« Rétif après Rétif : réécritures et adaptations »

Dossier à paraître dans le numéro 56 des Etudes rétiviennes (2024)

Responsables scientifiques : Françoise Le Borgne et Laurent Loty

Les phénomènes de réécriture (écriture au second degré) et d’adaptation (transposition dans un autre média) des œuvres littéraires sont multiples et omniprésents au XVIIIe siècle. Ils participent de la notoriété des œuvres dont le succès est attesté par les imitations, les suites, les adaptations théâtrales ou les parodies qu’elles suscitent.

L’œuvre de Rétif, en son temps, ne participe guère de ce phénomène quoiqu’elle soit elle-même fondée sur le recyclage des mêmes matériaux, en particulier d’inspiration autobiographique. Rétif identifie bien en 1781 dans Les Maris corrigés de La Chabeaussière une adaptation théâtrale de la deuxième partie de son roman intitulé La Femme considérée dans les trois états mais le dramaturge lui-même refuse de reconnaître sa dette : « Ma pièce, écrit-il, était presque entièrement terminée quand le hasard me fit tomber sous la main un roman de Rétif de la Bretonne intitulé La Femme considérée dans les trois états, et je ne fus pas médiocrement surpris d’y rencontrer des situations très analogues à celles que j’avais imaginées moi-même ; et puisque le hasard nous avait fait déjà rencontrer dans quelques détails, je ne fis aucune difficulté de me saisir de ceux que je crus pouvoir faire cadrer avec mon plan […] Je laisse aux lecteurs […] à décider si j’ai servilement  imité mon modèle […] et si j’ai mal fait de changer le ton et les manières de mes personnages, que je n’ai pas cru devoir laisser dans la classe où l’auteur s’est amusé à placer les siens[1] ». Cette condescendance est caractéristique de ce que sera la réception de Rétif après sa redécouverte, sous la Seconde République. Hommages ambigus, les réécritures de ses ouvrages – et l’on pense bien sûr aux « Confidences de Nicolas » de Gérard de Nerval[2] – témoignent du besoin de rectifier une œuvre qui fascine mais agace parce que toujours jugée en excès ou en défaut par rapport aux exigences éthiques et esthétiques contemporaines.

Vigoureux défenseur de Rétif, dans lequel il voit « le peuple auteur[3] », Charles Monselet insiste sur le caractère pittoresque de la peinture de la vie parisienne que livrent Les Contemporaines ou Les Nuits de Paris, vastes magasins d’anecdotes où les artistes et les historiens peuvent puiser librement – comme le fera au demeurant Alexandre Dumas avec son Ingénue (1853-1854) – des témoignages sur le Paris de la fin de l’Ancien Régime et de la Révolution, dont la mémoire est alors en train de disparaître.

La réhabilitation et la redécouverte progressive de Rétif, au XXe siècle, suscitent également réécritures puis adaptations. En 1928, Les Dernières Nuits de Paris de Philippe Soupault proposent une réinterprétation surréaliste de la série rétivienne tandis qu’apparaissent, à partir des années 60, les premiers feuilletons radiophoniques et adaptations télévisuelles de l’œuvre rétivienne, qui en exploitent volontiers une approche libertine[4]. Les commémorations du bicentenaire de la Révolution française mettent Rétif à l’honneur : les Nuits révolutionnaires sont portées à l’écran par la série de Charles Brabant[5] et inspirent plusieurs spectacles qui, dans le sillage de l’adaptation de Jean-Claude Carrière[6], soulignent le caractère visionnaire de Rétif, témoin historique et penseur politique[7].

Près d’un demi-siècle plus tard, l’œuvre de Rétif peut-elle encore inspirer la création ? La récente mise en scène de la « Lettre d’un singe aux êtres de son espèce » par Elisabeth Chailloux[8] suggère que l’univers rétivien, par le foisonnement, l’audace, voire le caractère polémique de ses propositions – en particulier sociales – continue à intriguer et à interpeller. L’origine paysanne revendiquée par l’auteur du Paysan perverti, son activité d’ouvrier-typographe, sa proximité avec le peuple des campagnes et des villes, sa participation aux Lumières mais dans la marginalité, son ambition de s’historier de mille manières, l’originalité de son rapport mémoriel aux lieux[9], son paternalisme et son érotomanie sont autant de pistes qui, parmi beaucoup d’autres, sollicitent notre imaginaire et notre compréhension du XVIIIe siècle.

L’objet de ce dossier thématique sera d’abord de proposer un état des lieux des réécritures et adaptations des œuvres de Rétif, propre à compléter la recension déjà proposée par Pierre Testud dans la « Revue des œuvres de Rétif de la Bretonne » disponible sur le site de la Société Rétif de La Bretonne[10]. L’étude de ces réinterprétations – auxquelles on pourrait adjoindre les traductions étrangères pour autant qu’elles participent du même phénomène – nous invitera à nous interroger sur ce qui fait sens, dans l’œuvre de Rétif, pour les auteurs, dramaturges, réalisateurs, metteurs en scène ou artistes qui s’en inspirent à un moment donné, mais aussi sur les malentendus, les angles morts ou les désaccords dont témoignent ces réécritures ou adaptations. Il s’agira ainsi d’approfondir la réflexion sur la réception de Rétif de La Bretonne, déjà abordée en 2006 à la faveur du colloque « Rétif et ses lecteurs[11] ». Enfin, ce dossier pourra être l’occasion d’accueillir dans les pages de la revue des créations d’auteurs ou d’artistes qui souhaiteraient proposer leur relecture de tout ou partie d’un ouvrage de Rétif.

Les propositions de contribution, accompagnées d’une brève bio-bibliographie, sont à adresser à Françoise Le Borgne (francoise.le_borgne@uca.fr) et à Laurent Loty (laurent.loty@univ-paris-diderot.fr) avant le 1er septembre 2023. Les articles ou créations seront à remettre pour le 1er mars 2024.

 

[1] La Chabeaussière, Les Maris corrigés, comédie en trois actes et en vers, Paris, Veuve Duchesne, 1781, p. 8-9.

[2] Nerval fait paraître en 1850, dans la Revue des deux Mondes, « Les Confidences de Nicolas ». Il s’agit d’une réécriture de Monsieur Nicolas, qui trouvera place dans son recueil intitulé Les Illuminés (1852).

[3] Charles Monselet, « Rétif de La Bretonne », Le Constitutionnel, n° 228 et 229, jeudi 16 et vendredi 17 août 1849.

[4] Voir Marcel Bluwal, Sara, diffusé sur A2 le 21 mai 1975 ; Joé d’Amato, La Femme pervertie, film érotique « librement adapté de l’œuvre de Rétif de La Bretonne » de 1985 ; Harry Kümel, Le Demi-Mariage ou le triomphe de la vertu (d’après la 58e Contemporaine, « Le Demi-Mariage »), diffusé dans la série de téléfilms Série rose en 1986 (et rediffusé en février 1990).

[5] Charles Brabant, Les Nuits révolutionnaires, série de 7 téléfilms diffusés sur Fr3 en 1989.

[6] Les Nuits de Paris, adaptation scénique de Jean-Claude Carrière, mise en scène de Jean-Louis Barrault, spectacle de la Compagnie Renaud-Barrault représenté en 1975 au Théâtre d’Orsay.

[7] Voir Christian Peythieu, Le Hibou, joué par la Compagnie de l’Opossum à Auxerre en 1987 et Paris en 1988 (https://www.retifdelabretonne.net/le-hibou-de-christian-peythieu) ; L’Extraordinaire Monsieur Nicolas, par la Compagnie Catherine Brieux, joué à Auxerre en 1987 et Paris en 1988 ; Les Nuits du Hibou d’après Restif de La Bretonne et Louis-Sébastien Mercier, adaptation et mise en scène de Christian Dente, Centre culturel Jean Houdremont, La Courneuve, 1989.

[8] Lettre d’un singe aux êtres de son espèce, texte de Nicolas Restif de La Bretonne, mise en scène d’Elisabeth Chouilloux, avec Eddie Chignara, création Théâtre de l’Epée de Bois, 7 au 16 décembre 2020, captation :  https://www.retifdelabretonne.net/lettre-dun-singe

[9] Auquel rend hommage Patrick Modiano dans L’Herbe des nuits (2012).

[10] https://www.retifdelabretonne.net/revue-des-oeuvres-de-retif

[11] Voir actes du colloque dans le n° 38 des Études rétiviennes (décembre 2006) et Pierre Testud et Claude Jaëcklé-Plunian, « Éditer Rétif de La Bretonne », à paraître dans CAIEF, 2023.