio, coll. « Philosophie », 75 pages.

Traductions

  1. a) indiquées par J.R.C.

Die Zeitgenossinnen, chez Christian Friedrich Voss und Sohn, Berlin, 1781-1787, 11 volumes in-8°.

Die Zerrisseme Heurat (tiré des Contemporaines et publié dans KleineRomane), traduit par Wilhelm Ch. Sigmund Mylius, Berlin,, Hambourg, 1782-1789.

—  Zeitgenossinnen, München, Georg Muller, 1914, 2 vol. in-8° de 316 et 232 pages. Tiré à 1600 exemplaires. Introduction de Ulrich Rauscher.

Das Novellenbuch, ou cent nouvelles adaptées de textes anciens italiens, espagnols, français, latins, anglais et allemands par von Eduard von Bulow, avec une préface de  pagesLudwig Thieck, Leipzig, 1836. 4 parties en 4 volumes de LIV- 520, XXVI-578, XXVI-584 et XXXII-576 pages. [On ne sait quelle est la part faite aux Contemporaines dans cet ensemble fort disparate].

Schuhgeschichten [Histoire de la chaussure] von Restif de la Bretonne, Leipzig, 1906. « Ce recueil contient 6 nouvelles des Contemporaines » (J.R.C.) Réédition en 1976, traduit par P. Schalk, éd. Heynes, Munich.

  1. b) autres traductions

— 1790, L’École des amants délicats, traduction grecque par Rhigas Velestinlis (dit aussi Phéraios) de 6 nouvelles prises dans les 4 premiers volumes. Réédition en 1971 et 1988 avec une étude de P.S. Pistas.

— 1957, traduction japonaise de La Fille de trois couleurs, dans La Littérature française aux XVIIe et XVIIIe siècles, éd. Kawada-Shobo, Tokyo.

— 1963, traduction japonaise de La Fille de trois couleurs, dans « Contes littéraires du monde », t. 5, p. 388-398, Tokyo, par Taketomo Takahashi.

— 1978, La Hija seducida, trad. Carlos de Arce, Valencia, Victoria, 232 pages. Réédition en 1991 par les éditions Seuba, Barcelone et en 2007, Ediciones B, Palma de Mallorca (Traduction de la 19e Contemporaine, « La Fille séduite ou l’ami de la maison »).

— 1989, traduction polonaise de La Fille de mon hôtesse ou la Mère soupçonneuse, associée à celle de La Dernière Aventure d’un homme de 45 ans, par Ryszard Engelking, avec introduction et notes. Mlod-ziezowa Agencja Wydawncza.

— 1989, traduction de La Fille de trois couleurs par Akira Ozawa, dans Les Chants d’amour, Tokyo, Librairei Chikuma, p. 311-332.

— 1990, traduction japonaise de 16 Contemporaines, par Akira Ozawa, Librairie Chikuma, 1 vol. de 403 pages.

Adaptation cinématographique

—1986, dans la série de téléfilms intitulée Série rose, adaptation de deux Contemporaines, Le Demi-Mariage ou le Triomphe de la vertu (d’après la 58e Contemporaine, Le Demi-Mariage), et La Petite laitière (142e Contemporaine) sous le titre de L’Élève  (le générique indique seulement : « d’après une nouvelle de Nicolas Rétif de la Bretonne »). Scénarios de Patrick Pesnot et réalisation de Harry Kümel.  Autant l’adaptation du Demi-Mariage est fidèle au texte, autant celle de La Petite Laitière l’est peu. Rediffusion en février et avril 1990.

1799. Les Converseuses.

Sur ces manuscrits, voir Pierre Bourguet, op. cit., p. 28-29, 37-43, 79, 273-320. L’auteur fait remarquer que ces fragments sont souvent confondus avec des Revies, parce qu’ils se trouvent ensemble dans les recueils et collections. Ils doivent pourtant en être distingués.

Il s’agit de 9 histoires, dont 2 seulement sont complètes. Le nom des narratrices, affiché en tête des nouvelles, est le même que celui des Converseuses du Palais-royal : Narcisse, Rose, Aurore, Amanda, Amaranthe, Pyramidale, Basilique, Capucine et Lavande.

La première histoire, Perle, la femme à deux, a été imprimée par Rétif dans la 4e édition du Pied de Fanchette en 1800, dans une version incomplète par rapport à celle du manuscrit. Nous avons là un repère probable pour dater ces Converseuses : Rétif a dû les rédiger en  1799, soit juste après les Revies, que l’on date de l’été 1798 (voir ci-dessus), et bien avant Paris dévoilé, daté de 1802-1803 (voir ci-dessous). Si, comme le pense Pierre Bourguet, ces histoires étaient destinées à Paris dévoilé, il s’agirait d’une première mouture de cette œuvre.

Pierre Bourguet (op. cit., p. 79) observe que Mme Janus est absente des Converseuses. Ce n’est pas exact, car son nom apparaît dans la troisième histoire, Perlette ou la Brunette : « Elle conta sa chance à Mad. Janus, femme de médecin » (op. cit., p. 296). La précision ajoutée montre à l’évidence que ce personnage est encore inconnu du lecteur, ce qui confirme l’antériorité des Converseuses sur Paris dévoilé, où doit se placer sans doute le fragment racontant son histoire (« Je suis fille d’un palefrenier […] » (voir ci-dessous).

Éditions

— 1800, dans Le Pied de Fanchette, 4e édition, 1800, IIe Partie, chap. XLII, p. 159-176, texte de la 1re Converseuse, Perle, la femme à deux. — Réédition en 2002 dans Restif de la Bretonne, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, t. I, p. 15-194.

Voir à Paysan perverti, à Paysanne pervertie et à Paysan-Paysanne pervertie.

1781. La Découverte australe, par un Homme volant, ou le Dédale français, nouvelle très philosophique.

4 vol. in-12 de 624 et 422 pages, avec 23 gravures. Ces gravures, anonymes, représentant des êtres fabuleux, mi-hommes, mi-animaux, sont parmi les plus célèbres de l’œuvre de Rétif. Lacroix estime qu’elles ne sont pas de Binet. J.R.C. ne dit mot à ce sujet.

L’ouvrage parut au début de l’année 1781 : il est mentionné dans le Mercure du 9 février.

« Cet ouvrage fut commencé en mars 1779 pendant une maladie de l’auteur, qui le fit en partie dans son lit » (Paysanne, vol. IV, p. ccxxxiii-ccxxxiv). « Maladie de déperdition », précise-t-il dans  Mes Ouvrages (p. 982), c’est-à-dire de pertes séminales : « J’étais malade d’une déperdition lorsque je commençai cet ouvrage […] Je fis le roman de Victorin en m’amusant le matin dans mon lit ».  Il précise ailleurs le jour où il s’aperçut de sa maladie : 25 mars 1779 (MN, II, p. 322).

Ce que Rétif appelle « le roman de Victorin » est l’histoire de Victorin, « fils d’un simple procureur fiscal », amoureux de Christine, la fille de son seigneur. Il invente une machine volante, mue par un système de pédales et d’ailes articulées, qui lui permet d’enlever sa bien-aimée et de la transporter jusque sur le sommet du Mont-Inaccessible. De là, il s’élance vers les terres australes pour y fonder des colonies. Le « roman de Victorin » n’occupe que les 79 premières pages du livre. Cette histoire d’homme volant est un souvenir d’enfance : François Courtcou, un berger de la ferme de la Bretonne, lui avait conté l’histoire  « d’un homme qui s’était fait des ailes et qui volait comme une bondrée [un autour] […] » ; ce conte « ferait ici une longue histoire si je n’en avais pas composé celle du Victorin de La Découverte australe, telle à peu près que me la raconta François, surnommé Grélot »  (MN, I, p. 104).

« On sait que La Découverte australe est un roman physique, à l’exception de l’histoire de Victorin, destinée à présenter des vérités salutaires, comme on donne une médecine dans un vase à bords miellés aux enfants malades que trop d’indulgence a rendus volontaires » (Mes Ouvrages, p. 982). Là est l’essentiel de l’ouvrage : d’abord l’établissement sur le sommet tabulaire du Mont-Inaccessible, aux parois verticales, d’une colonie idéale, esquisse d’une société égalitaire d’inspiration communiste ; puis au bout d’une vingtaine d’années, la création, au fil de voyages d’îles en îles imaginaires, d’un royaume du bonheur. Victorin et ses gens découvrent une humanité encore enfoncée, sous des formes diverses, dans l’animalité, et engagent un processus de perfectionnement moral et physique des espèces rencontrées. Au bout du voyage, l’île des Mégapatagons offre le tableau de la cité idéale, réalisable, mais au prix d’un long cheminement. La Découverte australe est une profession de foi dans le progrès des sciences et des techniques, et le progrès social et moral des peuples par l’extension de la civilisation.

« Ouvrage absolument neuf, plein de sublimes vérités, que la sottise parisienne n’a pas même entrevues » (Les Romans, dans Les Françaises, vol. III, p. 260 ; texte publié dans Études rétiviennes, n° 43, p. 191).

Page 566 du volume III est indiqué : « Fin de la Découverte australe ». À quoi font suite : Cosmogénies, ou Systèmes de la formation de l’Univers, suivant les Anciens et les Modernes (p. 567-624) ; Lettre d’un singe aux animaux de son espèce, « avec des notes philosophiques » (pagination nouvelle de 1 à 92,  puis vol. IV, p. 95-138) ; Dissertation sur les hommes brutes (vol. IV, p. 139-324) et six « diatribes » groupées sous le titre La Séance chez une amatrice (p. 325-422). Ces « diatribes » ont pour titre : L’Homme de nuit (p. 328-336) ; L’Iatromachie (p. 337-371), reprise de la Thèse soutenue en enfer, imprimée dans Les Nouveaux Mémoires d’un homme de qualité, cette édition étant épuisée, indique Rétif (MN, II, p. 247) ; La Raptomachie, « dialogue sério-comico-amphigourique », (p. 372-386) ; La Loterie (p. 387-401) ; L’Olympiade (p. 402-410), parodie en 3 actes de L’Olympiade de Métastase, dont le titre était L’Olympiade ou le Triomphe de l’amitié, sur une musique de Framery et Sacchini ;  Armide (p. 711-422), hommage à Gluck  à propos de son opéra, qui reprenait en 1777 le livret de Quinault.

Dans une « Préface nécessaire », Rétif insiste sur l’unité de son ouvrage. C’est un ami de l’auteur, Timothée Joly, qui s’exprime : « Le IIIe volume a commencé à me mettre au fait ; j’ai vu alors que tout ce que j’avais regardé comme un roman futile était les fondements adroitement jetés d’un livre de morale physique, d’une philosophie saine, de recherches profonde et des vues très étendues. La lecture de vingt pages de l’article des Mégapatagons a déchiré le voile : j’y ai vu la morale de la Nature, non pour nous être proposée à suivre à la lettre, mais pour nous donner cet avis sage : Voilà comme parle la Nature. Rapprochons-nous en, sans violer nos institutions sociales, ou plutôt faisons-en peu à peu la base de ces institutions ; réformons-les, et surtout remettons en vigueur les maximes sages données aux hommes depuis deux mille ans par le saint Législateur du christianisme, sur l’égalité, la fraternité, etc. » (p. 8-9).

Puis l’auteur poursuit en soulignant combien son héros est différent des autres colonisateurs : « Sa conduite est celle d’un ami de l’humanité. Il n’a pas cru qu’il fût obligé de soumettre aux lois de son pays des peuples qu’il a trouvé libres. Il a respecté en eux les droits sacrés (et les seuls peut-être) de la propriété du sol natal » (p. 11).

Éditions (XVIIIe siècle)

Il n’y a pas eu de seconde édition, mais deux états du texte pour les volumes III et IV, dont certains ont été cartonnés. Un exemplaire cartonné est conservé à la BnF, consultable sur Gallica, 2 vol. NUMM 101918 et 101919.

L’abbé Terrasson « me força de faire après l’impression, de grands changements, qu’on ne cartonne plus aujourd’hui » (MN, II, p. 352). Cet « aujourd’hui » désigne probablement l’année 1785. Ce  bienveillant censeur lui avait écrit le 3 octobre 1780 : « Quant à votre Découverte australe, il n’y a pas beaucoup  de corrections à faire dans les deux premiers volumes, mais dans les autres, il y en aura de très considérables ! Il ne me sera guère possible, par exemple, de vous passer la Lettre d’un singe ; il faudra la refondre en grande partie et cette refonte obligera à changer nombre de choses dans le 4e volume où, indépendamment de ce qui est une suite de cette lettre, vous avancez des principes trop hardis. Tout cela demande un travail considérable et m’engage à vous prier d’attendre mon retour à Paris, où je vous ferai part de mes observations. Les deux premiers volumes réussiront, mais les autres vous feraient des ennemis et des contradicteurs, et tout cela mérite attention » (Correspondance, éd. cit., p. 119 ; lettre imprimée à la fin du volume 19 des Contemporaines en 2e édition, sous le n° 48).

J.R.C. donne le détail des cartons (p. 280). Le plus notable est la suppression des 5 derniers morceaux : L’Iatromachie, La Raptomachie, La Loterie, L’Olympiade et Armide.

Éditions modernes

— 1972, extraits dans Anthologie du XVIIIe siècle romantique, Éd. J.J. Pauvert, préface de Jacques Bousquet.

— 1977, Éd. France-Adel, Bibliothèque des Utopies, préface de Jacques Lacarrière, 1 vol. de 260 pages. Cette édition, qui ne donne que des extraits, se montre d’une grande désinvolture envers le texte de Rétif et ne répond à aucune exigence scientifique. Elle n’en a pas moins été diffusée, la même année,  dans la collection « Le Grand Livre du mois ».

— 1979, Slatkine Reprints, coll. « Ressources », 2 vol., 436 et 437-624 p. (I), 1-422 p. (II), plus 10 pages non foliotées. Préface de Paul Vernière.

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 33 et 34. Cette édition  reproduit un exemplaire non cartonné.

— 1990, Lettre d’un singe aux animaux de son espèce, Éd. Manya ; édition préfacée et préparée par Monique Lebailly, 1 vol. de 159 pages. La Lettre est suivie de La Séance chez une amatrice, avec ses 6 diatribes.

— 2014, Lettre d’un singe aux êtres de son espèce, Éd. Mille et Une Nuits, « La Petite Collection », 1 vol. de 102 pages. Notes et postface de Renan Larue. Sans les 6 diatribes finales.

— en préparation, édition critique par Laurent Loty et Fleur Thaury. 

Traductions

— 1784, Der Fliegende Mensch, Dresden und Leipzig, in-8°. Frontispice gravé sur cuivre représentant l’envol de Victorin d’après la figure de l’édition originale.

— vers 1790, Avventure e viaggi d’un uomo volante, in-8° de 207 pages, avec 7 illustrations.

— 1818, Avventure e viagi di un uomo volante, 2 vol. in-8° de 200 et 188 pages, Milan.

— 1962, El Descubrimiento austral, Santiago de Chile, 1 vol. in-16 de 225 pages, traduction de Eugenio Pereira Salas.

— 1985, La Découverte australe, Sodo-sha Tokyo, 1 vol. de 386+LXXII pages. Traduction de Yuji Ueda, reprise en 1997 dans L’Utopie des Lumières, t. III, p. 429-695, Presses Universitaires d’Hosei.

— 1986, Der Fliegende Mensch, Ullstein Materialen Editeur, Fancfort/Berlin, post-face de Klaus Völker. Reprise de la traduction de 1784.

Voir à Anti-Justine

Voir à Ménage parisien.

1783. La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Nouvelle utile à plus d’un lecteur.

2 Parties en 1 vol. in-12 de 528 pages. Avec 4 figures : 1 frontispice et 1 estampe pour chaque Partie.

« Nouvelle », dit Rétif, ce qui peut surprendre pour un roman de plus de 500 pages dans le format in-12. Il est possible qu’il ait d’abord envisagé d’écrire une nouvelle dans le cadre de ses Contemporaines. Mais il garde ce terme, parce que son récit correspond à la définition qu’il donne de la nouvelle dans l’introduction des Contemporaines : « Je donne le nom de nouvelles à des histoires récents, certaines, ordinairement arrivées dans la décade [sic] présente. » La qualification de nouvelle suggère authenticité et actualité.

Le sujet est simple : il s’agit de la passion d’un homme de 45 ans pour une jeune fille de 18, aimante, vénale et volage, un « être de fuite » comme dira Proust à propos d’Albertine. Éblouissements des instants heureux et souffrances de la jalousie, mystère irréductible de l’être aimé, Rétif  met ici en jeu des ressorts romanesques fondamentaux, dans un style dépouillé d’ornements, d’emphase et des procédés conventionnels de l’époque. Ce roman est sans doute l’œuvre de Rétif la plus immédiatement séduisante, la plus proche de notre sensibilité moderne. Sara est une sœur de Manon Lescaut, et son histoire évoque aussi, à certains égards, celle de Swann et d’Odette de Crécy.

La rédaction a commencé de façon lapidaire, par des inscriptions sur l’île Saint-Louis, dès la fin de l’année 1780. Puis s’opéra le passage à l’écrit. Rétif a donné de nombreuses informations sur l’élaboration de ce roman. Il prétend l’avoir rédigé « à mesure que les faits arrivaient » (Mes Ouvrages, p. 983). Mais il indique par ailleurs : « Je ne voyais plus Sara depuis le 23 juillet 1782, époque à laquelle je commençai d’écrire notre histoire » (MN, II, p. 465) et  Mes Inscripcions donnent, à la date du 9 février, celle du 22 janvier pour le début de la rédaction : « J’avais commencé la Dernière Aventure au 22 janvier ; je la repris alors, résolu de terminer cet ouvrage et de l’imprimer le plus tôt possible pour être utile à mes semblables » (éd. cit., p. 94). Il y eut  donc, jusqu’en juillet 1782, chevauchement entre écriture et vécu.

L’impression a commencé dès le mois de septembre. En effet, une note dans le Journal marque, le 26 septembre 1786, le 4e anniversaire de l’impression de la feuille E du roman (soit les pages 81-106) ; il est pertinent de penser (en faisant un rapide calcul) que la première feuille a été imprimée au début de ce mois. L’impression s’achève en tout cas le 21 novembre, date qui en 1783, est ainsi notée : « Anniv. de la fin de l’impression de la Dernière Aventure ». Toutefois, un Épilogue est imprimé un peu plus tardivement, en décembre sans doute : la dernière feuille du récit, désignée par X, n’a que 17 pages (au lieu de 24) et l’Épilogue est sur une feuille Y de 4 pages et une feuille Z de 16 pages ; autant de signes d’une rupture avec l’impression des feuilles précédentes.

L’ouvrage paraît en janvier 1783, comme l’indique la Revue de La Vie de mon père, date confirmée par Mes Inscripcions : « 27 jan. Postrem.Adv. venund. (la Dernière Aventure mise en vente). C’est mon aventure avec Sara Debée ».

Mais Rétif sera amené à reprendre plusieurs fois cette histoire : quand il ajoute, en janvier 1784, à la fin de La Prévention nationale un « Supplément au quarante-cinquenaire », suivi d’une « Suite du quarante-cinquenaire » (vol. III, p. 435-455) ; puis quand il fait le relevé de ses inscriptions en septembre 1785, occasion de commenter et de développer ses notes sur la pierre ; enfin quand il revient sur  l’histoire ébauchée à la fin de la 8e Époque de Monsieur Nicolas (en 1785), dans la « Reprise de la huitième Époque », bien plus tardive puisqu’elle est postérieure à 1790 (voir infra la notice n° XLIX).

« Ce petit ouvrage a eu quelque succès à cause de sa vérité et de la chaleur de quelques situations » (Vie de mon père). Mais ce succès semble avoir été modeste. Rares sont les comptes rendus dans la presse de l’époque : les Affiches de Province du 9 avril (article que reproduit Rétif à la fin du volume 30 des Contemporaines), le Mercure de France du 17 mai 1783 ; dans La Gazette du 31 janvier et le Journal de Paris du 8 février, la parution du roman  est simplement mentionnée.

Il n’y eut aucune réédition avant le XIXe siècle, où il a enfin la faveur des éditeurs (voir ci-dessous), sans être toujours bien accueilli par la critique. En témoigne par exemple ces lignes dans L’Action française du 8 septembre 1926, dans un article intitulé  « À propos de Dominique. Les faux chefs-d’œuvre » : « Tel est le cas de Sara ou l’amour à 45 ans, déclaré par certains une petite merveille. C’est faux. Cet ouvrage est aussi ennuyeux, dans un autre genre, que Dominique lui-même et horriblement mal fichu. Seule La Vie de mon père, appréciée par cet excellent juge qu’est Bourget, offre un intérêt dans le fouillis extravagant de Restif, qui épatait Goethe mais ne nous épate plus. »

Éditions (XVIIIe siècle)

Rétif ne réédita jamais son roman, mais il en donna dans les années 1790  une version abrégée dans la « Reprise de la Huitième Époque » de Monsieur Nicolas, qui occupe fin du 11e volume et la totalité du 12e volume, dont la page de titre annonce : « Contenant l’Histoire de Sara » (dans l’édition de la Pléiade, voir II, p. 465-486 et 493-635).

Il a bouleversé la structure de son roman. Avant de raconter l’aventure proprement dite, il donne d’abord le dénouement et replace les faits de la nouvelle Les Deux Cinquantenaires en rétablissant les noms véritables des personnages. Il  reprend ensuite l’essentiel du récit sous le titre Histoire de Sara, en supprimant le Prologue et les pièces attribuées à Sara. Enfin, il pratique de nombreuses coupes dans le dernier tiers du roman, éliminant notamment tout l’Épilogue. En outre, il réécrit des phrases ou des passages, signes d’un besoin renouvelé de raconter cette histoire. Notons encore qu’il y intègre le mythe de la paternité, apparu dans la version du Drame de la vie ; Sara n’est plus « la fille à tout le monde » (MN, II, p. 579), mais la sienne, sans partage avec des rivaux, au prix d’un inceste sereinement assumé.

Certains critiques ont déclaré préférer cette version allégée. Il faut noter toutefois qu’elle ne l’a pas été pour des raisons littéraires, mais à cause de contraintes matérielles obligeant à ne pas excéder 300 pages pour le volume de la 12e Partie (pagination habituelle du format in-12). Ces délestages sont des amputations qui ôtent au roman sa complexité.  

Éditions modernes

Elles sont nombreuses, mais la plupart reprennent la version de Monsieur Nicolas, sans toujours le signaler, et reproduisent un texte souvent fautif.

1) éditions du roman de 1783

  1. a) éditions complètes :

—1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 35. Avec les figures, mais sans les 8 pages finales contenant le « Catalogue des livres se trouvant chez Regnault ».

— 2007, Éd. Honoré Champion, 1 vol. de 350 pages. Édition critique établie par Pierre Testud avec la collaboration de Pierre Bourguet. Introduction, notes, bibliographie et Index.

— 2012, Éd. Gallimard coll. « Folio classique », 1 vol. de 483 pages. Édition de Michel Delon, avec Préface, dossier comprenant une chronologie et une bibliographie. Reproduction en fac-similé des 8 pages du catalogue de Regnault, dont la dernière recense les œuvres de Rétif vendues par ce libraire. 

  1. b) éditions partielles :

— 1909, Éd. Louis Michaud, 1 vol. in-12 de 288 pages, avec 25 gravures  d’origine diverse, coll. « Les Mœurs légères au XVIIIe siècle ». Seule la 1re Partie du roman est reprise, dans son intégralité ; mais la seconde est prise dans la version de Monsieur Nicolas, avec un changement inattendu dans le nom des personnages. Introduction et notes d’Henri d’Alméras.

— 2002, dans Restif de la Bretonne, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, t. II, p. 619-783. Édition de Daniel Baruch, avec Notice et « Chronologie de La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans d’après Mes Inscripcions ». Il manque, entre autres, les deux nouvelles et la pastorale, soit 122 pages de l’édition originale sur 528.

2) éditions de la version de Monsieur Nicolas (avec des variations dans le titre)

— 1885, Sara ou l’Amour à quarante-cinq ans, Épisode de Monsieur Nicolas, Mémoires intimes de Restif de la Bretonne, Éd. Belin, 1 vol. in-8° de XIX-277 pages, édition établie par Isidore Liseux, avec un Avertissement d’Alcide Bonneau.

— 1890, L’Amour à quarante-cinq ans, Mémoires intimes de Restif de la Bretonne, Éd. Émile Dentu, coll. « Bibliothèque choisie des Chefs-d’œuvre français et étrangers », 1 vol. in-16 de XI-276 pages. Texte de l’édition précédente, avec des coupures jamais signalées.

— 1894, Sara ou l’Amour à quarante-cinq ans, Épisode de Monsieur Nicolas, Mémoires intimes de Restif de la Bretonne, Éd. Garnier Frères, 1 vol. in-12 de XIX-292 pages. Reprise de l’édition Liseux avec le texte d’Alcide Bonneau.

— 1907, La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Histoire de Sarah, Éd. Offenstadt, coll. « Les Chefs-d’œuvre du XVIIIe siècle », 1 vol. grand in-8° de 141 pages. Le texte de Rétif, ici associé à Thémidore, de Godard d’Aucourt, occupe 96 pages (pagination distincte).

— 1912, La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Éd. Maurice Glomeau, 1 vol. in-12 de 214 pages, avec 13 illustrations de James Malrey. Nombreuses fautes (mots oubliés, mots ajoutés, modernisation abusive du style), qui vont se perpétuer dans bien des éditions suivantes.

— 1929, Sara ou l’Amour à quarante-cinq ans, Éd. Alphonse Lemerre, coll. « Bibliothèque Universelle Lemerre », 1 vol. in-16 de 245 pages.

— 1947, Histoire de Sara. Reprise de la huitième Époque de Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé, Mémoires intimes de Restif de la Bretonne, Éd. Portes de France, Porrentruy, Suisse, 1 vol. in-8° de 373 pages, d’une typographie soignée. Introduction et notes de Pierre Olivier Walzer, qui permettent de situer le texte de Monsieur Nicolas par rapport à celui du roman, avec des renvois à Mes Inscripcions ; mais le texte est établi sur l’édition Glomeau, dont cinq fautes seulement sont corrigées.

— 1949, Sara ou La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Éd. Stock, coll. « À la Promenade », 1 vol. in-8° de VII-XLIV-203 pages. Préface de Maurice Blanchot, qui donne tout son prix à cette édition, dont le texte est malheureusement fondé sur celui de l’édition Glomeau — Réédition en 1984.

— 1949, Sara ou La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Éd. Delamain et Boutellereau. Reprise de la précédente.

—1957, La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Éd. du Discobole, Monte-Carlo,, 1 vol. de 262 pages.

— 1963, Sara ou La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Nouvel Office d’Édition, coll. « Poche-Club », 1 vol. in-12 de 186 pages. Courte présentation de Marcel Béalu. Texte de l’édition Glomeau.

— s.d., L’Amour à quarante-cinq ans, préface anonyme et 4 illustrations. Le texte reprend celui de l’édition Glomeau avec des coupures non signalées.

— 1970, Sara ou La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, Éd. C.I.D. Épinay-sur-Seine, 1 vol. de 199 pages. Reprise de l’édition Glomeau.

— 1986, Sara. Le Cycle de Sara, Éd. UGE, coll. « 10/18 », 2 vol. in-12 de 284 et 312 pages. Texte présenté, établi et annoté par Daniel Baruch. Il s’agit d’une anthologie des principaux textes relatifs à Sara, pris dans les Contemporaines, les Nuits de Paris et Mes Inscripcions ; l’édition privilégie le texte de Monsieur Nicolas, mais donne de nombreux passages de la Dernière Aventure, dont les nouvelles incluses.

 

Traductions

La Dernière aventure ne semble jamais avoir été traduite dans sa version originale de 1783, mais seulement d’après le texte de Monsieur Nicolas, le plus souvent réduit à l’Histoire de Sara (sans la présentation de Butel-Dumont à Sara au début de la « Reprise de la Huitième Époque »). Il n’y a pas trace de traduction du vivant de Rétif. On trouve seulement des traductions assez tardives, datant pour la plupart du début du XXe siècle, en allemand, en anglais, en espagnol et en hollandais, et plus récemment en japonais, italien, tchèque et polonais.

1.Traductions allemandes :

1891, Die Liebe mit Fünfundvierzig Jahren. Intime Memoiren von Restif de la Bretonne. Ubersetz von L. Leiferde. Berlin und Leipzig. Alfred H. Fried et Cie, sans date. Un vol. de 126 pages.

1905, Monsieur Nicolas, Sienne, Berlin, tome VI, 342 p. trad. de Julius Eichenberg.

1929, Mannes Jahre, Verlag Niedersachsen Forsterling und Co K.-G., Hannover, XV-283 p.; introduction par le Dr Herbert Lewandowski, traduit par Konrad Merlin.

1961-1962, Monsieur Nicolas, Abenteuer im Lande des Liebe, Gala, Hambourg, , trad. de Herbert Lewandowski.

 

  1. Traductions anglaises :

— 1927, Sara, by Restif de la Bretonne, translated by R.C.M. [Matters, Rosamund Crowdy], John Rodker, London. Un vol. in-8° de XIV+269 p. tiré à 1.000 ex. (1re traduction en anglais).

— 1966, Monsieur Nicolas, Barrie and Rockliff, Londres, trad. de R. Baldick.

  1. Traductions espagnoles :

— 1859, Sara o la última aventura de un hombre de cuaranta y cinco años, Alonso, 2 vol.

2001, Sara o la última aventura de un hombre de cuaranta y cinco años. Restif de la Bretonne, Barcelona, Octaedro. Prefacio de Maurice Banchot, traducción de Francisco Madrid, 1 vol. de 253 pages.

  1. Traduction hollandaise :

— 1926, De Liefdesaventuren van Mr Nicolas, trad. de Henri Bosch ; illustr. de Pol Dom.’s-Gravenhage, J. Ph. Kruseman.

  1. Traductions italiennes :

— 1962, Sara, o L’ultima avventura di un uomo di quarantacinque anni. Retif de la Bretonne ; trad. Renato Sirabella, prefazione di Maurice Blanchot ; Lerici, 1 vol. de 262 pages.

1978, Sara, o L’ultima avventura di un uomo di qurantacinque anni. Restif de la Bretonne ; traduction et présentation de Renato  Sirabella, éd. A. Curcio, Roma (« I classici della narrarrativa »), 1 vol. de 187 pages.

1988, Sara, Restif de la Bretonne ; prefazione di Maurice Blanchot, trad. di Luciano Poggi, Lucarini, Roma (Le Pagine), 1 vol. de 204 pages.

  1. Traduction japonaise :

1970, Sara, traduction de Yuji Ueda, Futami-Shobo éd., Tokyo, Texte de l’édition Stock, 1961. 1 vol. de 286-XIX pages.

  1. Traduction polonaise :

— 1989, Ostatnia przygoda czterdziestopięcioletniego męžczyzny Mlodziezowa Agencja Wydawnicza, Varsovie,. Présentation et traduction par Ryszard Engelking. 1 vol de 381 pages (texte de La Dernière Aventure, sans les morceaux inclus, mais avec les passages de Mes Inscripcions relatifs à Sara et la nouvelle des Contemporaines, « La Fille de mon hôtesse »).

  1. Traduction tchèque :

— 1993, Sara, Nakladatemstvi Svoboda-Libertas, Prague, Trad. de R. Novotná (texte de Monsieur Nicolas, sans note ni préface).

Livre cassette

1987. Sara, de Restif de la Bretonne, 4 cassettes audio. Paris, Livraphone, (« Texte intégral »). Texte lu par Nicolas Bilder, Ophélie Grevet-Soutra et Cécile Brune, Philippe Hérisson, Alain Jopnel, François Berland, Philippe Perussel, Juliette Boussand et Marc de Bussière. 

Édition électronique (Internet-Frantext)

1961, Histoire de Sara [Document électronique] / Restif de la Bretonne, Base de données textuelles Frantext, M553, réalisée par l’Institut National de la Langue Française (InaLF), CNRS, Nancy, 138 p. ( 380 Ko). Publication par la BNF: 1997. (Reproduction de l’édition Liseux, 1883). Disponible sur Internet, sur le site de la Société Rétif de la Bretonne :  http ://www.retifdelabretonne.net/ .

Adaptation télévisée

 1975, Sara, film en couleur (16mm, 1h 45min) de Marcel Bluwal, réalisation, adaptation et dialogues de Marcel Bluwal d’après l’œuvre de Nicolas Restif de la Bretonne ; production INA ; interprétation : François Périer, Danièle Lebrun, Lucia Garcia Villa, Roland Bertin, Pierre Vernier, Jacques Sereys. Diffusé sur A2 le 21 mai 1975.

Adaptation théâtrale

— par Rétif : Sara ou la Fausse Tendresse, imprimée dans Le Drame de la vie (vol. IV, p. 794-868) et dans le t. III du Théâtre, p. 794-868, en 1793.

— 1987, Le Hibou, pièce écrite et mise en scène par Christian Peythieu, composée à partir de textes de Rétif, dont l’Histoire de Sara, et jouée par la Compagnie de l’Opossum, créé à Auxerre le 19 novembre 1987, puis à Paris en janvier 1988 (Studio Berthelot à Montreuil).

1793. Le Drame de la vie, contenant un homme tout entier.

Pièce en 13 actes des Ombres et en 10 pièces régulières. Imprimé à Paris, à la maison. 5 Parties en 5 volumes in-12 ; pagination continue de 1 à 1252 (dans le 5e volume), puis, avec les « Pièces justificatives », une pagination qui diffère selon les exemplaires : 1205-1284, ou 1205-1288 et 1305-1344.

La page de titre du 1er volume est surmontée, au-dessus du cadre, de cette inscription : « Lecteur ! Lisez le plus intéressant des ouvrages sans craindre le scandale ! » Elle ne figure pas dans tous les exemplaires ; il en est de même pour le grand portrait de Rétif en format in-4°.  

 « Voici, Lecteur, l’ouvrage le plus extraordinaire qui ait encore paru ! Il est unique dans son genre. Publier la vie d’un homme, la mettre en drame, avec une vérité qui le fait agir au lieu de parler, c’est une entreprise hardie qui n’a pas encore été tentée… »

Dans Mes Ouvrages, Rétif présente ainsi son Drame de la vie : « Cet ouvrage est le Monsieur Nicolas mis en drames successifs, ou en scènes détachées, le tout destiné à être joué par des ombres chinoises […] [Il] est fréquemment cité dans cet ouvrage-ci parce qu’il en est le complément. D’ailleurs il entre dans certains détails que mon histoire a négligés, précisément parce qu’ils étaient ici » (MN, II, p. 998-999).

J.R.C. se trompe en disant que « l’ouvrage fut commencé le 25 mai 1785 » ; à cette date le mot drame renvoie à La Fille naturelle et non au Drame de la vie. Sa première trace dans le Journal est au 10 décembre 1789 : « Cé  mad. Parangon ». Il s’agit de la pièce Madame Parangon ou le Pouvoir de la vertu, la première des « pièces régulières ». Rétif y travaille jusqu’au 25 décembre, la reprend en janvier 1790 et la termine le 13 de ce mois. Elle est la seule en 5 actes.

 Le 23 décembre 1789, Rétif a dressé la liste des femmes qui seront le sujet d’une « pièce régulière » : Zéphire ou l’Amante filiale, L’Amour muet ou le Prétendu prévoyant, Rose et Eugénie ou le Gendre à l’épreuve, Élise ou l’Amante du mérite, Louise et Thérèse ou l’Amour et l’Amitié., Virginie ou la Coquette, Sara ou le Dernier Amour (titre changé en Sara ou la Fausse Tendresse), Jeannette Rousseau ou le Premier Amour.

L’Amour muet et Jeannette Rousseau seront finalement mis dans les Actes des Ombres, mais Rétif complètera sa liste par Agnès et Adélaïde ou le Dangereux Échange, Félicité ou le Dernier Amour et Filette reconnue. Au total : 10 « pièces régulières ».

Contrairement à ce qui a pu être dit, quand Rétif écrit Madame Parangon, il a déjà conçu la structure de son Drame de la vie, car le 1er « Acte des Ombres » est rédigé dès janvier-février 1790 ; or ce recours à des ombres chinoises pour représenter en de brèves scènes l’enfance et la jeunesse du héros est l’idée fondatrice du Drame de la vie. Le titre lui-même n’apparaît que le 29 août 1790 (« jeté un coup d’œil sur mon drame de la vie »), mais cette mention montre bien qu’il est trouvé depuis longtemps.

Le Journal fournit les dates de rédaction des pièces. Après Mme Parangon, nous avons : Zéphire (4 actes) du 27 décembre 1789 au 17 janvier 1790 ; Agnès et Adélaïde, du 5 au 10 février 1790 ; Rose et Eugénie, du 11 au 13 février 1790 ; Élise, du 16 au 25 février ;  Félicité, du 23 au 25 février 1790, puis du 21 au 23 avril 1791 et le 23 mai ; Louise et Thérèse, du 25 février au 10 mars, « relu et à refaire » les 2 et 4 décembre 1791 ;  Virginie, du 5 au 20 mars 1790 ; Sara : du 22 au 31 mars 1790, puis du 14 au 25 octobre et du 1er au 3 novembre, enfin du 1er au 4 février 1791 ; Filette, 28 novembre1790, puis 23 mai 1791 et du 23 au 29 juin 1791. C’est l’ordre dans lequel ces pièces sont  imprimées dans les volumes (exception faite pour Félicité).

Bien que la page de titre affiche : « Imprimé à Paris, à la maison », Rétif a eu recours à la presse de Meymac ; il note le 16 février 1792 : « donné 1800 livres à Meymac pour mon Drame de la vie ». L’impression commence le 29 et s’achève le 16 octobre 1792 ; Filette est la dernière pièce imprimée, après le 10 août 1792 (date indiquée dans le texte). Le 22 novembre, Rétif ajoute deux lignes en bas de page pour saluer les victoires françaises à Mayence, Francfort et Coblentz. Il note le 28 novembre : « 1er brochage ».

Mais l’ouvrage n’est pas distribué aux libraires : « n’ose mettre en vente Dr Vie », écrit-il le 9 juillet. Cette réticence est sans nul doute suscitée par la publication dans le volume V des lettres de La Reynière, où celui-ci  manifeste  de fortes convictions contre-révolutionnaires. « Je n’ai pas publié ces lettres tant qu’il y a eu du danger pour lui ; mais aujourd’hui qu’elles ne peuvent  que lui faire honneur auprès de nos chouans, je laisse paraître Le Drame de la vie, imprimé depuis quatre ans » (Mes Ouvrages, p. 999). En 1793, le régime de la Terreur est en train de s’installer. Les cartons mentionnés les 5, 7, 8 et 11 novembre 1793 sont probablement destinés à rendre publiable Le Drame de la vie et on peut penser que les exemplaires où manquent les 60 dernières pages sont le fruit de cette précaution.

Il est peu question des « Actes des Ombres » dans le Journal. Leur élaboration a dû suivre l’avancement du travail sur les pièces. Ces Actes sont constitués de 355 scènes, auxquelles s’ajoutent 17 scènes d’un « Acte des cartes ». Au total, ils occupent 706 pages, soit à peu près autant que les « pièces régulières » qui en totalisent 727. Les procédés scéniques de ces Actes sont dus à l’ordonnateur du spectacle, l’italien Castanio (ou Catanio, alias Castagna), marionnettiste,  promoteur au Palais-Royal, au n°54 de la Galerie de Montpensier, du « Spectacle des vrais Fantoccini italiens », mais aussi montreur d’ombres chinoises, avec sa « bougie phosphorique ». Dans Le Drame de la vie, il a un rôle de technicien (il se dit à la fin « machiniste-mathématicien », vol.V, p. 1252), mais aussi d’annonceur et de commentateur (voir par exemple I, 90).

 Dans les « Actes des Ombres », il s’agit d’ombres chinoises, projetées à partir de marionnettes parlantes, en carton ou en cuir, permettant un enchaînement rapide de scènes diverses (« le lieu de la scène change à chaque scène à raison de la facilité des ombres chinoises », vol. IV, p. 982). « Il était impossible de rendre autrement  des faits dont les personnages n’ont fait que passer et qui sont arrivés en plusieurs années » (Avis de l’éditeur », I, p. 4).

 Dans les « Actes des cartes », il s’agit de marionnettes logées dans des cartes à jouer que tire dame Sellier : « Nous allons aujourd’hui réaliser les scènes qu’elles lui donnèrent. Castanio prend les cartes, se met en vue des spectateurs et appelle les personnages suivants […]. Tous arrivent. Logez-vous dans ces cartes, pour venir dès que je vous appellerai. — 1re scène : Castanio appelle Roberto, mad. Ulebège, Agnès : En scène !  Ces trois personnages m’arrivent, et vous allez leur entendre dire tout ce que je tirerai. Mais avec un tel art que vous jureriez que ces marionnettes sont des personnes naturelles et que ce sont elles qui parlent, non les variloques cachés dans les coulisses » (vol. I, p. 446-447).

« Actes des Ombres » et « Actes des cartes », fondés sur des jeux illusionnistes, assurent la liaison entre les « pièces régulières », comblent la représentation des lieux et des temps de toute une vie. « Peut-être objectera-t-on que ce long drame ne sera pas représentable. Il est plus dramatique que toutes vos pièces mensongères, puisque c’est la vérité. Les divisions en son naturelles ; on y suit le train de la vie. Peignez la vie, acteurs, en la divisant par journées égales. Vous aurez ainsi une longue 1re représentation qui vous vaudra un succès » (« Avis de l’éditeur », vol. I, p. 4-5).

Le Drame de la vie est conçu comme une transposition de soirées chez La Reynière : « La scène réelle est à Paris, dans la maison de M. Aquilin de l’Élysée, qui fait exécuter le Drame sur son théâtre d’ombres chinoises par M. Castanio » (Avis de l’éditeur », I, p. 4). Castanio était un familier de La Reynière ; dans une lettre du 18 septembre 1790, celui-ci écrit à Rétif : « Je vous prie de saluer pour moi mon cher M. Castanio. » Rétif avait donc eu l’occasion d’admirer le talent de Castanio chez son ami ; car  l’italien , outre ses spectacles au Palais-royal, donnait des représentations chez de riches particuliers. L’une d’elles, en mars 1786, est évoquée dans la 351e Nuit de Paris : « À cinq heures, l’on eut des expériences de physique par le sieur Castanio. Elles durèrent jusqu’à sept. Tout ce que l’électricité peut offrir de phénomènes étonnants nous passa sous les yeux. On éprouva toutes les espèces de phosphores. Il y eut ensuite une imitation des ombres chinoises jusqu’à huit heures […] » (éd. cit., t. IV, p. 1672).

Éditions modernes

— 1988, Slatkine Reprints, 3 volumes, sous les nos 36 (Parties 1 et 2), 37 (Parties 3 et 4) et 38 (5e Partie). Il manque l’inscription en haut de la page de titre : « Lecteur ! Lisez le plus intéressant des ouvrages sans craindre le scandale ! » ; le portrait est réduit au format in-12. Mais l’exemplaire reproduit est complet des 60 dernières pages, amenant la pagination de la 5e Partie jusqu’à 1344.

— 1991, Éd. Imprimerie Nationale, coll. « Le Spectateur français », 1 volume in-4° sous emboîtage de 515 pages,  24 cm, avec une remarquable préface de Jean Goldzink (p. 7-27).

1776. L’École des pères.

3 Parties en 3 volumes in-8°, de 480, 192 et 370 pages. Tirage à 1500 exemplaires.

 « Parut en mai 1776 » (Paysanne, vol. IV, p. clxxix). La pagination des volumes montre que les négociations avec Desmarolles avaient abouti à alléger Le Nouvel-Émile de plus de 400 pages. Toutefois, Rétif préserva une partie du tirage : les  « Entretiens du curé de Sacy […] se trouvent dans cent exemplaires  seulement de L’École des pères » (MN, II, p. 203). Ce sont peut-être ceux qui sont chez le fils Duchesne en 1797 (voir ci-dessus la notice n° XV). Mais en 1778, dans sa lettre au libraire allemand Engelbrecht (voir ci-après), il dit ne posséder qu’un seul exemplaire.

Cette correspondance entre Rétif et Engelbrecht donne une idée des problèmes qu’a rencontrés le texte de L’École des pères :

 « J’ai lu avec bien du plaisir votre livre excellent de L’École des pères, en trois tomes, et je me suis résolu de le traduire en allemand pour faciliter l’usage que mes concitoyens peuvent en tirer. Mais, Monsieur, j’ai observé qu’il y en a beaucoup de feuilles retranchées ou supprimées, et que vous y avez fait quelques changements. Vous promettez, tome premier, page 79, feuille tranchée, six Entretiens, qui sans doute se sont trouvés tome 2 après p. 192 ; mais vous les avez supprimés. Vous prenez, p. 189-192 toute une autre tournure que votre premier plan a été, pour finir ce tome avec la page 192. Après, je remarque que le tome 3, p. 336 et suivantes, prend lui-même une autre tournure que celle qu’on avait lieu d’attendre selon votre plan. Aussi, je trouve que le tome 3, dans le commencement, a eu 476 pages et finit avec le neuvième Entretien sur la religion, et avec ces paroles :  » La doctrine des trois Entretiens sur les lois, sur le gouvernement, sur les Arts et Métiers et toutes les sciences, sera plus certaine et par conséquent plus agréable.  » Vous promettez aussi, Monsieur, dans l’introduction, un quatrième tome. Mais à présent le troisième ne comprend que 372 pages et finit tout l’ouvrage. Pardonnez-moi, Monsieur, si je vous parle ouvertement : j’en tire la conclusion que vous avez fait imprimer les trois tomes selon votre plan original, mais que la censure, trop sévère en France, vous a obligé de corriger et de supprimer les feuilles mentionnées. Mais, Monsieur, la liberté de la presse étant plus étendue dans ma patrie, je souhaiterais d’être en état de pouvoir rendre à mes concitoyens entièrement vos pensées et  votre opinion, et tout l’esprit de votre ouvrage. C’est pourquoi je vous prie, Monsieur, de me faire la grâce de me remettre les pages supprimées, savoir : tome 2, p. 192 et suivantes ; tome 3, p, 337 à 476, qui contiennent les Entretiens du curé, soit imprimées, ou manuscrites, et de me faire savoir si le quatrième tome est édité, ou si vous l’avez déjà fait sans le publier. En ce cas, Monsieur, vous me ferez un sensible plaisir si vous me le voulez confier ; je traduirai l’ouvrage entièrement, et je prends la liberté de vous offrir une gratification, qu’il vous plaira de nommer, car je ne demande pas que vous vous donniez de la peine gratuitement » (lettre du 3 juillet 1778, Correspondance, éd. cit., p. 84-86).

Ce que dit Engelbrecht à propos du tome III du Nouvel-Émile semble contradictoire. La citation qu’il donne de la page 476 est exacte et figure bien à cette place. Mais d’autre part, il a en mains la version censurée de ce tome, puisqu’il constate qu’il n’a que 372 pages et demande à Rétif les pages 337-476, qui contiennent le 8° Entretien sur l’Homme social (p. 332-379) (dans L’École des pères il s’interrompt p. 338 sur ces lignes: « Cet Entretien était beaucoup plus long, mais nous en supprimons une partie, ainsi que les deux suivants en entier »), et le 9°, sur la Religion, p. 387-476. Il semble bien que ce soit ce 9° Entretien qui ait suscité les foudres de la censure (cf. : « Ils n’ont, je crois, rien entendu aux premiers Entretiens et le neuvième les a effarouchés sans qu’ils aient pu m’en rendre raison », dit Rétif dans sa lettre du 22 juillet).

Il faut sans doute comprendre qu’Engelbrecht a pu consulter le tome III du Nouvel-Émile, mais sans en disposer durablement pour sa traduction.

Dans sa réponse, le 22 juillet, Rétif ne relève pas la contradiction : « Mon très cher Monsieur, vous n’avez qu’un squelette informe : cet ouvrage a eu tous les malheurs à la fois, de la part du libraire Costard, qui fit faillite dans le cours de l’impression, et de la part d’une autre personne, mon ennemi secret et puissant [le censeur de Sancy]. J’avais résolu de le refaire, et alors j’ose croire que ç’aurait été un bon ouvrage ; mais les frais considérables, les représentations de quelques amis, me déterminèrent à le mettre au jour sans l’achever. Il fut suspendu à la police ; mon ennemi le fit censurer une seconde fois, contre les règles, et on y fit les retranchements dont vous vous êtes aperçu, et d’autres encore, qui sont immenses, puisque chaque volume avait 480 pages. Je possède un seul exemplaire avec le titre primitif et tout ce qu’on a retranché […] Les trois derniers Entretiens du curé, qui devaient former le tome 4, ne sont pas encore faits ; je n’en ai que le plan. » Puis Rétif propose de prêter son « exemplaire unique », offre que s’empresse d’accepter Engelbrecht : « Soyez persuadé que je n’abuserai pas de votre confiance et que je vous le renverrai incontinent après en avoir fait usage » (Correspondance, éd. cit., p. 86-87). Rétif a-t-il envoyé son exemplaire ? On peut en douter. Le 17 octobre, Engelbrecht écrit qu’il n’a encore rien reçu.

Rétif évoque longuement ses démêlés avec la censure (voir supra la notice n° XV et la citation de MN, II, p. 260-261). Il en parle aussi dans Mes Ouvrages : « Lorsque j’eus arrangé  […] je me disposai à mettre en vente. J’écrivis la lettre d’avis ; elle resta trois jours sur ma table, sans que je la signasse ; je la signai enfin le 13 février [1776]. Dès le 16, je reçus un mandat [convocation] de Desmarolles. Il est impossible d’exprimer avec quelle impudence me parla cet insolent commis ! […] Son dernier mot fut qu’il m’était défendu de mettre en vente L’École des pères avant qu’elle eût un nouveau censeur. […] Depuis ce moment, jusqu’au 6 mai, je fis soixante-dix  voyages au bureau de Desmarolles pour ravoir mon livre […] Enfin, ayant fait, par le conseil du libraire Humblot, quelques présents à Desmarolles, j’eus mon École des pères paraphée et cartonnée sans pudeur par de Sancy, espèce de lâche qui servait les passions d’autrui » (p. 961-962).

Dans la « Revue des ouvrages de l’auteur », à la fin du Quadragénaire, Rétif présente ainsi L’École des pères : « Cet ouvrage est bien supérieur à L’École de la jeunesse, publiée cinq années auparavant. Il serait à souhaiter qu’il fût entre les mains de tous les pères et mères, qu’il ne pourrait qu’éclairer sur la manière d’élever leurs enfants pour en faire de bons citoyens. Le but que l’auteur s’est proposé dans ce livre est de faire sentir à tous les instituteurs combien il serait utile de faire passer  les enfants des riches par  les différents états au-dessous de celui qu’ils doivent tenir dans le monde. »

Malgré son insatisfaction exprimée dans Mes Ouvrages (« C’est comme un Supplément à l’Émile que j’y faisais, au lieu qu’il aurait fallu y donner une nouvelle manière […] En un mot, c’était un Émile pratique qu’il fallait faire »), Rétif avait quelques années plus tôt prêté ces propos à Rousseau :        « Ceci est vraiment un Nouvel-Émile ; c’est un Émile dramatique, puisque cet auteur, que je ne connais pas, met en action ce que j’ai mis en préceptes. Ce qui m’étonne, ce sont ces Entretiens, qui seront au nombre de douze, dans lesquels l’auteur fait parler un curé d’une manière bien plus philosophique que mon Vicaire savoyard ! Le curé du Nouvel-Émile est un physicien, un métaphysicien profond ; il est nourri de lectures ; il scrute les profondeurs de la Nature ; il en connaît tous les détails. S’il parle ensuite du Système animal, c’est en naturaliste éclairé, guidé plus encore par l’expérience que par la lecture. S’il explique la mythologie, c’est en faisant admirer la sagesse de la primitive religion des hommes » (MN, éd. orig., vol. XIV, Ma Morale, p. 3971-3972).

Éditions (XVIIIe siècle)

 Elles portent toutes le millésime 1776.

— l’édition décrite par J.R.C. sous le n° 1, qui se caractérise par un volume III de 372 pages.

— une édition dont le volume III a 370 pages au lieu de 372. Il est difficile de la dater ; un Nota p. 170, évoque un « ouvrage à peine commencé intitulé L’Anthropographe ». Nous savons que L’Anthropographe fut « commencé en 1776 et repris en 1780 », pour être « achevé en 1781 » (Paysanne, vol. IV, p. ccxxxiv). J.R.C. situe cette édition « entre 1776 et 1780 » (p. 243). Il semble probable qu’elle fut faite dès 1776, peu de temps après le mois de mai. La différence de pagination vient peut-être de la suppression, dans le volume III, des pages 363-366, où se trouvaient des considérations sur les régimes politiques prises dans le 11e Entretien supprimé.

— une édition de même pagination, mais dans le format in-12, mentionnée par J.R.C. sous le n° 3 (p. 243). Il la suppose postérieure à 1783 parce qu’elle figure dans une liste à la fin de La Dernière Aventure d’un homme de 45 ans (1783), mais elle y est dans le format in-8.

Éditions partielles :

Dorlisse ou l’Amour paternel (extrait du volume I, p. 155-261, où le titre est simplement L’Amour paternel) ; Éducation des filles : le sage instituteur (vol. II, p. 94-180, sous le titre : Le Sage instituteur) ; Histoire du marquis de T***, ou les Écueils de l’éducation (vol. III, p. 3-173), qui est la reprise d’un épisode du Marquis de Tavan*.  Ces trois morceaux forment 1 volume in-12, daté de 1776. Ce volume est passé en vente à l’Hôtel Drouot en avril 2000 (voir Études rétiviennes n° 32, p. 237). Il est ignoré de J.R.C.

Dorlisse ou L’Amour paternel, seul extrait, avec la pagination 155-261 du volume I de L’École des pères. Édition signalée dans le Catalogue de la Bibliothèque de M. Bordes de Fortage.

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 2 volumes sous les nos 39-40. Reproduit la 1re édition, avec un volume III de 372 pages. C’est l’exemplaire décrit par J.R.C. sous le n° 1, p. 240.

1792. Edmond, ou les Tombeaux.

« La scène est à Sacy ». Tragédie en 5 actes écrite du 2 juillet au 13 novembre 1791 et imprimée du 18 juin au 9 août 1792 dans le volume V du Théâtre (p. 177-221). Elle n’est pas imprimée ailleurs.

« C’est une pièce à la Shakespeare, et encore moins régulière que celles de cet auteur anglais. La catastrophe du Paysan perverti en fait le sujet. Il y a par conséquent des choses touchantes. Mais tout cela est inconditum [sans recherche, sans art] » (Mes Ouvrages, p. 998).

Elle est « à la Shakespeare » parce que l’unité de lieu n’est pas respectée et que la mise en scène manifeste une grande liberté (on y voit par exemple un chien surgir sur la scène en aboyant furieusement et se jetant sur Edmond).

L’Enclos et les Oiseaux.

Le manuscrit est entièrement perdu et l’œuvre n’est connue que par deux résumés (reproduits ci-dessous). Elle est annoncée « en VI ou peut-être VIII volumes » (Posthumes, IV, p. 126, et dans une lettre à Belair), en VI Parties dans Mes Ouvrages.

Dans sa lettre à Belair, Rétif indique que « cette production [fut] composée à la convalescence de [sa] grande maladie, à la suite des Lettres du Tombeau et avant les 1001 Développements ». Cette « grande maladie » est celle de 1795 (voir Monsieur Nicolas, II, p. 441-442), au cours de laquelle Rétif se vit perdu. Les Lettres du Tombeau, ou Les Posthumes ont été sans doute achevées peu après le mois de juin 1796 ; Les 1001 Développements, ou Les Mille et une Métamorphoses, sont un « ouvrage qui n’est que commencé » en 1797 (Mes Ouvrages, p. 1003) et achevé en avril 1798 (lettre aux époux Fontaine du 25 avril). Ces repères sont trop vagues, voire trompeurs, pour situer la rédaction de L’Enclos.

Il faut s’en tenir aux indications du Journal. Dans une note du 20 janvier 1796, nous lisons : « commencé L’Enclos decadi », soit la veille,  19. Janvier. Le 11 avril, Rétif en est à la page 45 ; la rédaction avance rapidement puisque la 230e page est mentionnée le 27, la 395e le 17 mai ; elle est achevée le 27 (note du 9 Prairial, 28 mai : « hier fini Enclos & oiseaux »). Ce fut donc l’affaire de quatre mois. Le 2 juin : « fais mon analyse de L’Enclos » ; il s’agit sans doute de la notice placée dans Mes Ouvrages. Le 4 : « le soir Arthaud [mot illisible] mon Enclos 1er mss [manuscrit] » ; le 7 : « été chez Bonneville, parlé de L’Enclos ».

Pour des raisons obscures, le manuscrit resta en attente d’impression, sans doute parce que la priorité fut donnée alors à l’achèvement de l’impression de Monsieur Nicolas. Le rapport de police établi lors de la saisie des Posthumes, en juillet 1802, note qu’est trouvée au domicile de Rétif « une presse d’imprimerie avec différentes feuilles de caractère pour l’ouvrage intitulé L’Enclos et les oiseaux » (voir Philippe Havard de la Montagne, « La saisie des Posthumes et de L’Enclos et les Oiseaux », Études rétiviennes n° 2, p. 19-26). Six années s’étaient écoulées depuis la fin du manuscrit et l’impression n’en était qu’à ses débuts en 1802, semble-t-il.

Associé à ce manuscrit en existait un autre, distinct, rassemblant les 60 nouvelles qui devaient jalonner le récit principal, les Contemporaines replacées (voir infra le résumé de 1797). Ce sont, de l’aveu même de Rétif, des « épisodes faciles à détacher » qu’il comptait placer « dans un ouvrage non imprimé encore intitulé L’Enclos et les Oiseaux » (Mes Ouvrages, p. 990). Il en est question dans Les Posthumes, dans une addition faite au moment de l’impression (comme en témoigne le corps de caractère employé), en rapport avec l’histoire de Multipliandre : « Les soirs, chacune des 12 épouses racontait une histoire telle que celle-ci » (Posthumes, IV, p. 126). Rétif met ici en note : « Ces histoires que racontait, ou faisait raconter Multipliandre, ont été retranchées : elles auraient trop enflé le volume. Ce sont d’ailleurs des épisodes qui eussent suspendu la marche de l’ouvrage. Nous espérons les placer mieux et plus à propos dans L’Enclos et les Oiseaux […] ».  Dans cet ouvrage, les épouses narratrices sont au nombre de 60, mais le cadre narratif est le même.

Ces nouvelles étaient en attente d’impression elles aussi. C’est dans ce stock que Rétif puisa ses Nouvelles Contemporaines (1802), et que Cubières trouva celles de l’Histoire des Compagnes de Maria (1811). Mais on n’a jamais remarqué que dans Les Posthumes, l’Histoire de l’origine de la mère d’Yfflasie (vol. II, in fine, pages 133-138bis, après la page 360, et fin du volume IV, p. 304-314) est une Contemporaine replacée. C’est l’histoire d’une mère ; or il est précisé dans le résumé de 1797 que chaque épouse de l’Immortel « raconte [l’histoire] de sa mère ». Rétif se contente de dire que celle de la mère d’Yfflasie « n’est pas une de celles annoncées comme Revies » (ibid., p. 314). En effet, elle est prise dans les nouvelles destinées à L’Enclos.

Si cette partie de L’Enclos a survécu dans ces pages des Posthumes, dans Les Nouvelles Contemporaines et l’Histoire des Compagnes de Maria, les feuilles imprimées saisies en 1802 ne furent évidemment jamais rendues. Quant au manuscrit, il a disparu sans qu’un fragment nous soit parvenu. Les deux résumés laissés par Rétif  sont nos seules sources d’information.

Le premier se trouve dans Mes Ouvrages, en 1797 :

« Cet ouvrage […] est encore en manuscrit et d’un genre absolument neuf, non seulement par rapport à mes autres productions, mais relativement à celles de tous les autres auteurs. Un duc et pair de la famille Mazarin a trouvé dans les papiers de son ancien collatéral le Cardinal-ministre, le secret de s’immortaliser. Mais au moment où il fit cette découverte, il se trouva, comme s’y était trouvé le Cardinal lui-même, dans le cas de ne pouvoir en profiter. C’est que, pour rendre un jeune homme immortel, il faut le prendre au moment précis où il est achevé par la nature et où il cesse de croître. Il n’y a que cet instant dans la vie pour avaler avec efficacité le premier verre de spermaton et commencer le régime d’immortalité. Mais le duc, qui au moment où il avait lu les papiers, était au-delà de l’époque favorable, montra combien il était sage ! Il choisit une jolie fille de village, honnête, forte et bien constituée. Il lui fait un enfant, qui heureusement se trouve un garçon. Le duc donne à ce fils, qu’il fait nourrir à la campagne par sa mère et téter dix-huit mois, une éducation saine et fortifiante ; il guette avec une scrupuleuse attention l’instant d’achèvement de croissance et le saisit entre quatorze et quinze ans ; il fait prendre à propos le spermaton à son fils, lui fait suivre exactement le régime prescrit par les papiers du Cardinal-ministre et s’aperçoit bientôt avec transport qu’il a réussi. Mais le duc a un vaste projet ! C’est de renouveler le genre humain par son fils l’Immortel et de  repeupler successivement toute la terre à mesure que l’ancienne race diminuera naturellement, par des causes qui sont détaillées.

«  Pour servir de berceau à sa vigoureuse postérité, le duc acquiert en France, et dans la partie de la France qui lui convient davantage, un vaste enclos, qui doit couvrit l’origine de sa postérité naissante.

« Mais il lui faut également des moyens de se garantir de la malveuillance du souverain du pays et de ses ministres. Il les trouve dans les papiers laissés par son quadrisoncle ou trisoncle le ministre. On y lit quel est le secret de dompter, d’apprivoiser et de nourrir des aigles de la plus grande espèce, dont le manuscrit indiquait le séjour, de les atteler par vingt-quatre ou quarante-huit à des clitelles, à la proue des quelles serait une place pour le ou les conducteurs, qui les dirigeraient par des cordons de soie passés dans un petit caparaçon coiffant chacun des aigles. D’autres cordons plus gros tenaient à une espèce de petit harnais, aussi en soie, artistement disposé sur le corps et sous les ailes. Et voilà les oiseaux, qui seuls donnent toute sa puissance au père de l’Immortel et qui feront exécuter les plus grandes choses à son fils. L’enclos servira de demeure aux trois cent soixante-six épouses que le duc donne à l’Immortel sans compter les concubines, enlevées de différents sérails ou harems turcs et placées dans l’île de Candie ou Crète dont le duc s’est emparé pour son fils. Car les oiseaux donnent à leur possesseur une puissance au-dessus de celle de tous les souverains.

« On verra comment se feront les mariages de l’Immortel, de deux jours l’un d’abord, puis chaque soir On y verra comment chaque belle, le soir de ses noces, raconte l’histoire de sa mère ; ce qui forme une suite de soixante nouvelles très intéressantes (Ce sont les Contemporaines replacées).

« Mais ce qu’il y a de vraiment neuf dans l’ouvrage, c’est l’établissement progressif et rapide de la race de l’Immortel sur toute la surface du globe ; l’histoire de ses mœurs et de sa langue, dans dix, vingt, trente, cent mille, un million, cent millions d’années. On verra comment l’auteur, qui connaît l’Immortel, a pu, par son secours, pénétrer dans l’avenir jusqu’à la fin des temps ou de l’existence individuelle de notre globe » (MN, II, p. 999-1000).

Rétif termine en appelant de ses vœux un « bailleur de fonds » pour l’impression.

Le second résumé est dans une lettre du 22 vendémiaire an IX (14 octobre 1800) adressée par Rétif au général Belair, pour lui demander de l’aider à publier L’Enclos hors de France. Ce résumé complète et précise sur certains points le précédent.

« L’Enclos, etc. est un roman. Mais le sujet en est scabreux. Le héros est immortel, non par magie, ni par des moyens autres que physiques. Son but est de repeupler la Terre, sur laquelle le genre humain va en dépérissant, de sa race seule, fortifiée, ramenée aux premiers âges de vigueur qui ont existé. Son père, le duc de Nevers, qui n’a pu profiter du secret trouvé dans un mémoire vendu au Cardinal Mazarin par un Sicilien, a fait cet enfant à une jolie fille de village, a soigné son éducation, a guetté l’instant de la puberté pour lui faire prendre le genre de nourriture qui doit le fortifier en lui donnant un estomac plus que décuple digérateur et un genre de nourriture convenable. L’Enclos est le berceau de la famille naissante, car il lui donne 366 femmes, qu’il ne voit plus dès qu’elles sont fécondées, jusqu’après l’allaitement ; alors seulement il les recommence. Les jeunes personnes prises pour épouses ne peuvent avoir d’histoires, étant innocentes et vierges. Mais chacune d’elles raconte celle de sa mère, qui est toujours saillante et qui amène la cause pour laquelle sa fille a été vendue au duc de Nevers pour en faire une de ses 366 brus.

« À mesure que l’on avance, les événements se multiplient. Le duc est obligé de défendre l’Enclos contre les ennemis extérieurs. Il va faire provision de munitions avec les Oiseaux, qui sont des aigles de la grande espèce, des condors qui dirigent des ballons porteurs de vastes paniers où sont les hommes et les choses. Au moyen de la ligne directe et de la rapidité du vol, on va en Sibérie de la Champagne en une matinée. Le duc et son fils font souvent cette promenade pour y mener des ouvriers, et les alimenter et les défendre, etc.

« Les enfants naissent. Ils grandissent. On les marie, la population augmente. On achète des îles de l’ancienne Grèce. Non seulement l’auteur décrit les mœurs successives de cette belle race, mais au moyen d’un raisonnement profond, il voit les mœurs futures, dont les causes sont dirigées par lui, et il sait, par une prévision physique quelles seront les mœurs qu’aura sa race dans mille ans, dans mille, cent mille siècles, et il les décrit…

« C’est ici où est la hardiesse. Je n’entrerai pas dans des détails trop longs pour une lettre. Je vous dirai seulement qu’on voit la religion, les usages de ces temps éloignés, où tous les préjugés sont anéantis. Comment on y fait l’amour, comment, et par quels moyens, l’on y est heureux, quels sont les sacrifices qu’on y fait à la divinité, etc. Voilà la partie morale.

« La partie physique n’est pas moins curieuse. L’ouvrage est écrit dans le système d’Euler. On y voit comme la température et les mœurs du globe terraquée [sic] changent à mesure que la Terre s’approche du soleil d’une minute de degré en 100 ans et ceci varie l’ouvrage à l’infini. Jugez de quelle importance il est que je sois d’abord enveloppé d’un nuage.

« J’offre cependant, pour l’avantage de l’entrepreneur et celui de l’œuvre lui-même, d’imprimer ici, chez moi, à un nombre déterminé qu’on fixera, et d’envoyer à mesure les feuilles tirées et d’une correction épurée pour les imprimer à mesure. Un homme de confiance pourra tout voir, tout régler et se charger de l’envoi. Il saura comment tout se fera, et pourra, s’il le faut, s’établir dans la maison, payer les ouvriers, etc. Je réponds du succès, si l’on ne gêne point l’essor que j’ai pris. L’amusement, l’utile, le savant, le neuf, tout sera réuni dans cette production composée à la convalescence de ma grande maladie [en 1795], à la suite des Lettres du Tombeau et avant les 1001 Développements.

« Tel est, cher concitoyen et ami, le plan croqué, sans aucun des détails qui le rendent intéressant, que je vous invite à faire connaître aux libraires des pays que vous avez à parcourir dans votre excursion patriotique autant que nécessaire [allusion à une inspection militaire dont est chargé le général Belair]. Puisse quelques-uns de ces hommes intelligents qui répandent les lumières en Europe, accueillir des idées neuves absolument inédites et procréées par l’imagination ressuscitée d’un homme qui a vu la mort à quelques heures de lui. Le 22 vendémiaire an IX » (Correspondance, éd. cit., p. 634-636).

Ces deux résumés montrent bien le lien étroit entre l’imaginaire de L’Enclos et celui des Posthumes et des Revies. Les fantasmes de toute une vie s’épanouissent dans ces œuvres tardives. Adolescent, « je bâtissais des châteaux de volupté », dit-il (Nuits de Paris, 284e, éd. cit., t. III, p. 1399) et il rêvait déjà d’un enclos avec des murs « de vingt-cinq pieds de haut et de six de large » (soit à peu près 8 mètres de haut et 2 de large) et  « surtout  une belle volière d’un arpent, bien grillée, où [il] aurai[t] toutes sortes d’oiseaux » (MN, I, p. 238). De sa quinzième à sa soixante-huitième année, le rêve de l’enclos et des oiseaux ne l’a jamais quitté.

1789. Épiménide, ou le Réveil de l’ancien Épiménide grec.

Comédie en 3 actes, écrite du 5 mars au 30 juin 1788.  Le Journal ne donne pas d’informations sur les dates de son impression dans le volume II du Théâtre (p. 337-407), où son titre est simplement Épiménide. Elle est placée en 1789 dans Ingénue Saxancour (IIIe Partie, p. 136-241), mais dans une version légèrement modifiée..

La légende d’Épiménide de Gnosse, avait fourni le sujet de plusieurs pièces, notamment en 1735 Le Réveil d’Épiménide du président Hénaut, en 1755 celui de Philippe Poisson et celui de Flins des Oliviers, créé le 1er janvier 1790. Rétif reproche à celui-ci, dans la 7e Nuit de La Semaine nocturne, d’avoir « puisé une partie de ses idées dans sa pièce et dans Les Nuits de Paris », où est en effet longuement racontée cette histoire, développée en traité philosophique (voir les Nuits 9 à 32, passim).

« Cette pièce […] est faite avec cette imagination naturalisant tout qui me caractérise. Épiménide s’éveille, trouve, au bout de soixante-quinze ans, le bois de sa lance pourri, les buissons fermant le passage de la caverne où il s’est endormi ; les arbres, les habitations, tout est changé. Il s’avance vers la ville de Gnosse ; il n’y reconnaît rien, que le temple de Jupiter, qui semble éternel comme le dieu. Il ne peut douter qu’il ne soit dans sa patrie. La belle Naïs, courtisane grecque, avait exposé sa fidélité conjugale à la tentation ; c’est pourquoi les dieux, pour sauver la vertu de leur prêtre, lui avaient envoyé un sommeil de soixante-quinze ans. Il revoit la petite-fille de Naïs, âgé de quinze ans et que, ce jour même, on consacrait au culte de Vénus : il la croit la première Naïs, etc. Il y a des hymnes, une pompe dans cette pièce. Mais elle est de moi : elle ne peut être jouée. On l’a plagiée pour en faire une pièce de circonstance » (MN, II, p. 996).

Le Prologue  précise les intentions de l’auteur : « C’est un genre nouveau que j’essaye au Théâtre-Italien. Je voudrais y amener le chant et un divertissement, sans couper l’intérêt et sans donner l’invraisemblance choquante du débit tantôt parlé, tantôt chanté, sans cause naturelle, par le même personnage. […] Je ne tairai pas qu’on m’a fait de sérieuses objections sur l’union que je proposais ; mais je les crois futiles, malgré le mérite de l’excellent acteur Granger qui les hasardait. »

Voir à Histoire des compagnes de Maria.

Voir à Père valet.

1789. L’Épouse comédienne.

Comédie-ariette en 3 actes, tirée de l’intrigue de La Mimographe.

Elle est écrite du 29 décembre 1788 au 12 janvier 1789 et imprimée  du 29 août 1789 au 28 novembre dans le volume IV du Théâtre, p. 1-71.

«  Le sujet de cette pièce est très agréable, mais je ne suis pas aussi content de l’exécution que je l’avais cru d’abord. Les plagiaires ne  pourront rien faire de cette comédie… Un mari est scénomane, ou plutôt  actriçomane au plus haut degré. Il adore toutes les actrices qui ont du talent et de la figure. En conséquence, sa jeune épouse parfaitement belle, auparavant adorée, désespérée de la froideur de son époux, se résout à se donner ce genre de mérite. Mais il y a une terrible circonstance ! C’est qu’il ne faut pas seulement, pour subjuguer le scénomane, bien jouer la comédie ou la tragédie : il faut être actrice de métier. On se trouve à Lille, où l’on est inconnus. Une actrice nouvelle y va jouer une pièce, nouvelle aussi, dont Destianges, beau-frère du scénomane, est auteur. On se détermine à donner ce rôle à l’épouse. Le second acte est la pièce nouvelle où celle-ci joue au lieu de l’actrice… Au troisième acte, suite du premier, le mari enchanté doit souper avec l’actrice non reconnue… Le dénouement est arrangé d’après cela » (Mes Ouvrages, p. 997).

Le 2e acte est « une petite pièce en 1 acte mêlée d’ariettes » et est intitulé  « Le Scénomane ».

1786. Les Fautes sont personnelles.

Drame en 3, puis 5 actes. Imprimé dans le volume II du Théâtre à la fin de 1786, puis en 1787 dans Les Parisiennes, vol. III, p. 269-392, où Rétif intègre les huit pages de corrections indiquées à la fin de la pièce en 1786.

Cette pièce est l’une de celles sur laquelle Rétif travailla avec le plus de persévérance. « Ma meilleure pièce », déclare-t-il en 1792 (« Nouvel Avis »,  en tête du volume I).

Il en commence la rédaction le 23 août 1786 et soumet le 1er acte à l’acteur Granger, qui le lui rend le 15 septembre, sans doute avec des observations puisque Rétif corrige son acte dès le lendemain. C’est le début d’un travail repris sans cesse : Rétif corrige, fait des lectures devant Mercier, l’acteur Desessarts, et quelques autres, ajoute, retranche. Il note le 14 octobre qu’il recopie sa pièce pour la cinquième fois. Sa pièce n’en est pas moins refusée le 7 novembre par le Théâtre-Français.

Entre temps, le 22 octobre, il a commencé d’écrire une version narrative de sa pièce, qu’il appelle dans son journal le « roman » des Fautes sont personnelles. Il va y travailler jusqu’au 4 novembre, puis sporadiquement  jusqu’en juillet 1787, pour l’imprimer  au mois d’août dans les 82e, 84e, 85e et 86e Nuits de Paris. Cette version des Fautes, dans laquelle il développe  notamment l’histoire des personnages, a sans doute été un exutoire lui permettant de se libérer des contraintes théâtrales pour raconter une histoire qui lui tenait à cœur.

À la fin de la 84e Nuit, Rétif met en note : « On a fait du dénouement des Fautes une action dramatique en cinq actes, imprimée à la fin du IIIe volume des Parisiennes » (éd. cit., t. I, p. 504). L’indication est trompeuse : le Journal donne sans le moindre doute l’antériorité à la pièce. Ce que veut dire Rétif est

que c’est la version en 5 actes de sa pièce qui découle du récit.

Car l’échec de sa pièce auprès des comédiens du Théâtre-Français ne l’a pas découragé : dès le 24 novembre 1786, il met son drame en 5 actes, ajoute 4 scènes et en prend 2 au récit (« 27 9b arrangé mon drame et pris deux scènes dans l’histoire »).

L’élaboration de la pièce n’est pas encore achevée : à la fin des Parisiennes, en mai 1787, il propose une nouvelle version des six dernières scènes du 5e acte (pour une nouvelle mouture de la pièce qui ne sera jamais imprimée).

Dans le Prologue, la pièce est ainsi présentée : « Le préjugé barbare du rejaillissement des peines infamantes sur une famille innocente est l’effet de l’ancienne ignorance. La raison éclairée sait trop que le caractère et le fond des dispositions des parents les plus proches ne se ressemblent pas […] Au moral comme au physique tout est personnel […] J’ai donc traité ce sujet avec confiance, persuadé qu’il était utile et digne d’un bon citoyen de venir, par tous les moyens qui dépendent de lui au secours des innocents  malheureux […] Je ne me dissimule pas que ce sujet est peu fait pour plaire ; une intrigue sans but réussirait mieux. Concitoyens, j’ai juré de ne jamais faire une pièce vide ! » (Théâtre, II, p. 1) 

Dans Monsieur Nicolas, Rétif rapporte une lecture qu’il en fit au mois de janvier 1787, lors d’une soirée chez Guilbert de Préval : « On ne m’avait demandé aucune lecture et je n’avais apporté, par hasard et sans dessein, que ma pièce, Les Fautes sont personnelles, imprimée en 1786 ». Pressé par l’assistance, il la lut (« or je lis bien…»). « Elle excita le sourire, l’attendrissement, la pitié, la terreur, l’effroi, et ramena enfin la joie par le dénouement. Goldoni, bon connaisseur, l’applaudit ; Robé, très exalté, ne pouvait s’en taire. Je fus regardé comme un homme du premier mérite par une société éclairée… Hélas ! Cette illusion n’a duré qu’un jour !… Ma pièce, présentée aux Français par Desessarts, ne put alors être reçue, à cause du sujet et parce qu’elle n’était pas en vers » (MN, II, p. 380).

Dans Mes Ouvrages, après avoir fait l’analyse de la pièce, Rétif conclut amèrement : « Telle est cette pièce, fort au-dessus de bien des drames boursouflés que j’ai vu quelque fois applaudir… Mais aussi, quelles pièces un auteur raisonnable  pourra-t-il donner au peuple méprisable qui se porte avec affluence à Turelututu empereur de l’île Verte et aux balivernes du Cousin Jacques ? » (MN, II, p. 994).

Il se plaignit aussi d’être plagié « par Laya, un de ces auteurs qui ne pensent que d’après les autres » MN, II, p. 379). « Il m’a dit souvent, écrit Cubières, que M. Laya n’avait fait que mettre en vers son drame en cinq actes et en prose, Les Fautes sont personnelles. » (Histoire des Compagnes de Maria, t. I, p. 128). Laya l’a mise en vers « en la platifiant », dit encore Rétif  (MN, II, p. 380). Il s’agit sans doute des Dangers de l’opinion, drame de Laya représenté le 19 janvier 1790. La pièce  traite du préjugé de la responsabilité collective, et à cet égard a quelque rapport avec celle de Rétif.

1773. La Femme dans les trois états de fille, d’épouse et de mère. Histoire comique, morale et véritable.

Trois parties en 1 volume in-12, de 232, 202 et 202 pages. Tirage à 1000 exemplaires, « édition épuisée » en 1777 (Quadragénaire).

« Ce petit ouvrage […] fut donné à l’impression le 4 juin [1772], mais il ne parut qu’au mois de février 1773 » (MN, II, p. 246) ; on lit dans la Revue de   La Vie de mon père (1788) : « a paru à la fin 1772 » ; cette indication paraît une erreur.

 Selon Mes Ouvrages, La Femme dans les trois états, procède de Lucile : « La Lucile, imprimée par Valade, se fût mieux vendue en deux parties : je la divisai, sous le titre de La Fille enlevée. Mais je m’aperçus bientôt que c’était un ouvrage à refaire en entier, et je refis Lucile, fille, épouse et mère. J’étais dans cette intention quand je tombai malade, en 1771, au Collège de Presle. Ayant la tête assez libre, je me mis à composer la seconde partie de La Femme dans les trois états de fille, d’épouse et de mère ; elle est pleine de gaieté ; elle me divertissait, en la faisant. Je conçus, après l’avoir achevée, que c’était du temps perdu que de l’imprimer comme suite de Lucile ; je fis une première partie que j’intitulai La Fille ; la seconde fut titrée La Femme, ce qui me donna l’idée d’en composer une troisième, qui fut La Mère. Mais la seconde resta supérieure aux deux autres. Cependant la première n’est pas sans mérite, mais la troisième est décousue et presque sans intérêt ; je n’échappe à l’ennui que par des épisodes fréquents » (Mes Ouvrages, p. 908-909).

Rétif signale que dans la 1re Partie, « il y a un chapitre, Régime, qui a beaucoup contribué au succès de l’ouvrage » (Quadragénaire, II in fine) ; « La seconde partie, La Femme, est la mieux faite, à l’exception des  trois ou quatre derniers chapitres ; elle est pleine de gaieté par le caractère singulier de la belle-sœur de l’héroïne, qui anime tout » (ibidem). L’ « Avertissement » de la 3e  avoue que dans cette partie, « il se trouve presque autant d’histoires que de chapitres » (p. 5).

 

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1778, « Seconde édition très corrigée », dont la page de titre garde le millésime de 1773. 3 Parties en 1 vol. in-12 de 234, 156 et 184 pages. Tirée à 500 (Paysanne, IV, p. clxxv)

— Le Journal fait état de travaux d’impression les 2, 8, 14 et 17 août 1790 sur la feuille E (chap. XV à XVIII), en rapport avec des « imperfections » : était-ce en vue d’une réédition ?

La BnF en possède un exemplaire sous la cote 8-Y2-52477. Son catalogue répertorie aussi un exemplaire dont la première Partie porte le millésime de 1774, mais les deux autres celui de 1773. Le seul exemplaire consultable sur Gallica est celui de la 1re édition.

Adaptation théâtrale 

Rétif prétend que Les Maris corrigés, de La Chabeaussière, représentée en 1781, est tirée de la 2e partie de son roman. « Cet auteur, quoi qu’il dise dans sa préface sur l’origine de sa pièce, n’en a pris l’idée que dans La Femme. Il a beau vouloir nous dérouter en parlant des Fausses Infidélités, etc., c’est ma seconde partie, La Femme, seule, qui lui a donné l’idée de la pièce, dans laquelle il ne pense pas une seule fois de lui-même ; il suit l’auteur jusque dans les occasions où celui-ci n’aurait pas dû être servilement imité. Cela est au point qu’au lieu d’en être flatté, à la représentation, j’en avais des nausées. Cette servilité n’empêche pas le plagiaire d’affecter un certain dédain en parlant de la source où il a puisé » (Mes Ouvrages, p. 909).

 Dans sa préface, La Chabeaussière écrivait : « Ma pièce était presque entièrement terminée quand le hasard me fit tomber sous la main un roman de Rétif de la Bretonne intitulé La Femme considérée dans les trois états, et je ne fus pas médiocrement surpris d’y rencontrer des situations très analogues à celles que j’avais imaginées moi-même ; et puisque le hasard nous avait fait déjà rencontrer dans quelques détails, je ne fis aucune difficulté de me saisir de ceux que je crus pouvoir faire cadrer avec mon plan […] Je laisse aux lecteurs […] à décider si j’ai servilement  imité mon modèle […] et si j’ai mal fait de changer le ton et les manières de mes personnages, que je n’ai pas cru devoir laisser dans la classe où l’auteur s’est amusé à placer les siens » (p. 8-9).

Édition moderne 

—1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 43, groupant les 3 Parties. Texte de la première édition.

Traduction 

— 1782, Das Frauenzimmer im dreyfachen Stande, als Tochter Frau und Mutter, Breslau und Leipzig, trad. par Chr. A. Wichmann.

1786. La Femme infidèle, par Maribert-Courtenay.

Faux-titre : La Femme infidèle, ou la Femme lettrée, ou la Femme monstre (L’auteur a balancé entre ces trois titres), suivi d’une introduction de 8 pages signée Maribert-Courtenay. — Dans Mes Ouvrages, Rétif intitule sa notice : La Femme infidèle ou la Femme lettrée.

Épigraphe : « Toute fille lettrée restera fille toute sa vie, quand il y aura des hommes sensés ». Rétif arrange la phrase célèbre de Rousseau, dans l’Émile : « Toute fille lettrée restera fille toute sa vie, quand il n’y aura que des hommes sensés sur la terre » (livre V, éd. Gallimard, Pléiade, p. 768).

4 Parties en 4 volumes in-12 de 979 pages. Le tirage est inconnu.

La page de titre des deux premières Parties porte le nom de la veuve Duchesne, mais ce nom disparaît dans les deux suivantes : la 3e n’indique aucun nom de libraire et la 4e celui Buisson. On peut penser que la libraire s’est récusée devant les remous causés par cette publication dans l’entourage de Rétif. Il semble que les libraires ne se soient pas montrés empressés pour vendre l’ouvrage (voir infra l’édition de 1788). Rétif le présente comme « un facton par lettres contre AgnèsL., Scaturin [Fontanes], Naireson [Joubert], Milpourmil [François Marlin, dit Milran], L’Échiné, [Augé] » (MN, II, p. 382). Un facton, ou factum, est un écrit polémique, un mémoire attaquant une personne dans le cadre d’un procès ; cette Femme infidèle était un règlement de compte et les libraires rechignèrent à se trouver mêlés au conflit.

L’édition originale est aujourd’hui une rareté (« s’il en reste encore des exemplaires », dit Rétif dans Monsieur Nicolas, II, p. 101). Augé, Agnès Lebègue et quelques autres cherchèrent à faire disparaître le livre. Rétif ne le mentionne pas toujours dans la liste de ses ouvrages.

Il note dans Mes Inscripcions à la date du 27 mars 1785 : « Je reprends La Femme infidèle (commencée il y a longtemps !) » On peut en effet en situer une ébauche en 1777, avec l’« Histoire du Quadragénaire » (dans Le Quadragénaire, t. II, p. 127 sq.), qui est un récit de son malheureux mariage. Puis en 1780 le titre figure dans les projets exposés à la fin de La Malédiction paternelle.

« Je brochai [rédigeai avec rapidité] cet ouvrage aux mois d’avril et mai » (Mes Ouvrages, p. 986). Il fut terminé le 23 mai 1785, avec la 152e page du manuscrit (Mes Inscripcions). L’impression et le brochage s’achèvent en avril 1786 et le 1er mai Rétif note dans son journal qu’il a vendu « une Infidèle ».

Au printemps de 1785, Rétif en a presque fini avec le manuscrit de Monsieur Nicolas ; il y a déjà raconté ses infortunes conjugales. Il réutilise ici le matériau  autobiographique des VIe, VIIe et VIIIe Époques en le coulant dans la forme épistolaire. Il écrit du reste : « Il faut annexer cet ouvrage à celui-ci [Monsieur Nicolas], puisqu’il complète mon histoire, à quelque chose près, que je me suis forcé de défigurer afin de pouvoir paraître avec une permission tacite » (Mes Ouvrages, p. 986).

« Le contenu de cet ouvrage est original : il est composé non seulement des lettres conservées, mais encore de celles que j’ai pu rétablir de mémoire » (ibid.). Dans une lettre du roman, Jeandevert (Rétif) écrit à M. de Stable (Toustain-Richebourg) : « Il me vient une autre idée : c’est de faire une correspondance générale, composée de tout ce que je sais qu’elle a écrit ; j’y joindrai mes propres lettres. Quand les épîtres seront perdues, et que mon excellente mémoire en rappellera suffisamment les circonstances, je les referai dans la plus grande vérité possible. Lorsque j’ignorerai, j’avouerai que la lettre est perdue ; quand j’aurai les originaux, je l’assurerai » (214e lettre, p. 744).  Il n’est pas sûr que Rétif ait été aussi scrupuleux, mais certaines notes de Mes Inscripcions et du Journal peuvent suggérer qu’il a eu en mains quelques lettres : « 2 Ap. 1785 : lettres à Ugnebet & Désirée : je retiens la lettre à Joubert & Lamarque. » ; 21 décembre 1785 : « ce matin, relu les lettres de ma femme à mes ennemis, pour l’Infid. », et le 23 : « le soir, retouché aux dernières lettres Infid. » Il est bien difficile de faire le départ entre les lettres authentiques, mais retouchées, tronquées, et les lettres fabriquées par le romancier. Nul doute que celles-ci l’emportent sur celles-là.

« On y trouve une foule de pièces qui sont ou des essais que je faisais avant que d’être auteur, ou des morceaux qu’Agnès entreprenait, sans jamais rien achever, soit en vers, soit en prose » (Mes Ouvrages, p. 986).

Rétif se vante, dans Mes Ouvrages, d’avoir nargué le censeur en donnant « tous les vrais noms ». Il n’en est rien dans le roman, du moins dans les exemplaires qui nous sont parvenus, car il n’est pas impossible que Rétif ait mis en circulation quelques exemplaires avec les « vrais noms », ceux-là même qui furent recherchés et détruits par les intéressés. C’est deux ans plus tard, à la fin du tome 23 des Contemporaines (en 2e édition), qu’il établit un « Errata de La Femme infidèle », qui consiste en fait à donner la clé de tous les noms déguisés.

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1788, édition conforme à la 1re. L’adresse indiquée sur la page de titre est celle de Maradan. Le 9 mai 1787, Rétif avait conclu un marché avec Guillot pour 100 exemplaires au prix de 2 livres 25 deniers ; il ne semble pas s’être concrétisé. Un an plus tard, le 7 mai 1788, l’affaire est conclue avec Maradan : « livré les 800 Infid.  à Maradan, à 30 s. » À ce prix, le livre est bradé, car 30 sols (soit 1 livre et demie) ne représentent plus que la moitié de la somme prévue avec Guillot. Rétif estime avoir perdu dans cette affaire 1200 livres (voir Cottin, Mes Inscripcions, p. 321, reproduisant le feuillet 1202 du manuscrit 12.469 de la Bibliothèque de l’Arsenal). Ce désastreux marché donne la mesure des difficultés commerciales rencontrées par l’ouvrage.

Éditions modernes

— 1931, extraits dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, éd. du Trianon, tome V, édition établie par Henri Bachelin.

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 44 et 45. Exemplaire complet.

— 2002, dans Restif de la Bretonne, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, vol II, p. 175-461, édition établie par Daniel Baruch avec notice et notes ; texte complet à l’exception de suppressions dans les 27e et 28e lettres, en tout une trentaine de pages.

Voir à Ingénue Saxancour.

1782-1785. Les Figures du Paysan perverti et de la Paysanne pervertie.

1 volume in-12 réunissant sous ce titre deux ouvrages distincts : Les Figures du Paysan perverti et Les Figures de la Paysanne pervertie.  Tirage inconnu.

Le premier a CLXVIII ou CCXLIV pages, selon que s’y trouve jointe une Revue des Ouvrages de l’auteur, paginée CLXIX à CCXLIV (imprimée également à la fin de la Paysanne avec cette pagination) plus une page en italique au verso du titre ; le deuxième volume, 8+ lxxii pages (les 8 pages se trouvent parfois à la fin).

Pour les Figures de la Paysanne, la pagination va de I à LXXII, précédée d’un « Avis sur les Dangers de la ville, ou Paysan et Paysanne pervertis », paginé de 1 à 8 (en chiffres arabes).

Ces deux ouvrages sont imprimés à des dates différentes, mais leur datation est malaisée. En se fondant sur les informations que l’on peut recueillir ici et là dans les textes de Rétif, on peut conclure que le premier est rédigé en 1782, en même temps que paraît la première édition illustrée du Paysan, imprimé en 1783 et diffusé seulement en 1784, d’après ces lignes de Monsieur Nicolas : « Les inquiétudes que me donnait la radiation de la Paysanne furent accrues en 1784 par la mise en vente des figures du Paysan à cause des corrections non censurées faites au texte » (MN, II, p. 355). Plusieurs notes de Mes Inscripcions expriment ces inquiétudes au cours de l’année 1784 (voir aux dates des 11 mars, 15 septembre et 7 octobre) ; elles sont liées aux obstacles que rencontre la Paysanne depuis le mois de juin 1783, qui est alors rayée du « Registre des permissions », au moment où son impression vient d’être achevée (elle ne sera paraphée qu’en mars 1785). Rétif craint que l’attention de la censure se porte aussi sur ses Figures, où le texte du Paysan est celui de 1782 (au verso de la page de titre, Rétif renvoie à « l’édition la plus récente et la moins incorrecte des quatre qui ont paru ») ; or ce texte n’est plus celui qui avait été autorisé en 1775.

Les Figures de la Paysanne pervertie sont postérieures. À la fin des Figures du Paysan on trouve ce Nota : « Les Figures de la Paysanne complèteront celles-ci » (p. CLXVIII). Il est difficile de dater la rédaction et l’impression de ces Figures. Elles datent probablement de de 1784, avant que la censure n’impose le nouveau titre des Dangers de la ville, en 1785, suite à la plainte de Nougaret, auteur lui aussi d’une Paysanne pervertie. Car si les Figures conservent le titre originel, l’Avis qui les introduit (pages 1 à 8)  se réfère aux Dangers de la ville.

Elles ne sont en tout cas réunies à celles du Paysan qu’après la mise en vente de la Paysanne, enfin autorisée en août 1785 (Voir Mes Inscripcions, du 4 au 8 août). « La Paysanne pervertie que nous publions aujourd’hui […] », lit-on au verso de la page de titre du volume

On ne peut comprendre la raison d’être de ce volume composite sans supposer qu’il accompagne un tirage à part des estampes. Il s’agit d’en indiquer le sujet et le contexte : chaque estampe est donc identifiée par un « sujet » et un « passage ». C’est l’« Avis » des pages 1 à 8 qui éclaire finalement le mieux le projet de Rétif.

Il conçoit un « ouvrage composé de plusieurs parties nécessaires à son complément » (entendre : nécessaires pour qu’il soit complet). Il s’agit d’un ensemble de textes et d’estampes constitués en plusieurs volumes. Rétif le détaille ainsi : I. Le Paysan perverti, qui «  ne fait qu’une seule et même histoire avec celle que nous publions » ; II. La Paysanne, où des renvois au Paysan assurent la liaison entre les deux romans ; III. L’Explication des figures du Paysan et de la Paysanne pervertis, présentée comme un 3e « complément » et un 5e volume (après les quatre de la Paysanne) ; c’est le volume des Figures ; IV. Les Estampes, « quatrième complément nécessaire »,  qui « ont le mérite peu ordinaire de former une histoire en tableaux » ; V. « À la suite  de l’Explication des figures, on trouvera la Revue des Ouvrages de l’auteur » ; elle s’y trouve en effet, dans certains exemplaires, comme on l’a vu, et elle est également imprimée à la fin de la Paysanne, avec la même pagination CLXIX à CCXLIV.

Rétif  a donc voulu  donner une existence autonome aux estampes de ses deux romans afin que son lecteur puisse les joindre aux éditions non illustrées, les premières du Paysan, les contrefaçons, et les éditions mises en vente sans les gravures. « On vendra aussi sans estampes », dit un Nota au bas de la page 5. Et dans la Revue des ouvrages de La Vie de mon père (3e édition), il est précisé que le Paysan-Paysanne « n’est qu’à 10 livres aujourd’hui sans figures et à 25 livres avec toutes ses estampes ».

On ne sait ce que sont devenues ces estampes, mais le bibliophile Jean Michel Andrault a apporté des informations précises sur le destin des dessins de Binet dans un article publié en 2020 dans le n° 52 des Études rétiviennes, p. 284-295, intitulé  « La Suite des 120 dessins de Louis Binet ». Ils ont fait l’objet de quatre ventes aux enchères entre 1862 et 1973 et sont sans doute aujourd’hui en Allemagne.

L’édition globale du Paysan-Paysanne pervertis, parue en 1787, mais commencée dès 1783, rendra très vite caduc ce projet de groupement de volumes, en réunissant sous un seul titre romans et estampes, suivis de l’Explication des Figures dans une présentation continue, où le contexte est indiqué sommairement.

Éditions (XVIIIe siècle)

L’exemplaire de la BnF (Réserve 1500) a plusieurs particularités : l’ordre des deux ouvrages a été inversé : on a d’abord Les Figures de la Paysanne pervertie, puis celles du Paysan ; les deux figures bis, la 3: « Manon présentée » et la 8: « Edmond convalescent », sont rejetées à la fin, paginées XVI-XVII et XLVII-XLVIII ; manquent les pages 1-8 de l’Avis placé en tête des Figures de la Paysanne. La description donnée dans la Notice de la BnF ne correspond pas. Le même exemplaire est présenté dans une autre Notice sans indication de pagination, et dans le format in-16, ce qui est surprenant et sans doute une erreur.

Un exemplaire différent a servi de base au reprint Slatkine de 1988. Les Figures du Paysan précèdent celles de la Paysanne, respectant la chronologie de leur composition. On a d’abord la page italique au verso de la page de titre, puis les pages I-V de la préface, suivies des Figures p. VI- CLXVIII ; manquent les pages CLXIX à CCXLIV (la Revue des Ouvrages de l’auteur). Les Figures de la Paysanne, sont précédées de l’« Avis sur les Dangers de la ville », p. 1-8 ; les deux figures bis sont mises à leur place dans la série, mais avec la pagination XVI- XVII et XLVII- XLVIII qui est celle de l’addition.

J.R.C. signale d’autres exemplaires augmentés des « Tables des noms des personnages du Paysan et de la Paysanne pervertis » et de celle « des noms  des auteurs, artistes, acteurs et actrices dont il est parlé », pages qui sont par ailleurs imprimées à la fin de La Paysanne pervertie.

L’ouvrage, qui sans doute n’a pas connu un fort tirage, apparaît très rarement dans les ventes publiques. Un exemplaire fut proposé en 1998 par un libraire allemand (voir Études rétiviennes n° 28, p. 156).

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 46. Édition fondée sur l’exemplaire décrit ci-dessus.

1769. La Fille naturelle.

2 Parties en 2 volumes in-12 de 171 et 202 pages. Tiré à 1000 exemplaires.

« J’achevai l’impression de La Fille naturelle au mois d’octobre 1768 » (MN, II, p. 191), ce qui suggère une mise en vente à la Saint-Martin (11 novembre), avec le millésime de 1769, comme il était d’usage. Dans la Revue de La Vie de mon père, en 1788, Rétif situe la publication « au commencement de 1769 ». La date indiquée dans la Paysanne (IV, p. clxxii) : « La Fille naturelle fut imprimée à Pâques en 1770 », paraît bien une erreur.

 « Edme Rapenot, le libraire, me raconta ce trait à sa  manière. Je mis aussitôt la plume à la main dans une chambre isolée de l’imprimerie de Quillau, où j’étais alors occupé à caser moi-même La Confidence nécessaire. Ce fut l’ouvrage de huit jours […] Nous étions en 1768 et c’était le quatrième ouvrage que je composais depuis mon retour de Sacy au 1er octobre 1767. La Fille naturelle est la plus attendrissante de toutes mes productions, l’histoire de Zéphire exceptée, et même  une des plus utiles. Je n’en ferai pas l’analyse, parce qu’elle est conservée dans les Contemporaines, en deux nouvelles, l’une intitulée La Sympathie paternelle, l’autre, La Fille reconnue ; outre que j’ai fait une comédie également intéressante, intitulée La Mère impérieuse, ou la Fille naturelle » (MN, II, p. 900-901). À noter que la 23e Contemporaine, intitulée La Fille naturelle n’a rien à voir avec le roman de 1769.

 Rétif précise dans Monsieur Nicolas : « Edme Rapenot me fit le récit attendrissant d’un père riche qui avait fait l’aumône à sa fille naturelle, sans la connaître. Ce beau trait alluma mon imagination et me fit composer à l’imprimerie même, et sur une casse, La Fille naturelle, en deux parties qui ne me prirent que six jours, tant la composition que la mise au net : chef-d’œuvre de célérité, peut-être chef-d’œuvre de pathétique ! […] C’est la première fois que je me suis attendri en composant. On jugea cette production, comparée à la Fanchette, et l’on me dit : « Le Pied de Fanchette se vendra plus rapidement ; La Fille naturelle plus longtemps. » Ces deux ouvrages ont eu un succès égal, et le même nombre d’éditions » (MN, II, p. 190).

Le résumé de l’histoire est dans la revue du Quadragénaire et dans celle de la Paysanne.

Éditions (XVIIIe siècle)

 Leur recensement est problématique, car pour un même millésime les libraires indiqués sur les pages de titre varient et les contrefaçons se mêlent aux éditions officielles.

Rétif évoque 4 éditions dans MN, II, p.190 (« après quatre éditions rapidement vendues »). On peut, sous réserve, les identifier ainsi :

— 1769 : de cette 1re édition, nous n’avons pu consulter que la contrefaçon  portant le millésime de 1776, décrite par J.R.C. sous le n° 8 (p. 209), mais en 1 volume  et non 2, comme indiqué par Jacob et J.R.C. La préface, de VIII pages, est une présentation des personnages.

— 1774, « seconde édition en 1774 , tirée à 500 et augmentée de plus de 60 pages d’impression […] » (Paysanne, IV, p. clxxii). « Il en reste à peine dix exemplaires » (Quadragénaire, II, in fine). Dans la Revue de La Vie de mon père, en 1788, l’ouvrage est porté manquant. Le tome II porte le millésime de 1775.

— 1775, réimpression de la précédente, avec au début un « extrait de l’ancienne préface », soit une page de la préface de la 1re édition, avec une rédaction un peu différente ; à la fin du vol. II une analyse de l’ouvrage : « La Fille naturelle est une petite histoire qui a été fort goûtée du public. Le sujet en est simple et touchant [suit une brève analyse]. La préface renferme une apologie sensée de notre littérature amusante.» Cette « Préface de l’éditeur » a 7 pages (non foliotées). Elle est différente de celle de la 1re édition.

— 1778 : « La Fille naturelle est un ouvrage attendrissant, et qui a un grand mérite […] J’en prépare une troisième édition, outre les contrefaçons de province, et comme c’est mon ouvrage favori, je le retravaillerai pour le style et les situations au point d’en faire un livre digne de ma nation. Malheureusement, les traductions auront toutes mes fautes » (Correspondance, éd. cit., p. 88). Cette 3e édition figure dans la liste des ouvrages placée à la fin de La Confidence nécessaire (éd. de 1779) et à la fin de L’Andrographe (1782).

Réemploi

— dans deux nouvelles des Contemporaines, la 94e (104e en 2e édition), « La Sympathie paternelle », et la 95e (105e), « La Fille reconnue ». Rétif réécrit son texte originel avec de menues variations stylistiques et en pratiquant quelques coupures.

Éditions modernes

— 1931, dans le tome IV de L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, par  Henri Bachelin (extraits).

— 1788, Slatkine Reprints, vol. n° 47. Reproduit une contrefaçon qui correspond au n° 3 de J.R.C., à part le fleuron, mais avec une erreur dans le brochage qui place la préface en tête de la seconde partie.

Traductions

— J.R.C. signale une traduction hollandaise en 1769, sans autre précision.

— Engelbrecht, libraire à Hambourg, signale à Rétif dans une lettre du 3 juillet 1778 que La Fille naturelle est traduite (Correspondance, éd. cit., p. 84). J.R.C. ne signale pas de traduction antérieure à 1780.

— 1780, Die Naturliche Tochter, par Ch. A. Wichmann, Breslau.

— 1781, Aardige en zeldzame geischiedenissen van juffrouw d’Azinval, Utrecht.

— 1788, Die Naturliche Tochter, par Engelbrecht, Hamburg.

— 1790 et 1794, Die Naturliche Tochter, par K.S. Mursina, Hamburg.

— 1794, Die Naturliche Tochter, par Dost, Hamburg und Leipzig.

Adaptation théâtrale

La Fille naturelle et la Mère impérieuse, comédie en 5 actes, écrite par Rétif du 24 avril au 22 mai 1785. Imprimée en mars 1786. Elle ne fut jamais jouée, malgré les lectures faites à Mercier et à Granger, acteur du Théâtre-Italien. Dans La Femme infidèle (vol. II, p. 418-431), Rétif, dans le dessein d’accentuer le caractère odieux de la femme intellectuelle, attribue la pièce à Agnès Lebègue et en donne une analyse détaillée. Elle est imprimée dans le tome II des Françaises (p. 204-312) et le tome I du Théâtre (p. 183-328). Voir infra le n° XLV/ C.

1785. La Fille naturelle, ou la Mère impérieuse.

Comédie en 5 actes, tirée du roman La Fille naturelle, écrite du 24 avril au 22 mai 1785, imprimée sans doute cette année-là dans le volume I du Théâtre  (p. 183-328), en tout cas avant de l’être dans Les Françaises (vol. II, p. 204-312 ; voir supra). Faute de pouvoir, comme  dans le volume du Théâtre, placer une page de titre où figure, en gros caractères, le titre complet, il ajoute en tête de la pièce un entrefilet où il est dit : « On aurait pu donner pour sous-titre à la pièce La Mère impérieuse, et c’est sous ce point de vue qu’il faut l’envisager » (p . 203).

 « Il est peu de pièces dont le sujet soit aussi intéressant, et aucune dont le dénouement soit aussi agréable. Cette comédie est tirée de mon roman de La Fille naturelle, si touchant en lui-même. J’y ai joint différents accessoires qu’on ne goûterait peut-être pas en France, faute de savoir que ce sont précisément ces tableaux approfondis qui mettent le spectateur sous le charme et qui opèrent l’illusion » (MN, II, p. 993)

Dans La Femme infidèle (t. II, p. 418-431), où Rétif en donne une analyse détaillée, la pièce est attribuée à Agnès Lebègue.

1776. Le Fin Matois, ou Histoire du Grand Taquin, traduite de l’espagnol de Quévédo, avec des Notes historiques et politiques nécessaires pour la parfaite intelligence de cet auteur.

Faux-titre : Œuvres choisies de Don François de Quévédo. Traduites de l’espagnol, en trois parties contenant : Le Fin Matois, Les Lettres du Chevalier de L’Épargne, la Lettre sur les qualités d’un Mariage.

Le titre en tête de la Ire Partie devient : Le Fin Matois ou Histoire du Grand Tacaño.

« A paru en 1775 au mois de juin » (Vie de mon père, in fine). 3 Parties en 3 volumes in-12, de VIII-208, 214 et 176 pages. Tirage à 1000 exemplaires selon J.R.C., mais la Revue du Quadragénaire et celle de la Paysanne indiquent 1500. « Il y a beaucoup d’exemplaires », en 1777, et en 1784 l’ouvrage est porté manquant.

 La IIIe Partie est composée de divers morceaux : les chapitres XXIV à XXXI de l’histoire du Fin Matois (fin que n’avait pas écrite Quevedo (p. 3-80) ; Lettres du chevalier de l’Épargne, opuscule de Quevedo, précédées d’un « Abrégé de la vie de Quevedo » (p.81-128) ; Lettre sur les qualités d’un mariage, également de Quevedo (p. 129-138) ; « Note sur l’Inquisition d’Espagne », tirée de la Relation du voyage d’Espagne de Mme d’Aulnoy (p.139-148) ; « Relation naïve d’un voyageur français emprisonné à l’Inquisition de Cuença » (p.149-176).

« Cette traduction fut faite en société avec M. d’Hermilly, censeur royal ; je corrigeai la traduction d’après l’original et je composai à neuf les sept chapitres qu’on voit au commencement de la IIIe Partie ; ils contiennent l’histoire du voyage du Fin Matois aux Indes, son séjour à Tinian, son retour en France et sa punition. L’ouvrage de Quevedo finit à l’embarquement de son héros ; la Préface, les notes, la Notice sur l’Inquisition sont également de moi seul. La Notice me fut donnée par un particulier au père duquel l’aventure était arrivée ; elle était écrite de la main de l’infortunée victime, et reliée, quoique manuscrite. Je réduisis à soixante pages d’impression un volume qui en avait plus de trois cents. Le libraire Costard, auquel j’avais cédé 500 exemplaires par un accord fait avec lui, du consentement de ses créanciers, changea le titre et fit mettre celui de L’Aventurier buscon, premier titre de Quevedo […] Fréron père a dit que notre traduction du Fin Matois était la meilleure qui eût encore paru » (Mes Ouvrages, p. 912). L’Historia de la vida del Buscon, de Francisco Gomez de Quevedo y Villegas avait été publiée en 1626 et traduite en 1633 par La Geneste sous le titre : L’Aventurier Buscon, puis à de nombreuses reprises au cours du XVIIe siècle.

Dans la 7e Époque de Monsieur Nicolas, Rétif apporte quelques précisions : « Vers la fin de l’année [1774], Edme Rapenot, le libraire, me montra une traduction du Grand Tacagno, de François de Quevedo, par d’Hermilly, censeur. Je la trouvai si mauvaise que je ne lui conseillai pas de l’imprimer […] J’obtins, par Valade, d’Hermilly pour censeur du Paysan ; je fus ainsi dans le cas de voir souvent ce bonhomme, qui me proposa sa traduction du Grand Tacagno, qu’il avait rendu par Fin Matois. Je consentis à l’imprimer, à condition qu’il me prêterait l’original et qu’il m’aiderait à rectifier tout ce que je n’entendrais pas. Je puis dire que je refis toute cette traduction sur l’original ; d’Hermilly l’avait rendue niaisement au lieu d’y mettre le sel convenable. Je ne m’en tins pas là : je composai une troisième partie, dans laquelle je finissais le roman de Quevedo par sept chapitres entièrement de ma composition, par des notes, par un abrégé de la vie de Quevedo, par une notice de ses ouvrages et par le morceau très goûté sur l’Inquisition de la Cuença. Cet ouvrage est donc, à peu de chose près, entièrement à moi » (MN, II, p. 247-248).

Les 7 chapitres de la composition de Rétif sont les chapitres XXIV à XXXI, constitutifs de la IIIe Partie. Le texte de Quevedo s’arrêtait au XXIIIe chapitre.

Dans la IIIe Partie de l’ouvrage, les pages relatives à l’Inquisition sont de deux ordres :

1) la « Note sur l’Inquisition d’Espagne » (p. 139-148) est annoncée comme « tirée du Voyage d’Espagne par Mme d’Aulnoy ». Il s’agit de la Relation  du Voyage d’Espagne, paru en 1691, dont Rétif emprunte les pages 149 à 158 de la XIIIe lettre, et un passage de la VIIe Lettre (p. 69-70). Dans cette Note (p. 142), un § commençant par : « La sorcellerie est du ressort de l’inquisition et un crime imaginaire est puni du feu », ne se trouve pas chez Mme d’Aulnoy. Il est possible que Rétif l’ait pris dans cette mystérieuse Notice « donnée par un particulier au père duquel l’aventure était arrivée », évoquée dans Mes Ouvrages.

2) la « Relation naïve d’un voyageur français emprisonné à l’Inquisition de Cuença » (p. 149-176) qui fait suite à la note précédente. Ce « morceau très goûté sur l’Inquisition de la Cuença » est de la main de Rétif, qui se met en scène sous le nom de N.E.R**, originaire de « S** village de France dans la province de Bourg*** » (voir p. 160 et 167).

À la fin du vol. IV du Paysan perverti, dans une page de présentation du Fin Matois, Rétif écrit : « Nous nous proposons de donner au public d’autres ouvrages choisis de Quevedo ; ils sont en assez grand nombre et l’on peut en voir le catalogue complet dans la vie de cet auteur, que nous avons placée à la tête des Lettres du Chevalier de l’Épargne. Nous ne nous bornerons même pas à Quevedo ; nous étendrons notre choix à Figueroa et à d’autres bons auteurs qui ont travaillé dans le genre amusant ; nous nous proposons d’enrichir notre littérature des meilleures de leurs productions. » Ce vaste projet n’a jamais eu un début de réalisation.

Édition (XVIIIe siècle)

— 1776, L’Aventurier Buscon, ou Histoire du Grand Taquin. Nouveau titre de l’édition originale, voulu par le libraire Costard qui s’est chargé de la vente de 500 exemplaires. Seule diffère la page de titre.

 

Éditions modernes

— 1929, Don Pablo de Ségovie, de Francisco de Quevedo Villegas, éd. « À l’Enseigne du Pot cassé », 1 vol. in-12 de 329 pages. Édition réduite aux deux premières parties.

— 1942, Histoire d’un Grand Coquin nommé don Pablo, traduite de l’espagnol par Rétif de la Bretonne et d’Hermilly. Éd. « La Tradition ». 1 vol. in-8° de 218 pages, où manque toute la IIIe Partie.

— 1981, Slatkine Reprints.

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 48. La page de faux-titre est placée avant la page de titre. Ne reproduit pas les 8 pages non foliotées  à la fin du vol. III donnant des analyses et la « liste des ouvrages de l’auteur ».

— 1992, Histoire d’un Grand Coquin nommé don Pablo, éd. Balland, 1 vol. de 215 pages, avec un Avertissement de Jean-Pierre Le Dantec.

— 2006, éd. Rhubarbe, Suite du Fin Matois de Quevedo et Relation naïve d’un voyageur français emprisonné à l’Inquisition de Cuençà , par Branko Aleksić, 1 vol. de 140 pages. Cette édition reproduit la IIIe Partie du Fin Matois, chapitres XXIV à XXXI, et la Relation naïve […]

— 2007, El Buscon. La Vie de l’aventurier don Pablo de Ségovie, éd. Sillages, 208 pages.

— 2012, reproduction en reprint par Nabu Press, 184 pages.

— 2021, éd. BnF-Hachette, exemplaires numérisés.

1786. Les Françaises, ou XXXIV Exemples choisis dans les mœurs actuelles, propres à diriger les filles, les épouses, les femmes et les mères.

4 vol. in-12 de 272, 312, 312 et 324 pages. Avec 34 gravures numérotées correspondant aux 34 « Exemples ». On en trouve la liste dans Lacroix (p. 242-243) et J.R.C. (p. 297-298).

Rétif a imprimé deux de ses pièces de théâtre dans ces volumes : La Fille naturelle, « drame en 5 actes » (vol. II, p.204-312), et La Cigale et la Fourmi, ou l’Enfant gâté, « fable dramatique » (vol. IV, p. 261-318). Sur ces pièces, voir infra les notices XLV/C et XLV/A.

Lacroix est enclin à attribuer l’ouvrage, « en partie du moins », à Agnès Lebègue (p. 246). Il n’en est rien.

Les Françaises furent écrites rapidement, du 24 mai au 24 juin 1785 et imprimées à partir du 14 octobre (Mes Inscripcions). Mais l’impression fut  lente et l’ouvrage ne fut prêt qu’à la fin de 1786 (« ont paru à la fin de 1786 », Vie de mon père).

Rétif évoque ainsi la genèse de l’œuvre, dans le XXIVe Exemple, Les Romans, attribué à Marivert-Courtenay : « On le croyait épuisé, on croyait qu’il avait traité tous ses sujets, et voilà que quelqu’un lui parle de faire un choix de ses Contemporaines propre à être mis entre les mains des jeunes personnes, sous les yeux des mères les plus scrupuleuses. Il sort de cette maison la tête remplie d’une idée si utile ; il examine ses nouvelles ; il en repasse tous les sujets dans sa mémoire, en se promenant seul, le soir. Il ne voit qu’un travail facile et de compilateur, mais qui, à moins de grands changements, ne remplira pas le but.  » Pourquoi, pense-t-il, mutiler mes nouvelles ? Laissons aux esprits secs cette aride besogne ! Mettons-nous à l’ouvrage et composons quatre volumes tels qu’on les demande… » Aussitôt il s’informe, il cherche des sujets ; il en trouve ; il commence ; il est deux jours à faire la première nouvelle. Toutes les autres sont conçues le soir à sa promenade, d’après les récits qu’on lui a faits dans la journée ; il en écrit une régulièrement chaque matin, tout d’une haleine. Il me les a montrées : toutes sont d’une morale plus ou moins intéressante, suivant la nature des faits. Quelle prodigieuse facilité ! En trente-quatre jours, trente-quatre Exemples ! Un volume par semaine ! Qu’aurait pensé Scudéry ? Qu’aurait dit le satirique Boileau ? Mais les génies chauds, tels que celui de l’auteur des Contemporaines, n’écrivent pas comme les autres ; leurs productions lentes sont mauvaises ; les seules hâtives et promptes portent l’empreinte du génie. Cependant les 34 Exemples se sentent de la contrainte morale de l’éditeur. Il n’ose s’élancer, quand l’occasion s’en présentait ; il éteignit les étincelles trop vives ! » (vol. III, p. 247-248).

Il résume son propos dans Mes Ouvrages : « J’avais terminé ma carrière de nouvellistes à quarante-deux [les 42 volumes des Contemporaines], lorsqu’on me proposa de faire un choix dans toutes mes nouvelles ; j’y jetai un coup d’œil et je trouvai ce travail difficultueux à cause des libraires auxquels j’avais vendu, long en lui-même et très ingrat : je pris le parti de faire quatre volumes d’« Exemples choisis », que j’intitulerais Les Françaises. C’est là que se trouvent une douzaine de « Lectures » curieuses et savantes » (p. 987).

Il y a en fait 21 « Lectures », « la plupart tirées d’un ouvrage assez considérable intitulé Le Hibou spectateur, dans lequel les morceaux employés ne reparaîtront un jour que par un simple renvoi indicatif » (Les Françaises, vol. IV, p. 322). Il s’agit de juvénales, imprimées dans divers ouvrages après l’abandon du Hibou (voir ci-dessous la notice n° XXXIII, du Paysan-Paysanne pervertis). Celles que Rétif considèrent comme particulièrement « curieuses et savantes » sont sans doute : « La Langue française » (vol. I, p. 181-196), « La Superstition » (vol. II, p. 63-79), « Le Luxe et le Pauvreté (ibid., p. 131-141), « L’Éducation d’Anastasie » (vol. III, p. 51-83), « Les Romans » (ibid., p. 241-279), « La Domesticité » (vol. IV, p. 29-48), « Le Chagrin » (ibid., p. 99-116), « La Religion » (ibid., p.136-155). Les autres « Lectures » sont surtout des historiettes.

Dans l’Avis de l’éditeur, en tête du 1er volume, Rétif souligne la morale irréprochable de son ouvrage : «  Je donne ce titre à ces IV volumes, parce que les trente-quatre Exemples qui les composent offrent un tableau général de nos mœurs, où les jeunes personnes et les femmes de tout âge trouveront réunis et les devoirs de leur état et les moyens de  d’être vertueuses, agréables à leurs parents, à leurs époux, respectables à leurs enfants, chéries de leurs concitoyens […] Les femmes les plus scrupuleuses, les dévotes même, n’apercevront rien, dans ces XXXIV Exemples qui ne les édifie et qui ne calme dans les plus sévères cette irritabilité qui les porte à se scandaliser si facilement […] Ce ne sont pas des bibliothèques qu’il faut aux filles. Une fille savante est hors de la nature et une sorte de monstre. Le second sexe ne peut faire que des lectures de morale pratique, qui lui montrent directement ses devoirs et l’avantage de les remplir. »

Il vante encore Les Françaises à la fin du volume VIII de L’Année des dames nationales : « [Ces Exemples], il les prend dans les femmes de tous les états, afin de les rendre imitables par  toutes les personnes du sexe. [Ils] sont dans le vrai et en portent visiblement l’empreinte […] Tout y est moral. On y présente quelquefois des morceaux de littérature, qui diffèrent du genre de la nouvelle, quoiqu’ils soient historiques, et ces Lectures, comme on les appelle,  jettent dans l’ouvrage un agréable divertissement […] Les Françaises ne dispensent donc pas de lire Les Parisiennes, ni même les Contemporaines. Cette nombreuse collection de nouvelles, sous différents titres, ne tombe jamais dans la répétition. Ce sont toujours des tableaux variés, des modèles différents de conduite. Un seul motif guidait la plume de l’auteur : c’était de multiplier les exemples de moyens d’être heureux en ménage. But infiniment au-dessus de tous ceux des autres ouvrages amusants ». Ces lignes figurent aussi dans le Catalogue du libraire Louis en 1793 (voir Études rétiviennes n° 51, déc. 2019, p. 161-169).

Éditions modernes

— 1931, extraits dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. II, édition établie par Henri Bachelin.

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 49 et 50. Édition complète, y compris les pages non foliotées de la fin, contenant une Table des Contemporaines et la liste des « Ouvrages du même auteur », pages qui manquent souvent, notamment dans l’exmplaire de la BnF (Res. Y2 3389-3392).

— 2002, extrait de « L’Épouse d’homme veuf » (XXVIe Exemple des Françaises, vol. III, seconde Histoire, p. 307-312) dans Restif de la Bretonne, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, t. II, p. 615-617, choix de Daniel Baruch.

1770. Le Généographe, ou Idées d’un honnête homme sur le Système de la Nature, où l’on insiste particulièrement sur la Divinité et les pures intelligences ; l’âme humaine ; le feu, l’air, l’eau et la terre ; les minéraux, végétaux, animaux, etc., à l’usage des gens du monde, des enfants et des femmes. « Idées singulières tome III ».

Cette œuvre de Rétif a longtemps été ignorée. Son manuscrit (45 pages in-4°) était mentionné dans le catalogue Charavay de 1866 et avait été acquis cette année-là par un collectionneur anglais, George Powell. C’est lui qui, entre 1879 et 1882, l’a légué à la Bibliothèque Nationale du pays de Galles ; faute d’être catalogué, il n’y a été découvert qu’en 1972, dans le fonds Nanteos. Il a pu faire alors l’objet d’une édition, parue en 1977 (voir infra).

Rétif n’évoque nulle part ce manuscrit inachevé, qui est une réfutation de l’ouvrage de d’Holbach, Le Système de la Nature, paru en février 1770. Il l’a rédigé peu de temps après, comme le suggèrent les premières lignes de l’Avertissement : « La fermentation occasionnée par le livre du Système de la Nature m’empêche de suivre l’ordre que je m’étais  prescrit ; ce volume devait être le quatrième. Mais l’occasion m’ayant paru favorable pour le faire paraître, j’ai cru devoir la saisir, pour montrer à la jeunesse que les principes du matérialisme sont impuissants contre l’existence d’une cause première, et qu’en les admettant presque tous, les conséquences qu’on en tire ne sont pas moins fausses. » La présence d’une épreuve du Nouvel-Émile, imprimée entre septembre et décembre 1770, la date indiquée en tête de la 1re lettre (« De Paris, ce 8 9bre 1770 ») semblent permettre de situer le début de la rédaction.

Rétif s’attache d’abord à réfuter point par point l’ouvrage de d’Holbach. Mais avec les chapitres IV, V et VI, il ne fait plus que résumer le texte ; c’est dire qu’il en reste à la préparation de la réfutation, tâche finalement abandonnée. Nous avons tout de même dans les trois premiers chapitres la première expression de son syncrétisme, où se mêlent spiritualisme, vitalisme et matérialisme, version initiale de la philosophie qu’il développera  dès 1771 dans Adèle de Comm**, puis dans  L’École des pères en 1776, et dans presque tous ses ouvrages, jusqu’aux grands exposés de la Philosophie de Monsieur Nicolas et des Posthumes.

Édition

— 1977, Le Généographe, dans Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, n° CLXX, The Voltaire Foundation and the Taylor Institution, Oxford, p. 127-234. Établissement du texte, introduction (p. 129-163) et notes par Dennis Fletcher.

Le Glossografe, ou l’Ortografe et la Langue réformées.

Il était conçu pour être le VIe volume des Idées singulières » (MN, I, p. 163 en note). « J’y travaille depuis 1769 », dit Rétif (ibid) et il précise dans Mes Ouvrages qu’il fut  « commencé en même temps que Le Pornographe » (MN, II, p. 966). Ces dates sont confirmées à la fin de la « Revue des ouvrages de l’auteur » qui clôt Le Quadragénaire (1777), où il ajoute, après avoir détaillé le sujet de son Glossographe : « Il y a huit ans que l’auteur s’occupe de cet important ouvrage. » Mais dès 1766, son premier roman, La Famille vertueuse, était imprimé dans une orthographe « conforme à la prononciation » : « Je n’ai jamais pu me soumettre à l’orthographe ordinaire ; je l’ai plus ou moins contrariée tout ma vie » (MN, II, p.895).

L’ouvrage ne fut jamais imprimé. Selon un passage de Monsieur Nicolas,  qui doit dater de 1785, « cet ouvrage n’est pas fait et ne doit jamais être imprimé » (ibid., II, p. 893). Mais dans Mes Ouvrages, une dizaine d’années plus tard, l’ouvrage est simplement déclaré « non encore imprimé » (ibid., II, p. 966), et on y renvoie le lecteur (p. 979). Nous savons que le manuscrit fut achevé et soumis à la censure pour approbation. En effet est parvenu jusqu’à nous un formulaire des services du Garde Sceaux, signé de Maissemy et daté du 15 décembre 1788, chargeant le censeur Toustain-Richebourg d’examiner le manuscrit du Glossographe (sous le même numéro figure Le Thesmographe). Rétif avait donc bien l’intention de publier cet ouvrage.

Pour des raisons inconnues, il ne le fut jamais et le manuscrit a disparu.  Sa seule trace est une page intitulée Écriture universelle. Dictionnaire en toutes langues, surgie en février 2006 dans une vente d’autographes à Bâle. Cette page fait partie de la IIe Partie (voir ci-dessous le point B de la table des matières de cette Partie). Si Le Glossographe ne fut jamais imprimé, ce fut peut-être parce qu’en 1788 Rétif donna la priorité à l’impression de Monsieur Nicolas, qui venait enfin  d’être autorisé. Malgré l’importance que revêtait à ses yeux la réforme proposée par Le Glossographe, l’ouvrage resta dans les tiroirs de son auteur.

Rétif en a donné une longue et minutieuse analyse, parfois diffuse et redondante, dans Mes Ouvrages (MN, II, p. 966-979) : « J’entreprends d’y donner aux Français une orthographe facile, invariable et conforme à la prononciation. Mon modèle et mon autorisation, pour cette réforme sont dans la langue grecque et surtout dans la langue italienne, qui s’est absolument débarrassée de la superstition des étymologies […] Observons ici que je ne propose pas seulement une réforme de notre orthographe, mais une réformation entière de notre langue, qui la rende analogue et régulière, comme l’italien, le latin le grec » (p. 966-967).

Dans cette analyse, une grande place est faite au nouvel alphabet (p. 967-976) caractérisé notamment par la suppression des diphtongues, le maintien du s long ( ʃ ), l’adoption du ai pour les imparfaits (sur le modèle de Voltaire).

À propos de la langue, dans deux siècles, dit Rétif, le « langage incorrect » des Corneille, Racine, Diderot, Buffon et autres écrivains contemporains ne sera plus compris et qu’il faudra le traduire, « ou laisser périr tous nos chefs-d’œuvre » (p. 971) : « J’entreprends dans Le Glossographe de prévenir une partie de ces malheurs » (ibid.)

Rétif présente ensuite la table des matières de la IIe Partie. « A donne une idée des langues de tous les habitants du globe, y comprises les nations sauvages — B propose l’invention d’une écriture universelle pour toutes les langues, d’après la nature de nos chiffres arabes étendue et diversifiée çà tous les objets. — Dans C je traite de la langue chinoise, ce qui jette du jour sur la note précédente et sur toutes les langues dont l’écriture est en signes d’idées. — D renferme les Dix-huit observations typographiques que je donnai au citoyen Beaumarchais commençant l’impression de son Voltaire, pour être par lui présentées à l’Académie française [sur ce sujet, voir MN, I, p. 901-902 la note de Rétif] […] Dans E, je traite de l’emploi entendu des capitales et des petites capitales ; je mets les premières aux hommes, aux villes ; les secondes aux animaux et aux choses de seconde considération, etc. — F contient un examen de la langue italienne, de l’espagnole. — G parle de Lebrigant [1720-1804, linguiste auteur de nombreux ouvrages en ce domaine] et des autres charlatans e. g.. Je renvoie à l’ouvrage pour le reste » (p. 978-979).

En 1777, à la fin du Quadragénaire, Rétif donnait déjà un sommaire détaillé de son Glossographe, repris en 1784 dans la Paysanne, où il indiquait : « Quelqu’aride que paraisse cette matière, l’auteur la traitera d’une manière philosophique et curieuse » (vol. IV, p. ccxliv). Le 21 novembre 1785, il note dans son Journal quelques idées. En 1786, il en donne un aperçu dans  la « IVe  Lecture » des Françaises, intitulée « La Langue française » (vol. I, p. 181-196) ; il en fait la 51e juvénale (voir le Paysan-Paysanne in fine) et une lecture à la marquise dans la 119e Nuit.  Il y fait encore référence dans La Femme infidèle (vol. I, p. 202, vol. II, p. 306-317). C’est dire l’importance qu’il accordait à cet ouvrage, dont la non-impression reste un mystère.

1777. Les Gynographes, ou Idées de deux Honnêtes Femmes sur un projet de règlement proposé à toute l’Europe pour mettre les femmes à leur place, et opérer le bonheur des deux sexes.Avec des Notes historiques et justificatives. — Dans Mes Ouvrages, le titre est abrégé en : Les Gynographes ou la Femme réformée. Tirage à 1000 exemplaires (Mes Inscripcions, éd. Paul Cottin, p. 319, dans Mes Affaires). Parut « à la fin de 1776 » (Paysanne, IV, p. clxxx) ou « au commencement de 1777 » (MN, II, p. 311).

Deux Parties en 1 volume in-8° de VIII et 567 pages. « Cet ouvrage fut composé en 1776 et 1777. La première partie renferme un projet de réforme des mœurs et des usages du second sexe ; la deuxième est une compilation des usages et de toutes les coutumes de la terre relatifs aux femmes » (MN, II, p. 315). À la suite de cette partie, Rétif donne une longue liste de plus de 700 « Noms des Femmes célèbres » (p. 523-567), avec une brève notice pour chacune d’elles.

Prévenant les critiques contre un ouvrage prônant la soumission de la femme à l’autorité maritale, il écrit : « J’étais un véritable adorateur des femmes, malgré les principes de mes Gynographes et l’expression de second sexe que j’emploie dans ce dernier ouvrage » (MN, II, p. 380).

Dans la revue des ouvrages publiée à la fin du Quadragénaire (paru cette même année 1777), comme dans celle de la Paysanne (1784, IV, p. ccxlii), Rétif détaille le plan de l’ouvrage, qui « ne propose rien moins qu’une réforme générale des mœurs ».

À la fin de L’Andrographe, il est indiqué : « Ce dernier ouvrage doit faire le pendant des Gynographes et les deux former ensemble un seul et même plan de réformation ». Rétif écrit aussi que ces deux ouvrages sont étroitement liés « puisqu’on ne peut réformer la femme sans réformer l’homme » (Mes Ouvrages, p. 964).

« On dira ici que cet ouvrage utile, et peut-être trop fort pour le siècle, se vend très lentement, qu’il a révolté les femmes, et les corrupteurs des femmes encore plus que les femmes elles-mêmes. De sorte qu’on peut dire que le peu de succès de cette production patriotique est autant l’effet de l’extrême corruption des mœurs que des fautes que l’auteur peut y avoir faites » (Quadragénaire, dans la notice du Quadragénaire même).

« Quant aux Gynographes, je vois dans l’auteur un homme pénétré d’une véritable philanthropie et qui cherche à l’exercer de la manière a plus avantageuse, en rendant les femmes raisonnables ; en ne tendant à les rendre heureuses que par le devoir rempli, et les hommes heureux que par les épouses qu’il veut leur former. Je ne m’attendais pas à voir paraître cet ouvrage dans ce siècle […] Il pose les bases du bonheur public et particulier » (MN, éd. orig., vol. XIV, Ma Morale, p. 3972, dans des propos prêtés à Rousseau).

Édition (XVIIIe siècle)

Il n’y eut qu’une édition, mais selon les exemplaires, les pages de titre portent l’adresse de Duchesne ou de Humblot.

Édition moderne 

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 51. Reproduit un exemplaire portant l’adresse de Humblot.

1811. Histoire des Compagnes de Maria, ou Épisodes de la vie d’une jolie femme. Ouvrage posthume de Restif de la Bretonne. Tome 1er. Vie de Restif.

3 volumes in-12 de XLV-200, 304 et 313 pages.

L’ouvrage est dû à Cubières-Palmézeaux, dont le nom ne figure pas sur la page de titre, mais qui se présente dans la Préface comme l’auteur de la « Notice historique et critique sur la vie et les ouvrages de Nicolas-Edme Restif de la Bretonne », 200 pages occupant la totalité du tome I.

Les tomes II et III contiennent 31 nouvelles, dont 4 ont déjà été imprimées dans Les Nouvelles Contemporaines (voir la notice précédente) et une, La Petite Veuve de la rue du Four, dans L’Année des dames nationales, sous le titre de La Petite Veuve (488e Nationale, vol. XI, p. 3257-3263) ; cette histoire se trouve aussi employée dans Mon Calendrier (« Suzanne Fister ou la petite veuve », MN, II, p. 815-817) et dans Le Drame de la vie, scènes 41 et 42 du IIe « Acte des Ombres » (t. V, p. 1103-1107). Les 26 autres sont inédites.

Il faut bien reconnaître que l’Histoire des Compagnes de Maria est plus consultée pour la Notice de Cubières que pour le recueil de nouvelles.

À la mort de Rétif en 1806, des manuscrits restent inédits dans le logement de la rue de la Bûcherie. Le désir de leur publication a probablement été partagé par les filles de l’écrivain et par Mme de Beauharnais. Agnès (1761-1812) et Marion (1764-1836) sont soucieuses sans doute d’honorer la mémoire de leur père, mais aussi de se procurer quelques ressources en exploitant son héritage littéraire. Marion surtout, la fille cadette, veuve depuis 1794, connaît de sérieuses difficultés matérielles après la mort de son père. Un document de 1807 montre qu’elle est menacée de saisie pour cause de loyers impayés (BnF. N.a.f. 3300, f. 21, billet daté du 12 juillet 1807) ; en 1808, elle est amenée à demander à Jean-Nicolas Duchesne (le fils de la veuve Duchesne) une avance sur la vente des ouvrages de son père, avance qui lui est refusée (BnF, N.a.f.. 3300, f. 50, daté du 20 février 1808). Agnès, mariée à Louis-Victor Vignon, employé à la préfecture de police, était, elle, à l’abri du besoin.

Mme de Beauharnais, fidèle et secourable amie de l’écrivain, estime que la mort de Rétif n’a pas été saluée comme il convenait et elle tient à lui rendre hommage. Grâce à ses ressources et à ses relations, elle a les moyens d’assurer la publication de ces manuscrits. Tout naturellement, elle charge de cette tâche Cubières, son ami dévoué. L’idée de faire précéder les nouvelles par une « Vie de Restif » vient sans doute d’elle. Cubières est tout désigné pour la rédiger : n’est-il pas un spécialiste des Éloges (comme lui-même le rappelle dès le début de sa préface) ?

Le projet de cette édition posthume naît donc dès 1806. La preuve en est une lettre de « Mme la veuve Restif, née Lebègue », du 18 octobre 1806, adressée à Cubières et reproduite par lui dans sa préface. Elle s’y déclare « trop charmée de l’honneur » qu’on lui fait en lui demandant « quelques traits intéressants qui puissent être insérés dans l’éloge de feu [son] mari ». À cause de l’écart de plusieurs années entre cette lettre et la publication de l’ouvrage en 1811, Tabarant juge que la date de 1806 est fausse et que la lettre date de 1810 (op. cit., p. 471) ; J.R.C. lui emboîte le pas (p. 47). Mais ils ignorent apparemment qu’Agnès Lebègue est morte depuis 1808. Pour des raisons qui nous échappent, la réalisation du projet formé en 1806 a été différée.

L’ouvrage parut sous le millésime de 1811, mais il fut mis en vente en novembre 1810. En témoigne le compte rendu publié dans le Journal des Arts, de Littérature et de Commerce du 5 décembre.

Les manuscrits que laisse Rétif à sa mort deviennent la propriété de ses deux filles. Leur mère, Agnès Lebègue, divorcée depuis 1794, n’a logiquement aucune part à cette succession.

Parmi eux figurent de nombreuses nouvelles, non imprimées en 1802 dans Les Nouvelles Contemporaines. On a vu que quatre d’entre elles se retrouvent tout de même dans l’Histoire de Compagnes de Maria. Elles sont restées sur la liasse encore non utilisée. On peut penser que l’empilement des volumes et des manuscrits dans l’étroit logement de la rue de la Bûcherie a favorisé quelque confusion. Marion n’a pas vérifié la liasse qu’elle remettait à Mme de Beauharnais pour Cubières et ne s’est pas aperçue des quatre doublons. De leur côté, ni Mme de Beauharnais, ni Cubières ne se souvenaient des Nouvelles Contemporaines.

Trois indications dans le texte permettent de penser que la rédaction des nouvelles imprimées en 1811 est postérieure à celle des Nouvelles Contemporaines. Au début de La Grogneuse, Rétif renvoie à « une très agréable nouvelle récemment imprimée sous le titre des Petites Contemporaines [Les Nouvelles Contemporaines]. Cette nouvelle était intitulée la Boudeuse [Napoleone Omirget] » (Histoire des Compagnes de Maria, II, p. 143). L’approximation des titres peut être attribuée à la vieillesse de Rétif. Une autre indication est donnée plus loin dans la même nouvelle : « Il s’adressa au magistrat des mœurs nouvellement établi sous le nom de grand juge, le respectable M. Régnier » (p. 162). Régnier fut nommé ministre de la justice par Napoléon le 14 septembre 1802 ; la nouvelle est donc écrite au plus tôt dans les derniers mois de 1802. Enfin, dans la nouvelle Sophie de Girard ou l’aimable laideron, se trouve un renvoi aux Petites Contemporaines (voir III, p. 19).

Les nouvelles de l’Histoire des Compagnes de Maria sont présentées comme des histoires racontées dans la société de Mme de Beauharnais (Maria), comme l’étaient les Lettres du tombeau (Les Posthumes). Le recueil est conçu dans l’esprit de ce cadre narratif.

Tabarant affirme que Cubières l’a trouvé « tout préparé dans les papiers du défunt » et qu’il ne l’a « nullement arrangé, comme on l’a prétendu » (op. cit., p. 472-473). L’analyse précise des textes en doublon démontre le contraire : leur comparaison révèle de nombreuses et diverses interpolations. L’attestation placée en tête du tome I et du tome III, signée par la famille Restif, garantissant l’authenticité des manuscrits, ne doit pas faire illusion. Cubières les a partiellement réécrits au gré de sa plume. À moins que le texte des Nouvelles Contemporaines, en 1802, qui n’a pas été imprimé par Rétif, soit lui-même infidèle au manuscrit, et que Cubières, qui a sous les yeux le manuscrit, donne la version authentique.

Son travail a d’abord consisté à choisir pour le recueil posthume un titre qui assure un lien entre les nouvelles et qui mette au premier plan la figure de Maria, autrement dit Mme de Beauharnais. L’hommage à Rétif est conçu pour être en même temps une célébration de sa bienfaitrice. Les passages où Maria est présente sont naturellement des additions de Cubières (on le voit dans les nouvelles en doublon). Ces additions sont présentes dans douze nouvelles. C’est à la fin de Virginie ou la petite actrice de Maria que Cubières souligne le rôle central de Mme de Beauharnais : « Telles sont les historiettes intéressantes que se plaît à raconter le soir madame Maria à ses familiers, et que l’un d’eux a recueillies pour les ajouter à son histoire : c’est celle de son esprit, de ses pensées. On a ainsi non seulement les actions de la spirituelle Maria, mais ses pensées et les occupations de son intelligence. C’est par là seulement que l’on peut faire la véritable histoire d’une femme de lettres. Ainsi tout ce que l’on rapporte dans cette histoire, ou est sorti de la bouche de Maria, ou a été raconté par elle, ou a reçu son approbation lorsqu’il a été traité par d’autres. L’on s’est fait une loi, en mettant en narration ce qui a plu à Maria, de ne s’occuper et de n’occuper le lecteur que de ce qui l’a elle-même occupée avec quelque agrément » (II, p. 95-96).

Dans le Journal des Arts, de littérature et de commerce du 5 décembre 1810, le journaliste annonce d’emblée qu’il ne dira pas un mot des nouvelles ; il se consacre à la Notice de Cubières : elle « fera époque dans les annales de la bouffonnerie […] Il est impossible de ne pas pouffer de rire en lisant la vie de Rétif de la Bretonne composée par M. ***. » Le Mercure de France de janvier 1811 aborde l’analyse des nouvelles, mais c’est pour les exécuter et rappeler que Rétif n’est décidément que « le Rousseau des halles et le Voltaire des antichambres ». L’hostilité est aussi vive dans le Journal de l’Empire du 1er février 1811 et la Gazette de France du 11 février : « Ce n’est pas sans une répugnance bien prononcée que je me suis décidé à parcourir un ouvrage posthume de Rétif de la Bretonne. »

L’hommage à Rétif voulu par Mme de Beauharnais tomba donc à plat. Cubières, raillé par toute la presse de l’Empire, n’était pas le meilleur défenseur de la cause, et Rétif était déjà tombé dans une durable disgrâce.                       

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol., sous les nos 52 (t. I et II) et 53 (t. III).

Voir à Veillées du Marais.

Voir à Fin Matois.

1789. Ingénue Saxancour, ou la Femme séparée. Histoire propre à démontrer combien il est dangereux pour les filles de se marier par entêtement et avec précipitation, malgré leurs parents. Écrite par elle-même.

3 Parties en 3 volumes in-12 de 248, 240 et 260 pages.

Rétif y a inséré trois pièces de théâtre : La Marchande modes ou le Loup dans la bergerie, « comédie-ariette en 4 actes » (I, p. 129-243) ; La Matinée du père de famille, « pièce en 1 acte » (II, p. 160-179) ; Épiménide, « comédie en 3 actes », (p.134-241). Ce sont des pauses dans le récit pour suspendre le récit des horreurs, pour « reposer l’imagination » : « C’est un art, dans ce malheureux ouvrage que d’y mettre des épisodes, et ce qui serait un grand défaut dans tout autre est ici le plus haut degré de perfection ! » (II, p.180). Sur ces pièces voir infra les notices n° XLV/F, XLV/G et XLV/I.

« C’est comme la suite de l’ouvrage précédent [La Femme infidèle]. Ma fille aînée y fait son histoire, depuis son enfance jusqu’à son mariage et sa séparation d’avec l’exécrable L’Échiné. Elle y raconte ses premières aventures ; elle rapporte une pièce de moi intitulée Le Loup dans la bergerie ou La Marchande de modes. Elle raconte ensuite ce qu’elle a eu à souffrir d’Agnès L.. Mais quand elle est parvenue à son mariage, ses récits font horreur… On sait déjà, et j’en suis convenu dans mon histoire, que toutes ces infamies n’appartiennent pas à L’Échiné, mais qu’elles sont un amalgame de celles commises sur une dame Moresquin, grande et superbe femme, et sur ma fille aînée […] Ingénue, en vertu de la sage et sainte loi du divorce, a enfin divorcé en 1794 d’avec le vil L’Échiné et s’est remarié au cit. Vignon, avec lequel elle est tranquille » (Mes Ouvrages, p. 986-987).

Le Journal montre que Rétif avait d’abord opté pour le titre La Femme séparée. Il en commence la rédaction le 18 mars 1786 (« 2 p. Femme séparée »). Le manuscrit lui paraît achevé le 5 avril : « fini Séparée », mais il y revient le 8 juin et poursuit son travail jusqu’au 29 juillet, arrivant ce jour-là à la page 108 de son manuscrit. Il semble considérer que l’ouvrage est alors terminé. Il n’en est plus question jusqu’au 18 avril 1788 : « repris la Femme séparée ». On peut penser que cette longue interruption fut la conséquence des remous suscités par la publication de La Femme infidèle fin avril-début mai 1786. Le conflit avec Augé s’envenime. Rétif a dû juger plus prudent de ne pas remettre de l’huile sur le feu en publiant un ouvrage sur les malheurs conjugaux de sa fille.

Il était sans doute quasiment achevé quand il s’y remet le 18 avril, car Rétif en a terminé dès le 23. Il confie son manuscrit à Maradan le 14 mai. L’impression commence le 24 juin. Le 18 novembre il apporte un exemplaire à son censeur Toustain-Richebourg. On ne connaît pas la date exacte de la mise en vente, mais elle est déjà effectuée en mai 1789 ; Rétif note le 2 juillet qu’Augé fait la tournée de ses libraires et le 27 qu’il a rendu visite à Maradan : « infâme Augé y a été pour Ingénue ». Ce livre pourchassé dut avoir une diffusion discrète. Dans une lettre du 23 avril 1791, La Reynière se plaint de ne pouvoir se procurer le livre : « J’y ai fait chercher [à Lyon] Ingénue Saxancour : on ne l’y connaît pas. Mais le libraire a écrit à Paris pour en recevoir et je la recevrai incessamment » (Correspondance, éd. cit., p. 531). Le 29 mai, il peut écrire à Rétif qu’il a « enfin réussi à [se] procurer Ingénue Saxancour » (ibid., p. 533).

Mettre par écrit les malheurs de sa fille a été une obsession pour Rétif à partir de 1785. Ingénue Saxancour (titre qui semble n’avoir été adopté qu’au moment de l’impression) est précédée par quelques récits et prolongé par quelques autres. Dès 1785, Les Françaises accueillent trois histoires inspirées par ce drame conjugal : « L’Épouse aimant un autre homme » (vol. III, p. 17-83), « L’Épouse d’homme veuf » (ibid., p. 307-312) et surtout « L’Épouse séparée » (vol. III, p. 112-160) sorte de résumé d’Ingénue. À la même époque, les lettres 188 et 227 de La Femme infidèle esquissent le roman de l’année suivante, dans lequel Rétif développe l’histoire, en la dramatisant davantage : « On y voit, écrit-il dans Le Thesmographe, des horreurs qui ont échappé au premier ouvrage, horreurs qui sont là exposées sans ménagement, parce que le monstre n’en méritait pas » (p. 484). L’« Avis de l’éditeur » souligne cet aspect : « Que va-t-on voir en effet dans cet ouvrage ? Une fille imprudente qui se marie, malgré son père, à un infâme, un homme faux qui […] laisse voir tous les vices, soumet son épouse infortunée à tous les caprices d’un libertin, à toutes les turpitudes d’un débauché, à toutes les infamies d’un scélérat corrompu, à tous les supplices que peut faire endurer un bourreau, à un homme qui la contraint de fuir, et qui la poursuit, enragé, après qu’elle s’est dérobé à sa fureur… On trouvera dans cet ouvrage ce qu’on nomme dans le monde des horreurs. J’en conviens. Mais je sens qu’il faut qu’elles s’y trouvent, pour que le livre soit profitable aux filles qui se marient malgré leurs parents, et surtout en bravant l’autorité sacrée d’un père éclairé. Je me rappelle que lors de la publication de La Femme infidèle, une grande dame se plaignit en disant qu’on ne devait pas publier de pareilles atrocités ! Ah ! l’atrocité, c’est qu’une fille se marie malgré son père à un homme vil qu’il a pénétré. Au reste, cette dame peut se dispenser de lire La Femme séparée, où les horreurs sont ingénument racontées. Elles étaient voilées dans la IVe Partie de La Femme infidèle ; ici, elles sont à nu, et le monstre paraît aussi hideux en récit qu’il l’est dans la nature. »

Avec La Femme infidèle, Les Françaises, Ingénue Saxancour, tout semblait dit sur le sujet. Pourtant, dès septembre 1788 (voir Journal nos 1462 et 1478), alors que l’impression d’Ingénue est sur le point de s’achever, Rétif insère à la fin du volume 27 des Contemporaines (2e éd.) un « Supplément à La Femme séparée » (p. 304-339), où il donne à l’histoire un dénouement de conte de fées.

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1791, Ingénue Saxancourt ou la Femme séparée, etc.

Sous ce titre à l’orthographe erronée, le libraire Gueffier a fait des 3 Parties d’Ingénue les tomes X, XI et XII de la Nouvelle Bibliothèque des dames.

Éditions modernes

— 1922, dans « Les Maîtres de l’amour », « L’Œuvre de Restif de la Bretonne », Ingénue Saxancour ou la Femme séparée, Bibliothèque des Curieux, 1 vol. in-8° de VIII-372 pages, avec une Introduction signée J. H.

— 1931, dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. V, texte et notes par Henri Bachelin (extraits). Reproduit par Slatkine Reprints en 1978.

— 1948, Éd. Paris Variété, 1 vol. in-16 de 230 pages, Avant-Propos de Gilbert Lély.

— 1960, Éd. J.J. Pauvert, 1 vol. in-12 de 236 pages, texte partiel. Présentation de Gilbert Lély. Édition reprise en 1979 par l’éditeur Jean-Claude Lattès.

— 1978, Union Générale d’Éditions, coll. « 10/18 », 1 vol. de 445 pages ; texte et dossier établis par Daniel Baruch.

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 54 et 55. Édition complète.

— 2002, dans Restif de la Bretonne, Éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, t. II, p.465-611, édition établie par Daniel Baruch, avec Notice et notes.

— 2014, Ingénue Saxancour ou la Femme séparée, The Modern Humanities Research Association, Critical Texts, vol. 33, 1 vol. de 262 pages, Introduction, notes and appendices by Mary S. Trouille (texte français et appareil critique en anglais).

Traduction

— 2017, Ingénue Saxancour, or The wife separated from her husband, Modern Humanities Research Association, 1 vol. de IX-214 pages, translated, introduction and notes by Mary S. Trouille.

Adaptation

Ingénue, roman d’Alexandre Dumas, en collaboration avec Paul Lacroix (voir sa Bibliographie […] p. 316). Paru en feuilleton dans Le Siècle du 30 août au 24 octobre 1853, puis interrompu et repris du 30 août au 8 décembre 1854. Publié en volume par quatre éditeurs dans les années 1853-1860, et en 1990 par les Éditions François Bourin, avec Introduction, Notes et Postface par Daniel Baruch (1 vol. 559 pages).

1779-1796. Mes Inscripcions et le Journal.

Il s’agit de deux types d’écrits, constituant un seul manuscrit, conservé d’une part à la Bibliothèque de l’Arsenal, Archives de la Bastille, sous la cote 12.469 (56 feuillets in quarto numérotés de 97 à 1028), d’autre part à la BnF sous la cote n.a.f. 22.772 (51 feuillets in quarto), suite exacte du manuscrit de l’Arsenal. Le partage, en deux liasses à peu près équivalentes, se fait à la date du 19 août 1787 ; le manuscrit de la BnF commence le 20 août.

Il s’interrompt le 11 juin 1796. La suite est perdue. Aucun feuillet n’est parvenu jusqu’à nous, alors que plus d’une centaine de pages d’autres œuvres ont réapparu au fil du temps. Il n’est pas douteux que Rétif a continué son journal au-delà de 1796, sinon jusqu’à sa mort en 1806, du moins tant qu’il put tenir la plume. On ne sait en quelle circonstance ce manuscrit a été scindé en deux ; sans doute Agnès et Marion, les deux filles de l’écrivain, en ont pris chacune une moitié à la mort de leur père, pour la mettre en vente. Le destin de ces deux moitiés reste inconnu, destin qui les a finalement conduites dans deux bibliothèques publiques différentes.

Mes Inscripcions (Rétif use toujours de cette orthographe) sont le relevé de ses inscriptions lapidaires faites sur les parapets de l’Île Saint-Louis, lieu favori de ses promenades quotidiennes. « Ce fut en 1779, le 5 9bre, à l’époque de mon premier mal de poitrine que je commençai d’écrire sur la pierre, à l’Île Saint-Louis » (éd. Manucius, I, p. 31). Par définition, ce sont des notes brèves, abréviations souvent, précisément datées, menus événements de la vie quotidienne (rencontres, visites, connaissances, maladies, vie intime…), travail de l’écrivain, gravées pour être relues, et particulièrement aux dates anniversaires. C’était la poursuite d’une pratique ancienne, remontant à l’adolescence, celle des memoranda enregistrés sur des cahiers.

Se rendant compte que la pierre même se dégrade et n’est pas un conservatoire fiable du souvenir, Rétif décide le 1er septembre 1785 de revenir au papier : « 1 septembre. Je commence à écrire ces Inscripcions » (ibid., p. 195). Il en termine le 4 novembre : « 4 9b (aujourd’hui) j’en suis parvenu ici, ce matin, pour le relevé de mes Inscripcions […] Je continuerai désormais à écrire, jour par jour, tout ce qui m’arrivera, jusqu’à la fin de ma vie. J’emporte aujourd’hui ce papier dans ma chambre de la rue St-Jacques afin qu’il ne soit pas vu » (ibid., p. 206).

Mes Inscripcions deviennent dès lors un Journal. L’ensemble est d’un intérêt capital pour la connaissance de la vie de Rétif et de son travail d’écrivain. Rétif lui-même y voyait un complément nécessaire de Monsieur Nicolas et avait le projet de l’imprimer en annexe. Figure du reste en tête de Mes Inscripcions le chiffre VII qui témoigne de la place qui leur revenait.

Paul Cottin, en 1889, publia le manuscrit de l’Arsenal (donc jusqu’au 19 août 1787) sous le titre Mes Inscripcions, sans s’aviser qu’il englobait sous ce titre la période 1785-1787 qui est celle du Journal. Sa transcription souffrait en outre d’erreurs de lecture. Depuis 2006, l’édition de référence est celle de Pierre Testud, chez Manucius, en 2 volumes, où sont distingués Inscripcions et Journal et qui corrige les fautes de l’édition Cottin.

On a donc :

— 1889, Mes Inscripcions, Journal intime de Restif de la Bretonne (1780-1787) publié d’après le manuscrit autographe de la Bibliothèque de l’Arsenal, avec préface, notes et index par Paul Cottin. Librairie Plon, Nourrit et Cie, imprimeurs–éditeurs. 1 volume de 338 pages.

Cette édition donne en outre des fragment manuscrits placés à la suite de Mes Inscripcions, portant sur un « État de mes Affaires » et des extraits de feuillets nommés par Cottin Memento, où sont notés pensées, vers galants, idées diverses, citations, etc.

— 2006, vol. I Mes Inscripcions (1779-1785)Journal (1785-1789), 844 pages, et vol. II Journal (1790-1796), 2010, 442 pages. Éditions Manucius, coll. « Littera ». Texte établi , annoté et présenté par Pierre Testud, avec Index.

1772. Le Jugement de Pâris.

Comédie-ballet, imprimée d’abord en 1772 sous forme d’un volume in-8° de 44 pages et, la même année dans le volume V d’Adèle de Comm** (p. 1-58 ; pagination séparée, après la page 78), puis dans la première édition du volume V des Contemporaines (la pièce disparaît dans la 2e édition), dans le volume IV des Parisiennes (p. 327-364) en mars-avril 1787, enfin dans le volume I du Théâtre (p. 391-428) en 1786.

« Comédie-ballet que je destinais à faire briller les talents naissants pour la danse » de Mlle Rivière (MN, II, p. 372). Dans une lettre du 7 septembre 1772, Rétif écrit à cette comédienne : « J’étais avant-hier au spectacle de Nicolet, votre directeur, où je vis, avec autant de surprise que de chagrin, qu’on avait défiguré un petit divertissement que j’ai composé pour une société particulière et que je me proposais d’adapter un jour au spectacle de l’Ambigu-comique. La seule chose qui m’ait consolé, c’est que vous y ayez fait le personnage que je vous avais destiné, en vous créant un rôle digne de vous. Quel est donc le plagiaire qui peut avoir ainsi défiguré mon Jugement de Pâris ? Si c’est M. Taconet, je lui pardonne ; ce que je ne fais pas si c’est tout autre » (Correspondance, éd. cit., p. 71).

Le coupable, selon Rétif, est Gardel, célèbre danseur de l’Opéra. Mais nous avons deux versions de l’affaire. Dans Monsieur Nicolas, Gardel se serait emparé de son Jugement de Pâris (« Gardel s’en est servi en le gâtant ; mais il n’a fait aucun usage de la petite comédie qui l’accompagne » (Mes Ouvrages, p. 992). Cubières s’en fait l’écho : « [Rétif] m’a dit souvent que […] M. Gardel, qui n’a besoin de voler personne, lui avait volé son Jugement de Pâris dans le ballet charmant qu’il a donné sous ce titre » (Histoire des Compagnes de Maria, t. I, p.128). Cependant Rétif dit ailleurs (MN, II, p. 908) que le succès de son ballet « dans une société distinguée » l’engagea, en 1781, à l’envoyer à Mlle Arnould, de l’Opéra, en la priant de le donner à Gardel de ma part. J’étais sûr que Le Jugement de Pâris lui aurait fait un honneur infini, mais je n’en ai pas entendu parler depuis, soit qu’il l’ait dédaigné, par ignorance, ou que Mlle Arnould ne le lui pas donné. » Ici en note Rétif écrit : « Il l’a fait danser depuis, mais en ôtant de mon ballet tout ce qu’il y avait de génie. »

Un ballet de Gardel intitulé Le Jugement de Pâris fut représenté en 1793 ; mais il ne semble pas qu’il y ait un lien avec la pièce de Rétif, qui se laissa sans doute abusé par le titre.

1797. Les Juvénales.

Sur cet ensemble de textes disséminés dans plusieurs ouvrages de Rétif, voir l’article de David Coward, « Du Hibou aux Nuits : les juvénales de Rétif », Études rétiviennes n°6, p. 88-100. — Signalons aussi les Actes du colloque colloque international De la satire à la juvénale. Forme et enjeux de l’indignation chez Rétif de la Bretonne, 25 et 26 septembre 2020, publiés dans Études rétiviennes n° 52, déc. 2020, p. 11-223.

Rétif emploie pour la première fois le terme de juvénale dans La Découverte australe (1781), à propos de la Lettre d’un singe : « C’est vraiment une juvénale que cette lettre, mais présentée sous un jour absolument neuf » (Préface nécessaire, vol. I, p. 9). Jusque là, c’est le mot diatribe qui venait sous sa plume. En 1780, dans la préface des Contemporaines, il mentionne « un autre ouvrage [le Hibou], qui ne sera plus composé que de diatribes, c’est-à-dire de. Indigné d’avoir été trompé par le vice, et reconnaissant enfin qu’il n’y a d’aimable que la vertu, je prépare cet ouvrage contre les préjugés destructeurs de la félicité des hommes. Il est écrit avec toute la véhémence de Juvénal. » (Cont., éd. cit., t. I, p. 72). « Morceaux pleins de chaleur contre les abus », c’est la définition même des juvénales. Cubières en donne une idée bien inexacte quand il écrit dans sa Notice : « Qu’on lise ses juvénales ; c’est le titre qu’il donne à ses diatribes anti-littéraires et anti-ecclésiastiques » (Histoire des Compagnes de Maria, I, p. 159).

Diatribe et juvénale coexistent du reste en 1781, puisque la Lettre d’un singe, qualifiée de juvénale dans la Préface est nommée diatribe dans le volume III (p. 5). Mais après cette date, juvénale l’emporte. En 1796 et 1797, le terme immoralité sera employé concurremment. Il s’agit dans tous les cas de morceaux animés par l’indignation et écrits avec la volonté de changer la société.

Rétif conçut d’abord de faire de ces textes satiriques un recueil intitulé Le Hibou spectateur nocturne. Le projet remonte à 1777, d’après cette phrase de Monsieur Nicolas : « Je ne m’occupais alors que de quelques juvénales du Hibou (origine des Nuits de Paris) » (MN, II, p. 311). La Malédiction paternelle (publiée en 1780) fait plusieurs fois référence au Hibou, que Dulis est en train de composer : « […] il me lisait hier des morceaux d’un ouvrage qu’il prépare et qu’il intitule le H…. ou la S……… n……., qui m’ont paru de la plus grande force » (vol. III, p. 732 ; voir aussi p. 781 et II, p. 511).

En 1780-1781, rédigeant son Andrographe, il prévoit une 2e Partie avec huit Notes, dont sept ont des sujets de juvénales : « Dans la note B, on parlera philosophiquement du bonheur ; dans la note C, on traitera physiuement de la prostitution et de l’amour ; dans la note D, il sera question des ouvrages de littérature qui paraissent les plus futiles ; dans la note E, on examinera la répudiation et ce que sont nos femmes ; dans la note F, on envisagera la satire sous un point de vue favorable au maintien des mœurs ; dans la note G, on exposera les abus qui se rencontrent aujourd’hui dans ce qu’on nomme la chicane ; en fin dans la note H, on considèrera la mort d’après l’idée que nous devons naturellement en avoir » (p. 204). Il dit renoncer finalement à les placer dans L’Andrographe parce qu’elles seront dans le Hibou (p. 472). Ce programme est répété page 160 du Thesmographe et dans Mes Ouvrages, où Rétif indique où ces notes ont finalement été imprimées (voir MN, II, p. 965).

Ce Hibou, il le présente ainsi dans une lettre à Mercier du 23 mars 1782 : « J’ai deux volumes environ d’un autre ouvrage interrompu par la mort de Mairobert : c’est le Hibou […] C’est un homme exalté qui se promène la nuit et qui décrit le jour les abus dont il a été le témoin. Je me promets de ne toucher à cet ouvrage qu’après vous l’avoir montré. Il est susceptible de bien des corrections ! C’est le plus brusque de mes ouvrages, le plus emporté, le plus moral et le plus sérieux ; ni les choses, ni les expressions n’y sont ménagées ; les vices y sont attaqués à la Juvénal » (Correspondance, éd. cit., p. 154-155). La même année, 1782, il Le Hibou est encore cité en 1784 dans la Revue des ouvrages de la Paysanne pervertie, comme ouvrage à publier : « Le Hibou, commencé en 1778 et dont il y a déjà deux volumes en manuscrit ; ce sont des juvénales en prose contre les abus et les vices » (Paysanne, vol. IV, p. CCXLIV). Jusqu’au début de 1787, dans la dernière page, non foliotée, du Paysan-Paysanne, Rétif fait figurer dans sa liste d’ouvrages : « Le Hibou ou le Spectateur nocturne, en 50 juvénales (doit suivre), IV volumes. »

Mais auparavant, à la fin des lettres, il a présenté une récapitulation de ses juvénales (Paysan-Paysanne, vol. IV, p. 527-528), car le projet du Hibou a été abandonné en décembre 1786 au profit des Nuits de Paris. Cette récapitulation se présente ainsi :

« L’éditeur croit devoir placer ici la liste des juvénales déjà impri­mées, extraites de l’ouvrage intitulé Le Hibou. Les quatre dernières ont les femmes pour objet : l’une est intitulée, La Parure ; une autre, Les Femmes ; la troisième, Les Coquettes ; la quatrième, Les Catins. Leur rang dans l’ouvrage cité est 2, 3, 4 et 5. La 6 termine La Malédiction paternelle, sous le titre de l’Éduca­tion de ma fille Henriette. La 7 est intitulée Lettre d’un singe, et se trouve dans la Découverte australe, ainsi que la 8, intitulée L’Homme de nuit ; la 9, L‘Ia­tromachie ; la 10, La Raptomachie ; la 11, La Loterie ; la 12, L’Olympiade ; la 13, Armide ; la 14, Le Ménétrier et les loups. La 15, La Fée Ouroucoucou, est à la fin d’Oribeau ; les 45 à 50 se trouvent à la fin du IId volume du présent ouvrage et sont intitulées, 46, Les Bulles de ­savon, 47, L’Inégalité, 48, La Vérité, 49, La Satire, 50, La Mort.

      « On trouve dans le présent volume, page 70, huit au­tres juvénales, savoir : la 1, Début du spectateur nocturne, la 39, Le Tragique et le comique, la 40, Le Goût, la 41, La Politique, la 42, Le Serpent, la 43, La Saute­relle, la 44, Les Tapageurs, la 45, Le Bonheur.

      « Quant aux autres juvénales, de 16 à 38 inclusivement, elles ne sont encore placées nulle part ; mais l’éditeur présume que la 16, L’Écueil, la 17, Les Billets d’avis, et la 13, Éducation d’un prince du sang, entreront dans les réimpressions des Contemporaines, depuis XIX jusqu’à XXXI inclusivement. La 19, Les Abbés, la 20, Les Ro­mans, la 21, Le Luxe, la 22, Les Carrosses, la 23, Les Chiens, la 24, L‘Opéra, la 25, Les Français, la 26, Les Italiens, la 27, Les Boulevards, la 29, Le Divorce, la 30, Le Palais-royal, la 31, Le Palais-« justice, la 32, Les Pri­sons, la 33, Les Mendiants, la 34, L‘Échafaud, la 35, La Populace, la 36, Les Crocheteurs, la 37, Les Voituriers, la 38, La Rivière, qui compléteront le Hibou, ne sont pas encore composées. Ces juvéna­les seront réparties dans différents ouvrages, et surtout à la fin du Thesmo­graphe, où l’on indiquera la juvénale qui ferme chacune des 7 Notes omises dans LAnthropographe Enfin la 51e et dernière, La Langue française, se trouvera dans le Glossographe, 6e vol. des Idées singulières. »

Tout n’est pas là. En 1787, la répartition des juvénales imprimées est la suivante :

— dans La Malédiction paternelle (1780), la 6e, « L’Éducation de ma fille Henriette » (vol. III in fine).

— dans La Découverte australe (1781), 7e la « Lettre d’un singe » (vol. III, p. 19-92) (« c’est vraiment une juvénale que cette lettre, mais présentée sous un jour absolument neuf » (vol. I, p. 9) ; 8e « L’Homme de nuit » (vol. IV, p. 238-236) ; 9e, « L’Iatromachie » (ibid., p. 337-371) ; 10e « La Raptomachie » (ibid., p. 372-386; 11e « La Loterie » (ibid., p. 387-401) ; 12e, « L’Olympiade » (ibid., p. 402-410) ; 13e « Armide » (ibid., p. 411-416) ; 14e « Le Ménétrier et les loups » (ibid., p. 417-422).

— dans Les Veillées du Marais (1785), 15e « La Fée Ouroucoucou », « juvénale nocturne » (vol. II, p. 532-556).

— dans Les Françaises, comme « Lectures »,16e « L’Écueil » (vol. III, p. 27-43) ; 17e, « Les Billets d’avis » (vol. I, p. 250-163) ; 18e, « Éducation d’un prince du sang » (vol. IV, p. 212-260) ; 20e « Les Romans » (vol. III, p. 241-267), « une juvénale importante » dit Rétif dans la 123e Nuit de Paris ; 21e « Le Luxe » (vol. II, p. 131-141) ; 51e « La Langue française » (vol. I, p. 181-196). De plus, « La Superstition » (t. II, p. 63-79), « Le Luxe et le Pauvreté (ibid., p. 131-141), « L’Éducation d’Anastasie » (t. III, p. 51-83), « La Domesticité » (t. IV, p. 29-48), « Le Chagrin » (ibid., p. 99-116), « La Religion » (ibid., p. 136-155). Des 21 « Lectures » des Françaises, Rétif dit que « la plupart [sont] tirées d’un ouvrage assez considérable intitulé Le Hibou spectateur, dans lequel les morceaux employés ne reparaîtront un jour que par un simple renvoi indicatif » (vol. IV, p. 322).

— dans le Paysan-Paysanne (1787), la 198e lettre recueille la 46e, « Les Bulles de savon », « juvénale violente […] composée dans dans un mouvement d’indignation » (21e Nuit, éd. cit., t. I, p. 165) ; la 47e, « L’Inégalité » ; la 48e, « La Vérité » ; la 49e « La Satire » ; la 50e « La Mort ».

La 365e lettre recueille : la 1re, « Début du Spectateur nocturne, Hibou I juvénale » ; la 39e, « Le Tragique et le Comique » ; la 40e « Le Goût » ; la 41e, « La Politique » ; la 42e, « Le Serpent » ; la 43e, « La Sauterelle » ; la 44e, « Les Tapageurs » ; la 45e, « Le Bonheur » ;

La 462e lettre recueille la 2e, « La Parure » ; la 3e, « Les Femmes » ; la 4e « Les Coquettes » ; la 5e, « Les Catins ».

— dans Le Thesmographe (1789), il n’y a pas de référence aux juvénales, mais la note F intitulée Le Divorce (p. 375-380) traite du sujet de la 29e juvénale ; de même la note B (p. 274-331), Exemples de prévarication de procureurs, et le texte intitulé Les Abus de la procédure et de la judicature dévoilés, dans la note I (p. 429-453) peuvent correspondre au projet de la 31e juvénale sur le Palais de Justice.

Beaucoup sont restées à l’état de projet, mais d’autres textes, qui ne figurent pas dans la liste établie par Rétif, sont qualifiés par lui de juvénales. Par exemple une lecture dans les Nuits : « J’allai chez la marquise à laquelle je lus une juvénale intitulée La Superstition » (éd. cit., t. I, p. 498, fin de la 80e Nuit ; Rétif renvoie pour le texte aux Françaises, vol. II, p. 63-79). Voir pour d’autres exemples l’article cité de David Coward.

Enfin il faut ajouter à ces juvénales éparses les 12 qui figurent à la fin des volumes XIV, XV et XVI de Monsieur Nicolas sous le nom d’Immoralités, datées de 1796 et 1797.

La première, Immoralité de la religion chrétienne, se trouve à la fin de Ma Religion (MN, éd. orig., vol. XIV, p. 4214-4228) : « En terminant ce traité, je trouve dans mes papiers une juvénale de G[audet] d’Arras qui n’a encore été insérée nulle part ; elle achèvera le Tableau » (p. 4213).

Les suivantes sont à la fin de Ma Politique (vol. XV) sous un titre général : Les Immoralités, avec cette introduction : « Ces petites pièces sont des juvénales contre les nouveaux abus qui sont introduits dans notre gouvernement depuis la Révolution » (p. 4423). Elles ont pour titre : Dans un temps d’immoralité, quel doit être le gouvernement ? (p. 4423-4444) ; Immoralité des journalistes (p. 4445-4459) ; Immoralité des facteurs des gens de lettres (p. 4460-4481) ; Immoralité de la génération présente (1789-1798) (p. 4482-4510) ; Immoralité des modes actuelles (p. 4511-4531) ; Immoralité du colportage et des crieuses des rues (p. 4531-4540).

Les dernières sont à la fin de Mes Ouvrages (vol. XVI) : Immoralité de notre mariage et manière de le corriger (p. 4767-4782) ; Fausse immoralité de la liberté de la presse (p. 4783-4806) ; Immoralité des monnnaies depuis 1792 (p. 4806-4818) ; Immoralité folle des athées (p. 4818-4827) ; Immoralité des auteurs actuels (p 4827-4830), juvénale amputée « de plus de 15 pages d’impression qui ne paraîtront qu’après ma mort » (p. 4829), ainsi que d’ « éclaircissements » qu’ « on imprimera, si l’on veut, après mon décès » (p. 4830).

L’édition de Monsieur Nicolas dans la Pléiade donne (t. II, p. 1024 à 1055) les juvénales figurant à la fin du volume XVI, omises dans l’édition Pauvert.

On voit que le corpus des juvénales est considérable. Ce sont « des pièces singulières, dont quelques-unes sont très philosophiques » (Mes Ouvrages, p. 947), « où se distillent le fiel et l’indignation » (Paysan-Paysanne, 365e lettre, p. 1123). Toutes témoignent d’un regard critique porté sur la société. C’est le Rétif réformateur qui s’y exprime, par vues parcellaires, parallèlement aux ouvrages d’ensemble que sont les Idées singulières. Mais ici le ton est satirique, polémique, souvent amer.

La juvénale est la version brève du traité, comme la nouvelle est celle du roman, et manifeste le goût de Rétif pour la petite unité discursive au sein de totalités immenses. Elle participe d’une forme d’expression fondamentale chez lui. De 1777 à 1797, pendant vingt ans, il y est resté fidèle.

1769. Lettres de Lord Austin de N*** à Lord Humphrey de Dorset son ami. Faux-titre : La Confidence nécessaire, lettres anglaises. Tirage à 1500. II Parties.

L’ouvrage fut achevé à Paris « dans les derniers mois de 1767 et dans les premiers de 1768 » (MN, II, p. 183).

Le titre d’abord choisi par Rétif était La Confidence nécessaire. Mais les tracasseries d’un censeur lui firent mettre en titre ce qui était le sous-titre : « Lorsqu’en 1768, je portai à un certain fat, nommé l’abbé Simon, censeur royal, […] mon petit roman de La Confidence nécessaire, je fus bien surpris de ce qu’il me dit ! J’avais mis dans mon ouvrage ce que j’avais vu : il se récria et dit qu’il n’y avait pas l’ombre de vraisemblance ! […] Je le laissai dire et, ayant recopié mon manuscrit, qu’il avait barbouillé de ratures et dont il avait festonné toutes les marges, je donnai un nouveau titre, fis nommer un autre censeur et portai mon roman à Lebrun-Meaupou, qui me parapha sans difficulté, en louant la vérité des mœurs et le naturel du langage » (MN, I, p. 649).

« La première lettre de ce roman fut faite à Sacy, pendant mon séjour de 1767 ; j’achevai l’ouvrage avant même de finir Le Marquis de T*** ou L’École de la jeunesse. Le sujet était mes amours avec Marie Fouard et mes velléités pour Marguerite Bourdillat, l’une brune, l’autre blonde. C’était l’extrait honnête d’un sottisier que j’avais composé au Louvre [à l’imprimerie du Louvre] dans des moments d’effervescence. Ce n’est pas un historique de ce que j’avais fait avec ces deux filles, ou avec Marie-Jeanne, qui souvent y était Alice dans mes idées, mais un château en Espagne de ce qui aurait pu arriver ; le Franck est François Courtcou. Cet ouvrage se sent de son origine. Mais la seconde partie […] aurait pu être très intéressante » (Mes Ouvrages, p. 900). C’est « une peinture de la situation de mon cœur lorsque, dans ma jeunesse, j’aimais plusieurs filles à la fois ; ce n’est pas une histoire véritable, mais c’est une situation vraie et un tableau fidèle » (MN, II, p.186). Rétif avoue avoir « abandonné trois fois par sècheresse d’imagination » (MN, p. 184) et juge que son ouvrage est une « production faible et difficilement faite, mais qu’on lit à cause des tableaux » (Les Romans, « Lecture » des Françaises, vol. III, p. 241-267 ; texte dans Études rétiviennes n° 43 ; citation p. 191).

 

Éditions (XVIIIe siècle) :

—1779, avec le millésime de 1769. Tirée à 500 (Paysanne, IV, p.clxxii) : « L’année suivante [en 1779], je réimprimai deux de mes ouvrages, La Confidence nécessaire, deux parties, et La Femme dans les trois états » (MN, II, 319). En 1777, dans la « Revue des ouvrages de l’auteur » du Quadragénaire (II in fine), la 1re édition est dite épuisée. Mais en 1784, « il en reste des exemplaires chez la dame Vve Duchesne » (Paysanne, IV, p. clxxii). On trouve dans ces Revues du Quadragénaire et de la Paysanne un résumé de l’histoire.

« J’ai fait de ce roman une seconde édition, à la fin de laquelle se trouve le petit conte d’O-Ribaud, bien différent de l’ouvrage en quatre parties qui porte le titre d’Histoire du grand prince Oribeau, etc., ou l’Instituteur d’un prince national. Le conte d’O-Ribaud est du genre bouffon, en style marotique et très libre » (Mes Ouvrages, p. 900).

 Cette seconde édition place en titre ce qui était le sous-titre de la première : La Confidence nécessaire, ou Lettres de Mylord Austin de Norfolk à Mylord Humphrey de Dorset. La 1re Partie a 116 pages, la 2e 194, avec, à partir de la page 109 le conte d’ O-Ribo ou les Horribles traverses, les monstrueuses aventures et les incroyables travaux du charmant O-Ribo, Prince de cinquante villages au beau pays d’Hybernie, pour l’amour de la belle Pucellomany, qui lui furent suscités par le Nécromant Sacripandidondanuck , premier ministre du Roi O-Fakfak son père. « Conte bleu irlandais », est-il écrit au début du texte.

Rétif a introduit de nombreux changements stylistiques dans sa narration.

Traduction 

1770, Briefe des Lord Austin von N. an den Lord Humphrey von Dorset, seinen Freund. Breslau, W. Korn. Deux Parties en 1 volume.

Éditions modernes 

— 1788, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 57 (texte de la seconde édition).

Voir à Posthumes.

Voir à Adèle de Comm**.

1792. Le Libertin fixé. 

« Comédie patriotique non enragée, et en 5 actes » (liste des ouvrages à la fin du volume 6 de L’Année des dames nationales).

Elle est écrite du 29 novembre au 7 décembre 1789 ; son impression dans le volume V du Théâtre (p. 9-104) est à situer en décembre et dans les premiers mois de 1790 ; le Journal n’en fait plus mention après le 22 décembre, date où cependant cette impression n’est pas achevée. On en retrouve la trace le 21 octobre 1791, mais c’est à propos de l’impression du volume IV de L’Année des dames nationales, où la pièce figure pages 1051-1150. 

Le Journal fait état d’un remaniement du 29 janvier au 1er février 1792 (« cé à remanier Lib. fixé ») : il s’agit d’un remaniement touchant la mise en page du texte, non le texte lui-même. Le volume V du Théâtre, bien qu’il soit millésimé 1790, date bel et bien de 1792. Du reste, Rétif a prévenu qu’« il ne faut pas regarder à la date des volumes du Théâtre » (Année des dames, vol. VI [p. 2258]).

« C’est un sujet tiré de mon École de la jeunesse, où l’amour est peint dans toute son énergie. Justine y fait un beau rôle, peut-être trop beau ; il obscurcit celui d’Hélène, qui devrait être la principale héroïne. Un certain Boursaut, du théâtre Martin, a refusé cette pièce comme ayant trop de métaphysique » (Mes Ouvrages, p. 998).

Le sujet est plus directement tiré de la 59e Contemporaine, Le Libertin fixé (sous-titré dans la 2e édition : ou la magie des filles vertueuses) (éd. cit., t. III, p. 1387-1414). Mais l’actualité est toute différente de celle du début des années 80 : la journée du 14 juillet est au cœur de la pièce ; coups de canon et coups de fusil se font entendre depuis les coulisses et le dénouement amène la libération du père de l’héroïne, vieillard à longue barbe blanche, emprisonné à la Bastille. Cette pièce est la seule du théâtre de Rétif qui soit ancrée dans l’événement révolutionnaire.

Voir à Marchande de modes.

1780. La Malédiction paternelle. Lettres sincères et véritables de N****** à ses Parents, ses Amis et des Maîtresses, avec les Réponses, recueillies et publiées par Timothée Joly, son exécuteur testamentaire.

3 Parties en 3 vol. in-12 de 830 pages (pagination continue). Avec 3 figures, une en tête de chaque Partie, dues à Binet et Berthet.

« A paru en 1779 sous la date de 1780 » (Paysanne, IV, p. cxc). « En août 1779 », précise la Revue de La Vie de mon père.

Ce N******, auteur des lettres, est le masque de Nicolas, chaque astérisque correspondant à une lettre. La page de titre affiche d’emblée le caractère autobiographique de l’œuvre.

En tête de l’ouvrage se trouvent une « Apostille du ** et Préface », signée P.D.M., soit Pidansat de Mairobert, censeur et ami de Rétif. Ce censeur mourut en mars 1779 et ne put parapher la totalité de l’œuvre : « Il a paraphé […] La Malédiction paternelle non entière (je paraphai le reste) » (MN, II, p. 1006 ; cf : « Cet ouvrage pendant l’impression duquel mourut mon censeur Mairobert, ne fut point achevé de parapher ; le Dhemmery ne le sut pas » (ibid., p. 320).

« Cet ouvrage est une éruption violente de sentiment, surtout le premier volume et la fin du troisième. C’est la préface naturelle des Contemporaines. Jamais peut-être l’idée de cet ouvrage ne me fût venue dans la tête sans mon Amélie de chez Mme Monclar, que j’aimais, sans lui parler et sans en être vu, depuis 1776 […] Enchanté d’être en commerce de lettres avec de jeunes personnes qui me retraçaient si vivement ma Zéphire, j’entrai en verve et je composai pendant les soirées de décembre 1778, après avoir terminé l’impression de La Vie de mon père, ce premier volume si chaud qui fit le succès de l’ouvrage » (MN, II, p. 981).

Rétif souligne à plusieurs reprises la place charnière de son roman dans sa production. « C’est la préface naturelle des Contemporaines » (ibid.) ; « On peut regarder La Malédiction paternelle comme l’avant-propos des Contemporaines » (Nuits de Paris, 253e, éd. cit., t. III, p. 1305), ou « l’introduction de tous les ouvrages postérieurs à celui-ci » (44e Contemporaine, éd. cit., t. II, p. 1207) ; au début de la 62e, il met en note : « Voyez La Malédiction paternelle, qui est comme la préface de tous les ouvrages postérieurs, singulièrement des Contemporaines, du Hibou [les Nuits], du Compère Nicolas et d’autres manuscrits à publier » (t. III, p. 1468). Une telle insistance révèle l’inspiration autobiographique de son roman, et la conscience qu’a l’auteur de s’engager dans cette voie. Mais, dit-il, l’ouvrage est encore composite, c’est « une vraie mosaïque, où l’on ne trouve que des vérités de détail. Par exemple, les lettres d’Élise sont absolument vraies, au lieu que l’histoire d’Alan est celle controuvée par les tuteurs […] Le souvenir de Loiseau avait ébranlé mon âme et me donna ce mouvement rapide qu’on voit dans la Ire partie, mais qui ne se soutient pas ; au lieu que dans les Ressorts du Cœur humain dévoilés [Monsieur Nicolas], ouvrage immense en comparaison, tout est plein de chaleur et de vie » (253e Nuit, éd. cit., t. III, p. 1304-1405).

La Malédiction paternelle n’en marque pas moins une rupture dans la création littéraire de Rétif, rupture symbolisée par la fiction de l’œuvre posthume. L’auteur, déclaré mort, peut davantage se dévoiler et se raconter. Du reste, dans Monsieur Nicolas, les nombreux renvois au roman montrent sa complémentarité avec l’autobiographie.

Le passage rapide de La Vie de mon père, hommage aux vertus paternelles, à la Malédiction, où le père, en punissant son fils d’avoir épousé une Anglaise, devient par sa malédiction, tel un dieu courroucé, la source de tous les malheurs, peut au premier abord étonner. En réalité, il y a continuité entre les deux œuvres, et non opposition. À la fin de La Vie de mon père apparaît le personnage du fils, de Nicolas lui-même : « Je suis l’aîné des enfants du second lit […] Je gémis, avorton informe, également indigne et du sang dont je sors et des exemples que j’ai eus… Pardonnez, ô mânes de mon père ! » (éd. cit., p. 143). Étonnante flagellation, qui débouche sur La Malédiction paternelle. Ce sentiment de culpabilité, de punition méritée prend sa source dans la conscience de sa trahison : il a rompu, en venant vivre à Paris, la tradition familiale d’une vie paysanne, que valorisait justement La Vie de mon père. Rétif sait bien que la vie à la ville est préférable à l’obscurantisme de la campagne (Edme finit par dire : « Paris, mes enfants, ou notre village, mais pourtant plutôt Paris que notre village », éd. cit., p. 154), mais ses malheurs et ses échecs, il les attribue toujours à une malédiction. Le titre du roman dramatise l’histoire à outrance. Le thème de la malédiction paternelle était à la mode depuis Diderot au moins, qui dans Le Père de famille en 1758, avait représenté un père maudissant son fils prétendant, contre son autorité, se mésallier ; Greuze avait peint en 1777-1778 son fameux tableau de La Malédiction paternelle.

Édition (XVIIIe siècle)

Rétif n’a jamais réédité son ouvrage, qui par ailleurs ne semble pas avoir intéressé les contrefacteurs.

Adaptation théâtrale

—1784, La Prévention nationale, « action en 5 actes adaptée à la scène », 3 parties. « J’ai tiré ce drame de La Malédiction paternelle » (MN, II, p. 983). Voir infra la notice n° XXIX.

Éditions modernes

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos, 59 et 60. Manquent les 5 feuillets non foliotés à la fin de la 3e Partie, contenant un catalogue des ouvrages et quelques extraits d’articles de journaux.

— 2002, Journal d’une impardonnable folie, lettres 81 à 86 (le titre est de Rétif), Éd. Desjonquères, 1 vol. de 124 pages, édition établie par Pierre Testud.

— 2006, Éd. Honoré Champion, 1 vol. de 507 pages, édition critique établie par Pierre Testud.

Traductions

— 1780, Der Vaterliche Fluch, Gleditsch, Leipzig, 3 vol.

— 1780, Der Vaterliche Fluch, Brockaus, Leipzig, 3 vol.

1788. La Marchande de modes, ou le Loup dans la bergerie.

« Comédie-ariette en 4 actes », désignée le plus souvent dans le Journal par « opéra-comique ».

Elle est écrite dans la première quinzaine de juillet 1787 (Rétif n’a pas noté le début de son travail, mais indique le 15 : « continué la Mde de modes ») ; elle est terminée le 27 sans doute, puisqu’il commence à en établir des copies le 28, relayé par Marion le 2 août. L’impression commence le 14 juin 1788 « 1re O-P du Loup » (soit la 1re feuille dans le volume II du Théâtre, p. 237-260) ; la 2e feuille (feuille Q, soit les pages 261-284) est imprimée le 7 juillet ; rien sur R et S, mais comme cette feuille est complétée par le début de La Matinée du père de famille, datable du 11 par le Journal, on peut en conclure que l’impression de la Marchande de modes s’est achevée le 10. Elle est placée dans le volume II du Théâtre (p. 237-323), avant de l’être l’année suivante dans Ingénue Saxancour (1re Partie, p. 129-243).

La pièce est une commande des époux Cardon, dont Rétif avait fait la connaissance par Courcelles en janvier 1787. Mme Cardon était une actrice du Théâtre-Italien. Le 3 juillet 1788 : « chez Mme Cardon dont le mari me demande un opéra-comique ». Rendez-vous est pris le 27 juillet pour une lecture, qui a lieu le 6 août : « été chez Cardon. C’est un imbécile » Il n’est plus question des Cardon ensuite. On trouve un écho de cette lecture dans Monsieur Nicolas : « Quoi que m’en ait dit Mme Cardon (Mlle Pitro) et M. Cardon son mari, je regarde cette comédie-ariette en trois actes comme devant être très agréable à la représentation si elle était mise en musique par le musicien de Tarare (Saliéri), le seul à qui je crois le talent convenable pour ce sujet » (MN, II, 995). 

Cette pièce est une adaptation d’une nouvelle des Contemporaines, Le Loup dans la bergerie et le Sorcier (70e Contemporaine, éd. cit., vol. 3, p. 1673-1690), écrite sans doute en 1779. Le sujet est de nouveau traité dans les 224e à 227e Nuits de Paris, sous le même titre, Le Loup dans la bergerie (Nuits, éd. cit., t. III, p. 1133 à 1153) ; l’impression est de novembre 1787. Il signale en note : « J’en ai fait un opéra-comique intitulé La Marchande de modes ou le Loup dans la bergerie, que je placerai peut-être à la fin de ces Nuits […] » (ibid., p. 1150).

Le 6 août 1788, il en avait donné une copie à Courcelles, qui la lui rend le 10 septembre : « le soir, vu Courcelles, m’a rendu mon op.-comique, non théâtral. »

Rétif présente ainsi sa pièce dans Mes Ouvrages : « Le sujet est pris de mon amusement avec les jeunes Monclar, qui me crurent pendant quelque temps sorcier. Un jeune adolescent, fils de gens riches, est devenu éperdument amoureux d’une jolie fille de modes ; il s’esquive de chez ses parents et, à l’aide d’une ancienne femme de chambre de sa mère, il se déguise en fille ; il entre en apprentissage chez la mère de sa maîtresse. Ici, des scènes plaisantes d’intérieur de boutique de modes. L’intrigue marche, et se dénoue au moyen du sorcier qui découvre que la fausse Sophie est un garçon. Cet événement arrive le jour même du retour des îles des parents de l’adolescent. Il y a dans cette comédie une multitude scène de situation qui en assureraient le succès à la représentation » (MN, II, p. 995).

1771. Le Marquis de T***, ou l’École de la jeunesse (le T*** est développé en Marquis de Tavan* dans Mes Ouvrages, p. 904).

4 Parties de 192, 164, 200 et 182 pages. Tirage à 1000 exemplaires. Épuisé en 1784 (Paysanne, IV, p. clxxiv).

En juin 1767, « je commençai L’École de la jeunesse […]. C’était au fond un roman sans imagination, où je répétais ce qu’avait J.J. Rousseau, dont j’étais alors enthousiaste. Je n’avançai pas beaucoup dans cette ingrate production. Je travaillais peu dans le logement abandonné de la rue de la Harpe et […] je me déterminai à partir pour Sacy » (MN, II, p. 176).

« C’est l’histoire d’un jeune gentilhomme, bien élevé par son père, qui se corrompt entre les mains d’instituteurs mercenaires. Cet ouvrage est le premier essai de l’auteur pour un Nouvel Émile auquel il travaille ; il ne le jugea pas digne de ce titre. Il y a de bon certains détails et l’Épître dédicatoire » (Quadragénaire, II in fine).

« C’est mon troisième ouvrage commencé. Le second est Le Pornographe. Rebuté par le commissaire Chenu, j’abandonnai mon Projet des filles [Le Pornographe] pour faire tout simplement un roman. Malheureusement, je ne travaillais alors qu’avec ma tête, ce qui ne pouvait donner que de la besogne froide et sans intérêt. Je jetai mes premières idées sur le papier, rue de la Harpe, au Collège de Justice, où j’avais composé mon premier ouvrage. Je partais pour aller passer quatre mois chez ma mère [en 1767] ; j’y portais mon ouvrage commencé, que j’y terminai tant bien que mal, car je ne crois pas que l’ouvrage fût présentable. Rien de si sec. Je le corrigeai très mal à mon arrivée à Paris et je le présentai à Guy Duchesne, qui le refusa […] En 1771, ayant traité avec le libraire Costard pour un ouvrage intitulé Le Nouvel Émile, à un sou la feuille à 2000 exemplaires, je me proposai d’y faire entrer Le Marquis de Tavan* comme exemples historiques [les épisodes du roman]. Mais je ne tardai pas à m’apercevoir qu’ils gâteraient un ouvrage pour lequel ils n’étaient pas été faits. J’en fis donc un petit roman, que j’imprimai pour mon compte, mais que je changeai absolument de fond et de forme en le composant moi-même à la casse, aidé néanmoins par le jeune Ornefuri [Fournier], fils de Parangon. Je le surchargeai de morale, de discours ; l’action y manquait déjà : je l’étouffai encore ; ce fut un traité de morale symétriquement divisé en quatre parties, assez platement raisonné pour être digne de Guinguenet, qui cependant n’en eût pas fait l’Épître dédicatoire à la jeunesse : ce morceau est un petit chef-d’œuvre d’élégance et de raisonnement […] [Renaud] trouva ensuite l’ouvrage moral, médiocre, mais amusant par ses épisodes, c’est-à-dire par ses défauts… Aussi tous ces épisodes ont-ils fait des Contemporaines intéressantes, ainsi que Le Prisonnier de guerre dans La Prévention nationale » (Mes Ouvrages, II, p. 904). Rétif conclut : « Cet ouvrage aurait pu être excellent si le plan en avait d’abord été bien conçu ; sa mauvaise exécution ne vient que de ce défaut de plan » (Mes Ouvrages, p. 906).

Dans sa Notice, Cubières imagine ce dialogue avec Rétif : « Nicolas entre et me dit : Quel livre lisez-vous là ? — C’est un de vos ouvrages, lui répondis-je : c’est L’École de la jeunesse. — Tant pis pour vous, répliqua-t-il, c’est un ouvrage détestable ; mon cœur n’y est pour rien ; je ne l’ai fait qu’avec ma tête ; rien dans le monde n’est plus froid ni plus sec, et ce qu’il y a de pis, c’est que je n’ai jamais pu en rien faire de bon. Je l’ai dédié à la jeunesse, et il n’y a réellement que l’épître dédicatoire qui soit agréable. Heureusement, j’ai refondu tout ce fatras dans mes Contemporaines, afin de lui donner une forme qui puisse un peu moins déplaire » (Histoire des Compagnes de Maria, t. I, p. 94-95).

L’Épître à la jeunesse occupe les pages 5-20 de la 1re Partie. Dans Les Romans, Rétif juge son ouvrage « faible, difficilement fait et fatigant à lire, quoiqu’il contienne de bonnes choses » (« Lecture » des Françaises, vol. III, p. 241-267 ; texte dans Études rétiviennes n° 43 ; citation p. 191).                                                                          

Réemploi

— On lit dans Mes Inscripcions, à la date du 20 janvier 1783 : « Corrigo marchionem de T*** (je corrige le marquis de T***), c’est-à-dire j’adapte des historiettes de cet ouvrage pour en faire des Contemporaines ». Il s’agit dans la seconde édition, de la 197e, « La Maréchale ou la Gouvernante », de la 198e, « La Gouverneuse ou la Femme bienveillante », de la 202e, « Amélie ou la Fille trompée sur sa vocation », de la 203e, « Septimanie ou la Fille qui craint de faire un enfant », de la 204e, « Hélène ou la Cousine germaine » et de la 205e, « Léonore ou la Constance couronnée ». Rétif signale ces Contemporaines dans une note de La Prévention nationale (t. III, p. 347), et pour les 197e, 198e, et 204e dans la revue des Contemporaines placée dans la 347e Nuit de Paris.

Le Prisonnier de guerre est l’histoire D de La Prévention nationale, vol. III, p. 285-378.

— Malgré ses dires, Rétif ne renonça finalement pas à placer deux récits du Marquis de Tavan* dans L’École des pères, en 1776, vol. II, p. 17-44 (histoire d’Hélène, fille du marquis) et vol. III, p. 3-173 (Histoire du marquis de T***, ou les Écueils de l’éducation).

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. réunissant les 4 Parties sous le n° 61.

Adaptation théâtrale

« Le Libetin fixé est tiré de mon École de la jeunesse, dont l’édition se trouve depuis longtemps épuisée » (MN, II, p.396). Cette pièce en 5 actes fut écrite du 29 novembre au 7 décembre 1789 ; l’impression commença dès le 9, mais ne reprit que dans le dernier trimestre de 1791. Elle est placée dans le vol. IV des Provinciales, p. 1051-1150, puis dans le tome V du Théâtre, p. 9-104. Sur cette pièce voir infra le n° XLV/N.

1787. La Matinée du père de famille.

« Une bagatelle en moins d’un acte sur les arts de la musique et de la peinture. Je l’avais composée à la sollicitation du prévôt des marchands, Le Pelletier de Morfontaine, qui voulait faire jouer à ses enfants une pièce sans intrigue » (MN, II, p. 995).

Elle a été écrite en deux jours, les 4 et 5 mars 1787, copiée au propre le 9 (« on copie le Père de famille pour M. Le Pelletier ») et imprimée du 11 au 13 juillet. Elle est placée dans le volume II du Théâtre (p. 324-336), et l’année suivante dans Ingénue Saxancour (2e Partie, p. 160-179).

1773. Le Ménage parisien, ou Déliée et Sotentout.

2 Parties en 2 vol. in-12, de 186 et xxxii pages, et 186 et la suite des notes p. xxxiii à xcii. « Imprimé à 1250 ; épuisé » (Paysanne, IV, p. clxxvi).

« Commencé à la fin de 1772 et imprimé pendant le Carême 1773. La publication de cet ouvrage fut retardée jusqu’en juin (il manque) » (Vie de mon père, 3e édition in fine). Ce retard est dû aux tracas suscités par la censure à propos de quelques Notes.

« J’y mis des notes encore plus bizarres que l’ouvrage, où je composais une Académie de tous les sectateurs de la sottise, Académie dite de Qui-perd-gagne : les sujets les moins méritants y étaient les premiers. On sent combien ce tableau satirique devait piquer […] M. de Crébillon fils était censeur de cet ouvrage et s’y parapha lui-même, car il y était critiqué comme membre de l’institut Qui-perd-Gagne, où il méritait bien assez bien une place par quelques-uns de ses futiles romans […] Le Ménage parisien n’est pas sans mérite ; il y a des étincelles de génie. M. de Crébillon, dont je n’étais pas encore l’ami, m’en dit un peu de bien. Il m’avait déjà paraphé Le Pied de Fanchette : il me reconnut ; il me dit que j’avais d’excellentes idées, une imagination romantique, etc. Mon cœur n’eut aucune part à cette composition ; pas un personnage intéressant, pas un trait qui aille à l’âme, ce qui vient de ce que j’avais sous les yeux une catin, modèle de mon héroïne » (Mes Ouvrages, p. 809-810). — Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, cette catin n’est pas Agnès Lebègue, mais Mme Quillau, la femme de l’imprimeur (voir l’article de Ryszard Engelking dans Études rétiviennes n° 26, juin 1997, p. 30-31).

« Ouvrage bien conçu et mal exécuté, quoiqu’il y ait d’heureux détail et que l’idée en eût ri à l’auteur de manière à lui persuader que ce serait sa meilleure production. En effet, on y voit de temps en temps des étincelles de génie et l’on y trouve des idées très plaisantes, singulières et neuves. Avant que de le livrer à l’impression, il l’apprécia ce qu’il valait. Les Notes critiques qui le terminent en firent suspendre la vente. Elles sont assez considérables » (Paysanne, IV, p. clxxvi).

Dans Monsieur Nicolas, Rétif qualifie le Ménage d’« espèce de roman-farce » ; « le plan excellent m’avait ri, mais lors de l’exécution, elle se trouva au-dessus de mes forces et la plus riante de mes conceptions me fournit un ouvrage très médiocre » (MN, II, p. 246). — « Une brochure pleine de vues et d’esprit, mais de mauvais goût », avait-il écrit en 1785 dans Les Romans (« Lecture » des Françaises, vol. III, p. 241-267 ; texte dans Études rétiviennes n° 43, citation p. 191).

Éditions (XVIIIe siècle)

Aucune. « Le Ménage manque depuis longtemps ; je me propose de l’abandonner, tout corrigé, à quiconque en voudra faire une édition » (MN, II, p. 246). — J.R.C., p. 221, signale, d’après Bordes de Fortages, un exemplaire avec une autre adresse et des pages non foliotées au contenu différent.

Réemploi

— 4 morceaux sont repris dans un recueil de 1774 (voir ci-après la notice n° XII sur Les Nouveaux Mémoires d’un homme de qualité) : « Épithalame », p.175-177, « Conte épigrammatique », p. XII-XIII, « La Bégueule », p. XIV-XXI et « Le Bonheur en songe », p. XXI-XXVIII.

Éditions modernes 

— 1978, Union Générale d’Édition, coll. « 10/18 », texte et dossier établis et présentés par Daniel Baruch. Cette édition reproduit l’orthographe de Rétif et donne scrupuleusement l’intégralité du texte.

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 62.

Les Mille et Un Développements (ou Métamorphoses).

 De ce manuscrit, aucun fragment ne nous est parvenu. Dans le rapport de police relatif à la saisie des Posthumes en juillet 1802, il n’en est pas question, sans doute parce qu’il se trouvait dans le logement du 9 rue de la Bûcherie, et non au n° 27. Mais sa disparition totale reste un mystère.

Le titre des Mille et Une Métamorphoses apparaît déjà dans La Malédiction paternelle en 1780, parmi les manuscrits posthumes que laissera Dulis (voir vol. III, p. 781) et dans La Découverte australe en 1781, parmi les lectures de la « Séance chez une amatrice » (voir vol. III, p. 3).

Une première mouture figure dans Les Nuits de Paris. On voit dans le Journal, du 14 au 18 avril 1788, que Rétif imprime des Métamorphoses. Il s’agit des Mille et Une Métamorphoses, contes Thibétans, dans la 224e Nuit (éd. cit., III, p. 1134-1144), où le héros a le pouvoir de passer successivement dans divers corps. C’est déjà la métempsycose des Posthumes. Loin des mille et une métamorphoses, ces contes s’arrêtent à la huitième. La marquise des Nuits, à la fin, demande au Hibou : « Comment vous proposez-vous de finir cet ouvrage ? — En faisant passer mon jeune Thibétan par le corps d’un homme de chaque nation, dont j’exposerai les mœurs et les usages, et même dans le corps des animaux les plus connus. Arrivé en Europe, mon Khütükhtü sera successivement de toutes les nations […] Il passera en France par tous les états » (ibid., III, p. 1144).

Dans cette dernière phrase est en germe un autre ouvrage, celui dont le projet est présenté dans la 200e Nuit, où il n’est plus question de métempsycose, mais de la métamorphose d’un être au fil de sa vie : « Les Mille et Une Métamorphoses. Ouvrage très moral dans lequel on suit les différents changements par lesquels passent l’homme et la femme, depuis le moment de leur naissance jusqu’à la décrépitude. On n’y considère pas seulement le moral, c’est-à-dire les passions, les sentiments, les manières, mais encore les développements physiques… Cet ouvrage, où les détails seront très rapides, ne doit pas former plus de quatre volumes de 480 pages » (ibid., II, p. 1037).

Ces nouvelles Métamorphoses sont présentes dans la 3e Partie du Palais-royal, en 1790. Les ex-Sunamites devenues Converseuses projettent d’écrire, pour distraire ensuite par leur lecture une princesse « tombée dans une mélancolie profonde », Les Mille et Une Métamorphoses (Palais-royal, éd. cit., p. 216). Il s’agit d’une œuvre commune aux 18 Converseuses, chacune écrivant une histoire, puis la soumettant aux autres. Mais Rétif ne nous en dit pas plus et il n’en sera plus question dans la suite de l’ouvrage, sauf une mention p. 218-219.

Rétif semble mettre de côté ce projet jusqu’en 1796 ou 97. Il écrit alors dans Mes Ouvrages : « Les Mille et Une Métamorphoses, 4 Parties. Je ne dirai rien de cet ouvrage, qui n’est que commencé et dont le plan peut changer encore. Car on a vu dans Les Nuits de Paris de quelle manière, depuis abandonnée, je les avais commencées. Mais celle que j’y ai substituée me paraît si difficile que je crains bien, après en avoir fait environ un volume, d’être encore forcé de prendre encore une autre route ».

Il ne paraît pas avoir pris une autre route. Dans la liste des Ouvrages que se propose de publier N.-E. Restif s’il vit assez longtemps pour les achever, placée en 1797 après Mes Ouvrages, ce sont les lignes de la 200e Nuit qui sont reprises, à quelques variantes près, et le 25 mars 1798, Rétif écrit aux époux Fontaine : « J’ai mis un second titre après celui des M. et I Métamorphoses, c’est ou les M. et I Développements. En effet, ce sont les développements de l’être humain au physique et au moral » (Correspondance, éd., cit., p. 608).

En avril 1797, Les Mille et Une Métamorphoses sont dites commencées, mais « l’impression du Cœur Humain dévoilé [les lui] a fait abandonner » (lettre aux époux Fontaine du 16 avril, ibid. p. 586) ; en septembre 1797, dans Mon Testament, le manuscrit n’est toujours pas achevé (voir MN, II, p. 1065-1066) ; le 25 mars 1798, dans une autre lettre aux époux Fontaine, Rétif écrit : « Malheureusement, j’ai à finir un ouvrage intitulé Les Mille et Une Métamorphoses. Mais je ne vois plus la possibilité de terminer ce manuscrit, faute de repos […] » Il ne devait pas être loin alors d’en terminer, puisque le 25 avril, il annonce : « J’ai achevé mon grand ouvrage des M et I Métamorphoses, ou Développements. Mais comment imprimer ? Si je le laisse après moi, mes infidèles contemporains le gâteront, ce sera dommage ! Car moi seul pourrais l’imprimer. Je laisserais tout le profit à 1500 exemplaires en IV volumes à qui fournirait les avances des 6000 francs, durant 6 mois, un an que durerait l’impression […] Les M et I Développements sont le meilleur et le plus étonnant de mes ouvrages. Ils achèvent de donner tout ce qui manque à la Philosophie du Nicolas » (Correspondance, éd. cit., p. 612-613).

Wilhelm von Humboldt, dans sa lettre à Gœthe du 18 mars 1799, rendant compte de sa visite à Rétif, rapporte ses propos sur ses Mille et Un Développements : « Il en a rédigé un chapitre chaque matin, et comme souvent, à ses propres dires, il ne savait trop qu’y mettre, c’est la lecture répétée du chapitre précédent qui lui a fourni la matière au développement de la suite. Il attribue une telle importance à cet ouvrage qu’il me l’assura digne d’être imprimé aux frais, non du gouvernement, mais de l’humanité » (ibid., p. 624). Nul doute que Rétif ait voulu épater son jeune admirateur par cette désinvolture et cette emphase.

Voir à Mille et un Développements.

1770. La Mimographe, ou Idées d’une Honnête Femme pour la réformation du théâtre national.

Un volume in-8° de 466 pages, en 2 Parties. Tirage à 2000 exemplaires.

Ce volume est le 2e des Idées singulièresLa Mimographe fut composée « durant tout l’été 1769 » (MN, II, p. 200). L’impression commença à la fin de 1769 (Paysanne, IV, p. clxxiii), « fut achevée au mois de mars, l’année d’après, et nous mîmes en vente après Pâques 1770 » (MN, p. 201). Elle « a paru au commencement de 1770 » (Vie de mon père).

« En finissant Le Pornographe, je commençai le second volume des Idées singulières […] Je travaillai six mois du matin au soir, avec une application dont peu d’hommes sont capables. J’avais trente-six ans ; l’âge de ma force fut donné tout entier aux autres ; je n’en suis pas encore au temps où je travaillerai pour moi !… Ce volume fut beaucoup plus fort que le premier ; les notes en furent plus étendues, plus raisonnées, l’enveloppe romanesque en est mieux faite. Il y a beaucoup de néologisme, qui n’est pas toujours également heureux » (Mes Ouvrages, p. 902-903).

De même qu’il avait fréquenté les maisons de prostitution pour se documenter, il fréquente cette fois les théâtres : « Je dépensais pour les spectacles, faisant La Mimographe » (MN, II, p. 321). Rétif était particulièrement fier de cet ouvrage. Il imprime dans la Revue du Quadragénaire (II, in fine) et dans celle de la Paysanne (IV, p. ccxxxviii-ccxlii) les comptes rendus élogieux des journaux. Il écrit à Milran le 12 octobre 1783 : « Une découverte qui m’a fait plaisir dernièrement, c’est que le prince Martin Lubomirski exécute en Pologne la réforme proposée » (Correspondance, éd. cit., p. 246). Ce prince était le directeur du Théâtre national de Varsovie, où il avait ouvert une école pour former des comédiens. Rétif avait dû lire dans un journal un article sur cette école et y voir quelque similitude avec ses idées.

Éditions (XVIIIe siècle)

La Mimographe ne fut jamais contrefaite et n’eut pas de seconde édition. Dans la liste des ouvrages placée à la fin de la 2e édition du Pornographe (1774), il est dit qu’on « va réimprimer et refondre entièrement cet ouvrage ». Dans son Journal, à la date du 21 octobre 1788, Rétif note : « vu Maradan pour La Mimographe qu’il imprimera ». Ce projet ne fut jamais réalisé.

Éditions modernes

—1980, Slatkine Reprints, coll. « Ressources », présentation de Martine de Rougemont.

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 63.

Traduction :

La Mimografa, trad. de Lydia Vazquez, Publicaciones de escena de España, 2010, avec préface et notes.

Adaptation théâtrale :

— L’Épouse comédienne, comédie ariette en 3 actes, écrite du 29 décembre 1788 au 12 janvier 1789 et imprimée du 29 août au 28 novembre 1789 (Journal). Elle figure dans le tome IV du Théâtre, p. 1-71. Son sujet est de dénoncer le redoutable prestige des comédiennes. Voir infra le n° XLV/L.

1796-1797. Monsieur Nicolas, ou le Cœur Humain Dévoilé. Publié par lui-même.

16 Parties en 16 volumes totalisant 4840 pages. Les millésimes inscrits sur les pages de titre sont 1794 pour les Parties I à III, 1796 pour les Parties IV à X, et 1797 pour les Parties XI à XVI. Chaque Partie compte environ 300 pages. Rétif emploie indifféremment partie et volume, et tome pour la réunion de deux parties. Il parle ainsi de XVI Parties ou de VIII tomes pour Monsieur Nicolas.

Le corps principal de l’œuvre est formé par les dix « Époques » du récit autobiographique ; ces dix Époques occupent les douze premiers volumes, car une Époque est une division narrative qui ne correspond en rien à la division en volumes. Ces douze volumes sont complétés par Mon Calendrier (13e volume), Ma Morale et Ma Religion (14e), Ma Politique (15e), Mes Ouvrages (16e). À ce corpus s’ajoutent les 3 trois volumes de la Physique, imprimés en 1796 chez Bonneville, sous le titre Philosophie de Monsieur Nicolas.

Dans l’Avis préliminaire du Drame de la vie, Rétif annonce ainsi son Monsieur Nicolas : « Une anatomie complète du Moi humain, non sèche et métaphysique, mais historique, variée comme la nature. On y verra la machine humaine démontée et mise sous verre pour être examinée, considérée, scrutée par les philosophes et par tous les lecteurs ».

  1. Historique

La genèse de Monsieur Nicolas commence dès 1762 : « Ce fut une histoire de ma vie, origine du Cœur humain dévoilé, que produisit le premier jet de mon imagination. Mais j’étais sans nerf, j’en fus mécontent. Je l’abandonnai… » (MN, II, p. 122, dans le récit de l’année 1762). Le projet réapparaît sous le titre de Compère Nicolas en 1780 dans La Malédiction paternelle (parmi les œuvres que laissera Dulis à sa mort ; voir la 204e lettre) et en 1781 au début de La Découverte australe. Un compère n’est pas encore un monsieur : le mot évoque un récit de vie sur le mode burlesque ; Rétif n’ose encore se dévoiler avec sérieux.

Le titre demeure quand il commence la rédaction de Monsieur Nicolas le 14 novembre 1783, mais l’ambition est toute différente. Rétif note ce jour-là dans son journal : « 14 9b Comp. Nic. (Je commence le Compère Nicolas). » Il ajoute en 1785, quand il transcrit ses inscriptions sur le papier : « C’est ici une époque précieuse : c’est le jour où j’écrivis les 7 premières pages du plus important de mes ouvrages, du plus intéressant, de la production la plus vaste, quoique beaucoup moins volumineuse que les Contemporaines ; mais celui-ci est un seul corps, un vaste ensemble, au lieu que les Contemporaines ne sont que la réunion d’une multitude de petits ouvrages. » La publication en 1782 des six premiers livres des Confessions n’est sans doute pas étrangère à l’entreprise de Rétif.

En avril 1785, il parvient à la fin de la VIIIe Époque, contemporaine du présent de l’écriture. Le 9 il remet son manuscrit au censeur Toustain-Richebourg. Celui-ci est officiellement chargé de l’examiner le 4 octobre 1785 (billet signé du Conseiller d’État Vidaud), mais il ne rend son jugement que le 12 mars 1788. Il avait peu de temps auparavant, le 27 février rendu son manuscrit à Rétif (« […] Toustain, rendu le mss de M. Nicolas »). La permission tacite sera accordée le 20 mars. Toustain a donc gardé le manuscrit dans un tiroir pendant trois ans. Il est facile d’imaginer sa réticence devant certaines audaces du texte ; peut-être a-t-il conseillé des corrections. Dans son Journal, Rétif ne fait pas état de sa longue attente, si ce n’est dans cette note, du 12 septembre 1786 : « songer à imprimer des lambeaux du Monsieur Nicolas. »

Dans les semaines qui suivent le 27 février, Rétif relit son manuscrit ; il en fait aussi des lectures dans le salon de Mme de Beauharnais. Il ne reste plus qu’à trouver les moyens d’imprimer. Commence alors une histoire de près de vingt ans, semée de difficultés. Rétif est très approximatif quand il écrit en 1796 : « En 1791, je commençai sans moyens l’impression de ce Cœur humain, sous une promesse de fonds qu’on a tenue trop peu de temps » (MN, II, p. 363) Cette « promesse de fonds » est celle d’Arthaud de Bellevue ; quelques pages plus loin, elle est située à juste titre en 1792. Le Journal permet de dater le début de l’impression du 24 août 1790 : « 25 aug. […] fini les 6 1res pages Comp. Nic. cées hier ». Depuis les premiers jours de février, Rétif a installé chez lui une presse, sur laquelle il compte imprimer son manuscrit ; toutes les pages de titre porteront fièrement : « Publié par lui-même » et « Imprimé à la maison ». Cette proclamation d’autonomie est cependant à nuancer. Il avoue lui-même : « J’ai eu l’art de faire imprimer sous mes yeux Le Cœur humain dévoilé » (MN, éd. orig., vol. XIV, p. 4154, dans Ma Religion). L’impression se fera en effet, partiellement, chez Cordier, au moins pour le tirage des épreuves.

Grâce à l’indication des signatures des feuilles, soigneusement notées dans le Journal, on peut suivre avec précision l’avancement du travail. Il est sporadique, parfois durablement interrompu, comme en 1791 et 1792, et ne reprend en décembre de cette année-là que grâce à l’argent d’Arthaud de Bellevue. Mais tout se gâte en 1794 et c’est avec difficulté que Rétif achève l’impression des huit premières parties le 20 octobre 1795, au milieu de la VIe Époque (à la page 2399, soit la page 39 du tome II de l’édition de la Pléiade).

Dans l’histoire de Monsieur Nicolas, l’année 1795 est marquée par l’apparition de Nicolas de Bonneville, fondateur en 1790, avec l’abbé Fauchet, du Cercle Social, club politique doté d’une imprimerie. Rétif fait sa connaissance chez Mercier le 25 décembre 1795 ; il lui lit « les titres de [sa] Physique » (voir ci-dessus la notice n° XLVIII). C’est ce soir-là sans doute que Bonneville apprend l’existence de Monsieur Nicolas.

D’après Mon Testament (texte daté du 26 septembre 1797, reproduit dans MN, II, p. 1065-1071), il y eut un autre souper au cours duquel fut conclu l’achat par Bonneville des huit parties de Monsieur Nicolas alors imprimées. Comme il n’y a aucune trace dans le Journal de ce souper, il doit être postérieur au 11 juin 1796 (date de l’interruption du Journal).

Malgré le caractère incomplet de l’ouvrage (qui s’arrête inopinément dans la VIe Époque), Bonneville procéda à sa mise en vente dès novembre 1796, en même temps que la Philosophie de Monsieur Nicolas, dont la page de titre, du reste, ne mentionne pas le nom de Rétif (voir ci-dessus la notice n° XLVIII). La préface de la Philosophie signale qu’elle « fait partie d’un ouvrage considérable, important, unique dans notre littérature intitulé Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé ». Bonneville ajoute : « Il aurait peut-être été plus naturel de publier le Cœur humain dévoilé avant la Physique. Mais l’éditeur ne connaissait pas le premier ouvrage, que le second lui a donné l’envie de lire. Alors surpris, étonné, il en a senti toute la force, toute l’utilité, tout l’extraordinaire et nous a engagé à le publier ».

Pour cette publication, Rétif rédige une préface, datée du 18 novembre 1796 et intitulée : « Les Huit Premières Parties du Cœur humain dévoilé » (Cette préface est absente de certains exemplaires de Monsieur Nicolas ; elle figure dans l’édition de la Pléiade, II, p. 1015-1019). Son titre même indique bien que l’ouvrage est incomplet ; une suite est annoncée : « Au reste, les tableaux de ces huit parties […] ne seront pas les plus intéressants. La touche de la fleur de l’âge sera plus ferme et dans les dernières parties l’intérêt croîtra […] » (p. 1016).

Bonneville s’est engagé à acheter la suite. Il est indiqué au début de la Philosophie de Monsieur Nicolas, soit en novembre 1796 : « On souscrit à l’imprimerie du Cercle Social pour les 12 volumes du Cœur humain dévoilé, prix 24 livres » (p. XLIV). Ces 12 volumes contiennent la totalité des Époques de Monsieur Nicolas. Le IXe volume était sans doute en cours d’impression quand le marché avec Bonneville fut conclu, car c’est seulement sur la page de titre de la Xe Partie que figure le nom de Bonneville : « Imprimé à la maison / Et se trouve à Paris / Chés Nicolas Bonneville, rue du Théâtre Français / À l’Arbre de la Liberté », avec le millésime de 1796.

Mais Rétif et Bonneville se brouillent en mars ou avril 1797. Aussi le nom du libraire disparaît-il de la XIe Partie, remplacé par celui de Marion, la fille cadette de l’écrivain : « Imprimé à la maison / Et se trouve à Paris / Chés la Veuve Marion R., rue du Fouarre, n° 16 / à l’entresol ». Le millésime est cette fois 1797. Cette adresse figure encore sur la page de titre de la XIIe partie, et se retrouvera sur celle de la XVIe : « Chés la Veuve Marion Restif, rue de la Bûcherie / n° 27 » ; elle disparaît en revanche des XIIIe, XIVe et XVe au profit d’une formule emphatique : « Et chés tous les libraires de l’Europe, car cet ouvrage / est pour toute la Terre ».

En 1796, l’impression de Monsieur Nicolas avancé lentement. L’interruption du Journal le 11 juin empêche de suivre la progression du travail après cette date. Seules les lettres aux époux Fontaine, qui s’ échelonnent de 1797 à 1799, fournissent quelques informations.

L’impression se termine en novembre 1797. Les années 1796 et 1797 furent donc des années de travail intense, car ce qui restait à imprimer était considérable. Rétif, dont les ressources étaient précaires, a nécessairement bénéficié d’une aide matérielle et financière. L’ami secourable a probablement été Arthaud de Bellevue. S’il ne pouvait plus être le mécène généreux de 1792-1793, il pouvait du moins, grâce à son imprimerie, participer à l’impression.

Outre la fin des Époques, demeuraient en manuscrit, et encore à écrire en partie, deux compléments autobiographiques : Mon Calendrier et Mes Ouvrages, plus trois traités complétant la Philosophie de Monsieur Nicolas : Ma Morale, Ma Religion et Ma Politique.

  1. Les annexes du récit autobiographique

1) Mon Calendrier

« Hier 14 sept. 1790 […] il me vint en idée d’écrire Mon Calendrier» (MN, II, p. 645), « supplément nécessaire », « partie intégrante de l’histoire » (ibid., p. 290 et I, p. 22) . Cette rédaction l’occupe jusqu’au 12 octobre. Le manuscrit est ensuite actualisé, mais n’a pas un début d’impression avant 1797, selon ce qu’on lit à la fin de la XIIe Partie, dans la brève « Reprise de la Xe Époque » : « Il me reste à imprimer Mon Calendrier » (ibid., II, p. 639). Il forme la XIIIe Partie de Monsieur Nicolas.

2) Mes Ouvrages

Cette XVIe Partie de Monsieur Nicolas n’est jamais annoncée dans les prospectus de l’ouvrage. Son manuscrit existait pourtant : il avait été commencé dès 1785, comme en témoignent les dates inscrites dans le texte ; il avait été régulièrement augmenté au fil des années, jusqu’en 1797. Rétif s’est toujours plu à passer en revue ses productions. Il venait notamment d’en imprimer une en 1784, à la fin de La Paysanne pervertie. Mais au fil des années cette revue avait pris de l’ampleur et devenait difficile à placer. Rétif jugeait Monsieur Nicolas déjà trop volumineux (aussi avait-il renoncé à joindre Mes Inscripcions, notamment). Jusqu’à la fin de 1796, aucune place n’est prévue pour Mes Ouvrages.

 Il en est finalement question dans un passage de la IXe Époque : « Voyez, pour de plus amples détails sur chaque ouvrage, la Revue générale que je fais de mes productions à la fin de celui-ci » (MN, II, p. 397).

Comme le souligne Rétif, cette Revue était nécessaire : « Ce dernier des volumes qui me restent à imprimer doit être le plus intéressant de tous, soit pour moi-même, soit pour mes lecteurs, puisque la vie d’un auteur consiste principalement dans ses ouvrages. C’est donc particulièrement ma vie littéraire qu’on va lire » (Mes Ouvrages, Avis liminaire). Cette vie littéraire n’était pourtant pas absente du récit autobiographique, mais elle y était disséminée ; la voici rassemblée dans le XVIe et dernier volume de Monsieur Nicolas, comme couronnement de l’œuvre.

3) Ma Morale et Ma Religion (XIVe volume)

À l’origine, chacun de ces deux morceaux devait occuper un volume. La nécessité de libérer de la place pour Mes Ouvrages a amené Rétif à les réunir dans le XIVe volume.

C’est dans une lettre du 12 juin 1797 aux époux Fontaine que pour la première fois, il fait mention de ce changement : « J’augmente les volumes ; vous pourrez avoir jusqu’au XIVe, outre les III de Philosophie ; ce qui fera IV, avec la Morale et la Religion, qui en font un » (Correspondance, éd. cit., p. 591). Ma Politique devient alors le XVe volume.

La conséquence logique de cette réunion est de raccourcir les textes de Ma Morale et de Ma Religion. Nous n’en lisons aujourd’hui qu’une version abrégée.

La première mention de Ma Morale, dans le Journal, se trouve à la date du 31 août 1790 : « continué ma Morale ». Rétif en est alors à la page 1070, comme l’indique la note du lendemain : « 1 7bris Morale : de 1070 à 1073 » (il s’agit de la pagination du manuscrit). Cette rédaction enchaîne sur celle de la Physique. On lit en effet dans les premières lignes de l’Avant-Propos : « Le sujet à traiter, après la Physique, c’est la Morale. Car telle est ma marche : je donne l’existence à l’homme dans ma Physique ; je lui crée des mœurs, le seul véritable ciment social, dans la IIde partie de ma Philosophie intitulée Morale. Je ne parle pas encore des deux autres parties » (MN, éd. orig., vol. XIV, p. 3919).

L’impression a lieu sans doute en mai 1797, comme l’indique cette mention dans l’avant-dernière page : « […] je serais dans le même désespoir où j’étais hier, 25 floréal (14 mai) » (ibid., p. 4107 ; le contexte indique qu’il s’agit du 25 floréal de l’an 5, soit du 14 mai 1797).

Sur Ma Religion, le Journal fournit peu d’informations. Nous y trouvons cependant la mention : « 11 8bris [1790] […] p. 1200 ». Cette pagination n’est rattachée à aucun texte, mais le chiffre indiqué nous invite à y voir celle d’un manuscrit qui prend la suite de celui de Ma Morale, qui se terminait peu après la page 1097. On peut considérer que Rétif a écrit Ma Religion dans la continuité de Ma Morale, soit entre le 15 septembre et le 11 octobre 1790. Il y reviendra dans les années suivantes, le 31 mai et les 4 et 5 juin 1791, puis en juillet 1795 (comme pour la Physique et la Morale), et jusqu’en 1797, comme en témoigne un § intitulé « Ce qu’on dira de cet ouvrage en 2797 », « dans 1000 ans » (ibid., p. 4190). L’impression a dû s’achever à la date indiquée dans les dernières lignes : « […] en ce moment 31 mai, 12 prairial 1797 » (ibid., p. 4213).

4) Ma Politique (XVe volume)

Elle est présentée comme étant « le dernier degré de civilisation que je donnerai à l’homme physique, moral et religieux » (ibid., vol. XV, p. 4231, début de l’Avant-Propos). C’est « la IVe Partie de la Philosophie de M. Nicolas », donc nettement la suite et la conclusion des traités précédents. Malheureusement, le Journal ne donne aucune pagination du manuscrit. Il mentionne pour la première fois Ma Politique à la date du 1er juin 1791 : « 10 p. sur Politique ». Il ne s’agit sans doute pas d’un début, si l’on en croit l’indication donnée par Rétif dans une parenthèse : « Ceci a été écrit en 1790 et 1791 » (ibid., p. 4321). La rédaction se poursuit les 2 et 3 juin, puis il n’en est plus question. Mais dans sa 2e partie (à partir du § 38), le texte est pour l’essentiel un historique de la Révolution, jalonné de dates, qui conduisent jusqu’au 18 juillet 1797 (Ibid., p. 4413, § 88 : « Où nous en sommes de la Révolution, 30 messidor an 5 », 18 juillet 1797). Voilà qui situe l’impression de Ma Politique après celle de Ma Morale et de Ma Religion.

 L’impression de Monsieur Nicolas s’est achevée le 21 ou le 26 septembre 1797, selon la fin d’une des Nouvelles Contemporaines : « Il vécut pour achever le Cœur humain dévoilé, qu’il finit d’imprimer le 21 septembre suivant [1797], comme on le voit écrit sur l’île de la Fraternité (vol. II, p. 137-138), ou selon Mon Testament : « Aujourd’hui 6 vendémiaire an VI (26 septembre 1797), quinzième anniversaire de ma date sur l’île […], je m’y suis promené après l’achèvement de Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé » (MN, II, p. 1065). Selon Tabarant, « si les premiers volumes avaient été tirés à 450, le tirage des derniers n’était pas allé au-delà de 225, voire de 200 » (op. cit., p. 417). On ne sait où il puise cette information, mais il est possible en effet que les circonstances de l’impression, en 1797, n’aient pas permis le maintien du tirage des huit premiers volumes, en 1795.

III. L’ambition du projet

Dès 1785, soit dès la fin de la rédaction des huit premières Époques, Rétif avait prévu ses traités sur la Morale, la Religion et la Politique. D’autre part, des notes du Journal, en octobre et novembre 1785, montrent qu’à cette date Rétif envisageait d’ajouter Mes Inscripcions, et deux morceaux qui se seraient intitulés Grand État de mes Affaires et Détail de mes infirmités (ou Mes Maladies).

L’examen des prospectus pour Monsieur Nicolas permet de préciser le projet éditorial et ses fluctuations au fil des années. Ces prospectus sont insérés dans divers ouvrages, des Nuits de Paris en 1788 aux Posthumes en 1802.

En 1788, le premier prospectus est placé au début du volume 12 des Nuits de Paris. Il est intitulé : « Observations sur un ouvrage manuscrit de l’auteur ». Rétif annonce un ouvrage en « VIII volumes de 24 feuilles in-12 chacun [soit 576 pages chacun et 4608 pages en tout] ; 50 portraits et autant d’estampes de situation, au moins » Le coût est estimé à 50.000 livres, financé par l’émission de « 300 actions à 200 livres chacune, divisée en 4 billets à ordre de 50 livres, de 6 mois en 6 mois pendant deux ans. » Le tirage est fixé à 3000. Il est précisé qu’« on s’adresse à l’auteur rue des Bernardins n° 10 », adresse qui est celle de Rétif jusqu’au 10 novembre 1788.

À la fin du même volume, ce prospectus offre quelques variantes : le nombre des gravures est porté à 64 portraits, avec le nom des personnages, et à 64 estampes (au lieu de 50), soit un total de 128 illustrations. En outre, un « portrait de l’auteur sera dessiné par M. Pujoz ». Le financement des 50000 livres est encore prévu par souscription, mais il s’agit cette fois de « 500 actions à 200 livres chacune », payables en 4 fois sur 2 ans. Le tirage sera de 4000.

En avril 1789, Rétif entre en pourparlers avec le libraire Guillot pour la vente de son manuscrit. Mais ce n’est que le 17 octobre, avec l’entrée en scène d’un imprimeur de Bâle, Tournezen, qu’un accord est conclu pour l’impression de Monsieur Nicolas. Rétif note ce jour-là dans son journal : « 17 8b écrit marché triple : aurai 710 Exempl. […] : signé l’écrit le soir du Mr Nicolas avec Tournezen et Guillot. J’ai été gris. » Cette ivresse donne la mesure de l’espoir que Rétif mettait dans ce marché. Cette convention, dont nous n’avons que le brouillon rédigé de la main de Rétif, fut bel et bien signée, selon le Journal. Mais elle n’eut pas de suite. Rétif en attribue l’échec à la mort de Guillot (voir MN, II, p. 439), guillotiné le 17 août 1792 ; mais entre 1789 et 1792, il n’y a pas trace de ce marché dans les notes du Journal, et il est probable que ce furent plutôt les difficultés financières du libraire qui rendirent caduc le marché

Dans ce document (reproduit par Monselet entre les pages 208 et 209 de son Rétif de la Bretonne, sa vie et ses amours (1854), et par Ned Rival, page 312 de son Rétif de la Bretonne ou les Amours perverties (1982), avec une transcription malheureusement entachée d’erreurs de lecture), le rôle de chacun est bien spécifié : Tournezen se charge de l’impression et Guillot des estampes ; Rétif fournit le manuscrit et veille à la correction de l’impression, mais n’investit aucune somme d’argent. Il est toujours question de VIII volumes de 24 feuilles chacun, en 16 Parties de 12 feuilles chacune. Par rapport au prospectus de 1788, le tirage est revu à la baisse : 3000 exemplaires au lieu de 4000, mais la nouveauté est qu’il est prévu deux formats : un in-8° pour 1000 exemplaires et un in-12 pour 2000. L’in-12 est habituellement le format des romans, l’in-8° celui des ouvrages plus sérieux (c’est par exemple le format des Idées singulières). L’in-8° doit donc conférer plus de majesté à Monsieur Nicolas. En revanche, le nombre d’estampes est réduit à 54, contre 100, et les 64 portraits sont abandonnés.

Un autre prospectus, qu’on peut dater de 1790, se trouve au début de certains exemplaires du premier volume de Monsieur Nicolas (voir l’exemplaire de la BnF consultable sur Gallica), dont l’impression a commencé le 24 août 1790. Il est intitulé : « Arrangement de MM. les souscripteurs avec l’auteur et entre eux ». Il s’agit cette fois d’un projet nouveau. Il n’est plus question de 200 actions, mais de 200 souscripteurs, choisis par Rétif et nommément désignés : en tête de liste, le Roi, la Reine, Louis X, Charles-Philippe, Louis-Philippe, puis 44 ambassadeurs, 82 départements et 69 particuliers (dont Robespierre, Mercier, Mme de Beauharnais, Toustain-Richebourg, Beaumarchais, La Reynière…). Rétif propose en outre une cession de propriété : « Aussitôt l’édition de 450 exemplaires achevée, l’auteur remettra à Mrs les 200 souscripteurs la propriété de l’ouvrage et des planches pour les faire tirer à leur compte, à 3 ou 4 mille » et 6 mille pour les gravures.

Le projet annonce 300 feuilles d’impression (soit 7200 pages, au lieu des 4608 de 1788), en XXIV Parties, pour un tirage de 450 exemplaires (contre 3000 et 4000 en 1788, 3000 en 1789), avec 150 planches (contre 164 dans le prospectus mis dans L’Année des dames nationales en 1788). Le coût de l’impression est ramené à 49000 livres (contre 50000 et 80000 précédemment). Le passage de XVI à XXIV Parties (ou volumes) s’explique par l’adjonction d’annexes, celles qui sont annoncées en note à la fin de l’introduction de Monsieur Nicolas : « Quelques faits, qui ne seront pas dans les Époques, se trouveront dans sept morceaux intitulés : Mes Affaires, Mes Maladies, Ma Physique, Ma Morale et ma Doctrine, Ma Politique, Mon Calendrier, Mes Contemporains, Mes Dates, enfin dans Le Drame de la vie, articles qui formeront le complément de l’Histoire » (MN, I, p. 16). — Dans certains exemplaires la liste ne contient pas Ma Morale et ma Doctrine, ni Ma Politique ; tel est le cas de l’exemplaire sur lequel se base l’édition de la Pléiade, mais non celui du reprint Slatkine. Dans les XVI parties initiales n’étaient comprises que les 8 Époques (12 parties) plus Mon Calendrier, Ma Morale, Ma Religion et Ma Politique. L’énumération ci-dessus ajoute Ma Physique, Mes Dates (Mes Inscripcions), Mes Affaires, Mes Maladies, Mes Contemporains et Le Drame de la vie. Sans savoir encore en 1790 l’ampleur exacte de ces morceaux, Rétif peut estimer qu’ils représentent 8 parties supplémentaires. Certains seront finalement intégrés dans la 9e Époque (rédigée de 1791 à 1797) : Mes Contemporains sont dans les premières pages (MN, II, p. 367-377 puis passim), suivis de Mes Maladies (ibid., p. 443 sq.). Quant à Mes Affaires, Rétif considère qu’elles sont déjà « suffisamment exposées dans le cours de [son] histoire » (ibid., p. 450). Il semble qu’il en avait rédigé au moins quelques pages en 1785.

En 1791, le prospectus de 1788 est repris à la fin du volume I de L’Année des dames nationales. Le texte reste le même, mais l’adresse indiquée est maintenant « Rue de la Bûcherie, n°11 », où loge Rétif depuis le 10 novembre 1788. Le coût de l’édition passe de 50000 à 80000 livres. Le nombre des portraits demeure le même (64), mais celui des estampes passe de 64 à 100, avec pour la première fois la liste de leurs sujets. Le tirage prévu reste fixé à 4000. Ce prospectus se retrouve à la fin du tome III du Drame de la vie (1793), tel quel, y compris la mention de Pujoz, pourtant mort depuis septembre 1788.

En 1792, la Postface de L’Instituteur d’un prince royal (2e édition des Veillées du Marais) annonce Les Ressorts du Cœur humain dévoilés, « ouvrage immortel », dans lequel on trouvera « outre l’historique des passions un système complet de Physique, un cours entier de Morale, de Politique, de Religion, etc., etc. » L’ouvrage « sera très rare ! et non contrefaisable par 150 planches soignées […] Il n’y aura dans le public qu’environ 500 exemplaires pour lesquels on doit s’empresser de se faire inscrire » (IVe Partie, p. 559-560). Un « Avis sera publié dans peu », où l’ auteur « donnera les noms des souscripteurs qu’il a choisis ».

En 1793, dans Le Drame de la vie trois prospectus sont insérés, datant de 1792 : l’un se trouve au début de la Ire Partie, un autre à la fin de la IIe et un troisième à la fin de la IIIe Partie, qui n’est que la reproduction de celui de 1788 (à la fin du 1er volume de L’Année des dames nationales).

  1. a) le premier est mêlé à l’ « Avis » qui ouvre le volume. Le Drame de la vie y est présenté comme une « esquisse » de Monsieur Nicolas, « qu’on doit publier incessamment » Cette publicité est suivi par « la Table complète du Calendrier de M. Nicolas », la liste des « XXIV portraits, un en tête de chaque Partie », avec « le portrait de l’auteur en grand, retouché » (ce portrait est sans doute celui de 1785 placé en tête du Drame de la vie ; il n’est évidemment plus question de M. Pujoz), puis par celle des 80 sujets d’estampes, complétée par 26 autres au début de la 5e
  2. b) le deuxième porte en haut de la page Prospectus, en lettres capitales et en gros caractères. Il donne une « Table de ce qui sera contenu dans l’ouvrage ». Ce contenu révèle l’ampleur de l’ouvrage prévu à ce moment-là : « 1. La Vie du héros entière, sans aucun déguisement. — 2. Les motifs de toutes ses actions et leurs suites. — 3. Les petits ouvrages qu’il a faits pour les femmes. — 4. L’analyse, les motifs et la clé des ouvrages publiés. — 5. Les relations du héros avec les gens du monde, les gens de lettres, les acteurs et les libraires. — 6. Les Maladies de Monsieur Nicolas. — 7. Les Affaires du héros. — 8. Sa Morale. — 9. Sa Doctrine. — 10. Sa Physique, ou la Philosophie d’un homme libre. — Sa Religion. — 13. [sic] Sa Politique. — 14. Son Kalendrier, ou Récapitulation historique de toutes les femmes et filles qu’il a connues, particulièrement de celles qu’il a rendues mères et de ses filles naturelles actuellement existantes. — 15. La vraie Table de ce Kalendrier, dans laquelle tous les noms abrégés dans l’ouvrage seront au long. — 16. Ses Dates, ou Journal curieux et unique en son genre des dernières années de sa vie. Cette partie d’un immense ouvrage est peut-être la plus importante en ce qu’elle dévoile mieux le cœur humain. On y trouvera une foule d’anecdotes piquantes sur différents personnages publics et sur des particuliers célèbres. — 17. Enfin ce vaste ouvrage renferme tout ce qui concerne l’éducation, la morale, la religion, la politique, la physique, l’astronomie, avec une cosmogénie neuve et complète. Car c’est un système entier de l’Univers, son auteur compris, système satisfaisant, palpable et qui répond à tout. »

 « Je propose, dit Rétif, d’imprimer le Cœur humain dévoilé à 450 exemplaires, de 300 feuilles d’impression, en XXIV Parties, avec 150 planches, moyennant une souscription de 10 louis à 200 personnes seulement, ce qui formerait une somme de 48 mille livres. » On voit que le tirage prévu est à la baisse : de 4000 en 1788, puis de 3000 en 1789, il revient ici à 450. Il n’est plus question de deux formats, in-12 et in 8°. Mais le nombre d’estampes est en hausse : 150 au lieu de 100 en 1788 et de 54 dans la convention avec Guillot et Tournezen.

Le moyen de financement reste celui d’un appel à 200 souscripteurs, dans les conditions déjà indiquées. Le Roi et la Reine restent en tête, comme en 1790 ; on peut en déduire que cette liste est antérieure au 12 août 1792, date de la chute de la monarchie. Ce n’est qu’en 1796, dans sa préface aux « VIII premières Parties du Cœur humain dévoilé », que Rétif actualisera sa liste ; après avoir rappelé que les noms avaient été choisis du temps de la monarchie et de l’Assemblé constituante, il écrit: « Par une suite de mon amour pour la vérité, je ne les ôterai pas. Je placerai seulement ici, au lieu d’un Roi, d’une Reine et de quelques autres personnages qui n’existent plus : 1. Le Directoire exécutif. 2. Les membres les plus patriotes des deux Conseils 3. Les départements nouvellement adjoints. Les envoyés seulement des puissances amies. »

Il est cependant à noter qu’en octobre 1796, dans Immoralité des journalistes (MN, éd. orig., vol. XV, p. 4455-4459), récapitulant ses ouvrages, Rétif détaille ainsi : « La Philosophie de M. Nicolas, 6 vol. (soit 3 pour la Physique et 3 pour Morale, Religion, Politique), Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé, 13 vol. ; Mon Calendrier, la Revue de mes ouvrages, Mes Affaires, Mes Maladies, Mes Dates, 2 volumes ». L’ensemble fait donc 21 volumes, total qui n’était encore jamais apparu. 13 volumes pour Monsieur Nicolas surprend, car le récit des Époques n’en occupe que 12 ; c’est Mon Calendrier qui fait la 13e ; d’autre part, 2 volumes paraissent bien insuffisants pour accueillir les 5 compléments prévus, sauf à condenser la matière. En octobre 1796, l’impression du 9e volume est tout juste achevée ; il reste beaucoup à faire et l’agencement de l’ensemble ne semble donc pas encore fixé dans l’esprit de Rétif.

Un dernier prospectus se trouve à la fin du dernier volume des Posthumes, en 1802. Il reproduit textuellement celui qui figure à la fin de la IIe Partie du Drame de la vie, avec l’ajout de la liste des « 106 estampes de situation », et celle des portraits, listes présentes dans des prospectus précédents. Le tout fait 11 pages, 4 de plus que dans Le Drame de la vie. Mais sa particularité est surtout d’être introduit par ces lignes : « Des vues récentes m’obligent à remettre ici une nouvelle annonce du Monsieur Nicolas ou les Ressorts du Cœur humain dévoilé. »

Quelles sont donc ces « vues récentes » ? Notons qu’il s’agit de vues (non de circonstances), c’est-à-dire de perspectives qui s’ouvrent devant Rétif et qui l’obligent à relancer la publicité en faveur de Monsieur Nicolas. Nous sommes réduit à des hypothèses.

Il serait intéressant de pouvoir dater l’insertion de ce prospectus dans le volume des Posthumes, qui porte le millésime de 1802, avec cette mention : « Imprimé à Paris, à la maison ». À cette date, l’édition de Monsieur Nicolas existe depuis plus de quatre ans, mais elle est restée ignorée. Les souscriptions attendues ne sont pas venues. Or Mme de Beauharnais, par ses liens de parenté avec la femme du Premier consul, avait de puissantes relations. Dans l’affaire de la saisie des Posthumes, elle montrera son efficacité en faisant lever les scellés. Toujours secourable, elle a peut-être laissé espérer à Rétif qu’elle pouvait attirer des souscripteurs, lui redonnant ainsi confiance dans le succès de son Monsieur Nicolas.

  1. Une publication désenchantée

Pendant près de dix ans Rétif a bataillé pour son « immense » et « vaste » ouvrage, digne d’une « grande édition à 3 ou 4 mille », comme il le proposait aux souscripteurs devenus propriétaires de l’ouvrage, dans l’« Arrangement » du prospectus de 1790. Monsieur Nicolas était pour lui l’enjeu de toute sa carrière littéraire. Il déclarait en 1788, au moment où il s’apprêtait à entreprendre l’impression : « L’auteur y mettra tout ce qu’il possède, s’estimant heureux s’il peut le conduire à sa fin ! » (Nuits de Paris, éd. cit., t. III, p. 1331-1332 ; verso de la page de titre de la XIe Partie). Pendant près de dix ans, il a diffusé des prospectus où s’exprimait son ambition d’éditer une œuvre totale, intime et philosophique à la fois, où les traités eux-mêmes étaient placées sous le signe du moi : Ma Morale, Ma Religion, Ma Politique.

C’est finalement un « ouvrage d’amertume et de douleur » (MN, I, p. 16). « Oui, le désespoir et une douleur insupportable me font publier les huit premières parties de mon anatomie morale ; oui, le malheur seul me fait chercher à me procurer les moyens d’achever cet ouvrage […] » (Préface aux « VIII premières Parties du Cœur humain dévoilé » (1796), ibid., II, p. 1018).

Rétif en arrive à désavouer son édition. À la fin de la VIIIe Époque, dans une addition de 1796, il écrit : « Je suis forcé, pour exister, de mettre en vente cet ouvrage-ci qui ne devait paraître qu’après ma mort. » (ibid., II, p. 363). C’est ce qu’il dit aussi dans une lettre du 28 mars 1798 aux époux Fontaine, évoquant la contrainte exercée sur lui : « On exige de moi l’impossible, ou que j’expose mon repos en publiant trop tôt le Cœur humain dévoilé. » Derrière ce on, il faut voir Marion, dans la misère, demandant avec insistance cette publication pour faire rentrer un peu d’argent à la maison ; il y est fait allusion deux lignes plus bas : « Il faudrait démasquer une ennemie et je ferais un tort irréparable à ses pauvres enfants, qui ne sont pas coupables ! […] Mon ennemie m’a pillé tout ce qu’elle a pu et ses enfants presque au berceau ont suspendu toutes mes plaintes » (Correspondance, éd. cit., p. 608).

Mais Marion n’est pas seule en cause, il y a aussi les « faux amis », Bonneville et Mercier: « À la fin de ma carrière, trompé par de faux amis qui m’ont forcé par la famine à publier cet ouvrage, abandonné de tout le monde, décrié par les plus vils des hommes, je ne rêve que le désespoir ! Toutes mes ressources sont finies ; l’ouvrage que vous lisez était la dernière et on vient de l’anéantir en le publiant mal à propos sans les estampes indiquées, par une édition que je ne destinais pas au public ! » (MN, II, p. 489).

« Sans les estampes indiquées » : voilà le grand regret. Le rêve de Rétif était de « faire un ouvrage suivi en figures, liées et résultant les unes des autres » (prospectus de 1788, dans L’Année des dames nationales, vol. I in fine), figures « absolument nécessaires à cet ouvrage, puisque souvent elles expriment ce qui n’est qu’indiqué dans le texte » (MN, note au verso de la page de titre du 12e volume).

Monsieur Nicolas n’eut finalement ni portraits, ni estampes. Publier l’œuvre ainsi amputée, c’était l’anéantir (MN, II, p. 489). Rétif dut se résigner à placer les sujets des estampes au début et à la fin de chaque volume et à signaler dans les marges du texte l’endroit où chaque gravure aurait dû se trouver.

Du moins fut-il envisagé de faire un tirage à part des estampes. Ainsi, à la fin du 10e volume, en 1797, on a cette annonce : « Propositions sur les estampes. — Je propose aux acquéreurs du Cœur humain dévoilé de souscrire pour les 150 estampes indiquées en marge et dont les programmes se trouvent à la fin de chaque Partie. La souscription sera de un écu d’or de 24 livres et l’on tirera mille seulement.»

Dans quelle mesure ces estampes ont-elles existé ? Tabarant affirme, sans citer ses sources une fois de plus, que « Binet avait même dessiné bénévolement plusieurs compositions des premières parties de Monsieur Nicolas » (op. cit., p. 411). Jean-Claude Courbin découvrit dans un catalogue de 1920 (vente Delcloux) « un projet de vignette pour Monsieur Nicolas de Rétif de la Bretonne, dessin à la plume et lavis d’encre de chine, 13 cm sur 8cm, le sujet étant Il a une fille à la joue ». Ce sujet est bien en effet l’un de ceux retenus par Rétif. Selon Courbin, il est vraisemblable qu’il existe d’autres dessins dans des collections privées (voir « Les Illustrations de Monsieur Nicolas », Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1962, n°2, p. 101-106).

  1. L’échec de la publication

Monsieur Nicolas fut tiré à 450 exemplaires, comme le confirme Rétif à la fin de la XVe Partie : « J’avertis en outre que mon ouvrage, tiré au-dessous de 500 […] » (MN, éd. orig., vol. XV, p. 4540). Mais tout porte à croire que le tirage des derniers n’est pas allé au-delà de 225.

Selon Tabarant, les libraires Duchesne fils, Renouard et Dufresne se chargèrent de quelques exemplaires. Encore ne s’agissait-il que des 12 premiers volumes. Et ce qui fut diffusé en Allemagne ne fut que l’édition incomplète limitée aux 8 premiers volumes, comme l’atteste la lettre de Schiller à Goethe du 2 janvier 1798, (voir Correspondance, éd. cit., p. 622-623). Un compte rendu paru en 1797 dans Der Neue Deutsche Merkur parlait d’ « une première livraison en huit volumes […] en tout 2399 pages en format in-8° » et de « quatre derniers volumes à paraître ». Le 26 juillet 1800, Schiller évoque encore les huit volumes de « cette autobiographie qui est loin d’être encore finie ». À cette date, l’édition complète existe pourtant depuis deux ans et demi.

La publication des 16 volumes fut un fiasco. Bonneville avait commis une grave erreur en faisant de la Philosophie de Monsieur Nicolas, en 1796, une sorte de prospectus pour l’ouvrage à venir. Car cette Philosophie ne reçut pas bon accueil. Son naufrage entraîna celui de Monsieur Nicolas. La presse des années 1798 et suivantes reste silencieuse, sinon pour mentionner le titre, sans commentaire et sans l’indication du nombre de volumes.

Dans les nécrologies de 1806, les journaux citent quelques titres de Rétif sans jamais mentionner Monsieur Nicolas.

Cubières, en 1811, est le premier en France à parler de Monsieur Nicolas dans sa Notice sur Rétif : « Oui, Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé est un chef-d’œuvre, et je me plais à le répéter » (Histoire des compagnes de Maria, vol. I, p. 12). 

Il faudra attendre le milieu du siècle pour que Monsieur Nicolas sorte de l’ombre, grâce à Charles Monselet et son article dans Le Constitutionnel, du 16 au 19 août 1849, repris en 1854 dans son ouvrage Rétif de la Bretonne, sa vie et ses amours, documents inédits, où il met Monsieur Nicolas « presque au même rang » que les Confessions et les Mémoires de Casanova.

La discrétion de la diffusion n’empêcha pas la censure de pourchasser l’ouvrage. Il en fut ainsi sous l’Empire et durant tout le XIXe siècle. Monsieur Nicolas figure dans le Catalogue des ouvrages condamnés depuis 1814 jusqu’en 1873 (Catalogue dit Wittersheim, du nom de l’imprimeur), en compagnie du Paysan perverti et de L’Anti-Justine ; il se trouve aussi dans le Catalogue des ouvrages […] poursuivis, supprimés ou condamnés depuis le 21 octobre 1814 jusqu’au 31 juillet 1877, de Fernand Drujon, p. 266. Le livre est poursuivi même à l’étranger : en 1884, « la censure russe a interdit l’entrée en Russie de Monsieur Nicolas de Restif de la Bretonne, parce que l’auteur y critique sa Majesté l’Empereur » (Revue politique et littéraire du 20 septembre 1884. « C’est s’y prendre un peu tard », remarque le journaliste ; dans L’Intransigeant du 3 août, le commentaire était : « Ça c’est monumental ! »). En 1905, « le Procureur impérial de Berlin vient de faire saisir le premier volume d’une nouvelle édition allemande des Mémoires de Rétif (Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé) » (Mercure de France du 1er juin). Or les ouvrages condamnés, une fois saisis, étaient voués à la destruction. Ceux qui n’étaient pas saisis étaient mis à l’index dans les bibliothèques publiques et non communiqués.

Triste destinée que celle de Monsieur Nicolas, ce livre que Rétif avait voulu la somme de toute une vie !

Les exemplaires de l’édition originale sont aujourd’hui devenus très rares. Combien en reste-t-il aujourd’hui ? Aux disparitions dues à la liquidation de bibliothèques par des héritiers ignares, il faut ajouter les destructions dues aux ravages de la deuxième guerre mondiale. Combien d’exemplaires ont disparu sous les bombes qui ont rasé des villes, et dans ces villes, des bibliothèques privées et publiques ? En Allemagne, pays particulièrement accueillant pour les ouvrages de Rétif, l’anéantissement de la bibliothèque de Dresde est emblématique de la fragilité du livre dans l’Histoire.

Éditions (XVIIIe siècle)

— Barbier dans son Dictionnaire des Ouvrages anonymes et pseudonymes répertorie une édition du Cœur humain dévoilé, en 12 volumes in-12, 1796 « et années suivantes », chez Renouard. L’année indiquée est de toute évidence erronée. J. Rives Childs avoue n’avoir jamais vu ces exemplaires. Dans le catalogue de Renouard pour 1806 (consultable sur Gallica), Rétif est absent. Mais peut-être Renouard avait-il déjà vendu les exemplaires de Monsieur Nicolas en sa possession.

 

Éditions modernes (aucune ne donne l’intégralité des 16 volumes de l’édition originale, sauf le reprint Slatkine de 1988).

1881, Louise et Thérèse, Librairie des Bibliophiles, 1 vol. in-12 de III-45 pages, « épisode tiré de ses Mémoires et publié par le bibliophile Jacob »— Cet extrait a fait l’objet de plusieurs éditions : chez E. Dentu en 1889, Flammarion en 1900, Le Vasseur et Cie en 1936 (dans Contes libertins du XVIIIe siècle), Seghers en 1956 (dans Les 20 Meilleures Nouvelles françaises), Les Œuvres libres en 1958.

— 1883, Isidore Liseux éditeur, 14 vol. in-12, comprenant Mes Ouvrages, mais non Ma Morale, Ma Religion et Ma Politique. — Paul Lacroix en 1881, dans sa préface à Louise et Thérèse (voir ci-dessous), appelait de ses vœux une édition moderne de Monsieur Nicolas : « Ces Mémoires sont un livre fort rare et fort cher, qu’on n’a pas encore osé réimprimer pour l’usage de tous les lecteurs […] » L’édition Liseux vient combler cette lacune, sans toutefois donner les 16 volumes de l’édition originale.

— 1885, Sara ou l’Amour à 45 ans, Éd. Liseux et Belin, 1 vol. in-12 de 277 pages, avec une préface d’Alcide Bonneau. —Il s’agit non du roman de 1783, mais de la « Reprise de la VIIIe Époque » de Monsieur Nicolas.

— 1907, Éd. Louis Michaud, 3 vol., in-12, coll. « Les Mœurs légères au XVIIIe siècle ». I. Enfance et jeunesse, II, Monsieur Nicolas jeune homme, III, Âge mûr et vieillesse. Introductions, notes et index par John Grand-Carteret. Édition abrégée des Époques. Illustrations prises dans diverses œuvres de Rétif. — L’éditeur Vald Rasmussen réimprima cette édition en 1926.

1924, Quelques amours de Monsieur Nicolas, Éd. Baudel, « À l’Enseigne de la Lampe d’or », 1 vol. in-8 de 170 pages ; préface de Maurice Renard, eaux-fortes de Maurice de Becque.

— 1924, Éd. Jonquières, 4 vol. in-8°, incluant Mon Calendrier, mais sans les autres compléments ; illustrations de Sylvain Sauvage.

— 1932, extraits dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. 7-8, anthologie d’Henri Bachelin, avec des illustrations de Pierre Dubreuil. — Reprint en 1978 par les éditions Slatkine.

—1934, L’Enfance de Monsieur Nicolas, feuilleton publié dans L’Œuvre, du 18 novembre au 2 décembre, pages choisies dans le trois premières Époques (1734-1746).

— 1947, Histoire de Sara, Éd. Portes de France, Porrentruy (Suisse), 1 vol. in-8° de 372 pages. Introduction et notes par P.O. Walzer. — « Reprise de la VIIIe Époque » de Monsieur Nicolas.

— 1949, Éd. Stock, Sara ou la dernière Aventure […], coll. « À la Promenade ». 1 vol. in-12 de 203 pages. Préface de Maurice Blanchot. — « Reprise de la VIIIe Époque » de Monsieur Nicolas.

1955, L’Enfance de Monsieur Nicolas, Club des Libraires de France, présentation et notes de Gilbert Rouger ; il s’agit des 3 premières Époques de Monsieur Nicolas, avec quelques coupures. Cf. supra le feuilleton de L’Œuvre.

— 1956-1957, Éࣽd. Mazo et Cie, 2 vol. in-8°, « Édition du Cent-cinquantenaire », lithographies de Suzanne Ballivet.

— 1959, Éd. Jean-Jacques Pauvert, 6 vol., sans notes, avec des illustrations prises dans divers ouvrages de Rétif et quelques documents, placés dans les volumes de façon aléatoire. Texte précédé d’une « Note de l’éditeur ». Il manque à cette édition, pour être complète, les cinq dernières juvénales. — Cette édition a paru la même année au Cercle du Livre Précieux avec une préface de Marc Chadourne.

 1959, L’amour dans le ruisseau : Zéphire, dans Anthologie libertine du XVIIIe siècle, Les Amis du Club du Livre du Mois, établie par Jacques Haumont.

— 1988, Slatkine Reprints, 16 Parties en 8 volumes, sous les nos 64 à 71. Texte complet.

— 1989, Éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2 vol., présentation, notices, notes et index par Pierre Testud. Ne comprend pas la Philosophie de Monsieur Nicolas, mais 12 Appendices, dont la « Dédicace à moi », la Préface aux huit premières parties, 5 « Immoralités » (juvénales), un prospectus pour Monsieur Nicolas, 3 lettres et Mon Testament.

Traductions

J.R.C. mentionne 4 traductions allemandes jusqu’en 1949, auxquelles on peut ajouter :

— 1905-1906, sur 6 vol. prévus, 4 ont paru, mais l’édition fut interrompue par la justice allemande. Dans son n° du 1er juin 1905, Le Mercure de France publie cet écho : « Le Procureur impérial de Berlin vient de faire saisir le premier volume d’une nouvelle édition allemande des Mémoires de Rétif (Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé) ».

— 1961-1962, Monsieur Nicolas Abenteuer im Lande der Liebe (Les Aventures de Monsieur Nicolas au pays de l’amour). Édition de luxe à tirage limité. Hamburg-Altona, Gala Verlag, 3 vol. Traduction de H. Lewandowski, illustrations de W.M. Busch.

—1969, Madame Parangon, Wilhelm Heyne Verlag, München, 1 vol. de 158 pages, traduction de K. Schulte-Mersen.

— 2017, Monsieur Nicolas oder Das enthüllte Menschenherz, Berlin, Galliani, 1 vol. de 720 pages. Ausgewälh aus dem Französischen Übersetz und mit einem Vorwort versehen von Reinhard Kaiser.

—1961-1962, 3 vol. sous le titre : Nicolas’ Abenteuer im Land der Liebe

J.R.C. mentionne en outre 2 traductions anglaises, dont une mérite d’être signalée : — 1930, Monsieur Nicolas or the Human Hart Unveiled, The Intimate Memoirs of Restif de la Bretonne, 6 vol. in-8° comprenant les IX Époques, à l’exclusion de tous les compléments. Traduction de P. Crowdy-Mathers. Tirage de 1000 exemplaires.

On peut ajouter :

— 1966, Monsieur Nicolas, London, éd. abrégée en 1 vol. de 458 pages, traduction de Robert Baldick.

Traductions japonaises :

— 1952, L’Âge de l’éveil de la sexualité, Tokyo, Mikasa shobo 1 vol. de IV-225 pages. ; traduction des IV premières Époques par Ryoichi Ikushima et Kosaku Ikuta, sur la base de l’édition de John Grand-Carteret.

— 1970, La Dernière Aventure-Sara, , Tokyo, Futami shobo,1 vol. de XIX-286 pages. Traduction par Yuji Ueda de la « Reprise de la VIIIe Époque », sur la base de l’édition Stock. L’introduction est intitulée « Rétif et l’univers des souvenirs ».

— 1977, L’Enfance de Monsieur Nicolas, Tokyo, Kodan-sha, coll. « La Littérature du monde », t. 16, p. XL-203-389. Traduction de Junichi Saburi.

— 1977, Monsieur Nicolas, Tokyo, Chikuma shobo,1 vol. de IX-181 pages. Traduction de Kosaku Ikuta et Masaki Katamaya.

Traduction italienne

— 1971, Monsieur Nicolas, éd. Longanesi, Milan, 1 vol. de 620 pages. Traduction de G. Spagnoletti et T. Cavalca.

Traduction suédoise

— 1951, Monsieur Nicolas eller Ajärtats anatomi, Stockholm (morceaux choisis), trad. par Stig Ahlgreen.

Adaptation théâtrale

—1987-1988, L’Extraordinaire Monsieur Nicolas, par la Compagnie Catherine Brieux, Auxerre (décembre 1987) et Paris (janvier-février 1988).

1789. Monument du Costume physique et moral de la fin du XVIIIe siècle, ou Tableaux de la vie, Ornés de figures dessinées et gravées par M. Moreau le jeune, dessinateur du Cabinet de S. M.T. C. et par d’autres célèbres artistes. — Un exemplaire est consultable sur Gallica (cote Z-AUDEOUD-170) ; un autre, également sur Gallica, se trouve à la Médiathèque de Montpellier ; c’est un exemplaire qui regroupe les 1re et seconde Suite d’estampes suivies du Monument […] de

1 vol. grand in-folio de 36 pages avec 26 estampes, regroupées à la suite des textes.

L’ouvrage est précédé par cet « Avis de l’éditeur », que l’on peut attribuer à Rétif lui-même d’après une note du Journal (voir ci-dessous) : « La fin du 18e siècle sera l’une des époques les plus remarquables de l’Histoire. La révolution qui s’est faite dans les idées et dans les usages est digne d’exercer les pinceaux des Théophraste et des La Bruyère. C’est d’après ces modèles qu’est rédigé l’ouvrage dont nous faisons l’hommage au public. Il est orné de gravures qui présentent divers événements de la vie de société. Elles sont l’ouvrage des artistes les plus habiles de notre temps. Les faits employés dans la plupart des traits relatifs à chaque estampe remplissent d’autant mieux le titre de Costume moral que l’auteur (M. Ret. de la B.) s’est attaché à les prendre dans la vérité. On sait qu’aucun homme de lettres n’a plus observé, n’a recueilli plus de traits frappants dans l’histoire privée de toutes les classes de la société. Ces traits peignent la façon de penser et d’agir du siècle ; ils en font l’histoire morale et se trouvent si heureusement adaptés à l’estampe, quoiqu’elle ne soit qu’une conception générale, qu’ils y cadrent comme si elle avait été dessinée sur l’événement. »

Il faut bien distinguer Le Monument du costume ou Tableaux de la vie des Tableaux de la bonne compagnie parus en 1787, attribués à Rétif notamment par Brunet dans son Manuel du Libraire et par Barbier dans son Dictionnaire des ouvrages anonymes. Le Journal établit clairement que Rétif est étranger à ces Tableaux.

Tout commence en mars 1789. Rétif est contacté par un certain Ducret, agent à Paris de Johann Heinrich Eberts, banquier strasbourgeois et marchand d’art. Eberts avait conçu au début des années 1770 une série d’estampes devant illustrer la journée d’une élégante parisienne. Il en avait confié la réalisation à Freudeberg (Sigmund Freudenberger) et avait publié en 1775 une Première Suite d’Estampes pour servir à l’histoire des mœurs et du Costume en France au XVIIIe siècle. Chacune des 12 estampes était accompagnée d’une page de texte (peut-être due à Eberts). Insatisfait de Freudeberg, Eberts s’était tourné alors vers Jean-Michel Moreau, dit le Jeune, qui fit les Seconde et Troisième Suites d’estampes, respectivement en 1776 et 1783. Ces deux suites, chacune de 12 figures, avaient connu un grand succès et suscité de nombreuses imitations.

En 1789, Eberts entreprend donc une nouvelle édition, pour laquelle il commande à Rétif (en tant qu’auteur des Contemporaines, comme le suggère l’ « Avis de l’éditeur ») de nouveaux textes.

Cette édition paraît sous le titre de Monument du costume […]. À noter que Rétif emploie toujours le sous-titre (Tableaux de la vie) pour désigner cet ouvrage (y compris dans son journal), ce qui a pu entraîner des confusions avec la publication des Tableaux de la vie de 1790. Rétif la signale dans la liste de ses ouvrages imprimée à la fin du Thesmographe, qui paraît à ce moment-là : « Costumes de 1770-1780 à New-Wied in fol. fig. ».

Le Monument […] contient 26 estampes, 24 de Moreau le Jeune, prises dans les Seconde et Troisième Suites, et 2 autres prises dans la série de Freudenberg (« La Matinée » et « La Surprise »). J.R.C. en donne la liste p. 310, avec le nom des graveurs et les dates.

L’antériorité des gravures par rapport au texte crée un rapport original entre l’écrivain et l’illustration : quoi qu’en dise l’éditeur dans son « Avis », l’écrivain part ici d’une image pour créer une histoire. Comme le dit Montaiglon dans sa préface (dans l’édition de 1874, voir infra), Rétif, au lieu de respecter le suivi des planches, « a isolé chaque motif et chaque planche. Il en a fait un thème distinct et il a inventé pour chacune un petit roman différent […] Il a brodé sur les planches, ou pour mieux dire, à côté d’elles » (sur cette relation entre l’estampe et le texte, voir Nicole Masson, « Mise en scène romanesque d’une suite d’estampes : le Monument du costume », Études rétiviennes, n° 31, déc. 1999, p. 117-127).

Grâce au Journal, nous pouvons suivre la rédaction de ces textes et les identifier. Le 4 mars 1789, Rétif écrit le premier, « Les Délices de la maternité » ; le 5, « La Promenade au Bois de Boulogne » (« La Rencontre au Bois de Boulogne ») et la « Déclaration de grossesse » ; le 6, 2 Tableaux qui ne sont pas nommés, mais qui sont, par déduction, « Les Précautions » et « J’en accepte l’heureux présage » ; le 7, « N’ayez pas peur ! » et « C’est un fils Monsieur ! » ; le 8, « Les Petits Parrains » et « L’Accord parfait » ; le 9, « Les Adieux » et « Le Rendez-vous de [pour] Marly » ; le 10, « La Dame du Palais » et le début du « Lever du petit-maître » ; le 11, la fin du « Lever » et « La Petite Toilette » ; le 12, « La Grande Toilette » ; le 13, « La Partie de wisch » et « Oui et [ou] Non » ; le 14, « La Sortie de l’Opéra » (n° 34) et « Le Souper fin » ; le 15 : « fini les Tableaux par « La Course » et « La Chasse » (soit « La Course de chevaux » et « Le Pari gagné »). Le total est de 21 textes.

On voit que Rétif se donne assidument à ce travail. Mais il n’en a pas encore terminé, car Ducret lui passe commande de deux nouveaux textes le 6 avril, dont « La Surprise », écrite le 7 ; l’autre n’est pas précisé, mais doit être « La Matinée », ces deux estampes étant les seules à être de Freudenberg et non de Moreau. Le total est ainsi de 23. Le Journal ne mentionne pas « La Petite Loge », « Le Seigneur chez son fermier » et « Le Vrai bonheur ».

 Le travail se poursuit encore : le 9 avril, « préface des Costumes ; chez Ducret lecture jusqu’au n° 20 » ; le 20, « chez Ducret à 4 h., lu 24 à 30 Tabl. » ; ce chiffre 30 est surprenant : sans doute faut-il comprendre que Rétif propose quatre textes supplémentaires, à titre de variantes.

Le 23, il note : « été chez Ducret : lire fini ». Cette fin n’est que celle des lectures, car on lit au début de la 4e Nuit de La Semaine nocturne : « Le 14 juillet [1789]. Je m’étais levé tard pour achever les Tableaux de la vie, que j’envoyais à New-Wied » (Les Nuits de Paris, éd. cit., t. V, p. 2027).

La collaboration de Rétif va immédiatement se prolonger pour une nouvelle édition, qui paraîtra en 1790, dans un autre format et sous un autre titre : Tableaux de la vie, ou les Mœurs du XVIIIe siècle (voir infra la notice n° XLIII).

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1790, À Londres, chez Charles Dilly, Poultry. 2 vol. in-12 de XII-185 et 162 pages. — L’ « Avis des éditeurs » signale que « le libraire qui présente au public cette édition a choisi deux de ces estampes, qu’il a fait graver par M. Heath, et il en a placé une à la tête de chaque volume » ; il s’agit de La Déclaration de grossesse et du Lever du petit-maître. La typographie est plus aérée et la pagination différente. — Un exemplaire se trouve à la BnF sous la cote 8°Z Le Senne 3588, consultable sur Gallica.

— 1793, exemplaire de la Bodleian Library, University of Oxford, 2 volumes avec 24 estampes qui remplacent celles de Moreau, d’un artiste inconnu, imprimées par William Hinton, Horse Shoe Court. Les frontispices de l’édition ci-dessus sont conservés (ce qui fait 26 estampes en tout). Les costumes sont adaptés à la mode anglaise. Cet exemplaire est analysé par Rachel Skokowski dans « Re-Fashioning the Monument du Costume : a New Examination of the 1793 Edition », Études rétiviennes n°48, déc. 2016, p. 171-186, avec trois reproductions permettant d’apprécier les transformations des costumes.

Éditions modernes

— 1874, Éd. Léon Willem, 1 vol. grand in-folio de VIII-74 pages, avec une préface d’Anatole de Montaiglon. Texte « revu et corrigé » par Charles Brunet, qui donne le texte réécrit par Rétif pour L’Année des dames nationales (ce sont les Parisiennes au début de chaque mois du 1er semestre). Cette édition donne aussi le « Discours préliminaire » de la Seconde Suite d’Estampes […] de 1776. Cette luxueuse publication est saluée par les journaux de l’époque, qui ne parlent pas beaucoup des textes de Rétif, mais La Presse, dans son n° du 25 avril 1875, évoque « le commentaire que leur a consacré [aux estampes de Moreau] cet étrange et fantasque Restif, ce Rousseau de la rue, ce Jean-Jacques de la borne, qui a cette fois haussé son objectif et mis à son style des manchettes bourgeoises » (p. 2).

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. in-folio. Reprint de l’édition Léon Willem.

Traduction

— 1790, Pictures of Life, or Record of manners Physical and Moral on the close of The Eighteenth Century. — Édition en anglais de l’édition Dilly de 1790 (voir ci-dessus) et publiée la même année.

1774. Les Nouveaux Mémoires d’un homme de qualité, par M. le M… de Br…

2 Parties en 1 ou 2 vol. in-12. Tirage à 750 exemplaires. « Il en reste quelques exemplaires [en 1777]» (Quadragénaire, II in fine) et en 1784 (Paysanne, IV, p. clxxvi), mais l’ouvrage est indiqué manquant en 1788 (Vie de mon père 3e édition).

« L’impression des Nouveaux Mémoires, commencée en janvier 1774, fut achevée au mois de mai » (Mes Ouvrages, p. 911).

L’organisation des 2 Parties varie selon les exemplaires. Notamment, les « Pièces détachées » (pagination de 1 à 50) sont placées soit au début de la 1re Partie (dans l’exemplaire décrit par J.R.C., p. 222), soit à la fin de la 2e dans l’exemplaire de la BnF consultable sur Gallica. Mais d’autres combinaisons existent aussi (voir Lacroix, p. 119-120, J.R.C., p. 222).

Les « Pièces détachées » regroupent les morceaux suivants, sous le titre général de Les Beaux Rêves : 1er Rêve, ou Idée d’une fête intéressante, p. 1-14 ; 2e Rêve : La Panacée, p. 15-22, suivie de la Thèse de médecine soutenue en enfer (p. 23-50) « précédée de la lettre d’un excorporé à son médecin » (p. 23-29) ; Le Secret d’être aimé après 40 ans, et même à tous les âges de la vie, fût-on laid à faire peur (p. 1-14).

La Thèse de médecine « est une plaisanterie dans le goût de Swift sur les préservatifs en général et sur la crainte qu’inspirait en particulier à la Faculté de médecine celui du Dr Guillebert ; on y venge cet habile médecin avec les armes de la raison et le sel du ridicule » (Mes Ouvrages, p. 911).

 « Dans les derniers mois de 1773, Nougaret me proposa d’imprimer un manuscrit intitulé Mémoires de Monsieur d’Armentières, à demi effacé par le censeur M. d’Hermilly. J’y consentis ; mais ce que Nougaret me donnait ne formait pas une partie. Je me mis à travailler ; je fis la petite histoire de Zoé, une seconde partie entière et les pièces détachées qui la terminent. J’imprimai alors, sous le titre de Nouveaux Mémoires d’un homme de qualité. Les trois quarts de l’ouvrage m’appartenaient, comme on voit ; le reste était de M. Marchand, censeur royal, qui l’avait donné à Nougaret. Nous imprimâmes à moitié profit, tous les frais retirés […] Cet ouvrage manque absolument. Il s’y rencontre des choses très singulières, tant de la part de M. Marchand que de la mienne » (Mes Ouvrages, p. 910-911).

Rétif donne ailleurs quelques précisions : « Vers la mi-novembre, Nougaret me montra un manuscrit de M. Marchand […] C’était un roman fort sec, fort dénué. Cependant je pris le parti de l’animer un peu. Il était intitulé : Mémoires de M. d’Armentières […] J’ajoutai l’histoire de Zoé ; je fis presque en entier la deuxième partie ; je donnai un titre saillant, qui convenait assez ; je terminai par Les Beaux rêves » (MN, II, p. 247). L’histoire de Zoé occupe les pages 147-192 de la 1re Partie, sous le titre : « Les Coups de théâtre, conte physique et moral ».

« Cet ouvrage est intéressant par sa variété, par la vérité des aventures et la singularité des caractères. Le héros y raconte tout ce qui le concerne avec une naïveté préférable à cette élégance recherchée qui trop souvent est la livrée du mensonge […] L’on a lieu de penser que la lecture de ces Mémoires intéressera les personnes de tous les goûts et de tous les caractères, même ceux qui sont le plus ennemis des lectures amusantes » (page non foliotée à la fin de la 2e Partie).

Mais la plupart du temps, Rétif se montre sévère envers son roman : « une des plus médiocres productions de l’auteur » (Paysanne, IV, p. clxxvi). Dans une lettre du 22 juillet 1778 à Engelbrecht, il juge qu’il est encore « plus mauvais » que Le Pied de Fanchette (voir Correspondance, éd. cit., p. 87). « Une production faible », dit-il dans Les Romans (« Lecture » des Françaises, vol. III, p. 241-267 ; texte dans Études rétiviennes n° 43, p. 177-194 ; citation p. 191).

Réemplois 

— dans un recueil paru la même année, 1 vol. in -12 de 184 pages , regroupant « Les Beaux rêves », la « Thèse de médecine » et la « Lettre d’un excorporé », « Le Secret d’être aimé après 40 ans », avec des morceaux pris dans Adèle de Comm** (« Sur l’Ambigu-comique » et , le conte en vers « Il recule pour mieux sauter ») et dans la 1re Partie du Ménage parisien (« Épithalame », p.175-177, « Conte épigrammatique », p. XII-XIII, « La Bégueule », p. XIV-XXI et « Le Bonheur en songe », p. XXI-XXVIII).

— dans les Contemporaines : « Plusieurs Contemporaines, telles que la XXVIIe, la CLXXXe, etc. sont tirées des Nouveaux Mémoires, que je ne réimprimerai jamais » (Mes Ouvrages, p. 911). Il s’agit de la 127e, « La Femme au mari invisible, ou Recette pour les héros défigurés à la guerre », reprise du « Secret d’être aimé après 40 ans » ; la 180e (190e dans la 2e édition), « Les Femmes de garnison » qui reprend le début du livre II. On peut ajouter la 54e, « La Beauté du jour ou la Fille à l’enchère », où le morceau « Conseils d’un père à sa fille » est tiré des pages 91-141 des Nouveaux Mémoires, « Conseils que je donne à ma fille ».

Cubières le signale dans sa Notice en tête de l’Histoire des Compagnes de Maria : « Vous en croyez l’édition épuisée [des Nouveaux Mémoires] : elle revit dans les Contemporaines, grand magasin où notre cher Nicolas a entassé toutes les brochures de sa composition dont il ne savait que faire, et qui n’ont pas laissé que de plaire au public sous cette nouvelle forme » (vol. I, p. 100).

— à la fin de La Découverte australe (vol. IV, p. 337-370), la Thèse de médecine est réimprimée sous le titre de L’Iatromachie.

Traduction

Aucune n’est signalée, bien que le libraire et traducteur allemand Engelbrecht écrive à Rétif le 3 juillet 1778 que son ouvrage est traduit (Correspondance, éd. cit., p. 86).

Édition moderne 

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 73 ; reproduit un exemplaire amputé des « Pièces détachées » et des pages non foliotées.

1778. Le Nouvel Abeilard, ou Lettres de deux amants qui ne se sont jamais vus.

4 volumes in-12 de 448, 464, 472 et 423 pages + XXIV pages d’un « Rendu compte de cet ouvrage qui devait en former la préface ». Avec 10 figures.

« A paru en 1778, au mois de juin » (Vie de mon père, « Revue des ouvrages », éd. de 1788).

Même s’il est arrivé à Rétif de critiquer son ouvrage, dans la Revue de la Paysanne (« En 1778, l’auteur composa Le Nouvel Abeilard, où il se livra trop à sa facilité pour écrire », vol. IV, p. clxxxii) ou dans Mes Ouvrages (« le style en est quelquefois prolixe », MN, II, p. 980), il en était particulièrement satisfait et le jugeait « le plus estimable de [ses] ouvrages après La Vie de mon père » (MN, I, p. 813). Dans le « Rendu compte » placé à la fin du volume IV, dialogue entre « l’éditeur » et un « examinateur », celui-ci multiplie les appréciations flatteuses, voyant dans ce livre « une de ces productions vastes et patriotiques qui peuvent contribuer au bonheur général (p. XI) ; « dans l’état déplorable où sont nos mœurs, il est peut-être le plus nécessaire et le plus essentiel à publier » (p. xxv). Rétif ne manque pas de reproduire l’article élogieux paru dans le Journal de Paris du 11 février 1779, à la fin de La Malédiction paternelle et dans la Revue des ouvrages de la Paysanne (vol. IV, p. clxxxii-clxxxv). L’année suivante, à la fin de la 1re édition de La Vie de mon père, il présente son Nouvel Abeilard comme « un chef-d’œuvre de sensibilité, un trésor de lumières et de vertus ». Dans Les Romans, en 1785, il le vante encore comme « un ouvrage qui peut être mis le plus utilement entre les mains des jeunes personnes. Quelle admirable idée que celle de faire d’un amour sans danger l’appui de la vertu ! Quelle utile invention que de remplir le cœur de la jeunesse par un amour changé en vertu, pour la préserver des coquettes et des corrupteurs ! (Les Françaises, vol. III, p. 259).

L’édition du Nouvel Abeilard est très soignée, par sa typographie, la présence d’une table des matières très détaillée à la fin de chaque volume et l’exactitude de ses références à la pagination des volumes. Rétif nous dit avoir mis la main à la pâte : « Pour accélérer la besogne et ne pas m’occuper d’autre chose, j’aidais à l’ouvrier, travaillant même les dimanches » (MN, II, p. 318).

 « L’idée de cet ouvrage est une des plus heureuses qui me soient tombées dans la tête. Je réfléchissais un jour sur les moyens de conserver les mœurs des jeunes gens sans les marier, et je composai à cette occasion une juvénale, qu’on trouve dans la grande édition du Paysan perverti ; cette pièce est intitulée Les Catins et se trouve pages 482-527 du quatrième volume. Je me rappelai ensuite ce que j’avais souvent pensé, lors de mon premier amour pour Jeannette Rousseau, que si l’on m’avait dit : « Tu vois bien cette fille aimable ? Eh bien ! Tu l’auras pour femme », j’aurais été parfaitement tranquille, parfaitement vertueux et aussi heureux que l’homme le peut être. En conséquence, j’imaginai que les honnêtes parents qui voudraient conserver le cœur de leurs enfants précoces ou trop sensibles, pourraient les assortir de bonne heure et leur permettre de s’écrire, sans être vus autrement qu’en peinture. D’après cette vue, l’imagination des jeunes gens se monterait comme il convient ; ils s’attacheraient l’un à l’autre par un doux espoir, un doux assentiment qu’ils se communiqueraient par leurs épanchements mutuels ; cet attachement, ou plutôt cette occupation, les rendrait indifférents à tous les autres charmes, de sorte qu’un jour, en se voyant, ils trouveraient dans leur cœur la base solide d’un attachement vertueux, l’estime […] Cet ouvrage a d’excellents détails, mais le style en est quelquefois prolixe. C’est un roman, où par cela même tout est approfondi » (Mes Ouvrages, p. 980). — La référence que donne Rétif pour Les Catins renvoie au Paysan-Paysanne pervertis. On peut lire cette juvénale dans Études rétiviennes n° 40, déc. 2008, p. 183-212.

Le Nouvel Abeilard est une œuvre foisonnante. L’échange épistolaire entre Abeilard et Héloïse est nourri d’histoires, de contes et de leçons scientifiques et philosophiques. On relève :

— 6 « Modèles de bonheur conjugal » : Le Mariage à la chinoise, vol. I, p. 117-171 ; La Philosophie des maris, ibid., p.243-448 ; L’Amour enfantin, vol. II, p. 12-21 et 75-120 ; À quoi sert le mérite, ibid., p. 367-463 et vol. III p. 2-63 ; La Partie carrée, vol. III, p. 283-407 ; L’Amour muet, vol. IV, p. 97-227. Dans Les Romans, Rétif écrit : « L’auteur donne six modèles de conduite en ménage, dont le II est un chef-d’œuvre, le III est délicieux et singulier, le IV attachant, quelquefois sublime, le V amusant au moins et très instructif ; le VI présente une excellente idée pour faire l’amour ; c’est un nouveau plan dans le plan général qui semble dire : si vous ne voulez pas préserver vos enfants, que vos enfants, plus sages que vous, réparent votre faute en suivant la nouvelle route que je leur trace… » (Les Françaises, t. III, p. 259-260).

— 2 « contes bleus » : Le Demi-Poulet, vol. II, p. 21-29 et 261-357 ; Les Quatre Belles et les Quatre Bêtes, vol. II, p. 35-74 et vol. III, p. 76-272.

— 16 « leçons » : 12 de « physique », t. II, p. 128-250, et 4 de « philosophie », t. III, p. 415-433, interrompues parce que « l’éditeur supprime le reste de ces leçons dont la matière était trop abstraite ».

Cette matière fragmentée n’en est pas moins cohérente. Rétif prévient : « Cet ouvrage veut être vu dans son ensemble, et c’est là une perfection » (vol. IV, p. xvi). Son Nouvel Abeilard, où il n’a jamais autant mêlé le didactisme et le romanesque, est une somme caractéristique de ses ambitions littéraires. C’est cependant l’une des œuvres les moins explorées par les rétiviens.

Édition (XVIIIe siècle)

— P.L. Jacob et J.R.C. signalent une contrefaçon suisse, avec la date de 1779 (voir respectivement p. 151 et p. 248).

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 4 vol. sous les nos 74 à 77. Reproduit un exemplaire où manque la 3e figure.

Adaptation théâtrale

 — L’Amour muet, « comédie en 5 actes avec des scènes gazées ». Cette pièce est tirée du 6e Modèle (vol. IV, p. 97-227). Elle fut écrite du 6 février au 9 avril 1792 et imprimée d’abord dans le volume V de L’Année des dames nationales, du 7 au 25 mai (p. 1499-1571), puis en juin dans le volume V du Théâtre (p. 105-176). — Sur cette pièce, voir infra l notice n° XLV/O.

Traduction

— 1780, Der Neue Abeillard, oder Briefe zweier Liebender, die einander nie gesehen haben, Leipzig, 4 vol. in-8°.

1770-1775. Le Nouvel-Émile.

4 volumes in-8° de 480, 480, 476 et 48 pages, portant la date de 1770 pour le volume I, 1771 pour le II et 1775 pour le III. Faux-titre : Idées singulières. L’Éducographe.

L’idée de Rétif était donc d’en faire, après Le Pornographe et La Mimographe, le volume III des Idées singulières. D’où le format in 8°, qui est celui des Idées singulières. Les 48 pages du dernier volume ne constituent pas un volume à part ; elles sont présentées comme un extrait du 4e volume, encore à faire.

Tirage à 25 exemplaires : « Ce livre fut tiré à un trop petit nombre d’exemplaires pour être connu : il n’y en eut que 25 exemplaires complets, tous distribués par moi-même et les méchants n’en eurent pas » (MN, éd. orig., vol. XIV, Ma Religion, p. 4152). De ces 25 exemplaires, trois seulement sont connus de nos jours ; l’un d’entre eux se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal ; la BnF en possède un autre, mais auquel manque le volume III.

Rétif écrit en 1775 : « Le quatrième volume ne tardera pas à suivre, mais les mêmes raisons qui avaient fait suspendre l’impression [comme en témoignent les dates échelonnées des précédents volumes] nous obligent à publier les trois premiers tomes avant que le dernier soit achevé. La matière en sera des plus intéressantes. Outre qu’on y trouvera le dénouement de l’ouvrage, les trois derniers entretiens achèveront de donner aux jeunes gens une notion de tout ce que l’homme social doit connaître. » (Nouvel-Émile, vol. III, p. 476). Mais l’année suivante, en 1776, il avoue que cette « quatrième partie reste à faire » (L’École des pères, vol. I, p. 84).

Elle ne sera même jamais imprimée. Peut-être a-t-elle existé sous forme manuscrite, si l’on en croit une phrase de Mes Ouvrages (p. 1003) : « J’ai refait ces canevas à neuf, p. 238 et suiv. du quatrième volume manuscrit de mon exemplaire du Nouvel-Émile. » Il s’agit des canevas disséminés dans Les Nuits de Paris et dont il récapitule la plupart des titres dans la liste qui clôt Mes Ouvrages (p. 1003-1004).

De quoi traitait exactement Le Nouvel-Émile ? Tout est dans le terme Éducographe employé en sous-titre. L’Introduction de L’École des pères, en 1776, est en fait celle du Nouvel-Émile lui-même ; elle ne correspond pas à l’ouvrage qu’elle est censée introduire :

« Le premier de ces Entretiens [les « Discours du curé »] traite de l’Homme physique ; le second des Sens externes et des Sens internes, des Passions, etc. ; le troisième de la nature de l’Âme ; on donne dans le quatrième une Théorie de la Nature ; le cinquième contient une explication des chapitres de la Genèse où la Création est rapportée ; dans le sixième, on reprend la Théorie de la Nature ; l’on y parle des sept éléments primitifs et secondaires. Cet entretien finit par la minéralogie et termine la première division de l’ouvrage. Après l’Histoire du marquis de T*** [dans la IIIe Partie] reviennent les entretiens. Le septième est sur la Sphère ; on y parle ensuite des végétaux et des animaux ; on y donne une belle théorie du système animal. Le huitième traite de l’Homme social, le neuvième de la Religion, le dixième des Lois, le onzième des Gouvernements républicain, monarchique et despotique, le douzième, des Arts et Métiers, des Sciences et de la Littérature » (École des pères, t. I, p. 79-80). Dans une note, Rétif indique : « Ces trois derniers Entretiens ne sont pas imprimés. » « Voilà, dit en conclusion Rétif, quel est le précis très abrégé d’un ouvrage que je regarde comme propre à donner aux éducateurs d’excellentes idées » (ibid., p. 86).

Mais le lecteur de ces lignes ne trouvera dans L’École des pères que deux des Entretiens annoncés : l’« Entretien sur la sphère et les trois règnes » (vol. III, p. 184-322) et l’entretien tronqué sur l’ « Homme social » (p. 322-338) : « Cet entretien était beaucoup plus long, mais nous en supprimons une partie, ainsi que les deux suivants en entier » (p. 338).

Rétif a voulu, avec cette introduction, inadaptée aux volumes qui suivent, sauvegarder la trace de la richesse originelle de son Éducographe.

 Notons qu’en 1786, il glissera dans La Femme infidèle, quelques pages du douzième Entretien : « Suite de l’ouvrage intitulé Le Nouvel-Émile (Dixième Entretien) (sic), des Sciences et de la Littérature » (vol. III, p. 584-595).

Aucun ouvrage de Rétif n’a été aussi mutilé par la censure, au point d’en être réduit à l’état de « squelette » : « Trois Parties, imprimées d’abord sous le titre du Nouvel-Émile, titre que je ne trouvai pas ce livre digne de porter. En effet, l’ouvrage, que je ne daignai pas achever et que je tronquai, moins quelques exemplaires, pour le faire paraître d’après la censure et les cartons du vil de Sancy, censeur secret et nommé par le sous-oppresseur Desmarolles, n’était plus qu’un squelette ! Cet ouvrage, en outre, n’était pas ce qu’il fallait. C’est comme un Supplément à l’Émile que j’y faisais, au lieu qu’il aurait fallu y donner une nouvelle manière, qui réformât celle de J. J. Rousseau dans ce qu’elle a d’impraticable ou de dangereux pour les Parisiens, chez qui elle a fait périr tant d’enfants ! En un mot, c’était un Émile pratique qu’il fallait faire » (Mes Ouvrages, p. 961).

Ces lignes donnent les deux raisons de l’abandon du titre originel au profit de L’École des pères : les cartons exigés par la censure et la référence inappropriée à Rousseau. Rétif a opéré ce changement vers la fin de 1775, à en juger par le titre L’École des pères, qui apparaît en tête des 48 pages représentant un extrait du IVe volume, à la suite du volume III, daté de 1775.

Il semble avoir cru qu’un nouveau titre règlerait le problème de la censure. Bien entendu il n’en fut rien. De nouvelles difficultés surgirent dans les premiers mois de 1776 (voir ci-après la notice n° XVI) : « […] Je publiai L’École des pères avec des retranchements considérables, nécessités par la suppression du quatrième volume. Avant de mettre en vente, j’écrivis au lieutenant de police Albert, suivant l’usage, et je signai ma lettre, au lieu de la faire écrire comme celle du Paysan. Dès le lendemain, je reçus un billet de la part du commis Desmarolles, qui m’ordonnait de passer à son bureau. Je m’y rendis. Il me signifia que la vente de L’École des pères était suspendue ; qu’on avait nommé un nouveau censeur secret chargé de l’examiner avec la dernière rigueur… « Votre Paysan, ajouta-t-il, […] a fait assez de bruit ! » Un magistrat m’a écrit à ce sujet, et voici le mémoire : « C’est un système de philosophie suivi, combiné pour renverser toute religion, toute morale, etc. » […] Je fus traité par Desmarolles avec une impériosité révoltante. Il me fit revenir à son bureau soixante-douze fois […] J’allai trois ou quatre fois par semaine au bureau du commis Desmarolles, depuis le 16 février jusqu’au 6 mai. À force de prières, et par un présent, j’obtins la permission de faire les cartons désignés par de Sancy […] Je fis les cartons, puis j’allai remercier Desmarolles, comme les peuples de la Corée rendent grâces au diable du mal qu’il ne leur a pas fait. […] Je mis en vente un livre mutilé, qui me coûtait très cher, et qui ne se vendit pas […] C’était aux environs du 20 mai que tout fut achevé » (MN, II, p. 260-261).

Éditions (XVIIIe siècle)

— une édition est décrite par J.R.C. sous le n° 4 (p. 243). Il s’agit de 4 volumes avec la pagination du Nouvel-Émile, mais dans un format légèrement différent : petit in-8°. Le IVe volume, toujours relié avec le III, possède un faux-titre : Cartons, et la liste des pages cartonnées (on en relève une soixantaine), suivies des 48 pages habituelles. Cette édition est signalée comme appartenant au fonds de la Bibliothèque de Troyes.

— on lit dans une note de Monsieur Nicolas : « L’École des pères se trouve à présent sans cartons chez le cit. Duchesne fils, rue des Grands-Augustins. Cette seconde édition est in-12, comme mes autres ouvrages » (MN, II, p. 261 note A). Cette note peut être datée de 1797, car c’est cette année-là que le fils de la veuve Duchesne s’installa rue des Grands-Augustins.

J.R.C. cite incidemment cette information p. 241 en note, sans lui faire une place dans sa nomenclature. Il semble que l’on puisse identifier cette édition à l’exemplaire possédé par Gilbert Rouger et décrit p. 244, « mis en vente probablement vers 1790 ».

Traductions

— 1775, Der Neue Emil, Erlanger, Heyder, en deux parties.

— 1781, Die Vater Schule, 3 vol. de 454, 520 et 600 pages ; le 3e volume est daté de 1782. La pagination montre que cette traduction est faite sur un exemplaire du Nouvel-Émile. J.R.C. pense qu’elle est « probablement d’Engelbrecht » (p. 244). Rétif en tout cas, dans ses listes d’ouvrages, mentionne toujours « traduit en allemand », à propos du Nouvel-Émile.

1788. Le Nouvel Épiménide, ou la Sage Journée.

« Cinq et même six actes, avec une petite pièce dans le Ve acte ». Elle est écrite à partir du 15 septembre et achevée en octobre 1788

Imprimée dans le volume III du Théâtre, p. 1-230, et seulement là, sous un titre, La Sage Journée ou le Nouvel Épiménide, qui met le sous-titre en lumière et souligne la référence à La Folle Journée ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais (1781).

« C’est de toutes mes pièces celle que j’ai eu le plus de plaisir à faire. Un homme devenu imbécile par la douleur d’avoir perdu une épouse chérie, recouvre sa raison au commencement de la Révolution, pour un jour seulement, au bout de quarante ans. Il est surpris de tout ce qu’il voit » (Mes Ouvrages, p. 996). Suit une analyse de l’intrigue. Rétif conclut que sa pièce « est pleine d’intérêt et très curieuse. Mais elle a, comme les autres, un grand défaut, c’est d’être de moi !…Un homme de lettres très connu [Mercier] a lu mes pièces pour voir ce que l’on en pourrait faire, mais me sachant attaqué d’une maladie mortelle, il attend que je sois mort pour s’en emparer. »

Rétif ajoute à la fin ces « Observations » : « La pièce qu’on vient de lire est dans doute beaucoup trop longue pour la représentation théâtrale ordinaire. L’auteur ne l’ignorait pas, en la composant. Mais il a voulu dire tout ce qui se présentait à son imagination, se réservant de faire ensuite les suppressions convenables. Ainsi, après l’impression, il l’a relue et l’a fait relire par un homme de l’art et voici la liste des morceaux à supprimer » (p. 230) Suit en effet le détail des suppressions.

1802. Les Nouvelles Contemporaines, ou Histoires de quelques femmes du jour.

À l’Imprimerie de la Société Typographique, rue du Grand-Hurleur n° 5, 2 vol. in-12 de 214 et 215 pages. Avec un portrait de l’auteur.

Leur date de rédaction peut être située dans les derniers mois de 1801 et les tout premiers de 1802, à en juger par cette phrase qui clôt Filette R*** : « Il [Dulis] vit encore aujourd’hui 6 janvier 1802 (16 nivôse an 10) » (vol. II, p. 138). Mais figuraient peut-être dans ces nouvelles manuscrites des textes un peu plus anciens. La publication doit dater de janvier ou février.

En 1802, Rétif a 68 ans. Dans une lettre adressée au Journal de Paris, en réponse à l’article nécrologique paru dans le n° du 9 février 1806. Marion écrit : « En le disant mort à 68 ans, vous avez sans doute confondu avec la date de l’époque où il est devenu infirme » (lettre du 10 ou 11 février, publiée dans le Journal de Paris du 15 février ; voir Correspondance, éd. cit., p. 667-668). De son côté, Cubières dans sa Notice sur Rétif situe en 1802 l’époque de « sa dernière maladie […], moment où il ne put plus ni marcher, ni tenir la plume. » (op. cit., t. I, p. 165-166). Cependant, son écriture dans les manuscrits de 1802 est bien formée, ce qui montre que son infirmité n’a dû se déclarer qu’à la toute fin de cette année-là.

Ces nouvelles font donc partie des ultimes écrits de Rétif. Elles sont sans doute, avec celles que Cubières a utilisées pour l’Histoire des Compagnes de Maria, les 60 nouvelles prévues pour être intercalées dans L’Enclos et les Oiseaux (voir infra la notice n° LV/B/2), et intitulées par Rétif Contemporaines replacées. Le total de ces nouvelles (compte tenu de quatre doublons) se monte à 51 (24 dans Les Nouvelles Contemporaines et 27 dans l’Histoire des Compagnes de Maria). Si le chiffre de 60 est exact, il resterait donc 9 nouvelles non imprimées, celles peut-être dont des fragments ont été retrouvés et qui ont pu être prises à tort pour des Revies. Ainsi en est-il sans doute pour l’histoire publiée par Gilbert Rouger dans son édition de L’Anti-Justine (p. 38-42), où figure la date du 19 mai 1796 (« aujourd’hui 30 floréal an IV »), qui correspond précisément à la période de rédaction de L’Enclos (les Revies sont écrites en 1798).

 Rétif n’a pas imprimé lui-même ses Nouvelles Contemporaines. Il devait être alors bien incapable de travailler sur sa presse. La page de titre dit vrai : l’ouvrage fut imprimé par les soins de la Société Typographique de la rue du Grand-Hurleur. Lacroix doute de la réalité de cette Société : « La Société typographique de la rue du Grand-Hurleur nous paraît être une Société imaginaire, que Rétif avait supposée pour imprimer, à la maison, non seulement ses propres ouvrages, mais d’autres livres […] » (p. 429-430). Cette Société n’avait rien d’imaginaire : de ses presses sortirent en 1801 Le Faublas moderne ou les aventures d’un Suisse, en 1802 Sélisca ou le Prieur des Bénédictins, etc. De plus, la typographie même de l’ouvrage témoigne de l’emploi de caractères en bon état, qui ne pouvaient provenir des casses de Rétif. Enfin, le procès-verbal de saisie des Posthumes, en 1802, ne mentionne nullement la présence d’exemplaires des Nouvelles Contemporaines au domicile de l’écrivain.

Ces nouvelles, dont tous les titres se réduisent à des prénoms féminins, sont au nombre de 24. Tome I : Adélaïde Martin, Rosine Dufour, Amable Gauthier, Virginie Belmont, Rose Ganeri, Napoleone Omirget, Victoire Hamelin, Isabelle de Quimolan, Zoé d’Avrillon, Ernestine Ernelinde, Félicienne de Sarbourg. — Tome II : Denise Page et Adélaïde d’Amont, Poline Dumas, Louison Desmarais, Bosculone Genovèfe Argentan, Vicentine de Dambale et Hau, Louise Élisabeth Alan, Thérèse Desrais, Filette R***, Thérèsette, Julie Montholon, Adèle-Marie, Aménaïde d’Antraigues, Angélique Page.

Quatre de ces nouvelles se retrouvent dans l’Histoire des Compagnes de Maria, trois avec des titres légèrement différents : Virginie Belmont devient Virginie ou la petite actrice de Maria, Zoé d’Avrillon devient Le Tuteur barbare, Vicentine de Dambale et Hau devient Hou supposée Vicentine, ou la fille méconnue ; le titre Félicienne de Sarbourg reste inchangé.

Il s’agit parfois de reprises de nouvelles de L’Année des dames nationales. Ainsi Vicentine de Dambale et Hau a une première version dans la 67e Nationale (vol. II, p. 491-497), sous le titre : Verdunèse laide méconnue par sa mère abusée (à noter que le nom y est Hou, et non Hau). Le Tuteur barbare est le réemploi de la 11e intitulée Juvisine exfamiliée par un oncle avide (vol. I, p. 97-107), Félicienne de Sarbourg celui de la 78e Nationale, Haguenète sœur, puis femme du même homme (vol. II, p. 576-581). Dans chaque cas, Rétif ne se borne pas à compiler d’anciennes nouvelles : il les réécrit, introduit des variations stylistiques ou narratives.

Les autres nouvelles sont inédites. Rétif a puisé dans ses manuscrits en attente, où il a raconté une fois encore des épisodes de Monsieur Nicolas, remodelés au gré de ses fantasmes. Revoici Louise et Thérèse, Filette (dans Poline Dumas et Filette R***), Agnès Lebègue et sa mère dans Adélaïde Martin, Rose Ganeri, Adélie Mérigot, fille de libraire (Daelie Togémir dans Monsieur Nicolas) sous les traits de Napoleone Omirget, la famille de La Ruppelle dans Zoé d’Avrillon. Des personnages plus contemporains apparaissent : Mme Janus (Mme Jaumes, femme du docteur Guilbert de Préval) dans Félicienne de Sarbourg, Mme de Beauharnais, passim. Rétif lui-même sous divers masques : Dulis, Sifflavio, Lebreton, Rameau, M. Nicolas, Ocolas, ou sous les traits d’un vieillard anonyme.

Les Nouvelles Contemporaines (désignées par Petites Contemporaines dans l’Histoire des Compagnes de Maria, vol. II, p. 143 et III, p. 19) sont dans la production de Rétif l’œuvre la plus délaissée. Elles méritent plus de considération.

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol., sous le n° 78.

1788. Les Nuits de Paris, ou le Spectateur nocturne.

14 parties en 7 volumes in-12, avec 16 gravures. Tirées à 3000 exemplaires. Pagination continue de 1 à 3359.

Dans chacune des gravures, à une exception près, Rétif est représenté avec son large chapeau. Elles sont anonymes, mais peuvent sans doute être attribuées à Antoine-François Sergent, dessinateur et graveur.

Deux autres parties paraîtront ensuite : La Semaine nocturne en 1790 et Vingt Nuits de Paris en 1794. Leur caractère spécifique demande que leur notice soit distinguée de celle des Nuits de 1788 (voir infra les notices nos XLI et XLVII).

 À l’origine des Nuits de Paris est le projet d’un ouvrage polémique qui aurait été intitulé Le Hibou, recueil de juvénales, morceaux satiriques à la manière de Juvénal (sur ces juvénales, voir infra la notice n° L) : « Je ne m’occupais alors [en 1777] que de quelques juvénales du Hibou (origine des Nuits de Paris » (MN, II, p. 311). Ces juvénales sont « des morceaux pleins de chaleur contre les abus […], contre les préjugés destructeurs de la félicité des hommes » (Introduction des Contemporaines (1780), éd. cit., t. I, p. 72).

Dans une lettre à Mercier du 23 mars 1782, Rétif livre quelques autres précisions : « J’ai deux volumes environ d’un autre ouvrage interrompu par la mort de Mairobert : c’est le Hibou […] C’est un homme exalté qui se promène la nuit et qui décrit le jour les abus dont il a été le témoin […] C’est le plus brusque de mes ouvrages, le plus emporté, le plus moral et le plus sérieux ; ni les choses, ni les expressions n’y sont ménagées ; les vices y sont attaqués à la Juvénal » (Correspondance, éd. cit., p. 155). Il sera question du Hibou jusqu’en 1786. Il préfère alors distribuer ses juvénales dans d’autres publications, et notamment dans le Paysan-Paysanne pervertis alors en cours d’élaboration, pour concevoir un autre spectateur nocturne.

Voici comment est rapportée la naissance du nouveau projet, dans Monsieur Nicolas : « L’impression de ces quatre excellents volumes [Les Parisiennes] n’était pas achevée que ma tête fermentait déjà pour Les Nuits de Paris qui ont remplacé Le Hibou spectateur nocturne. Cet ouvrage m’embarrassait, ayant d’abord été conçu sur un plan différent. Mais un soir, en revenant très ému de ma station annuelle à la rue Saintonge, je pris par des rues médiaires et inconnues, au lieu de suivre la belle rue Louis, et je me trouvai, je ne sais comment, dans la rue Payenne, solitaire en plein jour et qui l’est encore plus la nuit. Vers le milieu de la rue, à ces petits balcons, les seuls qu’on y voie, j’entendis soupirer au-dessus de ma tête. Je me redresse et je vois une femme, à laquelle j’osai parler. Ce n’était pas la marquise de Mntlmbrt [Montalembert], mais alors sa charmante idée s’amalgamait à ce que je voyais, et mon imagination s’échauffa. Je sentis quel devait être le but et la marche des Nuits : je conçus l’idée de les composer de tous les faits réellement arrivés dont mes promenades nocturnes m’avaient rendu témoin pendant tout le cours de ma vie. Mon nouveau plan tracé, mon ouvrage me rit et fut aux trois quarts fait » (MN, II, p. 396).

Le soir de la commémoration rue Saintonge est le 14 septembre 1786. Ce jour-là sont donc nées Les Nuits de Paris

Rétif note dans son journal le 22 décembre 1786 : « commencé le Hibou spectateur à 7 heures du soir » ; il s’agit bien cette fois des Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne : le 23 et le 24 il rédige la 2e Nuit, « La Vaporeuse ». La rédaction dès lors va se poursuivre tout au long de l’année 1787, le nombre prévu de 366 Nuits passant à 381. Ralentie ensuite, elle s’achève au mois d’août 1788, mais l’impression avait commencé dès le mois de mars 1787 et prendra fin au début du mois d’octobre 1788.

« Les Nuits de Paris sont une de ces productions majeures, une de ces vastes compositions destinées à peindre les mœurs d’une nation, ce qui rend cet ouvrage important pour la postérité par la vérité des faits. J’ai été vingt ans à les recueillir ; chaque matin, j’écrivais ce que j’avais vu la veille et je faisais de ce trait soit un roman, soit une juvénale pour le Hibou spectateur nocturne, soit une nouvelle, soit une page ou deux des Nuits… […] Pour ce qui est du fond de l’ouvrage, il offre le tableau de ce qui se passait nuitamment à Paris sous l’Ancien Régime » (Mes Ouvrages, p. 990-991).

« Ce vaste ouvrage est le vrai Tableau nocturne de Paris, dont on présente les mœurs, comme autrefois Pétrone peignit celles de Rome à ses contemporains, mais les Nuits ont une manière moins satirique et plus décente… […] [Elles] peignent sans recherche et sans prétention les mœurs des Français à la fin du règne des rois et présentent l’état de leur capitale sous le gouvernement des lieutenants de Sartine, Lenoir et Decrosne. On y voit les abus et les avantages de la civilisation. Tout y passe en revue, moins par les discours que par les faits » (MN, éd. orig., XIIIe Partie in fine, pages non foliotées).

Rétif souligne volontiers le tableau dans les Nuits, mais l’ouvrage est aussi un récit, l’aventure d’une narration. L’échange entre l’écrivain et la marquise vue à son balcon s’inscrit dans une dynamique. À partir du reportage nocturne du Hibou, elle exerce sa bienfaisance et, parente du prévôt des marchands Le Pelletier de Morfontaine, transmet au magistrat toutes les observations propres à l’éclairer sur une bonne administration de la capitale. Mais Les Nuits de Paris sont aussi un exposé philosophique (avec par exemple la physique des Égyptiens), des visions futuristes, des ébauches de livres à venir, un panorama littéraire et théâtral, etc. Seule la prise en compte de l’intégralité du texte permet de prendre la mesure de l’ambition de l’ouvrage, de sa liberté et de sa modernité.

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1789, Les Nuits de Paris ou l’Observateur nocturne, contrefaçon signalée par Lacroix (p. 300) et J.R.C. (p. 307) ; celui-ci précise : 14 parties en 7 volumes, mais dans son exemplaire les parties 12, 13 et 14 manquent. En 2019, un libraire propose cette édition en 11 volumes et pense que les trois suivants n’existent pas, aucun bibliographe ne les ayant jamais décrits. Il estime qu’il s’agit d’une contrefaçon suisse, malgré l’adresse « à Londres ».

— 1791, édition par le libraire Mérigot qui « ayant acquis de Rétif des exemplaires restant de l’édition des Nuits de Paris, tomes I à XV, fit faire des nouveaux titres avec son nom et son adresse » (J.R.C., p. 304). Le Catalogue de la BnF indique 5 volumes pour cette édition (erreur ou exemplaire incomplet ?).

Éditions modernes

 Elles ne proposent que des extraits, à deux exceptions près.

— 1930, L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. I, 1 vol. in-8° de XLIII-396 pages ; illustrations de Gérard Cochet. Édition établie par Henri Bachelin.

— 1947, Éd. « Aux Trois Compagnons », 1 vol. in-16 de 332 pages ; présentation par Hubert Fabureau, illustrations de Patrick de Manceau.

— 1960, Le Livre club du libraire, 1 vol. in-16 de X-324 pages, reprise de l’édition du Trianon.

— 1960, Éd. Hachette, coll. « Le Flambeau », 1 vol. in-16 de 300 pages ; extraits présentés par Marc Chadourne et Marcel Thiébaut, avec des notes de Henri André-Bernard.

— 1963, Éd. U.G.E., coll. « 10/18 », 1 vol. de 373 pages. Textes choisis, présentés et annotés par Patrice Boussel.

— 1967, Éd. Walter Beckers, Kapellen-Anvers. Choix de Fernand Cuvelier. Ouvrage hors-commerce, vendu par correspondance.

— 1969, Éd. Sambel, Paris-Londres-New-York et pour Paris Éditions Bel Air, coll. « Vénus », 1 vol. de 287 pages, contrefaçon de la précédente, sans notes et avec une présentation anonyme de 10 pages. Sous l’image de couverture figure cette mention : « L’auteur le plus licencieux de la littérature française », complété en 4e de couverture par : « Auteur licencieux, Restif de la Bretonne atteint avec Les Nuits de Paris le sommet de l’art ».

— 1969 (mis en vente en 1970), Éd. de Crémille, coll. « Mémoires pittoresques et libertins », « Les Amis de l’Histoire » 1 vol. de 389 pages, avec des gravures prises dans différentes œuvres. La page de titre développe ainsi le titre des Nuits de Paris : « où le Hibou Spectateur nocturne, comme il se définissait lui-même, observateur quotidien de ce qui se passait nuitamment à Paris sous l’Ancien régime et sous la Révolution, grand amateur de jolies femmes et peintre très réaliste, nous offre les Liaisons dangereuses du peuple ». Édition établie par Pierre-Valentin Berthier, préface de François de Clermont-Tonnerre.

—1978, réimpression en fac-similé de l’édition d’Hubert Fabureau de 1947 par les Éditions d’Aujourd’hui, coll. « Les Introuvables », 1 vol. de 331 pages.

— 1986, Éd. Gallimard, coll. « Folio », 1 vol. de 403 pages. Préface de Jean Varloot, dossier et notes par Michel Delon. — Rééditions en 1989 et 1992.

— 1988, Slatkine Reprints, 7 volumes sous les nos 79 à 85. Édition complète, sauf pour quelques pages non foliotées à la fin de certains volumes.

— 1990, Paris le jour, Paris la nuit, Éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1 vol. de XXIV-1371 pages, réunissant des extraits du Tableau de Paris de Mercier (p. 1-588) et des Nuits de Paris (p. 592-1371), Introduction, notes, chronologie, répertoire des noms de lieux et bibliographie par Daniel Baruch.

— 2019, Éd. Champion, édition critique du texte intégral par Pierre Testud, 5 vol., pagination continue de 1 à 2461 pages, avec introduction, notes, variantes, index.

Traductions

— 1789, Parisische Nächte oder der nächtliche Zuschauer [Les Nuits de Paris ou le spectateur nocturne], 3 vol. in-8° de 400, 108 et 248 pages, Éd. Hofmann, Hambourg.

— 1965, traduction de L. Asher et E. Fertig, Random House, New-York.

— 1968, The Nights of Paris, London, traduction de Nicholas Deakin, 1 vol. de 205 pages.

— 1969, 1 vol. de LI-319 pages, extraits traduits par Yuji Ueda, Gendai-Shicho-Sha, Tokyo. — Réédition en 1974, puis en 1988, en livre de poche, édition revue et corrigée par Iwanami Bunko.

— 1982, Le Notti di Parigi, Éditori Riuniti, préface de Giovanni Macchia, édition établie par Anna Maria Scaiola.

Adaptations théâtrales

— 1975, Les Nuits de Paris, adaptation scénique de Jean-Claude Carrière, mise en scène de Jean-Louis Barrault, spectacle de la Compagnie Renaud-Barrault, avec Hélène Perdrière (la marquise), Jean-Louis Barrault (M. Nicolas), représenté au Théâtre d’Orsay (création le 12 novembre 1975).

— 1988 (janvier), Le Hibou, adaptation et mise en scène d’extraits des Nuits de Paris, de Monsieur Nicolas, du Palais-royal, du Drame de la vie et de Mes Inscripcions par Christian Peythieu (Théâtre de l’Opossum).

— 1989 (avril-mai), Les Nuits du Hibou d’après Restif de la Bretonne et Louis-Sébastien Mercier. Adaptation et mise en scène de Christian Dente, Centre Culturel Jean Houdremont, La Courneuve.

1794. Les Nuits de Paris, ou le Spectateur nocturne.

Faux-titre : XX Nuits de Paris, pour faire suite aux III-CLXXXVIII déjà publiées en XV Parties, ou Suite du Spectateur nocturne.

Le titre courant est XX Nuits de Paris.

Dans cette XVIe Partie des Nuits, les 20 Nuits initialement prévues deviennent 21, puis sont prolongées par 5 « Nuits surnuméraires », la 5e étant elle-même grossie par le récit d’événements postérieurs qui conduisent jusqu’au 31 octobre 1793 ; suivent encore une profession de foi politique, un post-scriptum et 4 pages actualisant le récit jusqu’au « 1er décadi de Brumaire », soit le 31 octobre 1793. Rétif ne lâche la plume que deux jours avant la fin de l’impression. Tout se passe comme si la pression de l’actualité empêchait de mettre un point final. Du reste, dans son Avis liminaire, il envisage de poursuivre encore ses Nuits de Paris : « Les Nuits de Paris sont un ouvrage qui doit avoir une continuation tant que cette grande ville existera. Pendant ma vie, j’aurai soin de les rédiger, en rendant compte de tous les événements nocturnes, et des diurnes qu’ils auront occasionnés. Ce vaste ouvrage a été commencé trop tard ; les faits publics y pourraient être plus développés par quelques personnes initiées dans l’ancienne Administration. Quant aux nouveaux, je réponds d’en rechercher scrupuleusement les cause, et lorsque je ne les aurai pas trouvées, parce que Le temps présent est l’arche du Seigneur, je ne manquerai pas de les placer dans le volume suivant (c’est un avis pour mon successeur, si je n’y suis plus) » (p. III).

Le Journal, et les dates inscrites dans le texte même, permettent d’éclairer la chronologie de la genèse de l’œuvre.

Rétif note le début de la rédaction le 29 mars 1793 ; elle se poursuit jusqu’au 4 octobre. Mais l’impression a commencé dès le 7 avril. Écrire et imprimer vont aller de pair. Cette simultanéité témoigne du souci de sauver au fur et à mesure ce qui est écrit. L’œuvre s’élabore sous la Terreur, dans le chaos de l’époque et ses menaces. Dès le 1er décembre, Rétif, de lui-même, introduit des cartons afin de corriger tous les passages qui peuvent le rendre suspect aux yeux des Montagnards ; en juin 1794, il en cartonne d’autres, imposés par un « ami timide [qui] a fait sous la Terreur des cartons que je désavoue » (MN, éd. orig., vol. XV, p. 4307 en note) ; cet ami est le libraire Mérigot, qui finalement refusera tout de même de vendre l’ouvrage : « J’ai déjà exposé comment je n’avais pas dit ce que je voulais dans mon seizième volume, qu’on a tout cartonné en le brochant. Cependant ce volume, tel qu’il est, renferme une foule de traits si frappants qu’ils ont effrayé le libraire Mérigot, qui a maintenant les quinze premiers volumes, et il n’a pas osé s’en charger » (Mes Ouvrages, p. 992).

Dans Mes Ouvrages, à la fin de la notice sur Le Drame de la vie, Rétif écrit à propos de ces Vingt Nuits de Paris : « J’ai joint aux cinq volumes de cet ouvrage le seizième volume formant la fin du huitième tome des Nuits de Paris, et parce que cette moitié de tome n’a été vendue à aucun libraire et parce qu’elle contient seule des faits auxquels je renvoie dans le cours du Monsieur Nicolas » (p. 999).

Rétif évoque encore cette censure dans un passage de Ma Politique, en 1797 : « J’avais décrit quelques-uns de ces événements [de la Révolution] dans le XVIe volume des Nuits de Paris ; des cartons, faits du temps de la Terreur, ont défiguré ce volume » (MN, éd. orig., vol. XV, p. 4323).

Mais avant les cartons, des exemplaires avaient déjà été mis en vente. Aussi existe-t-il aujourd’hui deux états du texte, cartonné et non cartonné.

Comme dans La Semaine nocturne, une place est faite à des historiettes, mais ces XX Nuits de Paris sont avant tout une œuvre historique et politique : « […] les faits sont écrits à mesure et dans l’opinion alors dominante ; j’ai pensé que je devais laisser ce vernis parce qu’il est historique autant que la narration elle-même. Mais on trouvera ma profession de foi politique à fin de cette partie » (« Avis sur cette XVIe Partie », p. IV). Cependant, à la différence de La Semaine nocturne, Rétif ne se présente plus comme un témoin des événements : « Mais je dois à la vérité d’avertir que certains faits n’ont pas été vus par moi. Qu’importe, ils l’ont été par des personnes qui me valent bien, à tous égards pour la véracité » (ibidem).

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, vol. n° 86. Cette édition reproduit la version non cartonnée. On peut comparer cet état du texte avec l’exemplaire cartonné de la BnF 8° Z Le Senne 5618 (16).

— 2019, Les Nuits de Paris, Éd. Champion, tome V, p. 2153-2366, édition critique de Pierre Testud, avec une introduction de 12 pages.

— voir aussi supra la notice sur La Semaine nocturne.

1790. Le Palais-royal. Faux-titre : Par un indagateur qui se nommera quelque jour.

3 Parties en 3 volumes in-12 de 280, 248 et 288 pages.

1re Partie : Les Filles de l’Allée des soupirs — 2e Partie : Les Sunamites — 3e partie : Les Converseuses (faux-titre : Les ex-Sunamites).

Après Les Converseuses, soit à partir de la page 68, ce 3e volume est composé de morceaux étrangers au Palais-royal : Les Gentilhommes de morgue, comprenant 4 historiettes intitulées Seigneur populaire ; Le Curé patriote (récit amputé de plusieurs pages, qui sont imprimées à la même époque dans le volume I de L’Année des dames nationales) ; Le Divorce nécessaire, composé de 7 « traits » à caractère autobiographique, où se retrouvent de nombreux personnages du monde rétivien.

Chaque Partie est illustrée d’une estampe (pliée en trois) : vol. I, « Les Trente-deux Filles de l’allée des soupirs » ; vol. II, « La Colonnade » ; vol. III, « Le Cirque ».

Selon le Journal, Rétif commença la rédaction de l’ouvrage le 26 septembre 1789 et l’acheva le 8 novembre. L’impression dura du 1er décembre au 20 mars 1790 et la mise en vente eut lieu le 25 avril.

Rétif donne à son narrateur le nom d’Aquilin des Escopettes, qui est Grimod de La Reynière (et non Rétif, comme le disent Lacroix, Tabarant et J.R.C.), désigné dès l’Avis liminaire par ces lignes : « Nous donc, célibataire jadis célèbre, un peu singulier, peut-être bizarre, avons entrepris de ramener la nation à des idées plus douces […] »

« Ce genre d’héroïnes n’était que légèrement historié passim dans les cinq suites précédentes [les trois suites des Contemporaines, Les Françaises et Les Parisiennes]. Par celle-ci, en trois volumes, j’approfondis la matière en dévoilant une multitude de choses que je tenais de mon ami le Dr Guilbert et que je n’aurais jamais connues sans lui : les différentes manières de se divertir avec les femmes, ou de les faire servir au plaisir des hommes […] Les différents détails de cette production singulière la rendent pour les Français ce que fut la Satire de Pétrone pour les Romains : les Sunamites, les Berceuses, les Ressemblantes, etc. sont autant de phénomènes moraux, réservés sans doute à notre siècle. Cette sixième suite de Contemporaines ne pouvait entrer dans les premières à cause des censeurs ; mais elle était nécessaire à leur intégrité » (Mes Ouvrages, p. 988-989).

Rétif mentionne le rôle de Guilbert de Préval dans la genèse du livre. Mais dans le texte, c’est sa femme (ou sa compagne), Mme Jaumes, qui, sous le nom de Mme Janus, est surtout présente, comme tenancière d’une maison particulière où les jeunes filles sont mises, de façon platonique, à la disposition de vieillards fatigués.

L’ouvrage affichait un titre dans l’air du temps. Le Palais-royal était devenu, avec la Révolution, le centre de la vie politique, tout en restant celui des plaisirs de la capitale, « le rendez-vous universel des motions, des affaires, des plaisirs, de la volupté, de la débauche, du jeu, de l’agiotage, de la vente d’argent, d’assignats, de mandats et par conséquent le temple ou le prostibulum de l’observation » (MN, II, p. 429). Rétif était certes depuis 1786 un familier des jardins du Palais-royal, mais il entend surtout tirer parti de l’actualité.

La Reynière lui écrit le 27 août 1790 : « Les Filles du Palais-royal sont une de vos plus faibles productions. Les histoires ne sont pas assez développées ; il y a de l’uniformité dans plusieurs, de l’obscurité dans quelques-unes, de la négligence dans presque toutes […] On voit que vous avez fait ce livre à la hâte et que vous avez pensé que son titre ferait la moitié de son succès » (Correspondance, éd. cit., p. 512). Rétif semble en être d’accord : « Je craignais que vous ne fussiez offensé de ma critique des Filles du Palais-royal, mais vous avez la bonté de convenir qu’elle est fondée », lui écrit La Reynière le 18 septembre (ibid., p. 517).

Cependant Rétif sait par ailleurs vanter le mérite de son ouvrage. Dans le Catalogue du libraire Louis, il rédige ces lignes (imprimées aussi à la fin du volume VIII de L’Année des dames nationales) : « Sous une écorce qui annonce la futilité, et peut-être quelque chose de pis, cet ouvrage présente le tableau philosophique de l’ancienne corruption. Ce ne sont pas les histoires des filles en elles-mêmes qui sont intéressantes, c’est la peinture des mœurs qu’elles amènent, et le mérite cette peinture ne consiste que dans sa vérité. Mais ce n’est pas tout : on trouve dans ce nouveau Pétrone des genres de prostitution raffinés, différentes espèces, non de débauche, mais d’usage des femmes inventées par des matrullés sagaces, qui tirent un parti inconnu des charmes qu’un sexe offre à l’autre. C’est donc un livre très instructif, et même philosophique que le Palais-royal. »

Dans sa Notice, Cubières dit avoir reproché à Rétif « cette peinture beaucoup trop libre des filles du Palais-royal » ; celui-ci lui répondit : « Je l’ai faite pour suppléer au silence de notre ami Mercier qui, dans le Tableau de Paris, ne parle point de ce qu’il y a de plus intéressant et de plus utile dans le monde, c’est-à-dire des maisons où l’homme, tourmenté par le besoin d’aimer, va le satisfaire sans remords. Oui, ajouta-t-il avec chaleur, je suis l’ami et le protecteur de ces maisons que l’on méprise ; j’aime bien mieux y voir une jolie courtisane que de faire un enfant à l’épouse de mon ami ou de mon voisin » (op. cit., p. 115-116)

Divers fragments manuscrits parvenus jusqu’à nous montrent que Rétif a travaillé sur son Palais-royal après 1790 :

— on a retrouvé 2 pages manuscrites du Palais-royal où figure une version différente des XXIXe et XXXe histoires de « Filles de l’Allée des soupirs », Gertrude et Isabelle, postérieure au texte imprimé (sans doute de 1799-1800), Il est probable que cette rédaction était destinée à une édition actualisée du Palais-royal de 1790, édition dont le projet fut abandonné. Sur ces 2 pages, voir Pierre Bourguet, « Rétif de la Bretonne et la censure: un fragment inédit du Palais-royal », dans Le Génie de la forme, Mélanges offerts à Jean Mourot, Presses Universitaires de Nancy, 1982, p. 341-358.

— d’autre part, les fragments du manuscrit de Paris dévoilé, que l’on peut dater de 1802-1803 sont les vestiges d’une œuvre qui était une reprise du Palais-royal. Sur Paris dévoilé, voir infra la notice n° LV/A/5.

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1791, une contrefaçon en 3 vol. in-8°, de 183, 165 et 196 pages, repérée par Lacroix dans un catalogue, mais qu’il n’a pu trouver ; mentionnée également par J.R.C., qui ne l’a pas vue non plus mais en donne la pagination. Cependant, un exemplaire se trouve à la Bibliothèque d’Auxerre et un autre à Nice. On peut donc préciser que la typographie est différente, que sur la page de titre figure la mention « par M. Rétif de la Bretonne auteur des Nuits de Paris » et que le texte contient quelques incorrections.

— 1792, autre contrefaçon en 3 vol. in-12, de 208, 192 et 215, ne donnant pas le texte complet. J.R.C. la signale au British Museum et à Troyes ; elle est présente aussi à Auxerre. Il s’agit d’une contrefaçon belge, ou suisse (soixante-douze devient septante-deux, par exemple), dans laquelle l’éditeur a introduit quelques corrections malheureuses (indicateur est substitué à indagateur, par exemple).

Éditions modernes

— 1871, Les Ruses, supercheries, artifices et machinations des filles publiques pour tromper leurs amants, Éd. Lebondril, Genève, in-18 de 36 pages (avec « Le Droit du Seigneur », « Libertinage de Cléopâtre, reine d’Égypte ». Attribué à Rétif dans le Catalogue de la BnF et rattaché au Palais-royal par J.R.C., mais cette description suscite a priori bien des doutes.

— sans date (même époque sans doute), sous le même titre, chez A. Moens, Bruxelles, 1 vol. de 47 pages, coll. « Éroscope », joint à Les Amours galantes des jolies Bruxelloises. Même remarque que ci-dessus.

— 1876, Éd. A. Christiaems, Bruxelles, 3 vol. in-12, réimpression de l’édition de 1790.

— 1908, Éd. Louis Michaud, coll. « Les Mœurs légères au XVIIIe siècle », 1 vol. in-12 de 304 pages. Introduction (bien documentée sur le Palais-royal) et notes par Henri d’Alméras. Mais il manque les 12 historiettes finales.

— 1931, extrait dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. II, édition établie par Henri Bachelin.

— 1972, dans Les Romanciers libertins du XVIIIe siècle, Éditions rationalistes, 1 vol. de XXIV-226 pages. Extrait du Curé patriote (les pages figurant dans Le Palais-royal).

— 1988, Slatkine Reprints, les 3 Parties en 2 vol. sous les nos 87 et 88. Texte complet de 1790.

— 1989, Le Curé patriote, Éd. « Le Castor astral », 1 vol. de 63 pages. Édition présentée par Pierre Testud, réunissant les pages imprimées dans la IIIe Partie du Palais-royal (p. 146-178) et celles de L’Année des dames nationales (vol. I, p. 124-143).

Traduction

— 1791, Liebschaften der Freuden-Madchen im Palais-royal [Les Amours d’une fille de joie au Palais-royal] Strasbourg, Dantzig, (Droschel), 2 Parties en 1 vol. de 258 et 268 pages.

— 1798, traduction de la IIIe Partie, Dantzig, 1 vol. in-8° de 132 pages.

1790. Pamphlets contre l’abbé Maury

Cette notice doit beaucoup à l’article de David Coward, « The Revolutioary pamphlets of Restif de la Bretonne », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, n° 242, 1986, p. 317-334. On y trouvera le texte des cinq pamphlets contre l’abbé Maury conservés. Ce qui suit précise quelques points et ajoute un pamphlet (Les Voleurs).

L’abbé Maury, adversaire de Mirabeau et des orateurs partisans de la Révolution, fut la cible d’une centaine de pamphlets. Rétif, qui n’avait aucune hostilité personnelle contre lui, mais se rangeait du côté des révolutionnaires, accepta quelques commandes. Lacroix propose une liste de 38 pamphlets (p. 324-325) dans lesquels il croit voir la plume de Rétif. C’est tout à fait excessif : dans sa liste, deux seulement sont de Rétif.

Dans sa Notice (t. I de l’Histoire des Compagnes de Maria), Cubières, énumérant les œuvres de Rétif, écrit : « Il imprima […] un Almanach des modes, quelques Pamphlets contre l’abbé Maury, 3 volumes » (p. 36). « Quelques pamphlets » ne peuvent à l’évidence constituer 3 volumes. Il faut pour le moins y joindre l’Almanach (qui ne fait cependant qu’un volume ; voir supra la notice n° XXI). Il imprima ne veut pas dire il rédigea. Rétif était depuis le début du mois de février propriétaire d’une presse, installée à son domicile de la rue la Bûcherie. On sait par ailleurs qu’il travailla pour des imprimeurs, et notamment pour Cordier et Meymac.

Pour eux, il imprima des pamphlets (sa presse personnelle permettait un travail discret) et en écrivit un petit nombre.

La première mention d’une collaboration avec Cordier date du 26 avril 1790 : « 1er pamflet des Cordiers », suivi d’un deuxième le lendemain, puis le 29 : « Marat des Cordiers ». Il ne s’agit là que de travaux d’impression. Mais le 3 mai, Rétif note dans son Journal : « Pamflet des Voleurs ». Ce texte (conservé à la BnF sous la cote Lb 39 11743) fait suite aux Cachots de Bicêtre comblés ! et apparaît au milieu de la page 7, pour se terminer rapidement page 8 sur ces mots : «Nous ne continuerons pas cette adresse dont on voit le ton ». Le titre des Cachots figure dans le Journal à la date du 11 juin (« Cachots pamph. »), à propos sans doute de la vente de ce pamphlet.

Il ne s’agit pas là d’un pamphlet contre l’abbé Maury. L’idée générale des deux textes est que les magistrats sont les protecteurs des voleurs, qu’ils « lâchent comme des dogues contre les Révolutionnaires ».

Ce n’est que le 9 mai que Rétif devient le rédacteur de pamphlets pour le compte de Cordier. Il y en aura 6, tous contre l’abbé Maury. Ils sont conservés à la BnF, sous forme de brochures de 8 pages, avec le plus souvent un numéro d’ordre au bas de la première page et provenant « de la 6[0]e Imprimerie de la Liberté ».

— n° 1 : Le Viol, par M. l’abbé Maury, 8 pages in-8°. Porte au bas de la page l’indication : n° 1. Noté dans le Journal aux dates des 9 et 10 mai 1790. Cote : Rés. 8° Lb39 3834. Sous cette cote figure à la suite Le Mariage de l’abbé Maury

— n° 2 : Le Mariage de M. l’abbé Maury. Cote : Rés. 8° Lb39 3836. Noté dans le Journal à la date du 10 mai (« cé mariage, pamflet »), continué le 11 et le 12, mais refait le 14.

— n° 3 : L’abbé Maury répudié par la Négrisse le lendemain de son mariage. Cote : Lc2 2359 ; composé le 13 et le 14 mai.

— n° 4 : ce pamphlet est mentionné dans le Journal à la date du 15 mai, sans titre, avec la simple indication de son n°. Aucune autre trace dans le Journal, ni ailleurs. Il est question dans les 5e et 6e pamphlets d’un épisode où Maury se cocufie lui-même, épisode absent des trois premiers pamphlets : c’est sans doute le sujet du 4e pamphlet.

— N° 5 : La Mort de l’abbé Maury (transformé par Cordier en La Mort du Tonneau-Vicomte de Mirabeau ; voir ci-dessous le n°6). On lit p. 7 : « Fin finale ». Noté dans le Journal les 16 et 17 mai.

— n° 6 : L’abbé Maury aux Enfers.. Cote BnF : Lc2 3931. Malgré le procédé déloyal de Cordier pour le pamphlet n° 5, Rétif lui propose un nouveau pamphlet le 26 mai : « le vilain Cordier, apporté pamflet, refusé ». Le titre n’est pas donné, mais il ne peut s’agir que de L’Abbé Maury aux Enfers. C’est dans ce pamphlet que Rétif ajoute une apostille p. 7 sous le titre « Faute énorme à corriger » ; il écrit : « Nous avions mis pour titre à notre n° 5 Mort de l’abbé Maury. Mais la veille, il avait été question de M. Mirabeau-Tonneau. C’en fut assez. L’avide imprimeur crut Mirabeau plus intéressant que Maury ; il substitua l’un à l’autre et vendit l’impossible, quoiqu’il n’eût pas touché au texte. Il n’avait changé que la première ligne. […] Quel brigandage ! » Il n’est pas étonnant que Cordier, ainsi accusé, ait refusé d’imprimer le pamphlet. Rétif l’a imprimé pour son compte : il note le 22 juillet la vente d’un exemplaire.

Paris dévoilé

Ce manuscrit, évoqué seulement dans les travaux de Pierre Bourguet, mérite d’avoir ici une présentation développée.

L’ouvrage, qui devait avoir IV volumes, n’est connu que par des brouillons de manuscrits, truffés de renvois d’une page à l’autre, révélant beaucoup de tâtonnements.

Ces fragments sont conservés principalement à la BnF sous la cote n.a.f. 22772, à la suite du Journal ; les feuillets en sont paginés de 52 à 86. Ils ont été publiés dans les nos 13 à 20 des Études rétiviennes, de décembre 1990 à juin 1994, et dans le n° 37 en décembre 2005, à l’exception d’une « XVIIIe Histoire », six pages retrouvées depuis (voir infra). Ils nous donnent des Avis préliminaires et des histoires appartenant aux XIIe, XIIIe et XIVe Parties. Chacune d’elles contenait 6 nouvelles ; seule la XIIe est complète ; de la XIIIe il ne reste que 3 nouvelles et de la XIVe 1 seule. Soit 10 nouvelles sur un total de 84 pour le moins.

Nous avons là les vestiges des derniers écrits de Rétif. Quelques dates, inscrites dans le texte, donnent quelques repères : « aujourd’hui 13 février 1802 », lit-on au verso du feuillet 74, et le verso du feuillet 55 est occupé par le brouillon d’une lettre que l’on peut dater de décembre 1803 ou janvier 1804. Il est peu probable que ce manuscrit ait été terminé, vu sa date tardive et ce que nous savons de l’état de santé de Rétif dans ses dernières années.

1. « Première Partie. Préliminaires ». Il est malaisé de retrouver un ordre de rédaction dans les Préliminaires, Avis, Préambules de la Ire Partie de Paris dévoilé. Rétif paraît avoir beaucoup tâtonné.

La première introduction est sans doute celle qui est intitulée Préliminaires, précédée de l’épigraphe déjà utilisée pour Le Palais-royal : Ô tempora ! Ô mores ! et de l’indication « Première Partie ». Cet en-tête est caractéristique d’un début d’ouvrage.

Le texte commence ainsi : « Parisiens qui croyez connaître Paris, vous allez voir, après m’avoir lu, que vous ne le connaissez pas… » (la suite est dans Études rétiviennes n° 13, p. 92-93).

Une deuxième mouture semble se trouver dans un autre fragment, d’une douzaine de lignes : « Ne croyez pas, Lecteur, trouver ici des choses vulgaires. Vous allez voir ce que les Parisiens eux-mêmes ne connaissent pas dans leur ville immense », etc. (suite dans le n° 37 d’Études rétiviennes, p. 224-225). Cette dernière phrase fait directement écho à celle du texte précédent.

 Suivent un rappel du titre : « Paris dévoilé, etc. 1er volume » et ce plan : « I. Le Palais-royal, où sont II. L’Agiot, III, les Jeux !, IV La respectable Autorité du Tribunat, magistrature sacrée, V, le Bazar Montansier, VI Les Filles de différents genres ».

— I. Le Palais-royal. Ce premier article est introduit par un « Préambule » : « Quoi ! Vous allez dévoiler Paris ! Cette ancienne Lutèce dont l’empereur philosophe Julien a tant loué l’innocence ! Elle est donc bien dégénérée aujourd’hui qu’elle est obligée de voiler sa Turpitude ?… — C’est ce que vous allez voir. — Quelle histoire ! — Pourquoi vous récrier ? (mettre la 10 moins deux lignes que voici). Mais auparavant faisons l’histoire du Local, sujet du premier article [mot indéchiffrable] des VI premiers. Le Palais-royal, célèbre dans toute l’Europe, est un lieu trop intéressant pour que je ne commence pas cette véridique histoire par le faire connaître pour dévoiler parfaitement Paris. Voici le tableau qu’on en a fait récemment dans le Tribun, journal inhumé depuis longtemps ! » (ibid., p. 226).

Après une vingtaine de lignes, Rétif conclut : « Voilà le tableau en raccourci ; je vais le présenter plus en grand, en retraçant le Tableau qu’en a fait le Tribun, je crois, d’après Mercier, qui n’est pas ici exagérateur. » Suit une parenthèse ainsi libellée : « (à l’imprimé 81, 2, 3, 4, 5, 6,7, 8, jusqu’à 100). » Ces chiffres représentent exactement la pagination d’un texte de Mercier intitulé Palais-Égalité, ci-devant Palais-royal, publié en 1797 dans Le Vieux Tribun et sa bouche de fer (journal de Nicolas de Bonneville) avec cette note : « C’est un chapitre détaché de l’ouvrage intitulé Le Nouveau Paris par Mercier et encore en manuscrit. » Voir infra le point IV.

— II. L’Agio du Perron (ibid., p. 227). Seul le titre est indiqué, avec cette parenthèse : « (après la p. 100 revenir ici) », cette page 100 étant naturellement celle du Vieux Tribun.

— III. Les Filles publiques (le titre annoncé Les Jeux a disparu) « Il faut convenir que ce sont les Filles du repaire immonde dont nous venons de parler qui nous ont donné l’envie de l’examiner. Leur sexe parle au cœur comme aux sens ; les autres objets n’excitent que la curiosité. Revenons donc à elles et donnons une idée de la figure, de l’âge, de la taille, de la mise [cette phrase est empruntée au préambule du Palais-royal : « Mais auparavant donnons une idée de la figure, de l’âge, de la taille, de la mise, de la marche, des mœurs et des talents de ces belles »] (aller à 11 imprimé) » (Études rétiviennes n° 37, p. 227). Cette parenthèse est entourée d’un trait de plume ; elle renvoie à une page, déjà imprimée semble-t-il, qui est sans doute l’histoire de Mme Janus, présente dans un autre fragment, qui est précédée par l’indication : « renvoi de 11 en haut » (voir ibid. p. 233).

Dans cette histoire l’on trouve sur Mme Janus des informations présentes nulle part ailleurs et son programme de thérapeute : « Je suis fille d’un palefrenier. Ma mère était belle et coquette, mon père brutal et jaloux. Je suis fille unique ; encore mon père ne croyait-il pas que fusse à lui. J’étais jolie, mais d’une figure commune. Je fus mariée à un loueur de carrosse, M. Janus, qui logeait près Saint-Sauveur-Saint-Denis. J’eus deux filles de mon mari, qui mourut jeune. À 30 ans, j’étais mieux qu’à 16, époque de mon mariage, par mon genre de beauté. J’eus occasion de voir le médecin fameux qui a fait mon sort, pour une maladie que je n’avais pas et lui plus. Il me fit la proposition de venir gouverner sa maison. J’acceptai. Il était célibataire. Il me fit un garçon […] Le docteur approuva mon plan, que je lui exposai : « Je me ferai d’abord restauratrice des vieillards, que je ferai rajeunir, ou que du moins je conserverai aux dépens de la santé de sunamites. Ce seront de jeunes filles que j’achèterai de pauvres gens. Il me faudra d’abord quelques fonds, que vous m’avancerez. Je vous les rendrai fidèlement. Les filles qui auront des dispositions marquées auront une autre destination : j’en ferai des amuseuses, des lectrices, des chanteuses, des berceuses, dont la santé ne sera pas exposée. Ne croyez pas que ce soit la force de mon génie qui m’ait fait concevoir ces idées. Je ne veux pas que vous m’estimiez au-delà de ce que je vaux. Je connais un homme qui n’est pas auteur ; il n’a fait encore rien imprimer, mais il a beaucoup de manuscrits qui ne consistent qu’en petites historiettes, qu’il a réalisées ou vu réaliser par d’autres. Par exemple, il en est une intitulée Les Filles du bureau de confiance qui m’a paru tout à fait originale et très philosophique ! Je lui dois la force de m’être élevée au-dessus des préjugés de l’éducation » (suite dans Études rétiviennes n° 37, p. 233-239). Ces lignes sont intéressantes aussi par la référence à une historiette qui serait à l’origine de la vocation de Mme Janus. Mais nous n’avons pas trouvé trace de ces Filles du bureau de confiance, dont Rétif ne parle jamais (ces « bureaux de confiance » étaient les bureaux de placement pour domestiques).

Le plan exposé ici par Mme Janus est celui-là même qu’elle réalise dans Le Palais-royal. Mais ce fragment n’y figure pas ; il y a tout lieu de penser qu’il a sa place dans un préambule de Paris dévoilé. Une objection possible est que cette histoire de Mme Janus est partie intégrante du récit d’une soirée où sont réunis Rivarol, Goldoni, Caraccioli, Robé, etc, et même Rétif ; ce cadre est tout à fait étranger à Paris dévoilé ; il évoque curieusement une soirée racontée dans Monsieur Nicolas, où figurent ces personnages, avec Mme Janus, soirée située en 1787 (voir MN, II, p. 378). Dans le fragment, il est dit que le docteur est « décédé depuis plusieurs années » (il était mort en octobre 1788). L’indication est trop vague pour permettre une datation du morceau. Vu l’importance des lacunes dans le manuscrit de Paris dévoilé, et vu l’impossibilité de le situer dans le Palais-royal, ou L’Année des dames nationales, ou Les Revies, il ne reste plus qu’à admettre que ce fragment avait sa place dans une partie perdue de Paris dévoilé.

La suite est sur un autre fragment : « C’est ainsi qu’en nous promenant en scrutateur sévère, nous avons examiné dans Paris le bien et le mal. Mais en historiographe véridique, nous ne dissimulons ni l’un ni l’autre. Le bien ne tient qu’une page ; le mal fait tout le reste des IV volumes…. Mais reprenons l’histoire de chacune des filles publiques, non seulement du Palais ci-devant royal, mais de celles des autres quartiers de Paris, tels que la rue des Deux- Portes, où sont les mieux instruites, les plus honnêtes, sous la direction de Mme Janus ; celles de la rue de Cléry, où sont les ressembleuses ; celles de la rue Vivienne, où l’on trouve les substitueuses de Mme Ogret ; celles du boulevard du Temple, où sont les raconteuses de tous les genres. Nous ne parlerons plus de l’Allée des Soupirs, qui n’existe plus ; nous la remplacerons par l’histoire du Foyer Montansier, qui est bâti sur son terrain, histoire dont les détails nous sont parvenus en employant les moyens les plus adroits. »

— IV. Le Tribunat. Ce texte est absent dans la version du préambule publiée dans Études rétiviennes n° 37, où l’on passe du III au V, Le Foyer Montansier. Mais il existe, paginé 101 et 102 de la main de Rétif, placé dans la liasse n.a.f. 22772 après le feuillet 86. Il est inédit.

Dans ce fragment, Rétif recopie un texte de Mercier auquel il a mis en titre : « IV. Le Tribunat ». Les premiers mots (« Mais consolez-vous, bons citoyens […] ») suggèrent qu’il s’agit d’un extrait. Du reste, s’il est question d’abord du Tribunat, « asile sacré de la liberté, de l’examen et de l’acceptation des lois », installé par Napoléon au Palais-royal le 1er janvier 1800, le propos de Mercier glisse très vite vers la querelle qui l’opposa à Rétif en mai 1802, à propos de cosmogonie.

 Où Rétif a-t-il trouvé ce texte ? Il est daté précisément du 6 prairial an 8, soit du 26 mai 1800, et Mercier évoque ce jour-là un de ses ouvrages « qui ne fait que commencer ». Il reste à identifier cette page de Mercier.

— V. Le Foyer Montansier. La Blonde et Coraline ou la voix délicieuse. Le texte commence ainsi : « Que l’on n’aille pas s’imaginer que le Bazar appelé Le Foyer Montansier, qui a remplacé l’Allée des Soupirs, attire seul les amateurs » (suite dans le n° 37 d’Études rétiviennes, p. 230-232). Mlle Montansier avait racheté en 1789 le Théâtre des Beaujolais ; le foyer de son théâtre était devenu sous la Révolution un lieu de rencontre pour journalistes, hommes politiques et prostituées.

— VI. Les Filles des différents genres, chapitre développé en III.

2. XIIe Partie (voir Études rétiviennes n° 14, p. 198). Elle porte ce titre : Paris dévoilé par un indagateur qui l’a observé toute sa vie. Le mot indagateur est repris du Palais-royal, mais n’apparaît nulle part ailleurs dans les fragments connus de Paris dévoilé. Ce titre figurait-il dans les Parties disparues ? Rétif s’est-il avisé, dans un second temps, de rattacher les deux œuvres par un lien plus fort qu’une simple épigraphe ?

Sous le titre est indiqué : composée d’Histoires racontées par les converseuses tourterelles, et au bout de la ligne cette indication : 3me 14ne, c’est-à-dire « troisième quatorzaine », 3e série regroupant les 14 dernières Sunamites du Palais-royal (voir éd. cit., p. 166-177), parmi lesquelles figurent en effet les converseuses-tourterelles de Paris dévoilé.

Sous cette ligne, se trouve le plan de cette XIIe Partie. Ces histoires, comme celles de la XIIIe Partie et celle de la XIVe, sont toutes des reprises de nouvelles de L’Année des dames nationales. Nous en donnons entre crochets les références

— 1 par Bleuette : La Belle qui réalise les chimères de son oncle. Dans le texte, ce titre devient : Historiette de la belle Départementale, dont la beauté fait réaliser à un vertueux parisien les idées creuses d’un vieux oncle en délire. [21e Nationale, « La Senlisienne qui réalise les chimères ! »]. Estampe : Bleuette sur une haute chaise à marchepied, commençant l’histoire. On voit Madame Janus et son cercle autour d’elle. « Mlle Bleuette va faire cette histoire. » — Voir Études rétiviennes n°14, p. 198-206.

— 2 par Barberose : La Fille formée à la vertu par l’amour. Dans le texte : IIde Histoire racontée par la converseuse-tourterelle Barberose : La Jeune fille formée à la vertu par l’amour [23e Nationale, « La Crépine menée dès l’enfance par à l’amour »]. — Voir ibidem n° 13, p. 96-101.

— 3 par Tulipette : La Fille faite en somnambulisme. Dans le texte : IIIme Histoire racontée par Mme Tulipette : Reine, ou la Fille faite en somnambulisme [25e Provinciale, « La Courtenette faite en somnambulisme »]. — Voir ibidem n° 13, p. 102-108.

— 4 par Genétine : La Jeune fille riche subjuguée par le mérite. Dans le texte : IVme histoire racontée par Genétine : Jolie fille riche gagnée par le mérite [27e Nationale, « Riche Briaraise gagnée par le mérite »].— Voir ibidem n° 15, p. 105-114.

— 5 par Pivoine : Une Fille de juge qui épouse un simple soldat ruiné. Dans le texte : Vme Histoire parisienne racontée par Mme Pivoine : Fille de juge qui épouse, par esprit de justice, un soldat ruiné [29e Nationale, « Une Fertémilonèse épouse un soldat ruiné »]. — Voir ibidem, n° 16, p.109-113.

— 6 par Muscadine : Jolie garde-malade bien récompensée. Dans le texte : VIme Histoire parisienne racontée par mad. Muscadine, La garde-malade bien récompensée [ La Jolie Garde-malade bien récompensée [26e Nationale, « La Fontainebellette jolie garde-malade »]. — Voir ibidem, n°18, p.107-112.

3. XIIIe Partie (voir Études rétiviennes n° 19, p. 127-142). Celle-ci n’est pas complète. Sur les 6 histoires, 3 seulement nous sont parvenues.

Elle s’ouvre sur deux Avis :

  1. a) « XIIIe Parie du Paris dévoilé» — « Avis. Paris offre un champ si vaste à l’observateur qui veut en décrire tous les arrangements publics ou secrets, que c’est une mine inépuisable. Il ne s’agit que de les connaître, comme M. Aquilin des Escopettes et de trouver un homme pour les écrire, comme cet homme riche voyant tous les jours à la table de son père une foule d’hommes de toutes les classes riches parlant de ce qu’ils avaient fait ou vu. Aquilin, qui était doué d’une excellente mémoire, recueillait tout. Lorsque les faits étaient obscurs, il faisait adroitement quelques questions pour élucubrer les faits obscurs. On les lui donnait sans défiance. Il n’avait encore rien publié et on ne le savait pas caustique.

« C’est donc par ce jeune homme estimable que nous avons été mis à même de publier une infinité de petits détails, d’historiettes et d’événements particuliers qu’un homme de lettres ordinaire n’aurait jamais pu découvrir, eût-il eu la société la plus nombreuse… Mais c’est assez préliminariser. Entrons en matière, en donnant ici au public ce que VI nouvelles Tourterelles ou Conserveuses-Converseuses de Mme Janus ont raconté à leurs conservés pour les recréer et les préserver du poison lent de l’ennui, qui tue tant d’honnêtes gens, parce que dans tout Paris il n’y avait qu’un médecin et sa femme qui en préservassent. On m’observera que Picard à Louvois, Melles Contat, Mars cadette, Mèzerai, Hopkins, Devienne, Dumas, Fleury, Dazincour, Dugazon, Larochelle, Michot, etc. à la République en préservaient aussi, ainsi que Coraline à Montansier, que Henri et sa femme au Vaudeville, qu’Élé[onore ?] et Stalin à l’Opéra-comique, Laïs, Vestris, Gardel et sa femme, Clotilde, Collomb, etc ; à l’Opéra… etc., mais comme ceux et celles-ci ne racontent pas d’histoires, Aquilin n’a rien pu me fournir d’eux. Il se contente d’aller tous les jours admirer les unes ou les autres. Je passe à mes récits. »

  1. b) « Avis de la XIIIe Partie». — On a vu que la maison d’éducation de Mme Janus, épouse d’un médecin célèbre, était composée de sortes d’élèves : les Sunamites étaient le nom collectif et général ; on avait ensuite les Berceuses, les Amuseuses, les Concoucheuses, les Conserveuses, les Tourterelles, les Chanteuses, qui étaient une sous-division des Amuseuses ainsi que les Converseuses. Car Mme Janus avait pour but unique de son établissement de prolonger pour les hommes la vie et le bonheur, sans libertinage ; car ce dernier détruit l’un et l’autre très promptement. Il est donc bon de dire ici qu’on ne doit considérer tout le régime de Mme Janus que comme étant une branche de l’état de son mari, de l’hygiène en un mot, dégagée de toute espèce de préjugé. Tout ce qui peut guérir, faire circuler le sang plus librement à l’aide d’un plaisir doux, sans secousses, sans excès, était de son ressort, et fut longtemps dirigé par son mari. Ce fut cette hygiène sage qui fut la seule cause des persécutions qu’il éprouva ; c’est la jalousie seule qui mit contre lui tous ses ignorants confrères : ils craignirent de se voir enlever toutes leurs pratiques par deux préservateurs qui prenaient les moyens les plus efficaces de prolonger la vie humaine et de prévenir les maladies. Car ce n’était pas seulement les vieillards que Mme Janus préservait : elle conservait également, et plus efficacement, la jeunesse en lui faisant éviter l’épuisement. C’était donc deux bienfaiteurs de l’humanité que l’on rencontrait dans une seule maison. Aussi avaient-ils pris pour devise, autour de leur cachet : sponsus et sponsa manu atque consilio laborant. »

Cet Avis est suivi par ce plan :

Tourterelles-conserveuses qui racontent dans la XIIIe Partie

— Orange VIIme Histoire : Orpheline secourue par un procureur. Dans le texte : VIIme Histoire racontée par Mme Orange, Tourterelle-conserveuse et titre identique. « Cette nouvelle sera la XII » (phrase entourée d’un trait de plume). Le titre de cette histoire correspond à celui de la 34e Nationale, « Brierobertine secourue par un procureur », mais elle n’a rien à voir avec cette Nationale car elle met en scène Sara Debée et Félicité. — Voir Études rétiviennes n° 19, p. 130-133.

— Grenade VIIIme Histoire : Jeune fille obtenue en mariage par la ruse de son amant. Dans le texte : VIIIme Histoire racontée par Grenade, Tourterelle-conserveuse. La jeune fille obtenue en mariage par la ruse de son amant. [24e Nationale, « Fertalaise dont l’amant capte la mère »]. — Voir ibidem, n° 20, p. 128-136.

— Piedalouette. IXme [aucun titre n’est indiqué et le texte manque].

— Fraisée. Xme Histoire : Jeune personne qui déguise son amant en solliciteuse [ici entre parenthèse : p. 157, pagination qui correspond à celle de la 17e Nationale : « La Corbeillèse met son amant en solliciteuse », volume I de L’Année des dames nationales]. Le texte manque.

— Pêchette. XIme Histoire : Jeune fille qui dut épouser son père [16e Nationale, « Une jeune Blaisine est épousée par son père »] Le texte manque.

Félicité. XIIme : Jeune orpheline élevée en servante par prudence [15e Nationale, « Une riche Beauvaisine élevée en servante »].

 Sous la ligne, entouré d’un trait de plume : « celle-ci est la VII, et la VII pour la XII ». C’est cette histoire qui, devenant la 1re de la XIIIe partie, est le sujet de l’estampe : « Sujet de l’estampe de la XIIIe Partie. Deslandes fils, encore en costume de secrétaire de son père, auquel il vient demander Thérèse en mariage: « Ma belle cousine, je suis fils de votre tuteur ; je dois réparer ses négligences. Accordez-moi votre aveu pour le mariage avec vous, auquel mon père consent ? Je vous promets le bonheur, autant qu’un bon mari peut faire celui d’une femme chérie. — Mon cousin, répondit Thérèse, je sens que vous êtes le seul homme dont je puisse accepter une pareille réparation. Vous ne vous en repentirez jamais, je vous en fais le serment juré. Ainsi, je consens à vous devoir et l’honneur et le repos ». » — Voir Études rétiviennes n° 19, p. 133-142.

4. XIVe Partie. Il n’en subsiste que la « XVIIIe Histoire, racontée par Félicité de Rhetel chez Mad. Janus » : La Filleule qui donne à son Parrain le bonheur de la paternité [51e Nationale, « Jolie Coterèse qui donne un enfant à son parrain »]

Puisqu’il y a 6 histoires par Partie, celle-ci est donc la dernière de la XIVe partie. Elle est encore inédite ; elle occupe les folios 77-79 de n.a.f. 22772. C’est l’histoire d’Herminie, filleule de M. D’Éra. On y trouve un hommage appuyé de Guilbert de Préval et de Mme Janus.

 Paris dévoilé n’est pas seulement une refonte de L’Année des dames nationales : il est aussi dans le sillage du Palais-royal, publié en 1790 et du Nouveau Paris de Mercier publié à la fin de 1798. Pour les emprunts de Rétif à cet ouvrage de Mercier, voir supra la notice LV/A, points 1 et 4).

On peut considérer que Paris dévoilé a été conçu comme une actualisation du Palais-royal de 1790. Rétif écrit dans le Préambule : « Nous ne parlerons plus de l’Allée des Soupirs [titre de la 1re Partie du Palais-royal], qui n’existe plus : nous la remplacerons par l’histoire du Foyer Montansier, qui est bâti sur son terrain ; histoire dont les détails nous sont parvenus en employant les moyens les plus adroits. »

« L’Allée des Soupirs » est ainsi remplacée par le « Foyer Montansier », c’est-à-dire le foyer du Théâtre Montansier. Les « Filles de l’Allée des Soupirs » cèdent la place aux filles de ce foyer. De plus, le tableau s’est élargi à d’autres quartiers, fameux pour être des lieux de prostitution : la rue des Deux- Portes, « où sont les mieux instruites, les plus honnêtes, sous la direction de Mme Janus » ; la rue de Cléry « où sont les ressembleuses » ; la rue Vivienne, « où l’on trouve les substitueuses de Mme Ogret » ; le boulevard du Temple, « où sont les raconteuses de tous les genres ».

Mais ce que nous pouvons lire de Paris dévoilé se limite en fait à la rue des Deux-Portes, où les élèves de Mme Janus sont les narratrices des histoires.

En reprenant des nouvelles de L’Année des dames nationales, Rétif a modifié profondément sa rédaction originelle. Son travail a surtout consisté à redonner à Mme Janus un rôle central, tel que celui qu’elle avait dans la IIe Partie du Palais-royal (Les Sunamites). Mais les éloges qui lui sont adressés sont beaucoup plus appuyés que dans Le Palais-royal. Mme Janus, pseudonyme de Mme Jaumes, était la compagne du docteur Guilbert de Préval, mort en octobre 1788. Elle-même ne mourut qu’en 1818, à l’âge de 85 ans. Il est dit dans la Ve Histoire de Paris dévoilé, que le docteur, à sa mort, « lui a laissé tous ses secrets ».

1787. Les Parisiennes, ou XL Caractères généraux, pris dans les mœurs actuelles, propres à servir à l’instruction des personnes du sexe. Tirés des Mémoires du nouveau Lycée des mœurs.

4 vol. in-12 de 300, 388, 392 et 380 pages. « 4 volumes que je regarde comme les plus utiles des soixante-cinq qui composent l’entière collection des Contemporaines » (MN, II, p. 396). Ce total additionne Les Françaises (4 vol.), Les Parisiennes (4 vol.), Le Palais-royal (3 vol.), L’Année des dames nationales (12 vol.). Avec 20 gravures.

1er vol. : « Les Jeunes Filles » — 2e vol. : « Les Nouvelles Mariées » ; les Mariées depuis trois ans » — 3e vol. : « Les Épouses à imiter — à fuir » — 4e vol. « Les jeunes Mères et — de grands enfants ».

« On trouve dans cet ouvrage 62 Caractères, en comptant les nuances. Il présente l’idée de l’institution d’un Lycée des mœurs pour les femmes. C’est le plus utile de nos romans actuels. A paru en avril 1787 » (Vie de mon père).

La rédaction a sans doute commencé le 30 novembre 1785. Telle est la date qui figure à la fin de l’Avant-Propos (p. 6), et, sous la plume de Rétif, elle n’est sûrement pas arbitraire. Rétif note dans son journal le 25 décembre : « le matin & l’après-midi 1re Anecdote des Parisiennes, La Mélancolique. » Cette historiette est dans la « Seconde séance », p. 59-70 et ne constitue sans doute pas les premières pages écrites.

L’impression du 1er volume débute le 17 mars 1786 et Rétif mène alors de front rédaction et impression. Il achève son manuscrit le 20 décembre, date à laquelle l’impression du vol. III n’est pas terminée, bien qu’il ait commencé le 3 celle du volume IV. La mise en vente a lieu vers le 20 mai 1787 : « 23 mai, vendu hier les deux premières Parisiennes » (Journal).

« M’étant aperçu que je n’avais pas encore donné aux femmes, dans les quatre volumes précédents [Les Françaises], tous les préceptes pratiques nécessaires, je composai ceux-ci, dans lesquels j’enseigne aux femmes les moyens de conserver le goût des hommes par leur caractère et leur propreté. Pour cet article-ci, je leur mets le doigt dessus en leur disant : lavez-vous comme une musulmane. Je recommanderais volontiers de s’abluer après chaque déjection, grosse ou menue, et je le fais d’une manière couverte. Ces quatre volumes, tant au moral qu’au physique, sont réellement un livre classique [c’est-à-dire lu et étudié dans les écoles] pour les personnes du sexe. C’est à cet ouvrage que le Trésorier de France Bultel-Dumont voulait faire donner le prix de l’utilité en 1788 » (Mes Ouvrages, p. 987-988). Il vante à peu près dans les mêmes termes ses Parisiennes dans la « Réponse générale aux malhonnêtes gens qui calomnient les ouvrages de N.E. Restif de la Bretonne » (Contemporaines, vol. 24, 2e éd. in fine) : « Les Parisiennes paraissent. Ce sont ici tous les caractères, au nombre de 42, mis en action, avec 22 nuances qui les portent à 64. Jamais on n’avait encore donné aux femmes des conseils aussi clairs, aussi adaptés aux épouses, aussi faits pour les femmes de notre âge, qui ont oublié tout ce qui convient à leur sexe pour ne s’occuper que de ce qui convient au nôtre. Cet ouvrage est un chef-d’œuvre. Aussi M. Bultel-Dumont, homme très sévère, disait-il que, s’il était ministre, il en ferait réimprimer cinquante mille, pour les faire distribuer par tout le royaume afin d’y rétablir les bonnes mœurs. C’est pour ces deux ouvrages surtout [Les Françaises et Les Parisiennes], sans parler de La Vie de mon père, dont la 3e édition vient de paraître, qu’il faudrait donner à l’auteur la couronne civique. » Voir aussi la notice publicitaire placée à la fin du volume VIII de L’Année des dames nationales, qui reprend celle du Catalogue du libraire Louis en 1793 (voir Études rétiviennes n° 51, déc. 2019, p. 161-169).

 L’Avant-Propos donne une idée plus complète de l’ouvrage : « On agitait devant une mère de famille respectable la question de savoir si les femmes devaient être instruites, et même savantes. Tout le monde fut pour l’affirmative, et l’on ne doutait pas que cette dame ne fût du même avis. Cependant, comme elle gardait le silence, on la pria de s’expliquer. — Si l’on voulait m’en croire, répondit-elle, les femmes ne sauraient que la morale et rien du tout des autres sciences, si ce n’est un peu de musique. La raison que j’en donne, c’est que la frivolité la plus ridicule, et même la plus coupable, est moins nuisible aux femmes que la science. La frivolité n’exclut pas à jamais le goût des choses du ménage et du gouvernement de sa maison ; au lieu que la science ôte l’amabilité, la modestie et qu’elle donne l’arrogance, la suffisance, l’aigreur, le mépris des détails, qui sont le lot des femmes […] — Mais, lui dit-on, pouvons-nous être d’un Musée, d’un Lycée ? — Oui, et j’ai depuis quelque temps l’idée de former un établissement de ce genre. Composons un Lycée, si vous le voulez, mais n’y parlons que de morale. Et pour qu’elle ne nous ennuie et qu’elle ne nous appesantisse pas, rendons-en les détails historiques. Nous voilà huit. Que chacune de nous s’engage à raconter, par mois, durant les quatre d’hiver qui vont s’écouler, avant que le printemps rappelle à la campagne, deux histoires qui auront pour base un caractère » (p. 5-6).

Cubières-Palmézeaux, dans sa Notice, considère Les Parisiennes comme l’« un des meilleurs [ouvrages] de Rétif et toutefois l’un des moins connus ». Il en reproduit même l’Avant-Propos et les « Statuts du Lycée des Mœurs » qui lui font suite (Histoire des Compagnes de Maria, t. I, p. 57-72). Cette attention particulière donnée aux Parisiennes tient au caractère maçonnique de ce « Lycée des mœurs », selon l’analyse convaincante de Pierre Bourguet (voir Études rétiviennes n° 34, p. 252).

Rétif joint à son ouvrage deux de ses pièces : Les Fautes sont personnelles (vol. III, p. 269-392) et Le Jugement de Pâris (vol. IV, p. 327-364). Voir infra les notices XLV/D et XLV/B.

Édition (XVIIIe siècle)

— publication dans le Mercure du 5 janvier 1788 de l’histoire du XXXIe Caractère (p 36-48), La Mère attachée, dans une version un peu abrégée.

Éditions modernes

— 1931, extraits dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. II, édition établie par Henri Bachelin.

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 49 et 50. Reproduction d’un exemplaire complet.

1776. Le Paysan perverti, ou les Dangers de la ville, histoire récente mise au jour d’après les véritables lettres des personnages.

8 Parties en 4 volumes in-12, de VI-290, 316, 244, 200 pages, suivies des Tables, des « Analyses de quelques ouvrages dont il y a nombre chez les libraires désignés à la fin de ces analyses » et une « Liste des ouvrages de l’auteur ». Tiré à 3000 exemplaires. « Parut à la Toussaint » (Paysanne, IV, p. clxxvii)

On compte 250 lettres, plus une contenant les « Statuts du bourg d’Oudun ».

Avec ce roman épistolaire, huit ans après ses débuts dans la carrière, Rétif attire enfin l’attention du public et prend conscience de son originalité littéraire (« Je n’ai commencé à suivre librement ma propre manière que dans Le Paysan perverti » (MN, II, p.185-186). Le Pied de Fanchette avait certes connu du succès, mais l’ouvrage était anonyme (le nom de Rétif ne figure que sur l’édition de 1776), de même que Le Pornographe. Il en est autrement avec Le Paysan perverti : « Cet ouvrage va mettre du changement dans mon sort. Jusqu’à sa publication, j’étais demeuré inconnu ; le succès du Pornographe n’avait pas contribué à me tirer de mon néant : l’ouvrage était anonyme et, ne m’ayant rien produit, je n’étais pas sorti de la poussière où je rampais » (MN, II, p. 255). Il le redira dans Mes Ouvrages : « Cet ouvrage, qui m’a donné une existence dans le monde, fut la source de ma réputation et me procura une considération dont tous les bons esprits me donnent encore des marques ». (p. 912).

La rédaction, d’abord rapide en 1769, devient ensuite sporadique. En 1773, Rétif dit travailler sur son roman « comme par foucades » : « J’en étais alors au troisième volume » (MN, II, p. 247). Le manuscrit est achevé en 1774 et proposé au libraire Delalain : « Il refusa ; son examinateur lui dit qu’il y avait remarqué des lettres aussi mal écrites que celles d’un paysan » (MN, II, p. 247).

« Je commençai l’impression de cet important ouvrage en achevant celle du Fin Matois, c’est-à-dire au mois de juin 1775 » (ibidem).

« Enfin le 1er novembre 1775, je distribuai les exemplaires du Paysan aux libraires qui devaient le vendre, sans me douter du succès d’une production que le libraire Delalain avait dédaignée » (MN, II, p. 255). Comme il était habituel pour une publication autour de la Saint-Martin (le 11 novembre), le millésime inscrit sur la page de titre est celui de l’année suivante.

« J’avais commencé le manuscrit en 1769, après la lecture d’une partie détachée de Paméla, que je trouvai par hasard chez Edme le libraire, au Collège de Presle. Ce fut cette lecture qui me donna la première idée de faire des lettres rustiques, par lesquelles un paysan raconterait tout ce qui lui arrive à la ville […] Je fis ces premières lettres avec un plaisir infini, parce qu’en parlant de mon héros, je racontais les aventures de ma jeunesse à mon arrivée à Auxerre, en 1751, et pendant le cours de mon apprentissage […] Je donnai à mon Paysan perverti les aventures de Borne, le procureur du roi des Eaux et Forêts et je les amalgamai au revers des miennes et de celles de quelques autres jeunes gens que le séjour de la capitale avait perdus. Une histoire terrible, d’un jeune homme qui, s’étant déshonoré, n’osa plus se montrer et n’errait que la nuit, vint à mon secours pour achever celle du malheureux Edmond. Ainsi ce personnage romantique est un composé de vérités, dont ma propre vie a fourni la moitié des détails et le reste, non moins vrai, je l’ai pris à d’autres […] Les malheurs de ma sœur Marie-Genovèfe, violée par un prêtre, mariée ensuite à un cocher de fiacre, me fournirent l’idée de la corruption et des malheurs d’Ursule » (ibid., p. 912). — « Le Paysan est tout entier de mes aventures romanisées » (ibid., p. 313).

L’inspiration autobiographique est surtout sensible dans les trois premières parties, jusqu’à l’arrivée d’Edmond à Paris. Le roman s’engage ensuite résolument dans la fiction et exploite les procédés dramatiques et pathétiques dans le goût de l’époque. Les catastrophes débouchent sur la fondation d’une communauté paysanne dont un règlement minutieux (les « Statuts du bourg d’Oudun ») assure le bonheur, dans un monde désormais libéré des aventures et des drames. L’utopie est dans ce monde même, puisque Oudun existe, à deux lieues de Sacy.

Dans Mes Ouvrages, Rétif donne une longue analyse de l’histoire et des personnages, mais en considérant la réunion du Paysan-Paysanne, qui paraît en 1787 (voir infra le n° XXXIII).

« Le censeur D’Hermilly, à la première édition du Paysan, m’avait forcé de gâter le caractère du cordelier, de peur de choquer les cordeliers » (MN, I, p. 942).

Éditions (XVIIIe siècle)

 À noter qu’elles portent toutes sur la page de titre le millésime de 1776, sauf une contrefaçon de 1789 (n° 11 dans J.R.C.). Pour la 1re édition, J.R.C. donne des pages de titres avec des adresses différentes (p. 226-231). Beaucoup d’exemplaires sont le résultat d’assemblages divers. Il existe ainsi des exemplaires de la 1re édition avec les gravures de celle de 1782 (il en est ainsi pour le reprint Slatkine) ; un exemplaire de la BnF (cote : Rés. Z Le Masle 325) donne pour les trois premiers volumes le texte de l’édition de 1782, mais pour le 4e celui de la 1re édition ; de plus, parmi les gravures, au nombre de 29, 12 sont prises dans le Paysan, mais les autres dans la Paysanne et les Contemporaines. Un examen attentif des particularités des exemplaires de la BnF permet de déceler au moins cinq types d’édition.

Les contrefaçons furent nombreuses. À la fin du Quadragénaire (1777), Rétif en signale 6, faites « en province durant 1776 » ; en 1783, dans l’Avis précédant les Figures de la Paysanne (p. 1-2), il compte « dix éditions en France […] depuis 1776 ».

— 2e édition en janvier 1776, probablement. « L’édition était épuisée à Noël et on en fit une seconde » (Paysanne, IV, p. clxxvii). — « Six semaines après on en fit une seconde édition » (Vie de mon père, in fine). — « Dans la troisième semaine de la vente, environ le 25 novembre, je rencontrai Le Jay dans la rue de la Vieille-Bouclerie. « Je crois, me dit-il, que votre Paysan va prendre ; cela se remue fort !  » […] La vente fut rapide …] Comme au bout de six semaines l’édition tirait à sa fin, ce libraire me proposa de réimprimer. Je lui abandonnai cette seconde édition, qu’il fit à ses frais […] L’édition fut achevée en vingt jours ; je n’en pouvais plus de fatigue, car je corrigeai beaucoup de fautes et j’ajoutai près de vingt lettres » (MN, II, p. 259-260). En réalité, Rétif n’ajoute que trois lettres, la 128e et la 168e, plus une lettre finale, hors numérotation (J.R.C. décrit cette édition p. 231-232 et suppose que Rétif a voulu dire vingt pages, et non vingt lettres). Il est fait allusion à cette 2e édition dans la notice au verso de la page de titre des Figures du Paysan perverti : « Les deux faites à Paris dans les trois premiers mois sont épuisées ». Cette édition est très rare : un exemplaire se trouve à la Bibliothèque d’Auxerre et à celle de Montpellier ; elle semble absente de la plupart des grandes bibliothèques publiques. Sans doute est-ce elle qui fit l’objet d’une saisie au début de 1776, selon la Correspondance secrète de Métra : « Le Paysan perverti vient d’être arrêté comme un ouvrage scandaleux et contraire aux bonnes mœurs » (3 février ; écho repris encore le 9 mars).

—3e édition en 1780 : « Comme j’ignorais cette contrefaçon [de Delaporte], je réimprimai en troisième lieu deux années après, en 1780. Cette troisième édition se vendit lentement, parce que toute la province était inondée de contrefaçons, au nombre de plus de dix et que l’édition du malhonnête Delaporte, moins chère que la mienne, se vendait à Paris » (MN, II, p. 260). Il s’agit en fait d’une réimpression. Les deux exemplaires décrits par J.R.C. sous les nos 8 et 9 (p. 235-236) ne peuvent en aucun cas dater de 1780. En effet, ils intègrent les additions de 1782 et tiennent compte des corrections indiquées dans l’erratum de cette édition. Du reste, Rétif ne désigne pas toujours cette réimpression de 1780 comme une 3e édition. Il la considère comme telle dans la liste des ouvrages de La Malédiction paternelle (fin du volume III), dans celle de La Vie de mon père (3e édition, 1788), où celle de 1782 est qualifiée de 4e, ou encore dans Monsieur Nicolas : « Ce fut en 1782 que j’imprimai La Paysanne pervertie, immédiatement après avoir fini la quatrième édition du Paysan » (II, p. 352 ; voir aussi p. 356). Mais dans ces cas-là, il compte pour une édition celle de Delaporte (« Six semaines après on en fit une seconde édition, puis une 3e sans l’aveu de l’auteur, une 4e avec ses corrections et 82 figures », Vie de mon père). Mais à la fin de L’Andrographe, l’édition de 1782 avec ses 82 figures est présentée comme la troisième, et de même au verso de la page de titre des Figures du Paysan-Paysanne pervertis (1783), où il comptabilise deux éditions faites dans les trois premiers mois, la contrefaçon Delaporte et « celle faite dans une autre ville qui nous est inconnue, à laquelle nous avons renvoyé de préférence parce qu’elle est moins incorrecte et qu’elle a un erratum et qu’elle est celle dont on trouvera plus facilement des exemplaires ». On ne saurait mieux désigner l’édition de 1782. En définitive, le tirage de 1780 est identique en tout point à l’édition de janvier 1776.

— l’édition de 1782, la véritable 3e édition, marque une étape importante dans l’histoire du texte. Elle rétablit notamment tous les passages censurés. Rétif ajoute 31 lettres, ce qui porte le total à 286, le Père d’Arras et Gaudet sont fondus en un seul personnage, les additions sont nombreuses et tendent toutes, en fait, à restaurer le texte originel, mutilé par la censure en 1775. En outre, l’édition est illustrée de 82 gravures réalisées par Leroy et Berthet à partir de dessins de Binet. Enfin, elle contient, à la fin du dernier volume, un erratum et 11 « Lettres recouvrées » à placer dans le corps du roman. Il se trouve que les contrefaçons ont tenu compte de ces corrections et additions. Aussi sont-elles paradoxalement plus correctes que l’édition authentique.

La censure imposa la modification de deux gravures représentant Gaudet d’Arras en habit de cordelier, dans des scènes jugées indignes d’un état religieux : la 8e, où il montre à Edmond des dessins de femmes nues, et la 24e, où il lui présente Madelon Baron. Gaudet d’Arras se retrouve en habit séculier. « 1784 m’a vu tremblant […] pour mes figures du Paysan, dont quelques-unes m’ont fait redouter la censure ; j’ai fait gâter la robe de Gaudet d’Arras, etc. » (MN, II, p. 362). Le Journal fait état de ces inquiétudes en mars, octobre et novembre de cette année-là. Une troisième gravure dut aussi être corrigée, la 33e, dont la suggestion érotique est gommée.

— l’édition de 1787, qui réunit le Paysan et la Paysanne offre un 4e état du texte (voir infra la notice n° XXXIII).

Éditions modernes

— 1886, Éd. Kistemackers, Bruxelles, 2 volumes de 486 et 361 pages tirés à 500 exemplaires (texte de la 1re édition).

— 1977, Éd. « L’Âge d’Homme », Lausanne, 2 volumes de 483 et 444 pages, édition établie par François Jost, avec introduction de 30 pages (texte de l’édition de 1782 et reproduction des gravures).

— 1978, Union Générale d’Éditions, coll. « 10/18 », Paris, 2 volumes de 442 et 314 pages, édition établie par Daniel Baruch, avec introduction et dossier (texte de la contrefaçon Delaporte).

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 95 et 96 (texte de la 1re édition, mais avec les illustrations présentes dans l’édition de 1782).

— 2002, dans Restif de la Bretonne, Éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », t. I, p. 197-804, édition établie par Pierre Testud, avec préface, chronologie, notes et bibliographie ; texte de 1782 sans les gravures.

— 2010, Publications Lulu.com, éd. Norbert Crochet, 2 vol. de 496 et 436 pages. Entreprise éditoriale originale qui adapte le texte pour le rendre cohérent avec celui de la Paysanne (même travail sur la Paysanne par rapport au Paysan : voir infra la notice n° XXVIII).

 

Traductions

Dans l’ « Avis » précédant les Figures de la Paysanne (p. 1-2), Rétif signale 4 traductions allemandes et 42 traductions anglaises (répété dans La Vie de mon père : « Le Paysan, traduit en anglais, a eu 42 éditions »), mais personne n’en a jamais trouvé trace. Écrivant le 22 juillet au libraire Engelbrecht, il évoque un projet de traduction : « Quant au Paysan perverti, j’aurais bien aimé qu’on eût fait comme M. Powel de Londres qui, le voulant traduire, m’en avertit. Je l’ai prié de suspendre, m’étant proposé d’aller à Londres et de lui donner l’ouvrage tel qu’il avait été composé » (Correspondance, éd. cit., p. 88-89).

— 1784, Das Verderben des Landmannes, oder Die Gefahren der Stadt, 2 vol. de 320 et 206 pages. Traduction de Friedrich Ludwig Wilhem Meyer.

— 1786, Der Verfuhrte Landmann, Berlin, 4 volumes avec gravures.

— 1783-1788, Das Verderben des Landmannes, oder Die Gefahren der Stadt, dans Bibliothek der Romane, tomes X, XI, XII et XV.Traduction de von Reichard.

— 1784-1789, Der Verungluckte Bauer, oder Die Gefahren der Stadt , 4 volumes, traduction de K. C. Nencke.

— 1785-1791, Der Verungluckte Bauer, oder Die Gefahren der Stadt.

— 1800-1801, Der Ausgeartete Landsmann, oder Die Gefahren des Stadt, trad. par Zeitz, chez Wilhelm Webel, 8 volumes.

— 1800, Der Ausgeartete Landmann, oder Die Gefahren der Stadt, Leitmeritz.

— 1972, traduction jointe à celle de La Vie de mon père, éd. de Podguet, Volkov, Guounst et Bouatchidzé, Moscou.

Adaptations théâtrales

— par Rétif : Edmond ou les Tombeaux, tragédie en 5 actes, écrite du 2 juillet au 13 novembre 1791 et imprimée du 18 juin au 9 août 1792 dans le tome V du Théâtre, p. 177-221. « C’est une pièce à la Shakespeare, et encore moins régulière que celles de cet auteur anglais. La catastrophe du Paysan perverti en fait le sujet. Il y a par conséquent des choses touchantes. Mais tout cela est inconditum [sans art, sans recherche] » (Mes Ouvrages, p. 998). La pièce ne fut jamais représentée. Voir infra la notice n°XLV/P.

— le 24 juillet 1827, au Théâtre du Gymnase, est donnée la première représentation du Paysan perverti, ou Quinze années de Paris, « pièce en trois journées, par M. Théaulon. Première journée, L’Héritage, comédie ; deuxième journée, Le Lendemain d’un bal, comédie-vaudeville ; troisième journée, Le Vol, drame mêlé de musique […] ». « Les quatre tomes du Paysan perverti ont presque seuls, entre deux cents volumes, survécu à leur auteur, qui n’a plus aujourd’hui d’autre célébrité que celle du cynisme et du mauvais goût. C’est là sans doute que M. Théaulon est allé chercher l’idée première de sa pièce, idée qui n’a rien de neuf, mais qu’il a su rajeunir par la hardiesse du cadre dans lequel il l’a renfermée » (Journal des Débats du 26 juillet 1827). Dans son numéro du 22 août, le Journal du Commerce de la ville de Lyon, en signale la représentation à Lyon, vu « la célébrité dont jouit la pièce à Paris ».

C’est sans doute elle qui est traduite en russe en 1834 : Le Paysan perverti, drame en trois actes tirés du roman français de Restif de la Bretonne, par N. B. Moscou.

1787. Le Paysan et la Paysanne pervertis, ou les Dangers de la ville. Histoire récente, mise au jour d’après les véritables lettres des personnages.

16 Parties en 4 vol. in-12 de 542, 536, 552 et 550 pages. Avec 120 figures, 82 du Paysan et 38 de la Paysanne, brochées ou non avec le texte (« Ce grand ouvrage, qui n’est qu’à 10 livres aujourd’hui, sans figures, et à 25 livres avec toutes les estampes […] » (Vie de mon père). J.R.C. en donne la liste et les références de pagination (p. 299-301). Dans Mes Ouvrages (p. 988), Rétif dit que ce sont ses Contemporaines (auxquelles il joint Les Françaises et Les Parisiennes), qui « [lui] ont donné les moyens de faire graver les cent vingt figues du Paysan-Paysanne pervertis ».

Pour l’histoire de cette publication, il faut se référer à Mes Inscripcions et au Journal. Les dates que donne la Revue de La Vie de mon père, sous le titre Le Paysan-Paysanne pervertis, ne concernent que le Paysan (contrairement à ce que peut laisser croire J.R.C., p. 298).

Rétif a très tôt l’idée de réunir les deux ouvrages, car dès le 31 mars 1783 il note dans Mes Inscripcions : « Incep. Rust.-Rusticanam (commencement de l’impression du Paysan et de la Paysanne réunis). » À cette date, l’impression de la Paysanne n’est même pas achevée : elle le sera en mai. Mais le Paysan existe depuis 1782 dans son état complet. Sans doute est-ce cette restauration enfin devenue possible qui incite Rétif à envisager d’y associer la Paysanne, dont il commence l’impression tout de suite après. Le 31 mars 1783, il parle d’impression et non de composition : il faut en conclure que ce travail ne se fait pas sur un manuscrit, mais à partir des feuilles d’impression des romans précédents. Il prendra du temps, puisque ce n’est que le 1er février 1785 que Rétif note : « fin de la composition typographique du Pn-Pne ». D’autres travaux accaparent Rétif pendant cette période : La Prévention nationale, Les Veillées du Marais, la fin des Contemporaines et la rédaction de Monsieur Nicolas, entreprise en novembre 1783. Le Paysan-Paysanne ne lui paraît pas une priorité.

Le 7 juillet 1785, il apporte un exemplaire à Toustain-Richebourg (« Je donne à M. de Toustain Pn-Pne réunis », Mes Inscripcions). Toustain, censeur mais aussi ami de Rétif, ne donne pas suite. Mais Rétif est impatient : Mes Inscripcions révèlent qu’il vend secrètement quelques exemplaires : un le 6 mai 1786, puis un autre le 17 janvier, un autre encore le 9 février 1787. Le débit semble très modeste. Cinq jours plus tard, le 14 février 1787, il fait une nouvelle démarche auprès de Toustain : « Je vais porter Pn-Pne à M. Toustain ». Cette fois, le paraphe est donné dès le lendemain (« Toustain, paraphé Paysan-Paysanne »).

Cet ouvrage n’est pas simplement l’addition des deux précédents, mais le résultat d’une redistribution des lettres, revues, corrigées, augmentées, si bien qu’un nouveau roman voit le jour, constitué d’un nouvel état du texte du Paysan et de la Paysanne. En outre, Rétif y intègre des morceaux satiriques et philosophiques appelés juvénales, d’abord prévus pour un autre ouvrage, le Hibou, abandonné au profit des Nuits de Paris. « La morale de Gaudet d’Arras est développée dans les juvénales surajoutées à cette édition, qui aurait encore besoin d’être réimprimée une fois sous mes yeux » (MN, I, p. 942). Ssur ces juvénales, voir infra la notice n° L.

Dans Mes Ouvrages se trouve la présentation détaillée de la combinaison des deux romans et la table générale des matières (voir p. 919-953).

Éditions modernes

La plupart d’entre elles sont des abrégés de l’œuvre, comme le révèle d’emblée la pagination.

— 1888, Éd. A. Dupret, 1 vol. in-16 de XII-261 pages, par Maurice Talmeyr, qui déclare avoir voulu « fondre en un roman normal qu’on pourrait lire comme on lit un roman contemporain » les volumes de l’édition originale, jugés illisibles en l’état. Gil Blas publie une longue analyse de l’œuvre et en mars-avril le texte en feuilleton. Les comptes rendus dans la presse furent nombreux, et souvent élogieux sur le travail d’adaptation de Talmeyr. Bien des éditions abrégées furent ensuite fondées sur cette édition.

— 1891, Éd. Émile Dentu, in-16 de 309 pages, « Bibliothèque des Chefs-d’œuvre français et étrangers », associé à la Contemporaine La Perfide Horlogère.

— vers 1930, Éd. Nilsson, 1 vol. in-16 de 255 pages, s. d., avec 12 planches en couleur par Dmitrow.

— 1905, Éd. Mercure de France, coll. « Les Plus Belles Pages », in-18° de VIII-360 pages, où un extrait parmi d’autres extraits de l’œuvre de Rétif.

— 1931, extraits dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. VI, édition établie par Henri Bachelin. Reprint par Slatkine en 1978.

— 1932, Éd. Les Œuvres représentatives, 1 vol. in-12 de 291 pages. Précédé d’une étude de Maurice Talmeyr, avec des dessins de Jean Hee.

— 1936, Éd. Gründ, 1 vol.in-12 de 254 pages ; remise en vente de l’éd. Nilsson.

— 1945, Éd. Marcel Garnier, in-16 de 263 pages, ill. de Beuville.

— 1948, Éd. du Mouflon, in-4° de 194 pages. Ill. de Jacques Touchet.

— 1948, Les Pervertis, Éd. Libertines, in-8° de 126 pages.

— 1969, Éditions C.I.D., Bruxelles, 238 pages. Reprise de l’édition Gründ de 1936, avec suppression de la numérotation des lettres.

— 1988, Slatkine Reprints, 4 vol. sous les nos 91 à 94. Fondé sur un exemplaire complet de l’édition originale, avec les 120 figures.

— 2016, Éd. Honoré Champion, « Champion Classiques », 1 vol. de 1.462 pages. Édition critique établie par Pierre Testud, avec Introduction, bibliographie, notes, variantes. — Même édition, à la même date, en 2 volumes.

Traductions

1967, The Corrupted ones, trad. Alan Hull Walton, London, 223 pages.

1784. La Paysanne pervertie, ou les Dangers de la ville. Histoire d’Ursule R**, sœur d’Edmond, le Paysan, mise au jour d’après les véritables lettres des personnages.

8 Parties en 4 volumes in-12 de 344, 320, 320 et 336 pages, suivies dans certains exemplaires de la « Table des noms des personnages » et de celle des « noms des auteurs, artistes, acteurs et actrices dont il est parlé », p. 337-344, puis des pages clxix à ccxliv, contenant une « Revue des ouvrages de l’auteur », pagination qui fait suite aux pages I-CLXVIII des Figures du Paysan perverti (voir supra la notice XXVII).

Tiré à 3000 exemplaires (selon Monsieur Nicolas, II, p. 356, où il est dit que la veuve Duchesne lui achète « 3000 Paysanne »).

La page de titre contient une indication énigmatique : « avec 114 estampes », relevée ni par Lacroix, ni par J.R.C. La Paysanne est illustrée de 38 estampes. Si Rétif anticipe ici sur le Paysan-Paysanne (alors en cours d’impression), le total devrait être de 120.

« En 1780, je composai La Paysanne pervertie, qui n’est que le complément du Paysan. Ce fut l’ouvrage de trente jours ; je pris la plume le 1er septembre et le 1er octobre, j’écrivis sur la pierre à l’île Saint-Louis : Iâ 8bris heri fin Rusticanæ ». Ces dates sont confirmées par Mes Inscripcions : « Vers la pointe orientale de l’île, du côté du midi et vis-à-vis le commencement du jardin de l’Hôtel Bretonvilliers, se voit la date du 1er octobre, avec cette légende : Iâ 8bris 80 hodie finis Rusticanæ ».

« Mais aux relectures, j’y ajoutai beaucoup de lettres ; ce ne sont pas les bonnes cependant, à l’exception de celle de la mort de douleur, qui est du 14 octobre 1781. La Paysanne approfondit les caractères qui n’étaient qu’esquissés dans le Paysan : Fanchon, Pierre, Gaudet d’Arras surtout, y sont parfaitement achevés ; je ne parle pas d’Ursule et d’Edmond. Ces deux ouvrages, qui n’en sont réellement qu’un seul, sont peut-être la plus utile production qu’on ait mise au jour depuis le commencement du siècle » (Mes Ouvrages, p. 913).

La lettre que Rétif distingue est la 160e, intitulée « Pitoyable récit de la mort de douleur », mais d’après Mes Inscripcions, elle doit être datée du 14 octobre 1780, et non 1781 : « Plus bas encore [que l’inscription ci-dessus] on trouve : 14 8bris mors patris R** ; c’est la lettre intitulée la mort de douleur ». Quant à la complémentarité des deux ouvrages, elle est indiquée aussi au verso de la page de titre des Figures du Paysan et de la Paysanne pervertis : « Il est nécessaire d’avoir le Paysan sous la main en lisant la Paysanne ». Du reste, il prend la précaution de multiplier les renvois au Paysan dans les notes de la Paysanne.

 « Ce fut en 1782 que j’imprimai La Paysanne pervertie, immédiatement après avoir fini la quatrième édition du Paysan » (MN, II, p. 352). Il note dans Mes Inscripcions, à la date du 3 février 1782 : « Hodie prima pagina Rusticanæ (aujourd’hui, dimanche sexagésime, 3 février, la première page de la Paysanne est composée à l’imprimerie). » « Je finis l’impression de La Paysanne pervertie au mois de mai 1783 » (ibid., p. 355). Elle est illustrée de 38 estampes.

Cependant l’ouvrage n’est mis en vente que le 8 août 1785 (Mes Inscripcions).

Ce retard est le résultat de durables démêlés avec la censure. « […] le 5 juin 1783, sur le rendu compte gauche de l’abbé Terrasson, la Paysanne fut rayée tout imprimée du Registre des permissions par le Garde des Sceaux Miromesnil et son acolyte Néville » (MN, II, p. 963). L’abbé Terrasson « demanda peu de cartons pour la Paysanne, mais il fit bien pis ! Il rendit de cet ouvrage, imprimé, un compte tel que le directeur Néville le fit rayer de la feuille des permissions, et c’est depuis ce moment que toutes les nuits, en m’éveillant, je m’écriais : « Ah ! ma vie est empoisonnée ! » (ibid, p. 353). « Il fallut toute la bonne volonté du directeur général Villedeuil, et les démarches ardentes du citoyen Toustain-Richebourg pour me tirer de ce mauvais pas. J’étais imprimé, les estampes gravées » (ibid., p. 71 en note) et il avait dans cette édition « mis tout son avoir » (Mes Inscripcions, 3 juin 1783). Toustain-Richebourg, ami de Rétif et lui-même censeur, parapha l’ouvrage en mars 1785, dès lors autorisé « par le ministre Villedeuil sous le titre des Dangers de la ville, qui n’en était que le sous-titre, ainsi que du Paysan […] On vend depuis quinze jours, aujourd’hui 21 auguste 1785, et à chaque instant je tremble qu’une suspension fatale ne me réduise à la misère ! » (Mes Ouvrages, p. 963).     

Le changement de titre demandé venait d’une requête de Nougaret, qui avait publié en 1777 une Paysanne pervertie. Une « profanation » dit Rétif (MN, II, p. 262), qui s’en indigne dès 1778 dans une note du Nouvel Abeilard, dénonçant un livre « pitoyable » (vol. IV, p. 149), puis dans La Prévention nationale en 1784 (« un chef-d’œuvre de ridicule, de platitude et d’invraisemblance » (vol. III, p. 404)., Rétif se déclare finalement satisfait de ce titre, « titre qui convient mieux encore et que l’on a mis à l’édition de 1785» (Mes Ouvrages, p. 919 ; voir ci-dessous « Éditions »).

Rétif était particulièrement fier de sa Paysanne : « C’est l’ouvrage de prédilection l’auteur, qui l’a beaucoup plus pensée que Le Paysan perverti. On assure qu’il a composé plus de 160 pages du manuscrit, c’est-à-dire près de la moitié de l’ouvrage, la larme à l’œil et le cœur gonflé. Cette production, qu’on peut juger à présent, est parfaitement dans le style du genre : l’auteur sait y varier si bien le langage des différents acteurs que si ces lettres ne sont pas vraies et qu’il les ait véritablement composées, on peut dire qu’il n’y a rien au monde d’aussi vraisemblable » (Paysanne, IV, p. ccxxxiv). Rétif rapporte dans Monsieur Nicolas ( II, 369) le succès d’une lecture, le 30 avril 1784 chez Le Pelletier de Morfontaine, de la lettre de Fanchon (la 13e lettre) : « Cette lettre fit une impression prodigieuse ! M. de Morfontaine s’écriait à chaque trait : Quelle vérité ! Quel naturel ! ». Autre lecture de la même lettre chez Guillebert de Préval, « vers le 20 janvier » 1785 : « Mon ami Guilbert de Préval connaissait ma belle lettre de la Paysanne, qui ne paraissait pas encore ; il l’avait en épreuve ; il la lut avec enthousiasme (c’est la même qui avait été lue à Mme de Mntlbrt [Montalembert]. Oh ! comme elle fut applaudie ! » (MN, II, p. 379). En novembre 1783, à un journaliste qui lui avait demandé quelques récits, Rétif répond : « Monsieur, je n’ai rien qui puisse entrer dans le Journal des Deux-Ponts […] Cependant, il se trouve plusieurs lettres, dans un de mes ouvrages non publié, qui me paraissent de nature à faire sensation […] Je suis prêt à en envoyer une ; on m’en demandera d’autres si l’on est content. L’ouvrage est intitulé La Paysanne pervertie » (Correspondance, éd. cit., p. 249).

Dans Les Romans, il prête à Marivert-Courtenay ces propos : « Le Paysan m’a frappé, il m’a saisi ! Jamais aucune lecture ne m’a fait une impression si profonde ! Mais lorsque dans la Paysanne j’ai vu les lettres de Fanchon, femme de Pierre, j’ai été tenté de m’agenouiller ; mon âme s’est élancée vers l’Être suprême et je l’ai béni d’avoir formé des cœurs aussi bons que ceux de la mère Rameau et de sa vertueuse bru Fanchon Berthier ! Âmes froides, âmes stagnantes, lisez, lisez la lettre de l’arrivée d’Edmond chez ses bons parents à sa convalescence [la lettre 13], et dites-moi s’il est, s’il fut jamais, aucun ouvrage où la bonne nature soit peinte avec autant d’action et de vérité ! Quelle piété touchante ! Quelle tendresse maternelle ! Quelle paternelle autorité ! Quel respect filial ! Âmes de boue des grandes villes, lisez cette lettre pour vous élever au-dessus de vous-même, pour sentir la dignité de la nature humaine, et combien elle est aimable et bonne quand elle n’a pas encore été corrompue par les vices qui vous dénaturent ! » (Les Françaises, vol. III, p. 249).

Rétif vante encore sa Paysanne dans le « Dialogue entre un médecin et l’éditeur » : « C’est le pendant du Paysan perverti, mais la Paysanne est de beaucoup supérieure à son frère par le soutenu des caractères, la précision et la rapidité des dialogue, par l’attendrissant, le fort, le terrible, le déchirant. Les principaux personnages s’y montrent mieux et plus décidément que dans Le Paysan perverti » (Contemporaines, éd. orig., vol. 30, p. 564).

Éditions (XVIIIe siècle)

Sous le titre Les Dangers de la ville, il y eut des exemplaires avec la date de 1784, où « les titres ont été collés contre les anciens » (J.R.C., p. 291, n° 2) et d’autres avec celle de 1785 (ibid., n° 3). Sous le titre de La Paysanne pervertie J.R.C. recense 3 contrefaçons, identiques à l’édition originale, sauf parfois pour les pages finales (Tables et Revue des ouvrages).

Rétif considère comme une 2e édition le texte de l’édition globale (MN, II, p. 356) : « Réunie à la 5e édition du Paysan en 1787, au mois de février » (Vie de mon père).

Éditions modernes

— 1846, Les Dangers de la séduction et les faux-pas de la beauté, Éd. Les Marchands de nouveautés, 1 vol. in-18 de 178 pages. La forme épistolaire est supprimée au profit d’un récit.

— 1883, Éd. J.J. Gay, Bruxelles, 4 vol. in-12 de 242, 247, 230 et 248 pages, avec 8 planches en héliogravure. Édition intégrale, moins les Tables et la Revue des ouvrages.

—1957, 4 vol. en feuilles libres sous emboîtage, ill. de Siaens, Dalvimare, Sebregts, van Melkebecke et Acket, aux Éditions J.L. Kellincks, Belgique. Tiré à 1000 exemplaires. Un cinquième volume de planches était annoncé.

— 1959, Cercle du Livre Précieux. 1 vol. de XXVI-492 pages. Préface d’André Maurois.

— 1976 (rééd. en 1990), Éd. Garnier-Flammarion, 1 vol. 572 pages. Préface de Béatrice Didier.

— 1976, Éd. Union Générale d’Édition, « Le Dix-Huitième en 10/18 », présentation de J. et C. Beaufort et Jean-Noël Pascal. Dans le même volume : La Vie de mon père.

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 97 et 98. Complet des Tables et de la Revue des ouvrages.

— 2010, Éd. Norbert Crochet, 2 vol. de 336 et 344 pages. Entreprise éditoriale originale : voir supra la notice du Paysan perverti (n° XIV).

— 2018, éditeur CreateSpace, Independent Publishing Platform, 1 vol. de 592 pages.

Traductions (source : J.R.C., p. 294)

— 1784, Die Gefahren des Stadt, Hartnoch, Riga.

— 1785, Die Gefahren des Stadt, Hartnoch, Riga.

— 1786, Das Verfuhrte Landmadchen, oder die Gefahren der Stadt, Berlin und Libau, chez de Lagarde und Fridrich, 4 vol. in-12 de 204, 235, 232 et 224 pages, avec 4 frontispices de l’édition originale.

— 1789, Das Verfuhre Landmadchen, Rothe, Gera.

— 1790, Das Landmadchen bei Dresden, oder die Gefahren der Residenz, Beckmann, Gera.

CD-Rom

— 1999, dans l’ Encyclopédie de la littérature française, 171 œuvres en texte intégral dont La Paysanne pervertie (distribué par Bibliopolis).

Adaptations théâtrales

— 18 octobre 1851, création, au Théâtre de la Gaieté, de La Paysanne pervertie, de Dumanoir et d’Ennery, drame en 5 actes. — La pièce a du succès, d’après les comptes rendus dans la presse : « Habiles dramatistes comme on les connaît, ces messieurs ont peu emprunté au roman vigoureusement, mais brutalement tracé par Rétif de la Bretonne, qui trop souvent se complaît aux scènes de débauche et aux tableaux lascifs. » (Le Moniteur universel, du 20 octobre) ; dans L’Ordre du même jour, le journaliste félicite les auteurs de s’être affranchis des « inventions abominables de Rétif : « Tout au contraire, le drame de MM. Dumanoir et Dennery est d’une honnêteté à peu près complète ; on y répand tant de larmes, je le répète, que le théâtre, quand tous les acteurs étaient sur scène, ressemblaient à un champ planté de saules pleureurs » ; dans Le Siècle du 27 octobre, Matharel de Fiennes note que « du roman La Paysanne pervertie, il n’y a sur la scène que le titre ; on pourrait même avancer que si les auteurs l’ont choisi, c’est que, comme tant d’autres, ils n’avaient pas lu le livre » ; dans Le Républicain populaire et social du 8 novembre, le journaliste remarque que les auteurs « n’ont pas eu le courage de reproduire le tableau vrai de la paysanne brutalisée, bâtonnée, baillonnée, torturée, écalventrée par les seigneurs d’avant 89 ».

Adaptation cinématographique

— 1985, La Femme pervertie, film de Joé d’Amato, co-production franco-italienne, Éditeur : Carrère vidéo. « Librement adapté de l’œuvre de Restif de la Bretonne ». À part les noms des héros, Edmond et Ursula, ce film érotique, interdit aux moins de 18 ans, n’a pas de rapport avec le roman (voir dans Études rétiviennes n° 2, mars 1986, Michel Doumas, « Sur l’utilisation racoleuse du nom de Restif de la Bretonne »).

1788. Le Père valet, ou l’Épouse aimée dans son fils

Cette pièce est écrite du 20 novembre au 27 décembre 1788, et imprimée du 28 mars au 28 mai 1789 ; elle est placée dans le volume III du Théâtre, p. 1-152.

Dans Mes Ouvrages, Rétif lui donne ce titre : Le Père valet, ou l’Épouse aimée après sa mort ; c’est le titre de la 53e Contemporaine (éd. cit., t. III, p. 1235-1249), d’où la pièce est en effet tirée.

« Comédie en 3 actes très longs et qui en valent 5 » (Mes Ouvrages, p. 997). C’est « celle que je prise davantage », après Les Fautes sont personnelles (« Nouvel Avis » en tête du tome I).

 « Prologue. Le singulier ouvrage dont on va donner une représentation, est un de ces traits rares, en partie, et très ordinaires dans l’autre sens. Rarement un père s’est fait le valet de son fils pendant 25 ans, parce qu’il avait adoré une épouse à laquelle il devait tout. Mais très communément, on a vu des maris négliger une épouse aimable et vertueuse. Très souvent, il s’est trouvé des âmes basses, nées dans la servitude, qui se sont fait un devoir de servir les passions de leurs maîtres, quoiqu’il soit très rare de trouver une femme comme celle de cette comédie. On trouvera donc dans un fait unique peut-être, ou du moins très extraordinaire, des leçons sur la conduite journalière. Puissent celles-ci vous être présentées de manière à vous plaire, et par-là devenir efficaces ! »

Le catalogue de la BnF indique une édition séparée du Père valet, sans lieu ni date, dans le format in-18, dont ni Lacroix ni J.R.C. ne font mention.

1996. Philosophie de Monsieur Nicolas, par l’auteur du Cœur humain dévoilé. À Paris, de l’Imprimerie du Cercle Social.

3 Parties en 3 volumes in-12 de XLIV et 24, 284 et 268 pages. Les XLIV pages sont occupées par 6 pages d’ « Éclaircissements » et une « Table des matières » détaillée des 465 chapitres (en fait 475) de l’ouvrage.

Le titre est trompeur. Ces trois volumes ne traitent que de la Physique. Pour être complète, cette Philosophie doit être suivie de Ma Morale, Ma Religion et Ma Politique, qui seront des annexes de Monsieur Nicolas.

Une première mention de la Physique se trouve à la date du 8 décembre 1785 : « Cette nuit, songé à ma Fisique, à lire chez mr le Prévôt des mds [marchands] ». Mais il s’agit alors du texte qui sera placé dans l’épisode d’Épiménide des Nuits. La rédaction en commence en le 11 décembre 1785 : « écrit dix pages de ma Physique » ; 1785 se trouve du reste inscrit à deux reprises dans le texte lui-même (voir vol. I, p. 21-22 et 117). Elle semble traîner jusqu’en janvier 1787. Ce n’est que quatre ans plus tard, en mai 1791, que Rétif reprend son texte et le relit en vue d’une seconde mouture plus développée, celle qui est dans la Philosophie de Monsieur Nicolas sous forme de traité. La rédaction se poursuivra jusqu’en 1795.

 Il semble que Rétif se soit d’abord adressé, pour l’impression, à un certain Beaugirard (voir les dates du 21 au 25 juillet), mais il note le 3 août dans son journal : « Beaugirard s’est dédit, suis au désespoir ». Il entreprend tout de même l’impression, sans doute sur sa presse personnelle, puisque le 1er novembre il note : « 1re E ; 2de B Fisique » ; la feuille E correspond aux pages 97 à 120.

Quelqu’un vient à son aide lors d’un dîner chez Mercier, le 25 décembre 1795, au cours duquel Rétif lit « les titres de [sa] Fisique ». Il s’agit de Nicolas de Bonneville (1760-1828), un ami de Mercier. Bonneville est écrivain, journaliste, traducteur, franc-maçon, libraire, imprimeur. Ce personnage original, bizarre, curieux de tout ce qui sort de l’ordinaire, avait fondé en 1790, avec l’abbé Fauchet, le Cercle Social, club politique, doté d’une imprimerie d’où sortit notamment, de 1796 à 1799, le journal Le Bien informé (dont Rétif fut un abonné). Séduit, Bonneville achète le manuscrit et prend en charge son impression.

Elle commence le 4 mai 1796 : « 1re épreuve de la Physique ; bu avec Bonneville. » L’ouvrage paraît à la fin du mois d’octobre : « […] ma Philosophie, dont la Physique a paru ces jours-ci », lit-on dans Monsieur Nicolas, dans un passage daté du 1er novembre 1796 (M N, II, p. 255).

Bonneville avait visiblement envisagé de mettre en vente à ce moment-là ce que Rétif avait déjà imprimé de son Monsieur Nicolas, soit les huit premières parties (ou volumes), malgré le caractère incomplet de la publication ; la huitième partie s’arrête en effet dans la VIe Époque, dont elle ne représente que le cinquième (voir ci-après la notice n° XLIX sur Monsieur Nicolas).

C’est pourquoi sur la page de titre de la Philosophie on a, au lieu du nom de Rétif : « par l’auteur du Cœur humain dévoilé ». Or nul n’a encore eu connaissance de cet ouvrage. Les « Éclaircissements » qui servent de préface ne mentionne pas davantage Rétif ; ils signalent que cette Philosophie « fait partie d’un ouvrage considérable, important, unique dans notre littérature, intitulé Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé » (I, p. V), tout en apportant cette précision chronologique : « Il aurait peut-être été plus naturel de publier le Cœur humain dévoilé avant la Physique. Mais l’éditeur ne connaissait pas le premier ouvrage, que le second lui a donné l’envie de lire. Alors surpris, étonné, il en a senti toute la force, toute l’utilité, tout l’extraordinaire et nous a engagé à le publier » (ibid., p. VI-VII).

Mais en liant le destin de Monsieur Nicolas à celui de la Philosophie, Bonneville commit une lourde erreur, parce que la Philosophie fut très mal accueillie par la critique et entraîna Monsieur Nicolas dans son naufrage.

Le texte des « Éclaircissements », qui est peut-être de Bonneville, vante ainsi l’ouvrage : « La Philosophie de M. Nicolas donne un système complet de la Nature, montre dans l’auteur l’imagination la plus féconde et des lumières qui ne sont pas ordinaires. Il a tout lu, après avoir travaillé, mais ce qui prouve combien son imagination est heureuse, et combien tout à la fois, elle est juste et pénétrante, c’est qu’il n’a rien eu à changer au fond de son système quand il a eu lu » (p. VIII-X). Et dans la XIe juvénale, « Immoralité folle des athées », datée de 1797, Rétif écrit plus personnellement : « En publiant ma Philosophie du Monsieur Nicolas […] j’avais deux motifs : le premier, de présenter un système complet de l’Univers, qui répondît à tout ; le second, de prendre la mesure de tous nos prétendus savants. J’ai parfaitement réussi en atteignant le double but que j’avais envisagé ; j’ai donné un système de l’Univers le plus complet qui ait jamais paru ; je l’ai donné dégagé de toutes les épines de la géométrie et des fables de la métaphysique. Lorsqu’on a lu ma Physique, on peut se rendre un compte satisfaisant de l’existence de tout ce qui est » (MN, II, p. 1049).

Cubières prête ces propos à Bonneville : « J’avoue que cet ouvrage n’a laissé dans mon souvenir que des notions un peu confuses, et que je l’ai beaucoup admiré sans y rien comprendre. Je compte pourtant le relire » (Histoire des Compagnes de Maria, I, p. 111). En note, Cubières proteste : « M. Bonneville parle ici trop légèrement de la Philosophie de Monsieur Nicolas ; c’est un des plus beaux ouvrages de Restif de la Bretonne », mais il se dérobe en ajoutant : « Je l’analyserais, si je n’étais pas resserré dans des bornes trop étroites. »

Paul Lacroix affirme que cet ouvrage n’est pas de Rétif, mais tout entier de Nicolas de Bonneville, avec la collaboration d’Arthaud de Bellevue. Il n’en est rien.

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol., sous les nos 99 (pour la 1re Partie) et 100 (pour les 2e et 3e).

Traduction

— 1802 et 1803, Restif’s Philosophisches Sistem der gesammten Phisik oder Philosophie des Herrn Nikolas. Erster Theil, Glogau, Neue Gunthersche Buchhhandlung ; 2 parties en 2 volumes de VI-310 et 290 pages. Traduction de von Gerstener.

1789. Le Plus Fort des pamphlets. L’ordre des paysans aux États généraux.

Brochure in-8° de 80 pages, sans nom de lieu ni d’éditeur, portant sur la page de titre la date du 26 février 1789 (date répétée dans le texte, p. 69), et un nom : Noillac. Ce Noillac est présenté à la fin avec tous ses prénoms : Bénigne-Victor-Aimé, ancien soldat, à présent laboureur, « originaire du Val-du-Puits en Paillaux, diocèse d’Autun ». Le nom sonne comme une anagramme : on peut y voir Caillion (à une lettre près), prote chez l’imprimeur Grangé, ou plus approximativement, Nicolas. Mais il est plus probable que soit ici désigné Caillion, qui travaille alors sur la fin de l’impression des Nuits, et auquel Rétif a voulu jouer un tour.

Tabarant (op. cit., p. 369) trouve que Lacroix « attribue légèrement » à Rétif ce pamphlet. Mais Lacroix a raison, bien qu’il avoue n’avoir pas eu l’occasion d’examiner l’exemplaire, cité dans un catalogue de livres en 1869. Entre autres arguments, signalons cette note du Journal,: « Pt [pamphlet] paraît », à la date du 26 février 1789, qui est précisément la date inscrite sur la page de titre. Curieusement, J.R.C. n’en fait nulle mention.

Jean-Claude Courbin, dans un article paru en 1960 dans le Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, a été le premier à en décrire un exemplaire et à montrer sa parenté avec Le Thesmographe.

L’examen plus précis du texte amène à constater que ce pamphlet, d’abord Demandes aux États généraux, en englobe un autre, intitulé Très Humbles Remontrances au public, « petit pamphlet que je fis il y a six mois », qui occupe près de la moitié de la brochure (p. 15 à 52, soit 38 pages sur 80). Ces « six mois » renvoient à septembre 1788. Un arrêt du Conseil du 8 août précédent venait de convoquer les États généraux pour le 1er mai 1789. Ce « petit pamphlet est une fervente défense du pouvoir royal ; on sent que Rétif redoute que les États généraux n’affaiblissent ce pouvoir.

Les Demandes, datées du 26 février, sont écrites au moment où commence le processus électoral. Elles sont donc, comme les Remontrances, antérieures à l’ouverture des États généraux le 5 mai. L’un et l’autre textes sont assurément de la plume de Rétif, et l’on y retrouve les principes du projet de société exposés dans L’Andrographe et Le Thesmographe.

Rétif énumère, non sans répétitions, les réformes à ses yeux essentielles : l’instauration d’un ordre des paysans, du mariage des prêtres, du divorce, la suppression du monachisme, un nouveau code criminel, l’égalité devant l’impôt, le vote par tête, la suppression des droits seigneuriaux, la remise à l’État des biens du clergé, et un 5e ordre, celui des mères.

Un exemplaire est consultable sur Gallica.

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1789, juin-juillet, réédition sous le titre : Le Coup de grâce. Quérimonie aux États généraux. La date ne peut être précisée, mais elle est postérieure aux premières séances des États généraux et antérieure à la prise de la Bastille. Rétif n’en fait aucune mention dans son journal. Est-ce une initiative de l’imprimeur Cordier ? Les changements ne concernent que les trois premiers paragraphes et rendent le texte plus polémique (voir à ce sujet « Une édition méconnue du Plus Fort des pamphlets », Études rétiviennes n° 53, déc. 2021, p. 243-248).

La BnF n’en conserve aucun exemplaire, contrairement à la British Library.

Éditions modernes

— 1967, Éditions d’Histoire Sociale (EDHIS), in-16, reproduction en fac-similé.

— 1969, dans Les Gauchistes de 89, Éd. U.G.E, coll. « 10/18 », édition établie par Patrick Kessel.

1769. Le Pornographe, ou Idées d’un honnête homme sur un projet de règlement pour les prostituées, propre à prévenir les malheurs qu’occasionne le publicisme des femmes. Avec des notes historiques et justificatives. Faux-titre : Idées singulières (cet ouvrage est le premier des 6 volumes de la série des Idées singulières).

1 vol. in 8° de 368 pages, en 2 Parties, la 2e contenant les notes et portant le faux-tire : Le Pornographe ou la Prostitution réformée. Tiré à 2000 exemplaires. Dans la Revue du Quadragénaire, on lit : « Ce volume a près de 600 pages et le débit en a été rapide, malgré les contrefaçons de province. » Le chiffre de 600 est tout à fait fantaisiste.

« Ce fut au commencement de 1769 […] que je m’occupai sérieusement du Pornographe […] Je n’entrerai pas ici dans le détail de ce que renferme un ouvrage dont il existe plusieurs éditions, et qui est entre les mains de mes lecteurs. Je dirai seulement que c’est peut-être, de tous les projets moraux donnés au gouvernement, le plus utile et surtout celui qui demande une exécution prompte. Au bout de trois mois de travail sur mon ancien manuscrit, qui fut entièrement refait, l’ouvrage fut redonné à la censure […] J’obtins, par le crédit de Valade, M. Marchand, qui le parapha et en rendit au lieutenant de police de Sartine un compte avantageux. On imprima en avril, mai et juin » (MN, II, p. 199).

 « Le Pornographe parut à la fin de juin [1769]. Une délation secrète manqua de le faire supprimer avant qu’il eût vu le jour » (Paysanne, IV, p. clxxiii). Cette délation était le fait de Quillau et de son prote Domenc. Dans la Revue de La Vie de mon père, Rétif indique : « A paru en juillet 1769 ».

« Cet ouvrage fut commencé immédiatement après La Famille vertueuse ; mais ce n’était qu’une espèce de croquis, écrit dans ma nouvelle orthographe, de sorte que le commissaire Chenu, qu’on me donna pour censeur, ne put pas le lire […] De retour à Paris, je publiai Lucile, Le Pied de Fanchette, La Confidence nécessaire et La Fille naturelle. Ensuite je m’occupai du Pornographe, que je refis entièrement, et que le censeur Marchand approuva […] La vente, une fois ouverte, fut très rapide […] Je fus souvent témoin secret, sous mon habit d’ouvrier, de ce que disaient les acheteurs : les uns disaient que j’étais un fou ; les autres, un indécent punissable ; quelques-uns me faisaient l’honneur de me regarder comme le propagateur zélé du libertinage. Jamais projet utile ne fut plus mal accueilli : à peine se trouva-t-il trois ou quatre têtes saines dans la capitale qui me rendissent justice. Ce fut autre chose dans les provinces : presque tout le monde sentit l’utilité de mon projet, et les contrefaçons de mon ouvrage rapportèrent beaucoup plus aux brigands qu’à moi l’édition première » (Mes Ouvrages, p. 902).

Rétif propose de créer, à l’initiative et sous l’autorité de l’État, des établissements de prostitution nommés parthénions, régis par un conseil d’administration de douze citoyens choisis parmi les plus honorables. Aucune prostitution ne sera tolérée en dehors de ces parthénions. Des « gouvernantes » dirigeront ces maisons publiques et veilleront notamment à l’état sanitaire des filles et de leurs clients, afin de maîtriser le fléau des maladies vénériennes.

Il évoque à plusieurs reprises « la dangereuse fréquentation des filles publiques à laquelle [l’] avait nécessité la composition du Pornographe » (MN, II, p. 742 ; voir aussi ibid., p.177-178 et 321, 759). Il se sentit récompensé de ses efforts en lisant dans la Gazette de Leyde, le 27 décembre 1786 (Journal) que l’empereur d’Autriche, Joseph II, allait appliquer dans ses États le plan du Pornographe. Cette nouvelle figure en effet dans le n° du 22 décembre, où est envisagée la possibilité « d’adopter le projet exposé dans une brochure intitulée Le Pornographe et d’établir quatre maisons de prostituées » à Vienne. Rétif ne douta pas de l’exécution de son projet (« Joseph II l’a exécuté », MN, II, p. 903). On ne sait ce qu’il en fut, mais du moins peut-on dire que Rétif ne fut pas victime d’une mystification, comme on l’a cru longtemps.

 

Éditions (XVIIIe siècle)

— 1774 [millésimée 1770], 2e édition de 472 pages (« gros volume in-8° », lit-on dans la revue de La Vie de mon père). « Je fis en 1774 une seconde édition du Pornographe, infiniment supérieure à ma première édition et aux contrefaçons. C’est la seule qui existe aujourd’hui. Le plan même de réformation y est corrigé, les notes augmentées des trois quarts, et les améliorations de style sans nombre » (Mes Ouvrages, p. 903). On y trouve une addition : Lit de justice et d’amour, ou Code de Cythère (p. 389-476), d’un certain Pierre Moët, texte qui avait paru en 1746. Dans Le Paysan perverti (lettre 154, 176 dans l’édition de 1782 et 332e dans Le Paysan-Paysanne pervertis), Edmond s’attribue la paternité de ce texte.

— 1776, 3e édition, de 492 pages. Elle se caractérise par l’addition de la note Q (pages 477-492), sorte de carnet d’adresses des bordels de la capitale et recueil d’anecdotes relatives à ce milieu. Cette note est reproduite dans Études Rétiviennes n° 33, déc. 2001, p.148-170.

Éditions modernes

Le malentendu sur le titre a fait considérer l’ouvrage comme relevant du domaine de la littérature érotique et sulfureuse. D’où un nombre important d’éditions, malheureusement toutes faites sur celle de 1769, la moins intéressante.

La liste suivante n’est sans doute pas exhaustive.

— 1879, Bruxelles, Gay et Douce éditeurs, 1 vol. in-12 de 213 pages, avec une étude d’Henri Mireur.

— 1911, « Bibliothèque des Curieux », coll. « Les Maîtres de l’amour », Le Pornographe, L’Anti-Justine, Dom B… aux États généraux, éd. Bagneux de Villeneuve ; avec la Notice de Cubières prise dans le vol. I de l’Histoire des Compagnes de Maria.

— 1931, dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, tome III, texte et notes par Henri Bachelin (extraits).

— 1953, Éd. Arcanes, reprise de l’édition de 1911.

— 1977, édition de Régine Desforges, avec une préface de Béatrice Didier.

— 1978, Slatkine Reprints, reprise du volume de l’édition d’Henri Bachelin.

— 1983, Éd. d’Aujourd’hui, reprint de l’édition de 1879 (sans la préface d’Henri Mireur).

— 1985, éd. Fayard, collection « L’Enfer de la Bibliothèque nationale », t. 2, « Œuvres érotiques de Restif de la Bretonne », associé à L’Anti-Justine et Dom Bougre aux États généraux. Bel exemple d’imposture éditoriale, malgré la qualité des préfaces et des bibliographies. — Ce choix de textes est repris de l’édition B. de Villeneuve en 1911.

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n°102. Texte de la 1re édition.

— 1994, Éd. G. Rondeau, 125 pages, avec le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale par Joël Le Tac en 1979, relative à l’exercice de la prostitution.

— 2003, Éd. 1001 Nuits, 135 pages, postface d’Alexandrine Duhin.

— 2011, Éd. Lulu.com, adaptation du texte par Norbert Crochet, 196 pages.

— 2012, 2016, éditions BnF – Hachette Livre, livres numérisés à la demande et diffusés par Hachette.

— 2017, reprint par « Forgotten books », Fb&c limited éditeur.

Traductions

— 1918, Der Pornograph, Hyperionverlag, Berlin, 1 vol. de 183 pages, trad. de Alfred Semereau.

— 1924, Il Pornografo, trad. Giogio Varchi, éd. Corbaccio, 235 pages. Texte de la 2e édition comprenant le Code de Cythère.

— 1935 (environ), Il Pornographo, I Classici dell’Amore, Studio Editoriale Corbaccio, Milano.

— 1993, Il Pornografo, éd. ES, 202 pages.

—1997, traduction japonaise par Yuji Ueda, dans la collection Voyages aux Utopies, t. 15, Tokyo Iwanami shoten, p. 1-131.

— 2011, El Pornografo, trad. de Lydia Vazquez, avec préface et notes, Madrid ADE.

1802. Les Posthumes, Lettres reçues après la mort du mari par sa femme qui le croit à Florence. Par feu Cazotte. — Faux-titre : Lettres du Tombeau ou Les Posthumes.

Dans Mes Ouvrages (MN, II, p. 1001), le titre est : Lettres du tombeau reçues par la femme après la mort de son mari qu’elle croit vivant.

« Imprimé à Paris, à la maison ». — 4 Parties en 4 volumes in-12 de 356, 360, 360 et 335 pages, avec une gravure en tête de chaque volume. Ces gravures sont anonymes, mais on peut supposer que le graveur en a été Berthet. Elles manquent souvent.

Cazotte avait été guillotiné le 25 septembre 1792 comme théoricien de la contre-révolution, mais c’est au passionné de sciences occultes, au membre de la secte des Martinistes, que Rétif attribue son ouvrage. Cazotte avait été l’initiateur en France du conte fantastique avec son Diable boiteux, en 1772. Il s’était acquis aussi une réputation de prophète et de visionnaire. Dans une préface, Rétif (qui ne se nomme jamais), écrit : « Cazotte, auteur de cet ouvrage, se disposait à le publier lorsqu’un tribunal sanguinaire la priva de la vie. Nous nous connaissions depuis 1786, que nous soupions ensemble deux fois par semaine, ensuite par décade, chez la comtesse de Beauharnais. Il m’aimait, il aimait mes ouvrages et me prévenait en tout. Il me remit son travail quand il eut des craintes d’être arrêté. Il me chargea de le publier sous mon nom, croyant alors que ce serait un moyen de succès et d’éviter la persécution. Ces deux motifs n’existent plus : ma réputation est tombée et Cazotte est réconcilié avec ses juges comme avec ses bourreaux. Il les remercie de l’avoir fait vivre plus tôt de l’heureuse vie décorporée. Car nos âmes à tous doivent, suivant la doctrine des Illuminés, dont il était un des zélés partisans, exister durant un siècle au-dessus de la calotte de l’atmosphère du lieu qu’elles ont habité pendant leur encorporation […] Pour moi, son ami, je rends aujourd’hui à son auteur sa gloire et son ouvrage. » (Posthumes, vol. I, verso de la page de titres).

Rétif se réclame ici d’une amitié dont ni Monsieur Nicolas, ni son journal ne donnent témoignage. Mais il est exact qu’il fit la connaissance de Cazotte dans le salon de Mme de Beauharnais, et que c’est dans ce salon (où Rétif fut présenté en juin 1787) que l’ouvrage trouve son origine : « J’allais tous les vendredis souper chez la comtesse de Beauharnais, qui m’en avait donné le sujet. Je composais tous les soirs une seule lettre, de sorte que tous les vendredis je portais mes six lettres avec moi et je les lisais après souper. Elles faisaient ordinairement une forte impression ! À mon retour, ma fille cadette copiait ces lettres, envoyait l’au-net à la comtesse et serrait les originaux. C’est sur ces originaux qu’a été refait tout l’ouvrage en 1796. Les réponses ont été composées à neuf » (Mes Ouvrages, p. 1002-1003).

Le Journal permet de dater exactement le commencement de la rédaction : « 17 aug. [1787] […] Écrit la Ire lettre de l’Homme empoisonné » (sur ce titre, voir ci-dessous). Tout au long des années 1787, 1788 et 1789 on peut suivre l’avancement du travail, jusqu’au 24 septembre 1789 : « fini les Lettres du Tombeau ». Rétif semble y revenir le 11 mai 1791 : « dernière lettre du Tombeau », notation isolée, qui correspond sans doute à la « suite » ajoutée à la lettre, un hommage à Bonaparte. L’œuvre reste alors en sommeil, jusqu’au 28 mai 1796 : « commencé lettre du Tombeau ». On a vu que dans Mes Ouvrages, Rétif dit avoir « refait tout l’ouvrage en 1796 », avec « les réponses […] composées à neuf ». Entendons qu’il s’est agi surtout de la rédaction des réponses d’Hortense aux lettres de son mari ; la réfection a dû se limiter à quelques aménagements, car le 11 juin il en est déjà à la 130e lettre.

Nous ne savons pas à quelle date précise Rétif acheva la rédaction des Posthumes, faute de disposer de la suite du Journal après le 11 juin 1796. Dans une lettre aux époux Fontaine du 17 avril 1797, il écrit : « Mon imagination est un fonds inépuisable. Loin de s’être affaiblie depuis 60 ans, elle a plus de force, d’énergie, de riant, de variété. Témoins deux ouvrages produits en 1796, si extraordinaires qu’ils ont excité l’admiration. Ils sont complètement achevés en manuscrit, l’un en VI volumes intitulé L’Enclos et les Oiseaux [voir infra la notice n° LV/B/2], l’autre en IV volumes ayant pour titre Lettres du Tombeau, encore plus rempli d’imagination et plus extraordinaire que le Ier » (Correspondance, éd. cit., p. 585-586). Le 9 juillet 1797, dans une lettre aux mêmes, il évoque des difficultés pour l’impression : « Je comptais sur Mme de Beauharnais […] J’aurais imprimé avec cette citoyenne respectable mes Lettres du Tombeau, dont le succès presque certain aurait bien sûrement réparé mes dernières pertes. Cet ouvrage des Lettres du Tombeau est d’une originalité sans exemple, en même temps qu’il est rempli de connaissances profondes, d’idées singulières en physique comme en métaphysique, idées que j’ai eu soin de mettre à la portée des lecteurs des deux sexes. Si j’obtenais des avances, je les rendrais sur l’ouvrage avec un avantage tel qu’on pourrait désirer » (ibid., p. 597). Le 28 mars 1798, il exprime son découragement : « Je ne crois pas avoir une année à vivre, de toutes manières. Je laisserai trois ouvrages : L’Enclos et les Oiseaux, les Lettres du Tombeau ou Lettres posthumes et les M et I Développements […] Le courage et l’espérance qui ne m’avaient jamais abandonné m’abandonnent enfin, parce que je n’ai plus la force de lutter » (ibid., p. 608).

La situation matérielle de Rétif s’améliore en avril 1798 grâce à l’obtention d’un emploi au ministère de la police. On peut supposer qu’il entreprend alors d’imprimer « à la maison » son manuscrit en attente, au fur et à mesure des moyens dont il dispose. Mais en mars 1799, quand Wilhelm von Humboldt rend visite à Rétif, l’ouvrage est encore « à l’état de manuscrit », risquant fort « d’y demeurer à jamais vu [le] manque de moyens de [le] faire imprimer » (Correspondance, éd. cit., p. 624). En 1802, existent tout de même un certain nombre d’exemplaires.

Nous le savons par un document relatif à la saisie des Posthumes le 2 juillet 1802 (voir Philippe Havard de la Montagne, « La saisie des Posthumes et de L’Enclos et les Oiseaux », Études rétiviennes n° 2, p. 19-26). Dans le rapport de police rédigé ce jour-là on peut lire : « Le Préfet de police a fait saisir aujourd’hui 500 exemplaires d’un ouvrage en IV volumes extrêmement obscènes, ayant pour titre : Lettres du Tombeau, par Rétif de la Bretonne, déjà si connu par ses nombreuses et souvent indécentes productions ». La perquisition a lieu d’abord chez la libraire veuve Duchesne, qui détient 381 exemplaires, « tant brochés qu’en feuilles », puis chez la brocheuse, où se trouvent « 65 exemplaires en feuilles et environ 72 exemplaires ployés » (c’est-à-dire dont les feuilles ont subi l’ opération de pliage, première étape du brochage), enfin chez Rétif, où sont saisis 11 exemplaires. Le total des livres et feuilles en attente de brochage est donc de 529, le chiffre de 500 étant donc arrondi dans le rapport. Rétif, interrogé sur son activité d’imprimeur, répond que « ses presses ne marchent plus depuis six mois ». Voilà qui peut situer la fin de l’impression des Posthumes en décembre 1801.

Grâce à l’intervention de Mme de Beauharnais, les scellés au domicile de Rétif furent levés le 11 août 1802. Les exemplaires saisis furent-ils restitués ? Ce n’était pas l’usage. Ceux qui sont parvenus jusqu’à nous sont probablement ceux que la veuve Duchesne avait déjà vendus avant la perquisition policière.

Sur les raisons de cette saisie, Rétif nous donne quelques éclaircissements dans sa lettre à François de Neufchâteau du 21 juillet 1802 : « C’est ici où il s’en trouve [dans les aventures de Multipliandre] qu’on a crues libres, mais que Fonflhète n’écrivit que pour faire croire à sa santé. Une de ces aventures, qui commence la IIIe Partie est libre effectivement : on offre de la changer. Il y a encore une historiette un peu libre à la fin de la IVe Partie : on propose de la retrancher. Ne croyez pas, Monsieur, que ce libre [ce caractère libre] soit, comme l’a dit mon dénonciateur, du pire genre ; je ne me doutais pas qu’il fût repris [censuré] » (Correspondance, éd. cit., p. 648). Le premier passage indiqué renvoie à la 165e lettre, qui commence à la fin de la IIe Partie et se poursuit au début de la IIIe ; Hortense, dans sa réponse, la commente ainsi : « Oh ! pour cette lettre-ci, elle est scandaleuse, l’ami ! Je t’en donne ma parole ! Nous l’avons lue à demi-voix, et en rougissant » (III, p. 7) ; le deuxième concerne le début des Revies (IV, p. 315-322). Pour sa part, Cubières trouvait l’ouvrage d’une « bizarrerie sublime », mais rempli d’« obscénités révoltantes », tout en se disant « fâché qu’on l’ait persécuté pour une pareille baliverne » (Notice, op. cit., p. 188 et 189-190).

Selon Rétif (voir MN, II, p. 422) le point de départ de l’ouvrage est « un fait réel » raconté par Mme de Beauharnais. Cubières, dans sa Notice, le confirme : « Ce fut Mme de Beauharnais qui donna à Restif de la Bretonne le sujet de ce roman ; mais l’idée de Mme de Beauharnais était simple, naturelle, gracieuse. Elle pouvait à peine fournir un demi-volume, et Restif de la Bretonne en a fait quatre qui ne finissent pas […] ». Cubières confirme aussi les visites hebdomadaires et les lectures : « […] tous les vendredis il apportait cinq ou six lettres datées du Tombeau, qu’il nous lisait avec une grande affection paternelle, et que tout le monde admirait, parce qu’en société particulière tout le monde admire tout. Cette lecture cependant durait jusqu’à cinq ou six heures du matin et plusieurs de nous admiraient en dormant » (op. cit., vol. I, p. 187-188).

L’histoire « montre un malade plein d’esprit, écrivant dans le double motif de se faire illusion à lui-même de son vivant, ainsi qu’à son épouse chérie, qui ne doit lire ses lettres qu’une à une pendant un an après sa mort, et qui croira les recevoir d’un homme vivant, qui s’égaye lui-même comme il veut l’égayer. C’est là ce que le lecteur doit toujours avoir présent, ce qui soutiendra le charme de la lecture : l’épouse reçoit ces lettres d’une ville où son mari a été réellement envoyé par le ministère français et la première ne part que le lendemain de sa mort. Obligée de faire réponse, on la trompe adroitement par des post-scriptons contrefaits pour les à-propos non prévus, dans la véritable lettre de son époux » (Ire Partie, p. 8).

Ce mari est Fontlhète, personnage déjà présent dans Les Nuits de Paris, dont le nom est la transcription latine de Mortfontaine, et qui n’est autre que Le Pelletier de Mortfontaine, prévôt des marchands de Paris. Il était un parent de Mme de Beauharnais et un familier de son salon.

Le titre originel, L’Homme empoisonné (auquel sera substitué dès novembre celui de Lettres du Tombeau), vient de ce que l’histoire commence par un empoisonnement : Fontlhète, désespéré de ne pouvoir épouser la femme mariée qu’il aime, Hortense de Chazu, se retire dans ses terres et se prépare un poison lent. Un jour, on frappe à sa porte : il se hâte de boire le poison. Or c’est Hortense qui vient lui annoncer qu’elle est libre. Il prend du contrepoison et l’épouse ; mais l’effet du poison absorbé est irrémédiable ; il sait qu’il mourra dans un an. Dès le lendemain de son mariage, il écrit sa première lettre, première d’une série de 366, que sa femme ne doit lire qu’après sa mort. Sur le point de mourir, il quitte Hortense pour l’étranger. Après son décès, un ami poste ces lettres une à une, chaque jour. Sa femme, qui le croit toujours vivant, lui répond et commente les lettres.

Le thème central des Posthumes est l’immortalité de l’âme, fondée sur la doctrine de la métempsycose, illustrée par des histoires qui développent des fantasmes personnels. Après l’histoire d’Yfflasie et Clarendon (dans la Ie Partie), vient au début de la IIe la rencontre de Fontlhète, devenu un homme ailé, avec le duc de Multipliandre, désormais le personnage principal des Posthumes.

 Sous le titre « Merveilleuse histoire de Jean-Jacob duc de Multipliandre », Rétif développe les aventures d’un personnage aux pouvoirs surnaturels, capable notamment de se « décorporer », c’est-à-dire de faire passer son âme dans d’autres corps que le sien. Multipliandre réalise les fantasmes fondamentaux de l’écrivain : le pouvoir de se substituer à une autre personne, les conquêtes féminines innombrables, le don de l’invisibilité à volonté, la possession d’une gelée rajeunissante, la paternité infinie, étendue à la planète entière. Doté de ces facultés, Multipliandre s’emploie à ramener l’âge d’or sur la terre et donne à l’humanité un Code, celui que proposait L’Andrographe en 1782. Après avoir répandu ses réformes sur toute la planète, il s’élance dans le cosmos et visite la Lune, Mars, apportant partout les valeurs de la civilisation. Visionnaire également, il est capable de prédire l’avenir, et notamment de raconter la Révolution française à venir (IV, p. 205-287). La doctrine des Illuminés n’est que le tremplin de l’imagination personnelle de Rétif, qui recycle sur le mode du fantastique les thèmes de Monsieur Nicolas. L’esprit des Revies anime Les Posthumes, et il est significatif que Rétif en imprime les premières pages à la fin du dernier volume, sous le titre Histoires refaites sous une autre hypothèse du Cœur Humain dévoilé (voir p. 315-334).

Éditions modernes

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol., sous les nos 103-104. Édition fondée sur un exemplaire complet, ayant les pages 120-123 de la Ire Partie, 133-138 ter à la fin de la IIe et les 4 gravures décrites p. 302-303 de la IVe Partie, éléments manquant parfois (comme dans l’exemplaire de la BnF coté Rés. P Y2 1352).

— 1990, Les Voyages de Multipliandre, Cahiers Ulysse fin de siècle, 1 vol. de 61 pages. Introduction et notes de Pierre Testud. — Il s’agit des pages 176 à 219 du volume III.

1784. La Prévention nationale, Action adaptée à la scène, avec deux variantes et les faits qui lui servent de base.

2 Parties en 3 volumes in-12 de 302, 216 et 217-455 pages, plus 9 pages non foliotées. Avec 10 figures, qui ne portent aucun nom de dessinateur ni de graveur. Lacroix signale que les dix dessins originaux se trouvaient dans un exemplaire de l’ouvrage, décrit dans le Catalogue des livres de La Bédoyère, en 1862.

Selon Mes Inscripcions, Rétif commence son drame le 11 février 1783 et l’impression débute le 13 avril pour se terminer le 8 juin. Mais il procède à des remaniements et n’en finit avec les corrections d’épreuves que le 21 janvier 1784. L’ouvrage est mis en vente le 15 mars suivant, mais son débit est décevant : « non vadit Pr. (La Prévention ne va pas) », note Rétif le 14 avril.

« J’ai tiré ce drame de La Malédiction paternelle » (Mes Ouvrages, p. 983). Rétif adapte au théâtre l’épisode d’Henriette Kircher, l’Anglaise que le fils épouse malgré l’opposition de son père, farouche ennemi de la nation anglaise par « prévention nationale ».

Le livre s’ouvre sur une dédicace curieuse : « À Madame *****, Madame et Mère », signée par un fils qui écrit : « J’ai saisi l’occasion d’obliger l’auteur ; j’ai lu son drame, je lui ai suggéré des corrections, qu’il a goûtées, enfin j’en suis devenu l’éditeur pour avoir occasion de vous en faire hommage. » On ne peut douter qu’il s’agisse de Regnault, le libraire qui vend l’ouvrage ; il est légitime d’imaginer qu’il a été séduit par le manuscrit (« que pouvais-je faire de mieux qu’adopter un ouvrage qui présente le tableau le plus frappant de la tendresse paternelle-maternelle et de la piété filiale ? », l’a acheté (en y apportant quelques corrections) et fait imprimer. Peut-être même est-ce lui qui a payé les frais des illustrations…

Pour circuler dans cette œuvre, il est nécessaire d’en exposer le plan .

1er volume (1re Partie) :

La Prévention nationale, action en 5 actes (p. 9-180), « destinée pour l’un des théâtres de la capitale » ; dans l’Analyse qui suit, Rétif qualifie cette version de « 3e composition », « travaillée avec infatigabilité », « qu’on vient de lire et qui est celle qui est destinée à la représentation » (p. 206). « 1re imprimée », dit Rétif, c’est-à-dire imprimée en tête du premier volume, mais postérieure aux deux variantes, qui sont des essais inadaptés à la représentation. Rétif y respecte les unités de temps et de lieu et elle s’achève sur une réconciliation générale.

— « Analyse de la pièce par l’éditeur » (p.181-215). Cette analyse détaillée, acte par acte, occupant 34 pages, est en quelque sorte une version narrativisée de la pièce.

— « Seconde composition ou seconde variante, rendue à la manière de Shakespeare, c’est-à-dire sans unité de temps ni de lieu, afin de pouvoir tout mettre en tableaux vivants sous les yeux des spectateurs » (p. 217-297). Elle ne donne, comme la 1re variante que les scènes différentes de celles de la « 3e composition » ; elle s’achève elle aussi de façon heureuse.

— « Réflexions de l’éditeur » (p. 298-299).

— « Corrections et Additions » (p. 299-302).

2e volume (2e et 3e Parties), dans une pagination continue de 1 à 455.

* 2e partie :

La Prévention nationale, « Première composition ou Première variante », (p. 1-88). L’unité de temps est respectée, mais pas celle de lieu. Cette variante s’achève dans un bain de sang.

— « Faits qui servent de base à La Prévention nationale » (p. 89-378, sous le titre courant de « La Prévention nationale ») : I. Lettres authentiques [A], au nombre de 13, qui sont tirées, à quelques variantes près, de La Malédiction paternelle (p. 91-143). II. Traits historiques [B] : Jeanne d’Arc [B1] (p.145-216). Ce morceau, dont Rétif n’indique pas la source, est copié, quasi textuellement du tome VII de l’Histoire de France de Velly et Villaret parue en 15 tomes de 1770 à 1786 (voir Philippe Havard de la Montagne, « Rétif plagiaire », Études rétiviennes n° 20, p. 65-75).

* 3e Partie (« second volume de la seconde Partie » dit Rétif en page de titre, p. 217). Pour cette 3e Partie, l’exemplaire conservé à la BnF sous la cote « Réserve 1552 » et l’exemplaire décrit par Lacroix et J.R.C. diffèrent à partir de la page 431. — Le Chevalier d’Assas [B2](p. 219-221). — Charles Dulis [B3] (p. 222-243). — Les Deux Anglais [B4] (p. 245-277). — Le Fils obéissant [C] (p. 278-284). Indiqué comme « le Fait original » dans la page de titre, p. 303. — Le Prisonnier de guerre [D] (p. 285-378), précédé d’un « Avis de l’éditeur ».

Puis sous le titre courant de « La Prévention dramatique » : « Excellence du drame » (p. 379-388).

Sous le titre courant de « La Prévention particulière » : « Avis de l’éditeur » (p. 389). — « Consultation au sujet du présent ouvrage. Lettres à l’auteur » (p. 389-430).

À partir de cette page l’exemplaire de la Bnf donne : « Post-script » (p. 431-434), où se trouvent une « Lettre de Voltaire » (p. 431-433) et le logogriphe paru dans le Journal de Nancy (p. 433-434). — « Supplément au Quarante-cinquenaire » et « Suite du Quarante- cinquenaire » (p. 435-455), pages qui se présentent comme une addition au roman paru l’année précédente.

Dans l’exemplaire décrit par Lacroix et J.R.C. : « Analyse de la Dernière Aventure d’un homme de 45 ans », qui est un extrait des Affiches de province du 2 avril 1783.

La Prévention nationale est la plus importante production théâtrale de Rétif, non seulement parce qu’il écrit deux variantes de sa pièce, mais parce qu’il y propose une réflexion sur le théâtre en général, sur le genre du drame en particulier, dans le sillage de Diderot, et sur Shakespeare (voir les pages 181-188 de son « Analyse » et son « Excellence du drame »). Voilà bien un « laboratoire dramaturgique », selon la formule de Françoise Le Borgne (Rétif de la Bretonne et la crise des genres littéraires, 1767-1797, p. 204).

Malgré ses trois essais d’« action dramatique », Rétif se déclare insatisfait : « J’ai refait trois fois ce drame, ne trouvant jamais suffisamment rendu ce que j’avais voulu exprimer » (Mes Ouvrages, p. 993). Aussi propose-t-il de composer « un seul drame des trois, au moyen des retranchements nécessaires dans chacun des deux autres », et il détaille le travail à faire (Prévention nationale, 1re Partie, p. 298). « On peut dire qu’après ce travail très aisé, puisque tout existe, le drame serait parfaitement à la Shakespeare » (ibid., p. 299). Mais il a une solution plus immédiate : après les « corrections et additions » relatives à la « 3e composition », il ajoute : « Une observation qu’il faut joindre à l’errata, c’est que l’intérêt cesse absolument dans le 5e acte de la variante première imprimée [la « 3e composition » imprimée en tête du 1er volume] après le retour d’Henriette et son admission dans la famille Dulis, qui en est le véritable dénouement. Tout ce qui suit, depuis la page 174, au milieu de la XIe scène devient froid […] L’auteur l’a si bien senti que dans les retranchements qu’il a faits à 12 exemplaires qu’il destine à un usage particulier, il a retranché toute cette fin du Ve acte […] Il a fait encore d’autres retranchements considérables dans le cours de la pièce afin d’en resserrer le tissu et de la rendre propre au théâtre » (ibid., p. 302).

Il faut également noter que la version destinée à la scène n’est pas encore suffisante pour la représentation, où les « lettres authentiques » pourront être lues « en entier si les circonstances le permettent » : « On a rapporté ces lettres pour que l’acteur les ait sous la main, dans le cas où l’on voudrait les lire à la représentation » (2e Partie, p. 90 et 143). 

 « Je le destinais [ce drame] à être joué aux Italiens par le célèbre acteur dramiste Granger ; mais jusqu’à présent je n’ai fait aucune démarche » (MN, II, p. 355). On ne sait si Rétif fit beaucoup de démarches ; toujours est-il que son drame ne fut jamais joué, comme toutes ses autres pièces.

Éditions (XVIIIe siècle)

—la BnF possède l’un des 12 exemplaires où Rétif dit avoir procédé à divers retranchements. Il est décrit ainsi : 1 vol. in-12 de 144 pages (cote : YF-4132 (1)).

— 1784, édition partielle par le libraire Regnault, en 2 volumes in-12, des pages 89 à 455, sous le titre Faits qui servent de base à La Prévention nationale (indiqué par Lacroix, p. 219 ; J.R.C. se borne à citer Lacroix).

— 1793, réimpression par Rétif dans le volume I de son Théâtre de la version originelle en 5 actes.

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 105, réunissant les 3 volumes. Ce reprint reproduit l’exemplaire de la BnF (voir ci-dessus).

Traductions

— J.R.C. donne en 1786 un recueil intitulé Neue Prosaische Erzahlungen und Schauspiele von wahren und ruhrenden inhalt. Aus dem Franzosischen des Herrn Rétif de la Bretonne. Ein Nachtrag zu den Zitgenossinen. Chez Ch. Fr. Voss und Sohn, 2 vol. in-12 de 400 pages (1-22 et 233-400). « Titre déguisé », dit Lacroix (p. 224), qui semble renvoyer plutôt à un recueil de nouvelles des Contemporaines.

— 1798, Interessante Scenen aus der Gescichte der Menschheit, Hanovre, 1 vol. de 102 pages. Selon J.R.C., « traduction allemande de 145-216 pages du tome II de La Prévention nationale. »

Émission radiophonique

— 4 juillet 2003, lectures sur France-Culture, avec le concours de la Comédie-Française.

Voir à Année des dames nationales.

Voir à An 2000

Voir à Nouvel Epiménide.

1777. Le Quadragénaire ou l’Âge de renoncer aux passions. Histoire utile à plus d’un lecteur. — Faux-titre : Le Quadragénaire ou l’Homme de XL ans, avec 15 figures.

On trouve la variante : Le Quarantenaire dans MN, II, p. 275 note A.

Deux Parties en 2 volumes in-12 de 244 et 244 pages, plus 12 pages non foliotées contenant une « Revue des ouvrages de l’auteur ».

 « On sait que je fis Le Quadragénaire avec tant de négligence et de précipitation dans mes récits que je m’y contredis deux fois » (MN, II, p. 316). Rétif explicite cette contradiction dans une lettre à Engelbrecht du 22 juillet 1778 : « Il m’est échappé dans Le Quadragénaire une contradiction que je vous prie de corriger, s’il en est temps : c’est aux pages 154, 5 et 6 de la première Partie et à la page 220 de la seconde […] Il faudrait accorder les deux endroits de sorte que, dans la première Partie, Dulis n’écrivît point à de Lorris comme si celui-ci n’était au fait de rien, tandis qu’à la page 220 de la seconde on voit qu’il a été témoin de l’aventure. Je vous recommande cette correction, Monsieur, si c’est vous qui avez traduit, ou si, comme il le paraît, vous connaissez le traducteur » (Correspondance, éd. cit., p. 89).

Quant à la « précipitation », on constate en effet que la rédaction du Quadragénaire se situe dans les premiers mois de 1777 (« […] après que je me fus débarrassé des Gynographes, qui parurent au commencement de 1777, je ne m’occupais alors […] qu’à rédiger mon Quadragénaire », MN, II, p. 311) et que sa publication a lieu quelques mois plus tard. Il est vrai que l’ouvrage est relativement bref.

« Mon aventure avec Virginie me donna l’idée du Quadragénaire […], ouvrage que je publiai en 1777 en deux petits volumes » (Mes Ouvrages, p. 979).

« En cessant de voir Élise, je pensai que Virginie était ma dernière aventure. Je composai Le Quadragénaire, qui n’est autre chose que l’histoire de ma liaison avec elle, un peu déguisée. J’y joignis celle des jeunes filles de mode de la dame Monclar (Victorine Guisland), au coin de la rue de Grenelle-Honoré » (MN, II, p. 300).

« Ce n’était d’abord qu’un récit exalté ; mais peu à peu mes idées s’agrandirent et j’en fis un roman à tiroir où je fais entrer différentes aventures, entre autres l’amusement que je prenais le soir avec les filles de modes de la rue Saint-Honoré, au coin de la rue de Grenelle. Je rapporte les lettres que je leur écrivais et que je passais très adroitement en les mettant à plis d’éventail. On trouve la suite de ces mêmes lettres dans La Malédiction paternelle » (ibidem, p. 979).

Ce « roman à tiroir » est fait de plusieurs histoires. Élise en envoie trois au quadragénaire : À Fille de 15 ans, mari de 45, L’amour par lettres, ou l’amant invisible et L’amour juif. M.de Sac* réplique à chacune d’elles, au fur et à mesure, par trois autres histoires : L’estime n’est pas de l’amour, L’illusion d’un homme de quarante ans et La leçon, auxquelles il ajoute sa propre histoire (L’histoire du Quadragénaire), destinée à ruiner la bonne opinion qu’Élise a de lui, mais en vain ; à sa question : « Me voulez-vous encore ? », Élise répond sans hésiter : « Oui, je vous veux encore ».

Curieusement, à la fin de l’ouvrage, Rétif consacre plus de trois pages à présenter Le Quadragénaire, que le lecteur vient de lire. Sans doute ce texte était-il prévu pour être broché ailleurs (il se retrouve en partie dans la Revue de la Paysanne (vol. IV, p. clxxx-clxxxii) : « C’est ici un ouvrage de sentiment et de conviction intime, que l’auteur a composé d’après l’expérience. En général, les hommes se marient trop jeunes dans les villes, ou croient trop tôt avoir passé l’âge du mariage. Ils sont entretenus dans cette fausse idée par une foule d’ouvrages soit dramatiques, soit du genre des contes ou des romans, qui s’accordent tous à dire une vérité physique, savoir qu’il faut unir la jeunesse à la jeunesse, mais qui n’est pas toujours une vérité dans le moral et le politique. En effet, souvent le mariage est impossible à des hommes occupés à se faire un état, qui n’y parviennent qu’après de longs travaux et par des profits lentement accumulés […] [Les femmes] ne seront-elles pas plus heureuses avec un homme mûr si, au lieu des principes d’indépendance qu’on leur donne actuellement, on les pénètre de respect pour leur mari et le lien conjugal ? […] C’est en faveur de ces importantes vérités qu’on a composé Le Quadragénaire. Mais ce but n’est pas le seul. On a prétendu faire entendre aux agréables qu’à l’âge de 40 ans ils doivent renoncer à leurs prétentions et revenir de leur ivresse, s’ils ne veulent pas que le mépris et le persiflage amer flétrissent les myrrhes et les roses dont leur front est couronné. »

Pour la première fois, un ouvrage de Rétif était illustré. Tabarant dit que ce fut à l’initiative de la libraire Duchesne (Le Vrai Visage de Rétif de la Bretonne, p. 219), qui recruta à cet effet le jeune dessinateur André Dutertre (24 ans en 1777) et le graveur Berthet. Dutertre, qui n’apprécia pas que Rétif fît de lui le personnage d’une Contemporaine (la 39e, « Le Modèle »), porta plainte et ainsi se détériora la relation entre les deux hommes. Rétif lui déniera ensuite tout talent. Ses dessins pour Le Quadragénaire prouvent le contraire et il fit du reste une belle carrière de peintre.

Édition (XVIIIe siècle)

Rétif ne fit aucune réédition de son roman. P.L. Jacob signale des exemplaires « où le nom de l’auteur se trouve imprimé sur le titre du premier volume » et sans indication des figures (p. 145). Il s’agit sans aucun doute d’une contrefaçon, ajoutant le nom de Rétif en page de titre pour bénéficier de la notoriété de l’écrivain depuis la publication du Paysan perverti, deux ans plus tôt.

Éditions modernes

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 106, avec les figures.

— 2013, Éditions Honoré Champion, coll. « L’Âge des Lumières », édition critique par Pierre Testud, 1 vol. de 260 pages, avec les figures.

 

Traductions

Dans sa lettre à Rétif du 3 juillet 1778, le libraire allemand Engelbrecht écrivait dans un P.S. : » Votre joli roman Le Quadragénaire est déjà traduit et sera publié en quelques mois » (Correspondance, éd. cit., p. 86). J.R.C. en signale trois :

Der Vierziger, Leipzig, 1777, 2 volumes.

Der Vierziger, oder das Schickliche Alter der liebe zu entsagen, Schwickert, Leipzig, 1778.

Ces deux traductions correspondent sans doute à celles dont parle Engelbrecht dans sa lettre du 3 juillet 1778 ; dans une autre du 17 août, il évoque « le libraire qui le fait traduire ».

Der Vierziger, Lubeck, 1780 (trad. de C.F. Cramer), 1 vol. Ce Cramer était un ami de Mercier.

1798. Les Revies, ou Histoires refaites sous une autre hypothèse du Cœur humain dévoilé.

Sur ce manuscrit, les travaux de Pierre Bourguet font autorité. L’histoire, la reconstitution et l’analyse des manuscrits des dernières années de la vie de Rétif sont complexes. Nous avons affaire à une nébuleuse de textes où subsistent des trous noirs.

Les Revies paraissent être dans le prolongement des Posthumes, à la fois parce que leur début est imprimé à la fin du dernier volume, et parce que le personnage de Multipliandre y est encore présent : c’est, dit Rétif, « un ouvrage que Cazotte prête au Multipliandre, qu’il suppose avoir rajeuni l’auteur du Cœur Humain dévoilé, c’est-à-dire l’avoir ramené à 10 ou 11 ans et recommençant sa vie guidé par l’expérience. Il le remet à sa première jeunesse, c’est-à-dire à 10 ans. Il lui fait récidiver ses petites aventures d’enfant, telles qu’il voudrait et qu’il prétend qu’elles seraient alors arrivées » (Posthumes, vol. IV, p. 303). Et au pouvoir surnaturel de Multipliandre s’ajoute la fortune immense de Gaudet d’Arras, le moine libertin du Paysan perverti. Voilà les deux facteurs à la base des Revies.

Elles sont le rêve d’une seconde vie : « Pour que l’homme pût être heureux, il lui faudrait une prudence qu’il ne peut avoir que par l’expérience. En conséquence, il lui faudrait deux vies connexes et sans intervalles. Revivre serait sa véritable vie. Car la Nature aurait disposé les choses de façon que l’homme ou la femme repasseraient nécessairement par les mêmes circonstances, les mêmes relations avec les mêmes personnes, qui par conséquent revivraient également » (ibid., p. 315, Préambule des Revies).

Comme pour Les Posthumes, Cazotte est impliqué dans la genèse de l’œuvre : « Les Revies furent composées par l’éditeur de cet ouvrage-ci à l’instigation de Cazotte, son ami ; voici à quelle occasion : l’éditeur ayant achevé le 31 janvier 1792 le manuscrit des VIII 1res Parties [Époques] du Cœur Humain dévoilé, il le fit lire à Cazotte, qui en fut enchanté ! « Que feriez-vous, lui dit-il, si vous recommenciez votre vie et que vous fussiez maître des événements ? » Nicolas lui répondit par les Revies, que Cazotte alla lire ensuite à Mad. de Fonflhète [Mme de Beauharnais] » (ibid., p. 314).

Il est impossible que les Revies aient pu être écrites entre le 31 janvier et le 25 septembre 1792, date de la mort de Cazotte. Il n’est jamais question des Revies dans le Journal, conservé jusqu’en juin 1796. En se fondant sur le papier utilisé par Rétif, récupéré des bureaux du Ministère de la Police où Rétif est employé de mai 1798 à juin 1802, et sur des indices internes, Pierre Bourguet estime à juste titre que les Revies ont été écrites entre le mois d’avril et la fin du mois d’août 1798, puis revues et sans doute augmentées en 1802. Car le plan de l’ouvrage que Rétif esquisse à la fin des Posthumes ne fait état que d’une dizaine de Revies, relatives à la période de la jeunesse : « Il fait à neuf une histoire d’une dame Hennebenne, qui est l’auteur d’une 1re fortune du héros. Il vient à celle avec Élizéenne Ouizille [en fait mêlée à l’histoire de dame Hennebenne], puis à celle avec Jeannette Rousseau qui est réellement la 1re passion du jeune Nicolas. Il passe ensuite de celle-ci à Marie-Jeanne Lévêque, qui est la seconde. Il vient, après cette jolie fermière, à Fanchette Collet, sœur de Mme Parangon, dont il raconte l’aventure comme elle devait naturellement arriver. Enrichi par Gaudet d’Arras, on suppose que Nicolas a personnellement l’aventure avec Edmée Servigné. Puis celle avec Madelon baron, suivie de celle avec Colombe, de Joigny. Vient ensuite l’Angélique Marianne Tangis. Enfin il passe à Manon Prudhot, qui aurait dû précéder Madelon Baron » (ibid., p. 303). N’avait-il écrit que celles-là à la date de 1802 ?

En revanche, au fil des années, de nombreux fragments sont apparus sur le marché des autographes, ou sous forme de copies manuscrites, ou encore par des résumés. Il a été possible ainsi de reconstituer environ les deux cinquièmes de l’œuvre grâce au travail méthodique de Pierre Bourguet. Certaines Revies sont complètes, d’autres plus ou moins lacunaires.

Les Revies sont numérotées de I à XXIV et subdivisées (sauf les deux premières) en Vies voluptueuses, au nombre de 35 (en chiffres arabes), ayant toutes pour titres des noms féminins, tels que Cécile Lecomte, Madelon Desroches, Filette, etc. Elles se situent dans le sillage des Posthumes et de L’Anti-Justine (sortes de revies sur le mode pornographique).

Rétif dit qu’elles devaient trouver place dans L’Enclos et les Oiseaux (voir Posthumes, IV, p. 314 et 334). Mais dans les deux résumés de L’Enclos (voir infra) il n’est pas fait mention des Revies, pas plus que dans les Revies il n’est fait référence à L’Enclos. En outre, les Revies sont des histoires autobiographiques, à la 1re personne (sauf la 2e), et L’Enclos des récits à la 3e personne. Tout porte à considérer que les Revies ont été conçues comme une œuvre autonome, dont le placement dans L’Enclos n’aurait été qu’une commodité éditoriale.                                                                            

Éditions 

— 1802, les pages des Revies imprimées par Rétif à la fin des Posthumes, reproduites dans l’édition de L’Anti-Justine par Gilbert Rouger (voir supra la notice n° LI), avec quelques lectures fautives.

— 2006, Restif de la Bretonne. Les Revies, suivi de Les Converseuses, édition critique établie d’après des manuscrits autographes inédits par Pierre Bourguet, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, Voltaire Foundation, Oxford, 1 vol. de 360 pages). — On trouvera dans les pages 80-141 de l’Introduction une analyse fouillée des Revies.

1787. Sa Mère l’allaita, ou le bon fils.

« Pièce en 4 actes » dans le volume II du Théâtre (p. 129-236), réduite à 3 actes, « telle qu’on la joue », dans le volume IV (p. 1-82), et imprimée dans les volumes III et IV des Nuits de Paris dans sa version en 4 actes (p. 682-719 et 723-805).

Dans le Journal, la première mention de la pièce est à la date du 20 janvier 1787, sous le titre de L’Enfant nourri par sa mère. Dès le 25, il en fait lecture chez la veuve Duchesne (avec un autre titre : Sa Mère l’a nourri). Il semble que la pièce ait alors 3 actes, auxquels il en ajoute un, dont il fait le 2e acte, après une lecture faite chez Mlle de Saint-Leu le 28 janvier. Au gré des lectures et des avis qu’il recueille, Rétif corrige, arrange sa pièce. Le 4 mai, il confie son manuscrit à Courcelles, un acteur du Théâtre-Italien, pour lecture devant les comédiens. Puis il n’est plus question de la pièce jusqu’au 26 mai ; Rétif note alors : « Commencé à refondre ma pièce ». La veille, il a dîné chez Courcelles en compagnie de Mme de Saint-Aubin, actrice du Théâtre-Italien. Tous deux ont sans doute jugé la composition en 4 actes trop longue. Prêt à toutes les concessions pour être joué, Rétif remet sa pièce sur le métier, non sans quelque aigreur : « La petite pièce que je place ici ne se joue pas au Théâtre-Italien telle qu’on va la lire : le IId acte est entièrement supprimé, ainsi que le rôle du marquis dans les autres actes […] Il existe à présent au théâtre une fausse délicatesse inconcevable ! Quelques piliers d’amphithéâtre, où ils vont gratis parce qu’ils auront mis une misère à la scène, en dînant chez les acteurs, les engagent à mutiler les pièces » (Théâtre, vol. II, p. 131).

Un mois plus tard, le 3 juillet, Courcelles l’informe que sa pièce est reçue par le comité de lecture, sous réserve de quelques légères corrections. Dans une lettre à François de Neufchâteau du 25 octobre 1797, Rétif dira qu’elle fut reçue « à l’unanimité et par acclamation » (Correspondance, éd. cit., p. 602). Elle ne fut cependant pas jouée : « Son tour était venu et Camérani m’avait écrit d’envoyer les rôles, quand une Mme Verteuil-Forgeot, qui ne faisait plus d’enfants depuis dix ans, s’avisa d’être enceinte. Elle n’avait qu’un rôle assez léger et qui ne l’aurait pas fatiguée comme le quatrième acte de La Mère coupable, qui est tuant et le plus énergumène de tous les rôles de femmes qui soient au théâtre. Aussi ne crois-je pas que le refus de jouer soit venu de cette excellente actrice : j’attribue tous les désagréments que j’ai éprouvés au laid et méchant Granger » (Mes Ouvrages, p. 994).

Il n’est plus ensuite fait mention de la pièce dans le Journal, jusqu’au 24 janvier 1788, jour où Rétif la retravaille encore pour aboutir à une nouvelle version en 3 actes. La BnF en conserve un manuscrit (n.a.f. 4280, liasse de 67 feuillets, dont 53 pour la pièce). C’est une copie de travail, où l’écriture de Marion, la fille cadette de l’écrivain, voisine avec celle de son père, une copie chargée de ratures, de suppressions et d’additions. La révision s’étale sur plusieurs mois. Le 21 juin, Courcelles lui annonce que la pièce sera examinée par les comédiens le 20 septembre, mais, pour des raisons obscures, c’est à Granger qu’il confie finalement le manuscrit le 29 août. Hélas ! Granger demande encore des corrections et ne semble pas avoir soumis la pièce aux comédiens. D’où l’hostilité de Rétif envers lui : « On n’imagine pas combien un acteur qui a joui de la confiance d’un homme de lettres peut lui faire de mal ! Celui dont j’attaque l’improbité emploie depuis dix-huit mois tous les moyens possibles pour faire différer ou manquer la représentation, et je ne désespère pas qu’il y parvienne, par sa cabale lors de la représentation, à me faire tomber… Peu m’importe. L’intrigue, le commérage et la faveur conduisent tout au théâtre » (Théâtre, vol. III, p. 199-200 ; lignes écrites vers la fin août 1789).

Demeure tout de même l’espoir d’une représentation. Rétif écrit même : « Sa Mère l’allaita, déjà imprimée en 4 actes est mise ici en 3, et telle qu’on la joue depuis quelques semaines » (ibid., p. 232). Rien n’atteste d’une représentation, mais Monsieur Nicolas en évoque une sur un théâtre de société, dans une maison de la rue Popincourt, en 1789 : « Après le dîner, on nous conduisit à une comédie bourgeoise, jouée par une pension de jeunes demoiselles. On nous y donna trois pièces : La Rapporteuse, de Mme de Genlis ; La Brouette du Vinaigrier, de M. Mercier, et ma petite pièce Sa Mère l’allaita, dès lors reçue aux Italiens. Le chevalier de Saint-Sarm [Saint-Mars] avait eu de Marion dix-huit mois plus tôt une belle copie de cette dernière pièce » (MN, II, p. 394). Sur ce théâtre de la rue Popincourt, voir supra la notice A.

Le Prologue présente ainsi la pièce : « Ce n’est pas assez de prêcher aux femmes le devoir d’allaiter elles-mêmes leurs enfants, de former leurs premières idées, de les préserver des dangers physiques et moraux ; il faut encore frapper leur imagination par l’exemple et vivifier leur goût par des pièces de théâtre dont l’efficacité vienne du sentiment. C’est ce que j’entreprends dans ce petit ouvrage, qui n’est ni un drame proprement dit, ni une comédie. Je l’ai simplement intitulée pièce en quatre actes. On y voit une tendre mère qui recueille de bonne heure les fruits de ses soins, de sa tendresse, de sa surveillance jamais interrompue. J’ai saisi la vérité dans un événement récent pour être utile à mes concitoyens. Car ce doit être le but de tout auteur dramatique ».

Le sujet de l’allaitement n’était plus en 1787 d’actualité (l’Émile de Rousseau datait de 1762). Une circonstance, sans doute, poussa Rétif à mettre en scène l’histoire d’un enfant honnête et généreux, parce qu’allaité par sa mère, en regard d’un autre, au caractère vicié parce que confié à une nourrice. Cependant, dans la 284e Nuit de Paris, contemporaine de la pièce, il excepte de cette règle les femmes de Paris, qui ne doivent pas nourrir leurs enfants car leur lait est « échauffé » par leurs passions exaltées, leurs aliments âcres, leur genre de vie dissipé » (Nuits, éd. cit., t. III, p. 1400-1401).

1790. La Semaine nocturne. Sept Nuits de Paris, qui peuvent servir de suite aux III-CLXXX déjà publiées. Ouvrage servant à l’Histoire du jardin du Palais-royal.

Ce volume in-12 de 264 pages constitue la XVe Partie des Nuits de Paris. Elle est écrite du 9 novembre 1789 à la fin du mois pour les morceaux historiques ; les nouvelles qui accompagnent chacun d’eux sont écrites du 31 janvier au 18 février 1790.

Cette Semaine nocturne est donc présentée comme une suite des Nuits de Paris, mais aussi comme celle du Palais-royal, et le début du Préambule souligne cette continuité : « Après avoir fait passer en revue tout ce qui peut intéresser sans le célèbre Jardin, les Filles, le Cirque, les Sunamites des IV ordres, les Gentilshommes populaires, le Curé patriote et le Divorce nécessaire, qu’il nous soit permis de traiter une matière plus grave. »

« La quinzième partie décrit les événements du commencement de la Révolution, et le temps où le roi, devenu constitutionnel malgré lui, gouvernait à contrecœur une République en qualité de son premier fonctionnaire » (Mes Ouvrages, p. 991). Le récit isole 8 nuits (ou journées) révolutionnaires de l’année 1789 : 27 avril, 12 juillet, 13 juillet, 14 juillet, 17 juillet, 22 juillet, 5 et 6 octobre, 28 octobre.

 

Éditions modernes 

 — 1911, Les Nuits révolutionnaires, Arthème Fayard, coll. « Impressions et récits contemporains »,1 vol. in-8° de 170 pages, dont 41 d’Introduction par Funck-Brentano. Avec des illustrations d’époque. Sous ce titre, création de Funck-Brentano, sont regroupées La Semaine nocturne (volume XV des Nuits de Paris) et Vingt Nuits de Paris (le volume XVI ; sur ce volume, voir infra la notice n° XLVII)). Il s’agit d’une édition qui délaisse totalement les nouvelles incluses et ne donne des morceaux historiques que des extraits.

1978, Les Nuits révolutionnaires, Librairie Générale française, « Livre de Poche », 1 vol. de 448 pages, Préface de Jean Dutourd, Notes et commentaires de Béatrice Didier. — Réédité en 1989.

1989, Les Nuits révolutionnaires, 1789-1793, 1 vol. de 188 pages. Éditions de Paris. Avant-Propos de Charles Brabant, préface de Marcel Dorigny. Cette édition reproduit exactement celle de Funck-Brentano, avec toutes ses lacunes.

— 2019, Éd. Champion, Les Nuits de Paris, t. V, p. 1977-2461 pour La Semaine nocturne. Édition critique établie par Pierre Testud, avec introductions, notes et variantes.

 Traductions

— 1920, Revolutionnächte, Hyperion verlag, Munchen, 1 vol. in-8° de 226 pages avec une notice sur Rétif par Kurt Kersten. Traduction de Else von Holander.

1929, La Ronda del Gufo [La Patrouille du Hibou], Corbaccio, Milano. Traduction de l’ouvrage de Funck-Brentano.

— 1945, Notti Rivoluzionarie (la vita a Parigi durante la Rivoluzione), « La Nuova Biblioteca », Milan, 1 vol. in-12 de 154 pages. Traduction de Giacomo Natta. Traduction de l’ouvrage de Funck-Brentano, avec son introduction.

1982, Le Notti del Gufo. Il voyeur della Rivoluzione, Éd. Il Sigillo, Rome, traduction de Rolando Jotti.

— 1989, Die Nächte von Paris, 1789-1793. 1 vol. de 413 pages avec 12 illustrations. Éd. Gustav Kiepenheuer Verlg, Leipzig und Weimar. Traduction des volumes 15 et 16 (« Les Nuits révolutionnaires ») par Martina Bender.

1989, Revolutionäre Nächte in Paris, 1 vol. de 219 pages, Bremen, Manholt ; trad. et postface d’Ernst Gerhards.

Adaptation cinématographique

— 1989 (octobre-novembre), Les Nuits révolutionnaires, série de 7 téléfilms diffusée par la télévision française (Fr3), avec Michel Aumont dans le rôle du Hibou. — Diffusion en 2021 par Doriane films en 4 DVD, avec une brochure de 27 pages et un entretien avec Charles Brabant.

Voir à Nuits de Paris.

Voir à Monument du costume.

1790. Tableaux de la vie ou les Mœurs du XVIIIe siècle.

2 vol. in-18 de 180 et 168 pages, contenant 53 textes et 17 gravures, prises dans le Monument du costume (voir supra la notice n° XXXVII), sauf une : « Les Confidences » (vol. II, p. 143) ; ces gravures sont dans un format réduit et parfois inversées de gauche à droite.

« À Neuwied sur le Rhin, chez la Société typographique et à Strasbourg chez J. G. Treuttel »,

Rétif mentionne l’ouvrage à la fin du vol. III de L’Année des dames nationales (paru en 1792) et dans le Catalogue du libraire Louis en 1793 (voir Études rétiviennes n° 51, déc. 2019, p. 161-169) sous le titre : « Les Tableaux de la vie et les Costumes. II vol. ».

Tous les textes ne sont pas de Rétif. Lui-même le dit dans Mes Ouvrages (p. 989). Sur ces 53 textes, 35 sont de Rétif, 26 sont tirés du Monument, avec des titres parfois modifiés et quelques variantes dans le texte, et 9 autres sont nouveaux : Le Premier amour, Le Petit Garçon et l’horoscope, La Juste Punition, Le Moyen de parvenir, L’Heureuse leçon, La Force de l’exemple, L’Écolier, L’Expérience du voisin, L’Ingratitude filiale.

Dans le Journal, nous avons peu d’indication sur l’élaboration de ces Tableaux. On lit le 2 juillet 1789 : « Lettre de Ducret qui me complimente de L’École de l’adolescence » (il s’agit du Moyen de parvenir). Le 9 : « commencé Tableaux Petit garçon », historiette qu’il achève le 10 ; le 10 et le 11, il écrit L’Écolier. Le 22, Ducret lui commande « les 32, 33, 36 ; fait 32, 33 » ; le 24 : « fini les 3 pièces pour Ducret » et le 2 août : « achevé de lire les Tableaux. remis à Ducret ». Il n’y a plus ensuite de mentions relatives à ce travail. Il semble bien que Rétif en ait terminé ce 2 août.

Le Monument et les Tableaux ont donc été l’affaire de quelques mois. Dans une lettre de 28 septembre 1792, La Reynière écrit à Rétif : « Il a paru […] deux petit volumes intitulés Tableaux de la vie, qu’on annonçait être de vous pour les faire vendre. Mais il m’a suffi d’en lire quelques pages pour être désabusé et regretter mon argent. On ne peut faire prendre le change sur vos productions, et les plus médiocres mêmes portent un cachet d’originalité qu’il est impossible de contrefaire » (Correspondance, éd. cit., p. 545). Rétif lui répond le 12 octobre : « Les Tableaux de la vie sont de moi ; mais une main étrangère y a touché, les a corrigés, arrangés, aplatis en les imprimant à Neuwied » (ibid., p. 559-560). Ces interventions fâcheuses sont-elles réelles, ou n’est-ce que pour sauver la face ?

Éditions (XVIIIe siècle)

—1790, 2 éditions à Londres en 2 vol., l’une en français, l’autre en anglais.

 2 gravures seulement d’après Moreau : La Déclaration de grossesse et le Lever du petit-maître, placées comme frontispices. Éditions bon marché : in-12 de XII-185 et 162 pages.

— 1791, J.R.C. relève 3 éditions en 2 volumes, qui semblent des réimpressions « sauvages », avec des exemplaires sans gravures, et l’une avec le titre : Les Petites Parties et les grands costumes de la dernière Cour en France, chez le libraire Royez.

— 1793, 2 vol. petit in-8°, avec la même pagination, mais avec 26 gravures (12 dans le 1er, 14 dans le 2e), qui représentent des costumes de mode anglaise. La légende des gravures est en anglais et en français.

Réemploi

— Rétif imprime 35 récits dans L’Année des dames nationales. Il l’indique dans Mes Ouvrages : « J’y ai fait entrer tous les traits qui m’appartiennent dans les Tableaux de la vie imprimés à Neuwied ; et comme cet ouvrage n’est pas entièrement de moi, je ne le place pas dans mon catalogue ; pour éviter de le mentionner, je fonds dans L’Année des dames nationales les morceaux nombreux que j’ai fournis pour cette compilation. Ils seront aisés à distinguer : ils forment les quatre ou six premières nouvelles de chaque premier des six mois commençants de l’année » (MN, II, p. 989). À cette place, il y a 26 nouvelles, issues du Monument du costume. Mais Rétif en ajoute 9 autres dans le 8e volume (Août), présentées comme des « tableaux pour l’instruction de la jeunesse » (p. 2541-2560).

1793. Théâtre

5 volumes in-12. I, 428 p. ; II, 407 p. ; III, 1-232 et 1- 200 ; IV, 1-82, 1-71 et 1-56 p. ; V, 1-221 p.

Ce recueil rassemble les 17 pièces de la production théâtrale de Rétif, particulièrement intense dans les années 1786-1789. Après ses deux premières pièces, de modeste ambition, La Cigale et la fourmi et Le Jugement de Pâris, en 1772, il avait cessé d’écrire pour le théâtre pendant plus de dix ans, jusqu’à La Prévention nationale en 1783, pièce qui reste isolée jusqu’en 1786. Cette année-là, il est introduit dans le milieu du théâtre grâce à Mercier, qui le présente à des acteurs du Théâtre-Italien. C’est auprès d’eux qu’il sollicitera avis et conseils, et dont il recevra des encouragements.

Rétif écrit à la fin du volume VII de L’Année des dames nationales : « Il ne faut pas regarder à la date des volumes du Théâtre : ils ont été imprimés à mesure, pour ne paraître qu’en 1793 ou 1794. » L’impression de ce volume VII date de janvier 1793 et ces lignes annoncent une publication du Théâtre pour une date encore incertaine. Mais elle a bien eu lieu en 1793 : telle est la date inscrite au bas de la page précédant la page de titre du 1er volume. Dans l’esprit de Rétif, cette somme théâtrale, constituée au fil des années, tirée « à un très petit nombre d’exemplaires » (Théâtre, vol. II, p. 128), n’était donc pas une édition commerciale, mais plutôt une sorte de conservatoire.

Il fallait cependant que ce théâtre fût diffusé. D’où la dissémination des pièces dans les ouvrages en cours d’impression et dont la parution était imminente.

Le volume V du Théâtre a été terminé au début du mois d’août 1792. Au verso de la première page du premier volume figure en effet ce « Nouvel Avis » daté du 7 août 1792 : « Le Théâtre que je viens d’achever fut commencé en 1770. Depuis, de temps à autre, j’ai composé une pièce dans l’espérance de les faire jouer. Mais mon peu d’aptitude à faire les démarches nécessaires et la singularité de ma manière y a toujours apporté des obstacles. »

Mais s’« il ne faut pas regarder aux dates des volumes » comme indicatives du moment de la publication, il faut y regarder pour comprendre le processus de constitution des volumes. Elles renvoient aux dates des pièces, parfois avec un léger décalage. Ainsi la page de titre du volume I porte : 1770-1786, parce qu’il recueille des pièces de ces années-là : La Cigale et la Fourmi, Le Jugement de Pâris, La Prévention nationale et La Fille naturelle. De même pour les volumes suivants : le II, millésimé 1786-1787, contient Les Fautes sont personnelles, Sa mère l’allaita, La Marchande de modes, La Matinée du père de famille et Épiménide, pièces écrites en effet dans cette période, sauf Épiménide, écrit dans le premier semestre 1788 ; le III est millésimé 1789, avec La Sage Journée ou le Nouvel Épiménide, Le Père Valet et Le Congé ou le Bouledogue, pièces écrites dans les quatre derniers mois de 1788 ; le IV, daté de 1790, donne une nouvelle version de Sa Mère, « telle qu’on la joue », L’Épouse comédienne et L’An 2000, pièces écrites en 1789 ; enfin le V, lui aussi daté de 1790, recueille Le Libertin fixé (fin 1789), L’Amour muet (printemps de 1792) et Les Tombeaux (fin 1791).

L’examen de ces pages de titre révèle du reste des tâtonnements : celle du volume III annonce L’Épouse comédienne et Sa Mère, qui sont dans le volume suivant, et celle du volume IV les titres de La Sage Journée, du Père valet et du Bouledogue qui sont dans le volume précédent.

On peut aussi remarquer que certaines pièces ont une pagination propre : tel est le cas pour Le Père Valet dans le volume III, et pour toutes celles du volume IV. Signe d’une impression indépendante, réunie ensuite à d’autres fascicules pour former un volume.

Les 5 volumes du Théâtre posent un problème de chronologie : sont-ils le regroupement des pièces déjà imprimées par ailleurs ou leur recueil originel ? La question n’a jamais été abordée et la tendance générale a été de considérer le Théâtre comme postérieur à l’impression dispersée de ses pièces. Il convient d’y regarder de plus près. Le Journal ne donne pas toujours des indications précises, mais il permet tout de même d’éclairer la stratégie éditoriale de Rétif.

La première mention du Théâtre apparaît dans le Journal au 26 juillet 1788 : « 2de Q du Théâtre t. II ». L’impression du tome I (ou volume) est donc bien antérieure, et remonte sans doute à 1785, la rédaction de La Fille naturelle étant achevée le 22 mai de cette année-là. Une note du Journal du 12 avril 1786, relative au placement de la pièce dans Les Françaises, indique : « à l’imp. fait épreuve de L et M II vol. Fr. ou 3 et 4 du drame » ; cette référence aux 3e et 4e actes de la pièce pour situer les feuilles L et M du IIe volume des Françaises implique l’antériorité du Théâtre.

Il est certain que le 1er volume du Théâtre a recueilli les deux pièces imprimées dans Adèle de Comm** en 1772, La Cigale et la Fourmi et Le Jugement de Pâris. De même l’impression de La Prévention nationale, du 13 avril au 8 juin 1783, avec ses variantes et ses morceaux annexes, précède son insertion dans le 1er volume du Théâtre, où la pièce figure dans sa version originelle ; elle est placée en tête du volume, avant les deux pièces de 1772, sans doute pour pouvoir conserver la même pagination.

Mais la chronologie change avec le volume II, millésimé 1786-1787. Il s’ouvre sur Les Fautes sont personnelles, « imprimées en 1786 » (MN, II, p. 380). La pièce est mise dans Les Parisiennes (vol. III, p. 269-392), dont nous savons que l’impression s’étend du 17 mars 1786 aux premiers mois de 1787. L’impression de la pièce dans Les Parisiennes est postérieure à celle du volume II du Théâtre, car Rétif y a intégré toutes les corrections qu’il avait indiquées à la fin de la pièce dans ce volume du Théâtre. Il a par ailleurs développé la dernière scène et modifié une indication : « Suite du Ve acte, qu’on pourra substituer au précédent » (p. 113) devient dans Les Parisiennes : « Suite du Ve acte qu’on pourrait substituer au précédent, ce que je n’approuve pas ! » (p. 384). Son jugement sur la pièce a changé.

Dans ce même volume, se trouve La Marchande de modes (p. 237-323), placée dans Ingénue Saxancour (1re Partie, p. 129). Dans le roman, au bas de la première page, figure l’indication « Théâtre Tome II G », preuve que Rétif a pris ces feuilles dans le volume II du Théâtre, procédant toutefois à un nouveau tirage puisque la signature O-P devient G.

Les mêmes conclusions se tirent pour Sa Mère l’allaita, imprimée en 4 actes dans le volume II du Théâtre. Le Journal ne donne pas d’indications claires sur cette impression, sauf le 16 septembre 1787 : « à l’imp. remanié K et L de ma pièce » ; ces signatures correspondent à des pages des 3e et 4e actes de Sa Mère. On a une mention de début d’impression le 13 juillet, puis le 4 août. La pièce est d’autre part imprimée dans les 68e à 71e Nuits de Paris, également dans sa version en 4 actes ; or ces Nuits sont imprimées au début du mois d’août. Il semble donc que Rétif ait procédé à une double impression, une pour son Théâtre et une pour les Nuits. La question de l’antériorité est ici indécidable.

Elle peut être tranchée à propos d’Épiménide, écrit de mars à juin 1788. Le Journal ne donne pas d’informations sur les dates d’impression dans le volume II du Théâtre (vol. II, p. 337-407). Mais sa version dans Ingénue Saxancour en 1789 (IIIe Partie, p. 136-241) révèle des modifications dans la typographie et dans le texte, parfois abrégé, qui incitent à penser qu’elle est postérieure.

Pour les deux pièces du volume III (millésimé 1789), La Sage Journée et Le Père valet, la question de l’antériorité ne se pose pas parce qu’elles n’ont pas été imprimées en dehors du Théâtre. Elles l’ont été de janvier à mai 1789 avec une pagination propre à chacune.

Dans le volume IV, daté de 1790, toutes les pièces ont une pagination séparée. On y trouve la version en 3 actes de Sa Mère, dont l’impression commence le 9 juin 1789 et s’achève le 30 août. Elle ne se trouve pas ailleurs. Il en est de même pour L’Épouse comédienne, imprimée en octobre et novembre 1789. L’An 2000 semble avoir été imprimé d’abord dans le Théâtre, en juillet 1789, puis dans Le Thesmographe en octobre 1789.

Le volume V est millésimé 1790, mais il date de 1792. L’Amour muet est imprimé en juin 1792, un mois après son insertion dans le volume V de L’Année des dames nationales ; Les Tombeaux, ou Edmond repentant sont imprimés du 18 juin au 9 août 1792, clôturant les 5 volumes du Théâtre, sans autre placement. Seul Le Libertin fixé peut se situer en 1790 : son impression commence le 9 décembre 1789, avance sporadiquement jusqu’au 22 ; le Journal n’en fait plus mention après cette date. On peut penser qu’elle s’est poursuivie dans les premiers mois de 1790. Lorsque ce titre réapparaît en octobre 1791, il s’agit alors du nouveau tirage destiné au volume IV de L’Année des dames nationales.

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 2 volumes sous les nos 108 et 109. Édition complète.

1789. Le Thesmographe, ou Idées d’un honnête homme sur un Projet de Règlement proposé à toutes les nations de l’Europe pour opérer une Réforme générale des lois. Avec des Notes historiques.

2 Parties en 1 vol. de 590 pages. C’est le 5e volume des Idées singulières.

Paul Lacroix affirmait que Rétif n’avait été que l’éditeur du Thesmographe, dont l’auteur était Linguet, ou Ginguené, ou Butel-Dumont. « Et qui encore ? » ironise Tabarant (op. cit., p. 355). Le catalogue de la BnF garde encore la trace de cette attribution (voir infra l’édition numérisée de 2020).

Selon le Journal, Le Thesmographe est écrit du 10 juin 1788 au 25 août 1789 ; l’impression paraît achevée le 2 novembre (« dernière feuille Thesm. », Journal), mais à la fin du volume (p. 587) apparaît la date du 28 novembre, indice d’une ultime intervention à l’imprimerie. La demande adressée par le Garde Sceaux à Toustain-Richebourg pour l’examen du manuscrit est datée du 15 décembre 1788. La réponse fut rapide puisque la mise en vente eut lieu en janvier 1790.

L’ouvrage est l’aboutissement d’un projet conçu dès 1782. Cette année-là, dans les premières pages de L’Andrographe, Rétif l’évoque ainsi : « J’ai encore un de ces projets à publier et j’attends, pour vous le communiquer, que vous soyez plus formé : c’est celui qui concerne la réformation des lois. Ouvrage immense, si j’entrais dans un détail circonstancié de toutes les lois contraires au bonheur du genre humain. Mais je n’en attaquerai aucune ; je me contenterai, en suivant les lumières d’une raison droite, et qu’aucun intérêt ne soumet au préjugé, d’indiquer le projet d’une loi générale à porter, rédigée en différents titres, pour le civil, le criminel, la police, la politesse, les services à rendre, la reconnaissance, l’indulgence, la vengeance nécessaire. Je tâcherai de n’y rien oublier. Voilà où se bornera mon travail. Deux avocats de ma connaissance étaient si effrayés de mon titre, Le Thesmographe, avant que je leur eusse expliqué mon plan, qu’ils m’avaient tous deux assuré qu’on ne me permettrait pas de le publier ; ils ont changé d’avis depuis » (p. 14). Par ailleurs, dans une lettre à Mercier du 23 mars 1782, il dit travailler « par intervalles à [son] Thesmographe » et désespérer de l’achever (Correspondance, éd. cit., p. p. 155).

L’ouvrage s’efforce d’être en phase avec l’actualité par sa dédicace « Aux États généraux », qui se sont assemblés le 5 mai et constitués en Assemblée nationale le 27 juin. Mais il ne s’agit plus désormais de réforme : une révolution est en cours. Ce texte liminaire doit dater de la fin de l’été 1789, avant que ne soient posées les bases de la nouvelle Constitution. Rétif y propose deux modèles, les constitutions anglaise et danoise, et insiste sur la création d’un nouvel ordre, celui des paysans.

Il en détaille le plan dans Mes Ouvrages : « Le Thesmographe , ou les Lois réformées, deux parties, est moins la réforme de nos lois, que je n’entreprendrais pas, que le projet d’une loi unique pour tous les peuples du monde, en les supposant éloignés à jamais d’embrasser le beau système de L’Anthropographe, qui ferait le bonheur du genre humain. Dans un premier paragraphe, je montre l’Imperfection de nos lois et les abus de la judicature. Dans le second paragraphe, la Nécessité de les réformer. Dans le troisième paragraphe, le Projet de loi que je substituerais à toutes celles qui existent. Dans un quatrième paragraphe, je réponds aux objections. La seconde partie est composée de Notes historiques et justificatives. Comme dans les premiers volumes, j’y passe en revue les lois de tous les peuples du monde ; j’y rapporte en entier plusieurs petits ouvrages qui détaillent admirablement les inconvénients de la chicane ; j’insiste sur la perte de temps d’une foule d’hommes et sur l’occupation ruineuse des procureurs, des avocats, des huissiers, etc.

« Il y a beaucoup de traits relatifs à mon histoire dans ce cinquième volume [des Idées singulières] ; ces traits […] doivent servir de supplément au Cœur humain dévoilé : on y trouve la stupide lettre de l’infâme L’Échiné à Toustain-Richebourg ; la réponse que j’y fis et que je donnai à ce dernier ; L’Année 1788 à l’Année 1789, où sont des vers de Dorat-Cubières intitulés Le Voyageur ; la pièce sur les Abus de la chicane et du procurage, par l’avocat Tellier ; un Mémoire sur la mendicité, par Montlinot ; un Mémoire intéressant envoyé à l’Académie de Berlin pour concourir, du temps de Frédéric II, sur cette importante question : Est-il utile aux peuples d’être éclairés ? Je m’y décide pour l’affirmative. Et ayant appris durant la composition que j’arriverais trop tard, je ne me gênai plus : j’attaquai le fanatisme chrétien avec toute la force dont j’étais capable.

« Les notes vont depuis A jusqu’à I et traitent : A, des « Lois » de tous les peuples du monde ; B, d’« Exemples de prévarications » de procureurs ; C, des « Banqueroutes » ; D, des « Colonies » ; E, de la « Cour plénière » ; F, du « Divorce » ; G, de la « Prostitution » ; H, du « Théâtre » ; I, « Discours au public, sorte de juvénale ». Enfin j’y ai placé deux pièces de théâtre, Le Bouledogue, farce contre un scélérat de procureur, mon hôte, et L’An 2000, pièce en trois actes, digne de la représentation si nos directeurs et nos acteurs des différents spectacles n’étaient pas si bêtes » (Mes Ouvrages, p. 965-966).

Sur Le Bouledogue, voir infra la notice XLV/H et la notice XLV/M pour L’An 2000.

Cette table des matières révèle une grande disparate, et d’abord un déséquilibre entre une 1re Partie de 156 pages et une seconde de 431 pages. La 1re Partie contient tout le projet de réforme des lois et remplit donc l’objet de l’ouvrage. La seconde est d’abord occupée par 113 pages de compilation (les « Notes historiques ») : note A sur « les lois et usages des différents peuples du monde » ; note B, sur (« exemples de prévarications de procureur », p. 274-312) est essentiellement une « comédie en 2 actes destinée au Théâtre des Danseurs de corde », Le Bouledogue ou le Congé. Les notes suivantes traitent certes de sujets en rapport avec le projet de réforme, mais c’est surtout l’occasion pour Rétif de recopier des textes de Le Tellier, de Montlinot et de plagier secrètement celui de Lorinet en réponse à la question posée par l’Académie de Berlin ; il reproduit aussi la 230e Nuit de Paris et fait une place au conflit qui l’oppose à son gendre Augé.

Le traité annoncé par le titre se désagrège en morceaux hétérogènes. Rétif en accuse la marche de l’Histoire : son ouvrage « ne paraît un peu décousu que par la raison que l’impression ayant commencé en novembre 1788 et n’ayant fini qu’en novembre 1789, les événements qui ont changé pendant la rédaction ont nécessité une incohérence de plan et d’exécution » (La Semaine nocturne, 8e Nuit, éd. cit., p. 2120).

On sent du découragement, du désarroi, dans l’élaboration du Thesmographe, « devancé à pas de géant dans tous les domaines par la Révolution » (Tabarant, op. cit., p. 352). Les événements politiques sont allés plus vite que la plume de Rétif et l’ouvrage est obsolète avant même d’avoir été publié.

 Les nombreux renvois au Pornographe, à La Mimographe, aux Gynographes et à L’Andrographe rappellent les ouvrages de réforme antérieurs ; il s’agit particulièrement de sortir L’Andrographe de l’oubli : « J’imprime Le Thesmographe par désespoir de ce que L’Andrographe n’est pas exécuté », dit-il dans le « Dialogue entre l’éditeur et un médecin », à la fin du volume XXX (2e éd.) des Contemporaines.

Le Thesmographe était généré par L’Andrographe, avec un objet plus modeste : « Notre but était de ne plus donner qu’un plan de réformation partielle, à défaut de la réformation générale » (p. 586-587). Il génère à son tour, en urgence, une brochure de 80 pages, Le Plus fort des pamphlets, qui en est une sorte de condensé, pour intervenir à temps dans les débats suscités par la réunion des États généraux (voir ci-dessous la notice n° XXXIX).

Éditions modernes

— 1931, dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, t. III, extraits, établis et annotés par Henri Bachelin. — Reprint en 1978 par les Éditions Slatkine.

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n° 110.

— 2013, Nabu Press, 598 pages

— 2018, Creative Media Partners LLC, coll. « Scholar Select », 596 pages.

— 2020, Hachette Livres, numérisation par la BnF. L’ouvrage est présenté comme écrit par Rétif, Linguet, Ginguené et Butel-Dumont.

1785. Les Veillées du Marais, ou Histoire du grand Prince Oribeau, Roi de Mommonie au pays d’Evinland et de la vertueuse Princesse Oribelle de Lagenie. Tirée des Anciennes Annales Irlandaises et récemment translatée en français, par Nichols Donneraill, du comté de Korke, descendant de l’auteur.

4 Parties en 2 volumes in-12 de 496 et 560 pages.

Selon Mes Inscripcions, Rétif avait commencé l’ouvrage en 1777 : « J’en étais resté en 1777 à la 69 du mss », note-t-il le 3 mars 1784. Il s’y remet à cette date, pour en terminer le 1er janvier 1785.

« Le titre des Veillées du Marais n’est pas de moi, mais du libraire, qui eut cette idée dans le temps que paraissaient Les Veillées du château. Mais mon ouvrage ne put paraître à temps pour profiter de cet à-propos, sans doute favorable à sa vente : d’un côté l’impression n’avançait pas, de l’autre, l’abbé Terrasson, mon censeur, me faisait des difficultés si grandes qu’il finit par s’excuser d’approuver. Par bonheur, le vicomte de Toustain-Richebourg (non encore tombé dans les absurdités de l’odieux christianisme qui l’ont perdu) fut alors nommé censeur. Je le demandai à M. de Villedeuil ; je l’obtins, et il le parapha. L’ouvrage parut avec beaucoup de cartons, que la crainte avait fait exiger par Terrasson, pour des raisons qui ne subsistent plus aujourd’hui » (Mes Ouvrages, p. 985).

Terrasson écrit le 12 septembre 1784 à un correspondant anonyme, sans doute Toustain-Richebourg : « Je vous prie de lui dire que je crains bien de ne pouvoir lui passer ses Veillées du Marais : il y a des applications terribles à faire ! Je ne prononce pourtant pas encore, mais je le crains bien ! » (Correspondance, éd. cit., p. 280). « À tout moment il redoutait les applications à notre famille royale » (Introduction à la 2e édition). Rétif est informé dès le mardi 14 ; il note dans Mes Inscripcions : « Terrasson écrit qu’il ne pourra parapher Oribeau ». Il ne le fit pas en effet ; son refus est confirmé le 8 février 1785 (« Terrasson refuse Oribeau »). Mais Toustain le paraphe le 15, sous condition de cartons qui, selon Rétif, « rendaient l’ouvrage si obscur qu’on n’y comprenait rien » (Introduction à la 2e édition). Mais il travaille sur ces cartons dès le 18 mars.

Cependant, sous le titre des Veillées du Marais, il existe des exemplaires non cartonnés. Tel est le cas de l’exemplaire du reprint Slatkine. Dans l’exemplaire de la BnF (Réserve Y2 588 (221)), la 1re Partie est cartonnée, mais la 2e ne l’est pas. Rétif écrit dans l’introduction de la 2e édition qu’il y eut 84 pages de cartons dans la 1re Partie, 80 dans la 2e et 72 dans les deux dernières. Lacroix (p. 240) et J.R.C. (p. 286) donnent le détail des cartons effectués.

« La forme de cet ouvrage est singulière ! L’ordre alphabétique règne non seulement dans les chapitres, qui sont intitulés A, B, C, D, etc., mais encore chaque alinéa des chapitres » (Mes Ouvrages, p. 985). « Ouvrage plein de sel et qui, tel qu’il est resté, doit être plus utile à un jeune prince que le Télémaque » (Les Françaises, vol. III, p. 241-267, dans Les Romans ; texte reproduit dans Études rétiviennes n ° 43, p. 191).

Éditions (XVIIIe siècle)

— publication du Petit Marchand de laines, conte tiré de la VIIIe Veillée, vol. IV, p. 486-502, dans le Mercure du 20 mai 1786, p. 100-111. Dans une note du Plus Fort des Pamphlets (1789), Rétif indique que « Baltamore est M. le baron de Breteuil » (p. 46).

— 1792, 2e édition, sous un nouveau titre : L’Instituteur d’un Prince royal, tiré d’un ouvrage irlandais intitulé O-Ribeau et O-Ribelle, publié en français sous le titre des Veillées du Marais. Le 25 novembre 1791, Rétif note dans son journal : « annonce de mon Oribeau ». « Aujourd’hui nous le donnons tel qu’il a été composé […] Il faut également avertir que les allusions à notre famille royale étaient vraies » (Introduction, p. X ; il le dit aussi dans Mes Ouvrages , p. 985 : « Il faut convenir ici que les allusions à notre famille royale, tant redoutées par Terrasson, étaient vraies »). Rétif donne, p. X-XII de son introduction la clé des noms employés (elle est reproduite par J.R.C. p. 287-289).

Cette édition rétablit les passages censurés et supprime les « Observations » de Rétif sur ses Veillées du Marais (p. 557-560), 23 notes sur certains passages. Ces quatre pages sont occupées par une conclusion de l’histoire (p. 557-558) et une Postface qui est essentiellement une annonce de Monsieur Nicolas, présenté comme « le livre d’Institution pratique le plus complet » (p. 559-560).

Rétif ajoute in fine : « Il existe un seul exemplaire de L’Instituteur d’un Prince royal, avec autant d’estampes que de chapitres : il est fixé à 724 livres. »

Édition moderne

— 1988, Slatkine Reprints, 2 vol. sous les nos 111 et 112. Reproduit un exemplaire non cartonné, malgré le titre des Veillées du Marais. Complet des pages 557-560 contenant les « Observations » de Rétif.

1779. La Vie de mon père, par l’auteur du Paysan perverti.

2 volumes in-12 en 2 Parties, de 152 et 139 pages, avec 14 figures et 2 portraits.

La page de titre porte différentes adresses de libraires, selon les exemplaires : Duchesne, Le Jay, Bastien, Humblot.

« Composée en 1778, parut à la Saint-Martin [11 novembre] sous la date de 1779 » (Paysanne, IV, p. clxxxv).

Rétif présente ainsi la genèse de La Vie de mon père : « Débarrassé du Nouvel Abeilard [qui paraît en juin 1778] […], en me rappelant ce que mon père avait souvent raconté devant moi, pendant mon enfance, de son séjour à Paris et de Mlle Pombelins, il me vint une idée, vive, lumineuse, digne du Paysan-Paysanne pervertis ! Je réfléchis sur tous les traits sortis de la bouche d’Edme R. et je composai sa Vie. Je ne revis pas ce petit ouvrage ; je le livrai à l’impression en achevant de l’écrire. Aussi tout y est-il sans art, sans apprêt ; la mémoire y a tenu lieu d’imagination. À la seconde et à la troisième édition, je n’ai fait que corriger quelques fautes de style, ou replacer quelques traits oubliés. Cette production eut un succès rapide. Ce qui doit étonner ! Elle n’était faite ni pour les petits-maîtres, ni contre les femmes, ni pour dénigrer la philosophie : les bonnes gens seuls la pouvaient acheter. Apparemment, ils donnèrent le ton pour la première fois… » (MN, II, p. 318).

La Vie de mon père n’est cependant pas née brusquement d’une « idée vive, lumineuse ». Depuis plusieurs années, Rétif songeait à rendre hommage aux vertus de son père. En témoignent ces lignes de La Mimographe en 1770 : « Que ne puis-je tracer ici le tableau de conduite d’un d’entre eux [des hommes de la campagne], dont le souvenir a souvent fait couler mes larmes ! Que de vertueuses actions il a faites dans l’obscurité ! (L’éditeur retranche l’éloge de cet honnête paysan, laboureur et juge de son village : il intéresserait trop peu de personnes) » (p. 404). Mais il est vrai que la rédaction et l’impression en furent rapides, puisque commencé en juin, l’ouvrage parut en novembre.

Il est, dit Rétif, « le plus estimable des miens, et celui dont le succès a été le plus général […] » (Mes Ouvrages, p. 981), « ouvrage céleste par sa naïveté touchante et par sa vérité historique » (Les Romans, dans Les Françaises, vol. III, p. 248-250), celui que « mes ennemis mêmes sont forcés d’approuver » (MN, I, p. 32 en note). Aucun autre en effet n’a été loué comme celui-ci. Journalistes et critiques ont salué à l’envi cette œuvre qui célébrait la famille, la terre, la vertu du travail.

 Dans ce concert d’éloges, il y eut peu de voix discordantes : celle de Grimm dans la Correspondance littéraire, philosophique et critique, en octobre 1778 (« Ce n’est qu’un rabâchage des contes et des maximes répandues dans L’École des pères », t. XII, p. 175), ou encore celle de Fréron dans L’Année littéraire, qui trouve que le sujet n’a pas « la variété et l’importance nécessaires pour fixer l’attention et soutenir l’intérêt » (1779, t. VII, p. 6), déplore « l’affectation de philosophie », « la manie de moraliser », « des longueurs et des digressions inutiles » (ibid., p. 30). Dans un dialogue placé en 1783 à la fin du volume 30 des Contemporaines, entre « l’éditeur » et un « médecin », on a cet échange : « Le médecin : On assure que les gens de votre pays ont critiqué La Vie de mon père. — L’éditeur : On vous a dit vrai. Nul n’est prophète dans son pays » (p. 539). On ne sait à vrai dire à quoi Rétif fait ici allusion.

La Vie de mon père n’en a pas moins été l’ouvrage de Rétif le plus souvent réimprimé, et dans des collections aussi bien « chrétiennes » que « progressistes ». Pour Henri Bachelin, elle est « le seul ouvrage de Restif digne d’être publié intégralement ». En 1875, rendant compte de la Bibliographie […] de P.L. Jacob, un journaliste juge que Rétif, cet auteur « plongé dans la fange », est sauvé par La Vie de mon père, livre « jugé digne d’entrer dans la Bibliothèque des poètes et romanciers chrétiens » (La Patrie, 19 octobre 1875). Un autre écrit en 1926 : « Elle est détestable la réputation que Restif de la Bretonne a laissée dans l’histoire des lettres françaises, et ce n’est pas sans raison. Il n’était pourtant pas sans talent et il doit lui être beaucoup pardonné parce qu’il a écrit La Vie de mon père » (La Grande Revue, 1er février 1926). L’Action française, journal royaliste d’extrême droite, associe Rétif à Zola, mais excepte La Vie de mon père : « Zola est la scorie de son temps comme Restif de la Bretonne le fut de son temps. Sauf que Zola n’a pas écrit La Vie de mon père, qui est le chef-d’œuvre de Restif de la Bretonne » (n° du 26 février 1928).

En 1788, face aux troubles qui se multiplient dans Paris, Rétif rappelle dans la 373e Nuit (« Troubles aux Italiens ») que son Andrographe pourrait contribuer à la paix sociale et il ajoute : « Je viens de réimprimer La Vie de mon père. Ne croyez pas que la sotte vanité m’ait fait composer cet ouvrage ! Non, non ! J’ai voulu encourager le laboureur, honorer son état, si honorable. Aussi l’homme de confiance d’un de vos ministres disait-il : « Si j’en étais cru, le gouvernement ferait imprimer cinquante mille de cet ouvrage pour le répandre dans toute les campagnes […] Oh ! Que de choses à faire pour conserver le bonheur et le bien-être national, auxquelles on ne songe seulement pas ! » » (Nuits de Paris, éd. cit., t. IV, p. 1849). Il avait déjà vanté en ces termes la vertu politique de son livre dans la Revue de la Paysanne (IV, p. clxxxv).

Éditions (XVIIIe siècle)

— 2e édition en 1779, de quelques mois postérieure à la 1re. Ce court intervalle montre le succès de l’ouvrage, sans doute déjà épuisé (on ignore le tirage initial). Elle ne présente que de menues modifications ; la pagination reste inchangée.

— 3e édition en 1788. Grâce au Journal, nous pouvons dater son élaboration. 21 juillet 1785 : « Je commence à lire la Vie de mon père (pour la réimpression) », lecture qui se termine le 30. Le 28 juillet 1786 : « On commence aujourd’hui la réimpression de La Vie de mon père, au bout de huit ans » ; elle s’achève le 22 août 1787 et Rétif porte l’ouvrage à son censeur le 17 septembre pour paraphe. Malgré le terme de réimpression, il s’agit bien d’une 3e édition : la pagination est passée à 232 et 222 pages ; la 1re Partie est enrichie de deux lettres du Rétif de Grenoble et une de Milran faisant un éloge enthousiaste de La Vie de mon père ; à la fin se trouve la « Généalogie des Restifs », déjà imprimée dans les Parisiennes en 1786 (elle le sera de nouveau au début de Monsieur Nicolas).

Éditions modernes

Sauf indication contraire, ces nombreuses éditions donnent le texte de la 1re édition. Il est plaisant de remarquer que seule L’Anti-Justine rivalise avec La Vie de mon père pour le nombre de rééditions.

— 1853, Monsieur Rétif ou la Vie de mon père, Librairie de Soye et Bouchet, « Bibliothèque des Poètes et Romanciers Chrétiens », 32 p. in-4°.

— 1884, Éd. Isidore Liseux, « Avertissement » d’Alcide Bonneau, 1 vol. in-8° de XXXVI-271 pages . Texte de la 3e édition (1788).

— 1er juin au 4 juillet 1894, publication en feuilleton dans Le Constitutionnel.

— 1910, sous le titre Le Village, in-8° de 143 pages, Éd. Fayard, préface (datée de 1908) et établissement du texte par Funck-Brentano.

— 1910, Éd. Louis Michaud, 1 vol. in-12 de 283 pages, édition établie par Henri d’Alméras, dans la collection, bien inadéquate en l’occurrence, « Les Mœurs légères du XVIIIe siècle ». Texte de la 3e édition.

— 1923, Éd. Bossard, « Collection des chefs-d’œuvre méconnus », Introduction de Marius Boisson. 1 vol. in-8° de 289 pages.

— 1929, Éd. Jules Tallandier, préface de Paul Bourget, 1 vol. in-8° de XXIII et 217 pages. — Réédité en 1933 aux Éditions D’Histoire et D’Art, Librairie Plon.

— 1931, dans L’Œuvre de Restif de la Bretonne, Éd. du Trianon, vol. 4, introduction et notes d’Henri Bachelin (p. 9-185). — Reproduit par Slatkine Reprints en 1978.

— 1934-1935, publication en feuilleton dans L’Ère nouvelle en décembre 1934 et janvier 1935.

— 1961, Cercle des Amateurs de Livres et d’Art typographique, 2 vol. gr. in-8° de XXXII-132 et 148 p. ; édition établie par Gilbert Rouger, avec des illustrations de Gaston Barret.

—1962, Club des Amis du Livre progressiste, avec « Introduction à la lecture de Restif de la Bretonne » de Jean Desmeuzes. 1 vol. in-16 de XXXII-250 p.

— 1963, Éd. Hachette, « Collection du Flambeau », 1 vol. in-16 de 239 p., avec une préface d’Émile Mireaux.

— 1969, Éd. « Les Amis de l’Histoire », La Vie de mon père. Mes Apprentissages [extraits de Monsieur Nicolas], 1 vol. de 454 p., édition établie par Stan Pellistrandi, avec une préface de François de Clermont-Tonnerre.

— 1970, Éd. Garnier, 1 vol. de LV-310 pages. Texte de la 1re édition. Édition établie par Gilbert Rouger, avec Introduction, Chronologie, Bibliographie, Glossaire et 18 Illustrations. G.R. dit préférer cette 1re édition à la 3e, « encombrée de documents formant hors-d’œuvre, grossie de nouveaux épisodes édifiants » (p. LV). Mais il en donne les principales variantes et ajoute un « Appendice », intitulé « Un Village au XVIIIe siècle », qui donne des extraits de L’École de pères, de Monsieur Nicolas, de la 30e Contemporaine, du Paysan perverti (lettre XIII) et de La Prévention nationale. — Réédition en 2019 dans les « Classiques Garnier »..

— 1979, Reprint par Georg Olms Verlag, Hildesheim, New-York.

— 1988, Slatkine Reprints, 1 vol. sous le n°113. Reproduit un exemplaire de la 2e édition, avec l’adresse de Humblot.

— 1998, Éd. Maxi-Livres Profrance, coll. « Maxi-Poche. Classiques français », 1 vol. de 159 pages, avec introductions anonymes.

— 2002, dans Restif de la Bretonne, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », vol. 2, XII-820 p. La Vie de mon père occupe les pages 10-149. Édition établie par Daniel Baruch (texte de la 3e édition).

Traductions

— 1780, Das Leben Meines Vaters, Lubeck, 2 vol. in-12 de 220 et 192 pages. Tradution de C.F. Cramer.

— 1780, Leben Meines Vaters, von Verfasser des Neuen Abeillards [par l’auteur du Nouvel Abeilard], Linke, Leipzig, 2 vol.

— 1780, Leben Meines Vaters, von Verfasser des Neuen Abeillards, 1 vol. de 342 pages avec 4 gravures et 2 portraits en médaillon, Berlin. Traduction de Wilhelm Christhelf Siegmund Mylius (traducteur de plusieurs romanciers du XVIIIe siècle).

— 1796, Typographie Selivanovski, Moscou, 2 vol. in-12 de 174 et 166 pages, avec illustrations.

— 1972, Das Leben meines Vater, Propyläen, Berlin. Traduction et présentation de P. Schunck.

— 1986, My Father’s Life Éd. Alan Sutton, 1 vol. de 170 p., introduction et traduction de Richard Veasey.

— 1986, Viata tatalui meu, Éd. Minerva, Biblioteca pentrutoti , Bucarest. Traduction d’Alexandra Emilian, introduction de Irina Badescu.

Voir à Nuits de Paris (XX).